Vimiacum Villa ad Lugdunum - Mairie de Neuville sur Saone

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Vimiacum Villa ad Lugdunum
Par M. Jean de Bussière – imprimé à Lyon en 16611
Conseils au voyageur qui visite Vimiacum 2
Là, la Saône paresseuse roule des eaux troubles. Saisie par la douceur des rives, comme quelqu’un
qui hésite, elle s’attarde. Elle est alors bordée d’un certain nombre de maisons de campagne. On
dirait que la nature a enveloppé l'Art : à la vue du fleuve, devant les prés verts, les frondaisons des
arbres, les ceps de vignes, les riches moissons, on pense que la nature a montré aux hommes les
œuvres à aimer, les plantes à cultiver. Sur un sol si fortuné, près d'un fleuve favorable aux voyages,
six bornes3 avant Lyon, on voit, à gauche sur une petite colline, Vimiacum. Un peu plus bas, se
situe un bois du même nom, mais laisse-le et tourne tes yeux et tes pas vers la demeure dont un
grand propriétaire a fait, par amour, la renommée. Sur le seuil même, je ne puis m'empêcher de
chanter :
Quel Seigneur nouveau habite la belle demeure ?
Qui lui a donné cette apparence et cet éclat ?
1 - Le document original est conservé à la bibliothèque Municipale de Lyon. Une copie complète a été réalisée par
les Amis du Vieux Neuville.
2 - Vimy en latin, du moins une de ses appellations
3 - Bornes, unités de mesure, quel rapport avec la lieue usitée à l’époque, d'une valeur de 4 km environ ?
Neuville Histoire et Patrimoine
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Camille de Neufville de Villeroy
Neuville Histoire et Patrimoine
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Une maison bâtie naguère se dresse et dans un sentier ignoré, s'étend une Naïade4. Ici elle verra
la lumière. Pomone5 s'est couverte de ses derniers fruits. Des bosquets se dressent, sur la vaste
colline. Le coteau est naturellement le domaine de Camille6 et il offre l’hospitalité. La nature se
réjouit de ce que tu arrêtes tes travaux, prennes de justes loisirs, elle offre le calme au Lyonnais
inquiet.
A celui qui arrive par la porte principale, l’intérieur de la maison est ouvert. Un pont franchit le
ruisseau. Helvétius7 qui s’est avancé n’interdit pas d’entrer. Pourtant si tu m’écoutes, tu ne
pénètreras pas dans la demeure, tu ne rendras pas immédiatement visite au maître de maison, tu
ne retarderas pas un réel plaisir. Une fois entré, les plaisirs de la campagne te séduiraient moins,
tu seras charmé par la douceur de la conversation et transporté d’admiration pour le maître des
lieux. Ce très grand homme masque le charme de la nature. Sa connaissance fait naître du dédain
pour les autres plaisirs et l’éclat d’Horus8 dissimule sa demeure. Prends-moi comme guide, je te
conduirai et je te dévoilerai un par un les lieux où j’ai souvent trouvé du plaisir. Je vais organiser la
promenade.
Laisse donc la maison. Après avoir examiné la source recueillie dans un bassin de bronze, et qui
jaillit par plusieurs orifices, tourne à gauche. Pendant que tu t’avanceras, une grande cour
entourée d’un jardin, dominant le fleuve, attirera tes yeux. Excepté le buis, la nature, ici, ne doit
rien à l’art. Elle est entièrement sa maîtresse. On voit du buis en bordure des chemins et dans
4 - Naïades, dans la mythologie grecque, nymphes des ruisseaux, des fleuves, des sources et des fontaines. Selon les
légendes, les naïades sont les filles de Zeus, du dieu Océan ou encore, pour celles qui vivent dans des fleuves, du dieu
du fleuve concerné. Ce sont de belles jeunes femmes qui possèdent des dons pour la musique et la danse. C’est à
elles que l’on attribue les pouvoirs curatifs de certaines eaux thermales. Mais elles peuvent aussi frapper de maladie
ou de folie ceux qui les voient ou offensent leurs eaux. Tout comme les hamadryades, nymphes des arbres, les naïades
ne sont pas immortelles, mais on leur prête généralement une vie très longue, jusqu’à plusieurs milliers d’années.
5 - Pomone, dans la mythologie romaine, nymphe des fruits et des vergers. Selon Ovide, le dieu Vertumne s’éprend
de Pomone, laquelle demeure insensible à ses avances. Ayant la faculté de se transformer, l’amoureux prend
l’apparence d’une vieille femme et vient lui vanter ses charmes. Pomone, lorsqu’elle rencontre à nouveau Vertumne,
en tombe amoureuse. Dans la Rome antique, un culte est rendu à Pomone, dont le nom est tiré du terme pomum
(pomme, fruit), pour rendre fécondes les terres.
