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vaporeuse des pièces. Et tout cela dans le but de retenir et suggérer la «quintessence des
caractères et des événements»(7), le drame de l’âme qui franchit le temps et l’espace.
Pour les dramaturges symbolistes le dialogue ou le non-dialogue théâtral est
important, car le centre de gravité de l’action théâtrale se déplace de la scène et du
dialogue pour se stabiliser «dans un espace de l’entre-deux où se rejoignent le visible et
l’invisible, le dit et le non-dit, le en scène et le hors scène»(8). Le dialogue extérieur est
présent, non seulement pour faire progresser l’action, pour expliquer les actes, mais aussi,
pour suggérer l’indéfinissable, l’ambiguïté et l’indétermination sémantique. Il y a aussi un
dialogue intérieur, qui montre ce que le spectateur doit surprendre, mais tout en l’incitant
à faire travailler son imagination, car, par elle, seulement, on peut accéder à la révélation
de l’invisible : Il n’y a guère que les paroles qui semblent d’abord inutiles
qui comptent dans une œuvre. C’est en elles que se cache
son âme. À côté du dialogue indispensable, il y a presque
toujours un autre dialogue qui semble superflu. Examinez
attentivement et vous verrez que c’est le seul que l’âme
écoute profondément, parce que c’est en cet endroit
seulement qu’on lui parle.(9)
Le langage s’efforce de suggérer les angoisses et les joies de l’humain dans sa
rencontre avec les forces surnaturelles, le mystère caché derrière les mots ; ainsi, la parole
des personnages rompt avec le verbe quotidien et devient incantation.
Le silence qu’on «entend» au théâtre donne naissance à un autre théâtre,
un théâtre du silence et de ses «incarnations» : la peur, l’inquiétude, l’angoisse, la mort.
Le texte de théâtre symboliste a de sens par le non-dit et par le sous-entendu dans une
harmonie de mouvements, gestes, sons, couleurs.
Antonin Artaud(10) appréciait que le théâtre est une branche de la littérature, une
sorte de variété sonore du langage d’où cette suprématie de la parole ; le théâtre
apparaîtra, ainsi, comme le simple reflet acoustique du texte, mais l’on voit bien que, pour
les symbolistes, la parole ne se trouve plus au premier plan, mais plutôt le silence, le
silence qui laisse beaucoup entendre et qui rend le temps sensible.
Quant au personnage du théâtre symboliste, il est formé d’une partie discursive
plus réduite et d’une autre scénique ; il incarne un rêve innaccessible et irréel et dont le
discours est infiniment simple et répétitif ; il évolue sans individualité, parfois éloigné de la
réalité, comme un fantôme, presque. Figure passive de la fatalité, le personnage est un être
fragile et silencieux, énigmatique, «un personnage sublime», selon Maeterlinck. Le
personnage est un être qui pourrait manquer, ou devenir une marionnette, (c’est ce que
préfère Maeterlinck) car, dans la conception des auteurs symbolistes, l’acteur est un intrus
qui rompt le charme dans l’âme du spectateur.
Ce que le théâtre symboliste apporte de nouveau est l’atmosphère qui remplace
l’absence d’action, d’individualité, et d’épaisseur des personnages. L’ambiance créée
devient dans le théâtre symboliste un autre personnage, car, en effet, c’est le climat
d’angoisse et d’inquiétude qui oriente la vie et la mort des êtres. Le décor, imprécis
autant que possible, est un accord de nuances et de dessin avec le poème. Et c’est
justement à la poésie de suggérer, à la parole de susciter un décor imaginaire. Pour
répondre aux besoins de suggestion et d’imagination, les auteurs ont fait appel à des
peintres –les Nabis ( Bonnard, Vuillard), Gauguin-, pour construire, par leurs toiles
peintes, l’atmosphère favorable à l’élévation spirituelle.