R. KUNTZMANN et M. MORGEN STRASBOURG Paroisse Cathédrale 6 février 2009 20h30-22h
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PAUL ET LES ÉCRITURES
MOULIN MYSTIQUE Vézelay
Ce célèbre chapiteau de l'église de la Madeleine, à Vézelay, est connu sous le
nom de Moulin mystique. Il s'agit d'une allégorie religieuse : Moïse verse le
grain (l'Ancien Testament, texte sacré des juifs) et saint Paul, instruit par le
Christ, transforme ce grain en farine (le Nouveau Testament, fondement du
christianisme).
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Introduction
MM
Dans un passage bien connu de l’épître aux Galates, Paul lui-même, de sa propre
main, nous donne quelques indications sur sa biographie. Il écrit à cette occasion qu’ « il a été
un fervent dans le judaïsme et qu’il s’est passionné pour les « traditions » de ses pères ». Nous
pouvons de fait vérifier cela dans les lettres de Paul ; devenu chrétien, adhérent passionné de
Jésus Christ, disciple du Seigneur ressuscité, il reste attaché aux Écritures et aux traditions
juives. Lorsqu’il veut évangéliser et affirmer qui est le Christ et le retournement qu’implique
la foi en Lui, Paul ne renie pas la tradition reçue ni ses études passées. Il ne rejette pas les
Écritures (en gros les Écritures désignent ce que nous appelons l’Ancien Testament). Il ne les
rejette pas, bien au contraire il s’appuie sur elles, sur les textes de l’AT, parfois très
brièvement et d’un mot, parfois plus explicitement en se référant à un texte, à un récit ou à un
personnage. Souvent il le fait très très longuement avec le détail d’une exégèse qui peut nous
paraître fort compliquée. Pour comprendre comment il procède nous allons ce soir regarder
quelques passages choisis dans les écrits de Paul.
Nous avons opté pour deux épîtres, la lettre aux Galates et la lettre aux Romains. Ces
deux épîtres sont comme deux soeurs jumelles, même si Romains ne saurait être réduite à
Galates. Dans l’une et l’autre en tous les cas, Paul traite d’un problème fondamental. Il le fait
d’abord dans le vif du sujet avec une certaine passion qui lui fait parfois oublier de finir ses
phrases, la lettre pleine d’émotion désignée comme La lettre aux Galates. Ensuite il élargit les
mêmes questions, plus longuement dans un véritable traité dogmatique où il examine encore
d’autres difficultés, la fameuse Épître aux Romains. Il n’est pas question de donner ce soir
toutes les questions d’introduction pour ces épîtres (date, lieu, destinataires, plan du contenu,
etc...) ; nous centrons simplement notre attention, à partir de ces deux écrits, sur la manière
dont Paul se réfère aux Écritures, comment et pourquoi il procède ainsi et sur le résultat de sa
lecture.
Nous vous avons donc proposé un petit plan pour suivre l’exposé (sur les polycopiés1) en
quatre points :
Plan de l’exposé
1° La manière dont Paul lit l’Écriture
2° La Torah
3° La foi et les œuvres en Romains et Galates
4° La justice du juste
1 Sur le site de la cathédrale le polycopié distribué en séance est reproduit pages 18-21.
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1. La manière dont Paul lit l’Écriture
RK
Un chapiteau de l’église Ste Madeleine de Vézelay est dénommé « le moulin mystique » : on
y voit Moïse verser du blé dans un moulin et saint Paul le récupérer dans le sac de l’Évangile.
Vous trouverez cette reproduction sur le site de la cathédrale où nous mettrons le détail de
notre exposé de ce soir, ainsi que des compléments bibliographiques.
L’abbé Sugger de Saint Denis donne la clé de cette sculpture : c’est le passage du blé au pain
véritable.
Pour passer du blé au pain, Paul cite l’AT et le NT, l’un comme source, l’autre comme point
d’arrivée. L’AT lui sert de référent, mais il le cite de façon variée. Ainsi,
Dans ses 13 Épîtres2, on peut relever 76 citations explicites, introduites par une
formule de citation du genre : « il est écrit », « l’Écriture dit », « Isaïe avait prédit… ».
Dans 22 cas, on ne trouve pas de formule explicite de citation, mais le lecteur
connaisseur des Écritures ne saurait douter de l’intention de Paul de s’appuyer sur
l’Écriture. Ainsi, Rm 3,20 (polycopié) : voilà pourquoi « personne ne sera justifié
devant lui » renvoie explicitement au Ps. 143,2. Nous nous y attarderons tout à
l’heure.