6 - Monseigneur Camille de Neufville de Villeroy qui avait les titres d'Archevêque et Comte de Lyon, Primat de France,
Commandeur des Ordres du Roi, et Lieutenant Général pour Sa Majesté aux Païs de Lionnois, Forêts et Beaujollois,
fut un puissant personnage qui mourut à l'âge avancé de quatre-vingt-sept ans, et put ainsi faire beaucoup de bien à
Neuville sa résidence de prédilection. Il lui donna son nom.
7 - Probablement le chien, mais le terme est-il pris au hasard ? Helvétius en Latin traduit par Helvète. On peut
supposer une référence aux gardes Suisses du Vatican. Camille de Neufville de Villeroy, fils de Charles marquis
d'Halincourt et de Jacqueline de Harlay, naquit à Rome le 12 août 1606 ; il eut le pape Paul V pour parrain. Le marquis
d'Halincourt était à cette époque ambassadeur en mission extraordinaire auprès du Saint-Siège. Camille de Neufville
était également le frère puîné du maréchal Nicolas de Villeroy qui fut gouverneur de Louis XIV.
8 - Le nom d’Horus a été employé au cours de l’histoire pour désigner plusieurs divinités différentes. La première
d’entre elles est Horus l’Ancien, également connu sous le nom d’Haroeris, dieu du Ciel, fils de la déesse Hathor, dont
les deux yeux sont formés de la Lune et du Soleil (Voir également les mythes de la Lune et les mythes du Soleil). Une
autre de ses formes est celle de l’Horus d’Edfou. Il est alors assimilé au Soleil et représenté sous la forme d’un disque
solaire muni de deux ailes. La figure d’Horus est en particulier liée à la royauté et au pouvoir pharaonique. Les
pharaons sont ainsi considérés comme des « Horus vivants ». Sous la V e dynastie, Horus est intégré au cycle osirien.
Il est alors considéré comme le fils d’Osiris et d’Isis.
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plusieurs massifs. Il est néanmoins très peu taillé, ici la nature a la permission d’être sauvage. Mais
l’exubérance est maîtrisée convenablement pour que rien ne blesse les pas ou les yeux. On ne se
plaint pas de ce que dans trois bassins, très grands soient réparties les eaux abondantes. Du cristal
très pur couvre le marbre. De là, en un jet joyeux, l’eau frappe le bronze. Elle se disperse, puis
forme une pièce d’eau. Pour les cygnes qui jouent, ce bassin est un asile, un fleuve pour les
poissons, une source d’aliment pour les pêcheurs, un spectacle pour les promeneurs. Le spectacle
des oiseaux réjouira-t-il celui qui les regarde ? Peut-être sont-ils consacrés aux Devins9 ou à
Apollon.10
Tantôt la tête dressée, leurs plumes blanches au-dessus de l’eau, comme des automates, ils se
déplacent sur les ondes, grâce à un léger mouvement des pattes. Tantôt ils menacent une proie
de leur large bec et de leur long cou. Le corps immergé ils saisissent les petits poissons, on ne voit
que leurs pattes. Puis ils émergent, les membres secs, comme s’ils étaient vêtus d’un manteau de
cire. Tantôt touchés par l’amour mutuel, ils s’enfuient ensemble et se poursuivent, tantôt en colère
ils se rapprochent, se frappent à coup d’aile et recouvrent le sol de leurs plumes. Après que l’eau
immobile ait formé un bassin, à nouveau elle se répartit en ruisselets, elle caresse l’herbe, son flot
embrasse les prés, puis se jette de nouveau dans la source.
Bassin plus beau que le verre, ceint d’une couronne de marbre, tu deviendras une rivière connue
si toutefois les Piérides11 n’ont pas éloigné le poète et si elles permettent d’approcher les flots
sacrés. Les aures12 tièdes, jouent à l’entour, ils se réjouissent du jaillissement des gouttes d’eau
jusqu’à ce qu’ils s’assoupissent. L’Eurus13 et le Zéphyr14 se calment, ils chassent d’ici l’humidité et
9 - Comme Calchas : Descendant d'Apollon par son père Thestor, Calchas avait reçu de son divin ancêtre le don de
prophétie. Il avait pour sœurs Leucippe et Théoné. Il fut l'un des plus célèbres devins de la mythologie grecque, habile
entre tous à prédire l'avenir dans le vol des oiseaux (ornithomancie).
Priam l'avait envoyé consulter la Pythie de Delphes au sujet du devenir de Troie. Le jour du sacrifice, il avait remarqué
un serpent montant en rampant le long d'un platane et dévorer avidement une couvée de huit oiselets ainsi que leur
mère qui avait vaillamment tenté de les sauver. C'est ainsi que Calchas découvrit la durée de la guerre et son issue.
Choisissant le camp des vainqueurs, Calchas offrit ses services aux grecs dont il fut le devin attitré.
10 - Apollon, dans la mythologie grecque, dieu de la Lumière solaire, de la Divination, de la Musique et de la Poésie.
Frère jumeau de la déesse Artémis, Apollon est le fils de Zeus et de Léto. Dieu de la clarté solaire, il porte le surnom
de Phœbus, « le brillant ». Musicien doué, il ravit les dieux avec sa lyre. Appréciant les fêtes, il est couramment
accompagné des Muses ; on l’appelle alors Apollon Musagète. Il est parfois guérisseur et gardien des troupeaux. Mais,
se montrant souvent impitoyable et cruel comme sa sœur Artémis, il est aussi le dieu de la Mort subite.
11 - Piéride, petit papillon diurne de la grande famille des piéridés, dont les ailes arborent les couleurs jaune, blanche
et parfois rouge. Les piérides ont six pattes bien développées et fonctionnelles chez les deux sexes. L’extrémité de
leurs antennes n’est pas recourbée vers l’extérieur
12 - Léger souffle du vent
13 - Vent de l'est du bassin méditerranéen représenté par un homme barbu, ailé et vêtu d'un manteau.
14 - Zéphyr est à l’origine un vent violent qui amasse les nuages d’orage et agite les flots. Ainsi, dans l’Iliade d’Homère,
il apparaît comme un vent qui pousse les nuages, dont « l’ombre se répand sur la mer qui devient toute noire », qui
« déroule les flots énormes et, de ses souffles épars, disperse l’écume dans les hauteurs de l’air ». Cependant, dans
les traditions ultérieures, Zéphyr devient un vent léger, doux et humide, qui souffle au printemps. Il fait fondre les
neiges et son arrivée marque la fin de l’hiver. Il demeure aux confins du monde occidental — « Zéphyr eut en partage
les lieux où se lève l'étoile du soir, où le soleil éteint ses derniers feux » (Ovide, les Métamorphoses). Dans la légende
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tour à tour au milieu d’un tourbillon d’eau, ils plongent. De l’Olympe15, le soleil voit ces luttes
faciles et ses rayons s’embellissent dans l’eau. Les cygnes s’étalent sur les eaux au milieu d’un
combat et remuent l’air de leurs ailes, ils jouissent de l’âpreté du combat et admirent la couleur
qui irise les flots. Les spectacles et les divertissements sont aussi nocturnes, les étoiles se mirent
dans le bassin limpide lorsque la lune argentée a abaissé son front blanchissant et que les vents
silencieux ont apaisé leur colère. Les Naïades de la Saône, les jambes et les bras nus, revêtant
leurs longues robes, dansent sur le gazon et l’herbe tendre au bord du bassin Elles ne craignent ni
les Faunes16 ni les Satyres 8 ! La foule effrontée, pudiquement cachée, tremble. L’humidité de l’air
se liquéfie et arrose, goutte à goutte, les herbes sèches. Maintenant courbées vers l’eau elles
plongent leur corps et purifient le fleuve boueux. Alors les rives du fleuve brillent, leur visage
étincelle. La lune jalouse regarde, efface les tâches cachées. Le maître de l’Olympe enflammé, l’en
empêche.
A gauche et à droite se trouvent deux promenades. Chacune est d’une beauté remarquable. L’une
est abritée par une longue et large pergola. Et une vision retient les yeux du spectateur, un
arbrisseau s’élance vers les fleurs blanches. Il se mélange très agréablement avec les fleurs. De
plus la lumière du soleil brille et embellit les couleurs. On ne voit pas sous la pergola la peinture
représentant une sorte d’émeraude sertie d’or et d’argent, mais ce qui est plus beau, on voit des
êtres vivants. La nature habile est ici d’une telle richesse qu’elle se dépasse elle-même. Quel
feuillage d’or et de pierres précieuses exhale une odeur aussi suave et douce que celle dégagée
par ce bel ombrage. A cela s’ajoutent la vigueur et la durée de la pergola. Les branches entrelacées
avec la pergola, comme elles sont arquées. Maintenues avec du fer elles sont solidement fixées
pour que le plaisir ne soit pas gâté par du bois abîmé et que l’arbre qui prend appui là, ne s’affaisse
pas.
Ainsi l’art a corrigé la nature, a participé à son œuvre, et a fourni au petit et faible arbrisseau plus
de stabilité que le chêne. Près du chemin s’étend un espace isolé, bordé d’un mur. Il est
entièrement planté et garni de tubéreuses. Ainsi appelle-t-on ces fleurs droites sur une tige haute
et verte, et dont les petits calices blancs et allongés, comme les lys, répandent une odeur très
de Psyché, il est au service de Cupidon ; c’est lui qui, sous la forme d’un souffle d’air doux et tiède, sauve la jeune fille
de la mort et la transporte jusqu’au palais du dieu, tombé amoureux d’elle.