Plus difficiles à distinguer sont les « allusions » : imprégné de sa Bible, Paul peut
avoir spontanément utiliser une expression biblique, sans vouloir forcément citer le
passage d’où elle provient.
MM
Certaines citations explicites vont être développées largement. Deux exemples dans le texte
que vous avez sous les yeux :
* Premier exemple en Gal 3,13 (voir le polycopié première page première colonne souligné
et en caractères gras),
Paul dit : « puisqu’il est écrit :’Maudit quiconque est pendu au bois ». À défaut de
connaissance très développée du texte, la marge de notre Bible nous renvoie à Deutéronome
21,22-23 : « Si un homme, pour son péché, a encouru la peine de mort et que tu l’aies mis à
mort et pendu à un arbre, son cadavre ne passera pas la nuit sur l’arbre, tu dois l’enterrer le
jour même, car le pendu est une malédiction de Dieu. Tu ne rendras pas impure la terre, celle
que le Seigneur te donne en patrimoine ».
Dans un cas de ce genre, il faut d’abord se reporter, comme nous venons de le faire, à
l’AT. Il faut ensuite discerner de quoi parle le texte cité, puis cerner le sens de la référence
sous la plume de Paul : pour Gal 3,13, l’AT parle du traitement du cadavre d’un condamné, de
quelqu’un qui est donc ‘maudit’ (malédiction) et que l’on doit enlever le jour même, par
respect de la terre donnée par Dieu, la terre ‘sainte’. Le mot xulos (bois) du Dt ‘pendu au bois’
repris en Ga évoque bien entendu le bois de croix de Jésus : Jésus a accepté cette mort de
maudit exposé aux yeux de tous pour enlever le péché de tous. Dans le mystère de sa mission,
il est allé jusqu’à apparaître comme ‘maudit de Dieu’.
2 Nous considérons ici en bloc les 13 épîtres suivantes : Ro 1 Co 2 Co Ga Eph Phil Col 1Th 2 Th Phm 1 Tim
2 Tim Tt . La critique discute encore de l’origine strictement paulinienne de certaines épîtres. Même les épîtres
qui ne sont pas de la main de Paul, les « deutéro-pauliniennes » se réfèrent selon les mêmes principes aux
Écritures. Pour le présent exposé nous pouvons nous en tenir au corpus d’ensemble, sans plus de distinction.
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* Deuxième exemple de citation explicite développée en Gal 3,8
Prenons en deuxième exemple, la référence de Paul à Gn 12, à la promesse faite à
Abraham. Sur le polycopié (sous le paragraphe Paul apôtre des nations, après le plan, page
1) : le texte de Ga 3,8 mentionne Gn 12,3 : en réalité cette promesse est un texte fondateur.
On en retrouve des échos ailleurs :
- dans la Genèse : en Gn 18,18 et en Gn 28,14
- ou encore dans le livre du Siracide : en Si 44,19-21. Dans ce dernier texte, Ben
Sirach (l’Ecclésiatique) fait l’éloge d’Abraham en ces termes (voir polycopié)
Si 44 :
19 Le grand Abraham, ancêtre d'une multitude de nations, il ne s'est trouvé personne pour
l'égaler en gloire. 20 Il observa la loi du Très-Haut et entra dans une alliance avec lui. Dans
sa chair il établit l'alliance et dans l'épreuve il fut trouvé fidèle. 21 C'est pourquoi Dieu lui
assura par serment que les nations seraient bénies en sa descendance, qu'il le multiplierait
comme la poussière de la terre, qu'il exalterait sa descendance comme les étoiles et que leur
patrimoine s'étendrait de la mer jusqu'à la mer et depuis le Fleuve jusqu'aux extrémités de la
terre. (Sir 44,19-21)
- Et c’est toujours le même texte de la promesse qui est rappelé dans le NT au livre des
Actes des Apôtres (voir polycopié) :
Ac 3 :
25 C'est vous qui êtes les fils des prophètes et de l'alliance que Dieu a conclue avec vos pères,
lorsqu'il a dit à Abraham: En ta descendance, toutes les familles de la terre seront bénies. 26
C'est pour vous que Dieu a d'abord suscité puis envoyé son Serviteur, pour vous bénir en
détournant chacun de vous de ses méfaits.» (Actes 3,25)
Ainsi, lorsque Luc se réfère aux discours missionnaires – bien des années après la
première évangélisation certes puisqu’il écrit vers 90 ce livre des Actes –, il transmet les
premières références indispensables de la tradition chrétienne. Certaines citations ou chaînes
de citations constituent ainsi peu à peu le bagage de la « tradition » que l’on transmet ; les
premières homélies rappelaient sans cesse ces Écritures fondamentales. Ce souvenir, cette
mémorisation et actualisation de l’Écriture font partie de l’expression liturgique, de
l’expression de la foi.