15 - Les Anciens situent la résidence des dieux sur le mont Olympe, qui s’élève aux confins de la Macédoine et de la
Thessalie. Les palais des dieux, bâtis par le dieu forgeron Héphaïstos, s’élèvent au sommet de la montagne, camouflés
aux yeux des mortels par une épaisse et permanente couche de nuages. Cette barrière nuageuse est contrôlée par
les Heures (personnifications des Saisons), tandis que les orages et les éclairs fréquents qui entourent la montagne
sont signes de la présence et du pouvoir de Zeus. En revanche, par-delà les nuées, aucune perturbation
météorologique n’est à déplorer, et l’espace est empli d’une lumière constante. Dans les traditions tardives, l’Olympe
quitte le mont pour devenir une région céleste géographiquement indéterminée.
16 - Chez les Romains, les Faunes et les Sylvains étaient, à peu de différence près, ce qu'étaient les Égipans et les
Satyres chez les Grecs. Dieux rustiques, on les représentait sous la même forme que les Satyres, mais sous des traits
moins hideux, avec une figure plus joyeuse, et surtout avec moins de brutalité dans leurs amours. Le pin et l'olivier
sauvage leur étaient consacrés. Les Faunes passaient pour être fils ou descendants de Faunus, troisième roi d'Italie,
lequel était, disait-on, fils de Picus ou de Mars, et petit-fils de Saturne. On les distingue des Sylvains par le genre de
leurs occupations qui se rapprochent davantage de l'agriculture. Cependant les poètes prétendent qu'on entendait
souvent la voix des Faunes dans l'épaisseur des bois. Quoique demi-dieux, ils n'étaient pas immortels, mais ne
mouraient qu'après une très longue existence.
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douce. Le parfum se mélange avec celui du jasmin et atteint les promeneurs. Ils croient percevoir
et sentir des plantes de la riche Arabie ou un délicat parfum maritime.
De-là si tu tournes à droite, une agréable promenade t’attend. Le chemin est en plein air, à l’abri
du vent, protégé par un mur très haut, du soleil levant. Ici en été, tu viendras chercher la fraîcheur
matinale et parmi les jets des fontaines, les arbustes verdoyants, le souffle du zéphyr, sous un ciel
serein, tu verras venir la douce aube naissante. Sur le mur aussi, un plaisir va régaler tes yeux et
ton palais. Des branches d’arbres merveilleux, admirablement entrelacées sont fixées à l’aide
d’échalas. Le long du mur elles revêtent la pierre d’une couverture vivante, porteuse de fruits
magnifiques. Les arbres s’enrichissent de pommes, de poires et de pêches d’une saveur exquise.
Ce dont je parle est à la portée de ta main, je voudrais que tu t’en rassasies. De très belles couleurs
se fondent admirablement.
Et les branches qui au printemps se paraient de fleurs, en automne se revêtent de fruits et
s’étendent. Là où cesse le chemin, s’élèvent un bâtiment peu élevé, mais agréablement décoré et
construit. Il sert aux faisans, aux oiseaux voyageurs qu’il faut nourrir, tels que la perdrix et les
pintades. Il faut préparer des repas auquel prend part un hôte plus noble. Le travail fait naître la
magnificence et supplée à la pauvreté de la région. Non sans plaisir tu regarderas les élégants
oiseaux, aux plumes brillantes et dorées, à la tête dressée sur un cou bleuté et dont les yeux de
pierres précieuses sont cerclés d’écarlate. Au lieu de bois sauvages et de montagnes, ils trouvent
des nids préparés, des gîtes, des vivres et de quoi mettre au monde et élever leur progéniture.
Qui a fait venir du Phase ces oiseaux colorés et a caressé ces êtres sauvages ? Ils montrent en
spectacle leurs plumes, les pierres précieuses de leurs yeux et leurs orbites brillantes. Ils ne se
soucient pas des rives du fleuve et des solitudes tranquilles. Pour plaire au maître, ils oublient là
leur nature et apprennent à connaître une terre étrangère et une demeure nouvelle.
Le mur est couvert de fruits et son revêtement resplendit sur les pierres fertiles. L’étincelante
Pomone colore le mur ; les fruits s’étalent, les belles pêches se mêlent aux poires, absorbent la
sève et se forment. Une petite branche ploie sous un immense fardeau. Inclinée, elle attire l’œil
et la main du cueilleur. Le jardin suspendu est sans doute desséché par le soleil. Le mur brûle et
renvoie la chaleur.
L’obscurité même est éclairé, sous la chaleur du soleil ; l’audacieux jardin est un abri sûr, il brille
et se couche sur le fer. Sous la frêle tonnelle se trouve un asile durable. Les branches souples se
déploient tout autour. Des appuis les maintiennent et le soleil étincelle. Là, à l’abri, la fleur aime
s’entrouvrir et s’étaler. Le fer reverdit, le métal refleurit. Sous l’arc de verdure le zéphyr se rit du
soleil funeste et faisant confiance à la fleur, il ne craint pas les colères de son ennemi. Il se cache
sous un bouclier fleuri qui arrête les rayons. Il sort de son agréable prison lorsque le soleil se
couche, visite les fleurs, et près des fontaines se mêle à l’Aura. L’odeur suave des tubéreuses se
répand, l’eau jaillit en gazouillant, se répand en gouttelettes et vole dans l’air.
Lorsque tu auras visité la volière, vas au jardin, en passant sous la voûte. Le jardin est séparé de la
cour par un large mur percé. Il accueille le visiteur qui, par des degrés commodes, pénètre ensuite
au jardin. Ce portique ne manque pas de beauté. De même les entrailles de la terre et les lieux
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retirés possèdent aussi des merveilles. A l’intérieur, est construite une grotte qui rivalise avec la
nature. On a posé et scellé des coquillages en forme de mosaïque. L’art l’emporte sur la nature.
Le dessin, fait avec des coquillages variés, représente des hommes aux vêtements colorés et des
animaux. Et l’on ne sait pas si l’on doit l’eau qui coule abondamment à l’art ou à la nature. L’artiste,
très habilement, soit a fait venir de l’eau17, soit a mis à jour des sources cachées. Les fontaines en
sont la preuve. Elles sont recueillies en-dessous dans un bassin. Ce miroir serait digne de
Narcisse.18 Il y a deux grottes d’un art et d’une diversité admirables19.
Quelles richesses renferme ce mur ? Que de riches trésors dans ces pierres. A côté d’eux, les mines
du roi du Pérou ne sont que de la fange. Là tu vois les dépouilles de la terre et de la mer
admirablement arrangées. Ici Titan20 arrange avec soin les coquillages, Neptune21 les eaux et
Minerve22 se consacre à l’art et au dessin
Une perle indienne voudrait naître de ce coquillage et se mêler à l’eau de la fontaine. Souvent la
Saône fatiguée s’étale dans la grotte admirant l’étincelante fontaine et la couleur des coquillages.
17 - Cette eau venait du bassin de la coquille qui servait de zone de compensation pour l’alimentation en eau du
Nymphée et des jeux d’eau du parc. Ce bassin de la coquille a été détruit lors de la construction de la ligne de chemin
de fer entre Lyon la Croix Rousse et Trévoux
18 - Narcisse, fils du dieu-fleuve Céphise et de la nymphe Liriopé, est un très bel enfant aimé des nymphes. Le devin
Tirésias, consulté sur son avenir, déclare qu’il pourra vivre longtemps à condition qu’il ne se voie pas. Devenu
adolescent, Narcisse, dont la beauté est éclatante, repousse systématiquement les femmes comme les hommes épris
de lui, recherchant l’isolement dans les forêts. C’est là qu’il rencontre un jour la nymphe Écho, éperdument
amoureuse de lui. Alors qu’elle sort d’un taillis les bras tendus vers lui, il la rejette et s’enfuit ; Écho, désespérée,
disparaît dans les bois et s’y laisse dépérir, jusqu’à ce qu’il ne reste d’elle que sa voix.
19 - Le Nymphée du parc du château d’Ombreval.
20 - Titans, dans la mythologie grecque, nom porté par l’un des groupes de divinités enfantées par Ouranos, le Ciel,
et Gaia, la Terre. Les Titans, dotés d’une taille immense et d’une force remarquable, sont au nombre de six. Ils se
nomment Océan, Coeos, Crios, Hypérion, Japet et Cronos. Ils ont pour frères les Hécatonchires et les Cyclopes dits
ouraniens, et pour sœurs les six Titanides. Emprisonnés par leur père dans les profondeurs de la Terre après leur
naissance, les Titans sont libérés par Cronos, le plus jeune d’entre eux. Celui-ci, après avoir attaqué et mutilé Ouranos,
lui succède en tant que maître de l’Univers.
21 - Neptune, ou Poséidon, fils de Saturne et de Rhéa, était frère de Jupiter et de Pluton. Sitôt qu'il fut né, Rhéa le
cacha dans une bergerie d'Arcadie, et fit croire ensuite à Saturne qu'elle avait mis au monde un poulain qu'elle lui
donna à dévorer. Dans le partage que les trois frères firent de l'univers, il eut pour son lot la mer, les îles et tous les
rivages.