Se disant « Apôtre des nations » en Ga 2,8 (c’est le nom qu’il se donne et qu’on lui a
confié), Paul n’échappe pas à cette transmission de la tradition, mais il actualise donc cette
promesse faite à Abraham pour « toutes les nations ». Il actualise ainsi dans sa mission la
promesse faite aux nations.
RK
Les citations explicites que nous venons de voir sont tirées soit du texte hébreu de la
Bible, soit de sa traduction grecque (la Septante le plus souvent) ; le texte grec ne se
superpose pas toujours de manière parfaite au texte hébreu.
Le judaïsme du temps de Jésus connaît bien ce type de citations, qui déploient l’AT en
l’interprétant : ainsi le Targum ou le Midrash3. La technique du Midrash (le mot signifie
« creuser », « chercher ») consiste à « chercher » dans l’Écriture le passage qui peut donner
l’interprétation. Cela peut se faire de différentes façons.
3 Pour ces termes et leur explication, voir l’ouvrage de J.N. Aletti, et alii mentionné dans la
Bibliographie.
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- L’interprétation peut se faire par le midrash halakah : ce mot hébreu vient du verbe halak
aller », « se comporter ») qui indique comment vivre en pratique, selon les prescriptions de
la loi. Il donne des règles de conduite.
- Cela peut aussi se faire par le midrash haggadah (du verbe nagid qui signifie « raconter »)
qui informe aussi sur la manière de vivre, mais en racontant des légendes, des paraboles, des
anecdotes, des proverbes. On choisit des passages narratifs de la Bible, des récits sur un
personnage, en parallèle avec les règles de la loi.
Le midrash fait donc découvrir la nouveauté cachée dans le texte, en creusant (darash)
l’Écriture. C’est de l’exégèse appliquée. Paul fait ainsi découvrir Jésus déjà annoncé par les
Écritures.
Le judaïsme se fait champion dans l’interprétation des Écritures et multiplie les règles
d’interprétation : nous donnons à titre d’exemple quelques principes d’interprétations de
Hillel .
Hillel, au même moment que son concurrent Shammay plus rigoriste, a enseigné du
temps d’Hérode le Grand, donc une génération avant la naissance de Jésus et de Paul.
Gamaliel le maître de Paul fut l’élève de Hillel. Paul va appliquer les sept principes
d’interprétation de Hillel (énumérés dans la Tosephta (Sanh. 7,11) en privilégiant le
raisonnement a fortiori et l’analogie :
1. Raisonnement a fortiori : ex : un travail est interdit les jours de fête qui sont inférieurs
au sabbat ; ce travail sera défendu a fortiori le sabbat.
2. Raisonnement par analogie : il s’agit de l’analogie des expressions dans deux textes
différents (par ex. « en ce temps-là ») qui pousse à appliquer le même traitement aux
deux textes. Nous en avons un exemple en Rm 4,3 [texte de la Genèse] et [Rm 4,7-8]
que nous observerons tout à l’heure : l’analogie verbale porte sur le verbe ‘compter’.
3. Généralisation d’une loi particulière : quand toute une famille de textes traite du
même sujet, une clause qui vaut pour un de ces textes vaut également pour les autres :
si pour porter témoignage il faut deux témoins, cette clause vaut pour tous les textes
où il est question de « témoignage ». Plusieurs passages du quatrième évangile
appliquent cette règle.
4. Même loi que la précédente, mais fondée sur deux textes.
5. Du général au particulier, et du particulier au général et des conséquences qu’on peut
en tirer : si un verset commence par donner un cas général, puis envisage un cas
particulier, l’affirmation générale du début se limite au cas particulier, et l’inverse.
Ainsi en Lv 1,2, il est écrit : « Si quelqu’un veut offrir au Seigneur une offrande de
bétail (cas général), c’est dans le gros ou le menu bétail (cas particulier) que vous
pouvez choisir votre offrande ». Les offrandes sont donc des offrandes d’animaux
domestiques. L’inverse (le particulier mentionné avant le général), est traduit en
français par exemple dans le proverbe « Qui vole un œuf, vole un bœuf ».
6. De passage à passage, selon l’expression « comme il ressort d’un autre passage » :
c’est un passage plus clair qui explique un passage obscur.
7. Le contexte : comprendre le texte par des indications du contexte
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