Lorsque Jupiter, son frère, qu'il servit toujours très fidèlement, eut vaincu les Titans, ses terribles compétiteurs,
Neptune les tint enfermés dans l'Enfer, et les empêcha de tenter de nouvelles entreprises. Il les maintient derrière la
clôture infranchissable formée par ses flots et ses rochers.
22 - Minerve, fille de Jupiter, était la déesse de la sagesse, de la guerre, des sciences et des arts. Jupiter, après avoir
dévoré Métis ou la Prudence, se sentant un grand mal de tête, eut recours à Vulcain qui, d'un coup de hache, lui
fendit la tête. De son cerveau sortit Minerve tout armée, et dans un âge qui lui permit de secourir son père dans la
guerre des géants où elle se distingua par sa vaillance. Un des traits les plus fameux de l'histoire de Minerve est son
différend avec Neptune pour donner son nom à la ville d'Athènes. Les douze grands dieux, choisis pour arbitres,
décidèrent que celui des deux qui produirait la chose la plus utile à la ville lui donnerait son nom. Neptune, d'un coup
de trident, fit sortir de terre un cheval, Minerve en fit sortir un olivier, ce qui lui assura la victoire. La chaste Minerve
resta vierge ; cependant, elle ne craignit pas de disputer le prix de la beauté à Junon et à Vénus. Afin de l'emporter
sur ses rivales, elle offrit à leur juge, Pâris, le savoir et la vertu. Ses offres furent vaines, et elle en conçut un grand
dépit.
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La Saône a admiré sous l’eau la demeure transparente de Nérée23, ornée d’or et de corail rose,
elle préfère pourtant la fraicheur de la grotte et la clarté de son eau.
Après cette voûte, par des marches tu descends au jardin. Une terrasse apparaît et s’étend sur un
grand espace jusqu’au champ voisin. Là, sont plantés des légumes ; des plates-bandes sont
séparées par une petite bordure. Tu vois de vastes chemins, une fontaine jaillissante et des massifs
regorgeant de fleurs. Lorsque tu seras rassasié par la vue des plantes variées, un jet d’eau attirera
tes yeux. L’eau tombe dans une vasque de marbre. L’utilité s’ajoute au plaisir. L’eau de cette
fontaine représente un grand nombre d’averses et pendant l’été brûlant, elle est distribuée dans
des canaux et conduits vers les plates-bandes où elle ranime les légumes. Les promeneurs
respirent un air très limpide et très pur. La vue s’étend assez loin jusqu’à la courbure du fleuve vers
les vallées situées entre les collines. On voit les bosquets d’arbres dans les prés, les champs de
vigne. Tout ceci se déploie assez loin et se dessine agréablement. Les douceurs de Flore 24
dominent le jardin. J’appelle ainsi les massifs placés à l’écart. Là depuis le début du printemps
jusqu’au milieu de l’été, sans cesse, brillent de très belles fleurs. De l’eau venue de la fontaine
s’avance. Un canal de pierre court à travers chaque massif, apporte l’eau fugitive, distribue
l’humidité et arrose selon le désir du maître.
Au-dessus du fleuve et d’une petite vallée se dresse une terrasse plate, sur le flanc de la montagne.
On y respire un air très pur. En dessous la masse des nuages blanchit le paysage. Là s’offre à la vue
un espace immense ; au déclin du jour le soleil conduit son char et descend se cacher dans les
flots, les yeux se réjouissent de l’avance du soleil, ils regardent un instant le trajet parcouru par
l’astre sur terre et dans l’Olympe, tandis qu’Apollon aux pieds de feu s’avance calmement.
Lentement il se déplace. Le pôle l’attire. Il éclaire les légumes et décore la terre découverte. Une
verte ceinture de serpolet, de romarin et de laurier s’étend. Un chemin se déroule dans une vaste
étendue. Au milieu coule l’eau verte et le sol brille. Une fontaine jaillit et distribue la vie. Là où
passe l’eau rien ne périt. Le flot s’infiltre dans les canaux d’irrigation et arrose. Sans doute, pour
ces canaux, la rivière est-elle une émule de l’éternité. Source incessante, elle prolonge la vie et sa
course obstinée nourrit les légumes verts.
23 - Nérée, dans la mythologie grecque, dieu marin bienveillant et bienheureux, l’une des divinités primordiales du
panthéon grec. Fils de Pontos, personnification de la Mer, et de Gaia, la Terre, Nérée est un dieu très ancien, dont
l’apparition dans le panthéon grec est antérieure à celle de Poséidon. Il a pour frères Phorcys et Thaumas, et pour
sœur Céto.
24 - Flore, ou Flora, est une déesse vénérée à l’origine par les Sabins. C’est Ovide qui la relie aux légendes de la
mythologie grecque, en l’assimilant à Chloris, une nymphe d’une grande beauté dont s’est épris Zéphyr, le Vent
d’Ouest : « Celle que vous appelez Flore était autrefois Chloris », écrit-il dans les Fastes. Après que Zéphyr l’a enlevée,
elle devient sa femme et reçoit en guise de cadeau de mariage des champs emplis de fleurs magnifiques. Elle se voit
également dotée du pouvoir de contrôler les floraisons du printemps, et devient déesse sous le nom de Flore.
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Les astres embellissent la terre, ils glissent dans le ciel, serein, deviennent fleurs et couronnent
Vesta 25 . Si je possédais cent roseaux, si Mantoue26 me prêtait sa voix ou si la Sicile27 m’envoyait
un poète, je vous décrirais la parade printanière et les merveilles de Flore. Vous êtes enveloppé
de couleur. La pourpre brille dans les feuillages, l’argent étincelle. Le jaune de l’or resplendit, alors
la Planchaïa28 parfume vos plates-bandes et autour, sur les feuillages, une douce odeur se répand.
Au début du printemps des fleurs apparaissent, à la fin l’on en voit toujours et elles ne désertent
pas le début de l’été. Au milieu de cette maison des plantes fleuries s’épanouissent. Sirius,
meurtrier brûle, les incendies dévastent les champs desséchés et pourtant le jardin coloré est
couvert de pierres précieuses. Grand est le désir de fleurir. L’eau fugitive réjouit les plantes ; sur la
rive inquiète elle se répand et sème des couleurs çà et là. L’eau devient fleur. Les hommes
nourrissent les fleurs avec de l’eau. Croissez narcisses, tulipes, poussez soucis et roses pourpres.
Que l’iris succède à l’anémone, que poussent des fleurs semblables à des pierres précieuses que
ne peindraient ni Parrhasius 29 ni Apelle30. Vous poussez pour votre digne maître qui mérite la
lumière des astres et la terre fertile prodigue ses dons d’or.
Tu quittes le jardin et tu pénètres dans l’enclos des bêtes sauvages, mais avant de pénétrer dans
cet espace immense regarde à gauche et tu verras deux vergers. Dans l’un apparaissent des arbres
fruitiers disposés en quinconce et s’étendant sur un espace susceptible d’une riche production. Le
sol est couvert de belles branches de part et d’autre. Depuis les premières cerises jusqu’aux
dernières poires on voit sur les arbres grande abondance de fruits. Du milieu du Printemps jusqu’à
la fin de l’Automne, le maître possède là beaucoup à regarder et à cueillir. Au milieu de tant de
25 - Vesta, dans la mythologie romaine, déesse du Foyer identifiée à la divinité grecque Hestia. Divinité d’origine très
ancienne, Vesta voit, avec l’introduction du panthéon grec à Rome, sa légende assimiler celle d’Hestia elle devient
ainsi la sœur aînée de Jupiter, déesse vierge qui ne quitte jamais le séjour des dieux, dont elle représente le foyer. Elle
n’est donc présente que dans peu d’épisodes mythologiques. Un récit d’Ovide, dans les Fastes, la met en scène
endormie après un festin, tandis que le dieu de la Fécondité : Priape, profitant de son sommeil, tente d’abuser d’elle.
Mais la déesse est réveillée à temps par un âne qui s’est mis à braire pour l’alerter et peut ainsi repousser son
agresseur.
26 - Mantoue, en italien Mantova, ville du nord de l'Italie, capitale de la province du même nom, située en Lombardie.
27 - Ile de la méditerranée centrale, haut lieu de la mythologie, une des étapes du voyage d’Ulysse du poète
Homère.
28 - Il doit s’agir d’une fleur, mais elle est inconnue par les botanistes. Dans l'antiquité, l'île mythique était la Panchaïa
d'Evhémère (auteur grec de la fin du IVe siècle.) qui contenait la vérité sur l'identité des dieux. Mentionnée par les
auteurs païens et chrétiens, Panchaïa sombre ensuite dans l'oubli pour être remplacée, dans l'imaginaire occidental,
par l'Atlantide, à partir des écrits de Platon et d’Aristote.
29 - Parrhasius d'Éphèse. Peintre grec du 5e siècle avant J.-C.
30 - Apelle (IVe siècle av. J.-C.), peintre grec, le plus célèbre artiste de l'Antiquité. Né sur l'île de Cos, il étudia à Sicyon
(actuelle Sikion) sous la férule de Pamphilus d'Amphipolis. Les œuvres d'Apelle, caractérisées par une grâce unique,
sont uniquement connues grâce à des descriptions littéraires ou à ses fresques qui inspirèrent les artistes de la
Renaissance. Parmi celles-ci, on trouve des portraits de Philippe de Macédoine, du fils de celui-ci, Alexandre le Grand,
des généraux d'Alexandre, ainsi que des scènes mythologiques et allégoriques, telles que Vénus Anadyomène et la
Calomnie, dans lesquelles l'Ignorance, le Doute, l'Envie et d'autres qualités sont personnifiées. Selon une anecdote
bien connue, un cordonnier remarqua une erreur sur la chaussure d'un personnage peint par Apelle, qui rectifia surle-champ. Mais lorsque le cordonnier se mit à critiquer les jambes, Apelle s'exclama « Cordonnier, pas plus haut que
la chaussure ! »
Neuville Histoire et Patrimoine
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ressemblance, une seule différence surgit. Dans l’un de ces vergers les arbres croissent et s’étalent
selon les désirs de la nature, les branches s’épanouissent, la végétation s’étale ; dans l’autre,
l’extrémité des branches est taillée. La nature est domptée, la sauvagerie est maîtrisée. La
prospérité est interdite. Chaque arbre doit rester nain. Ce qu’invente l’agriculture est admirable.
Ainsi on épargne du travail aux cueilleurs, on s’occupe de l’agrément. Seules les branches sont
endommagées, la production de fruits ne charge pas. Ils sont ainsi plus proches de la main comme
des yeux. Sur un terrain à l’écart, croît une pépinière. On a planté ici de nombreux rejetons qui se
couvrent de feuilles en attendant des fruits.
N’oublie pas les orangers aux feuilles toujours vertes et colorées. Ils se dressent hors de leur caisse,
portant de hautes branches, produisent une fleur très parfumée et un fruit très beau. Ici, Pomone,
l’arbre a revêtu ton feuillage, tes dons brillent à qui mieux mieux. Pourquoi les énumérer, qui
pourra, en un chant, décrire la diversité des formes, la couleur des peaux de fruits, leur saveur
agréable. Dès que le soleil doré brille sur les champs encore glacés, lorsque le bélier resplendit,
toute la nature verdit, les pierres précieuses jaillissent, le fleuve gonflé se répand à travers ses
bras, toutes ses articulations et ses canaux brillants. Alors le fleuve noble fait naître la fleur. Serti
de fleurs, de toutes parts, il brille. Flore admire les couleurs et pourrait se croire vaincue si elle
n’habillait elle-même les arbres. A l’entour, le vent qui secoue les fleurs, paraît étonnamment
blanc, il luit comme le murex pourpre, se teint de mauve, il se laisse imprégner par l’éclatante
couleur du vin. Les feuilles arrivent et une couleur accapare les branches verdissantes. Pomone
resplendit dans son habit vert plus sombre, un autre a la couleur transparente de Nérée, un autre
enfin a une teinte cuivrée. Rien n’est plus varié qu’un même objet. Puis les fruits s’étalent. Le soleil
rayonnant de l’été les murit, ils absorbent la chaleur, une saveur cachée se développe. Les vergers
étincelant de fruits. Un même arbre donnera à la fois des feuilles, des fruits et des fleurs. Sur les
rameaux brillants des objets dorés ou argentés. La verdure a vaincu l’hiver. O bel arbre ! Planté
dans le jardin des Hespérides31 tu as été chargé d’un fruit rutilant. Tu as été la récompense de
31 - Hespérides, dans la mythologie grecque, belles jeunes femmes chargées de garder les jardins où poussent les
pommes d’or, cadeau de mariage fait à Héra par Gaia, la Terre. L’ascendance des Hespérides est incertaine : elles sont
données, selon les légendes, pour filles du Géant Atlas et d'Hespéris, ou de l’Érèbe et de la Nuit, ou encore des
divinités marines Phorcys et Céto. Elles sont généralement au nombre de trois : Églé, Érytheis et Hespéré, mais
certaines légendes en comptent une quatrième, Hestia ou Aréthuse. Les Hespérides gardent, avec l'aide du dragon
Ladon, le jardin des dieux où pousse un arbre aux branches, aux feuilles et aux pommes d'or. Elles se font un jour
dérober les pommes d’or par Héraclès (c’est le onzième de ses douze travaux), ou encore par Atlas pour le compte
d’Héraclès, mais les fruits leur sont plus tard restitués
Neuville Histoire et Patrimoine
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Vénus32, l’obstacle à la course d’Atalante33, tu garnis les vergers d’Alkinoos34 . Sois heureuse, verte
et épanouie pour longtemps.
Et vous les arbres nains, vous vous couvrez de fleurs et de fruits. Ce n’est pas une hache négligente
qui vous a meurtris. Vous avez les ennuis d’une vie amoindrie, vos branches disposent d’un espace
moins grand. La branche produit plus rapidement des fruits. Elle est plus fertile que dans les
premières années. Vertumne35, naguère imagina ce système, il modifia la nature, coupa les
excroissances inutiles, et ainsi améliora la production. L’arbre encore jeune produit déjà et le
tendre rameau ploie sous sa charge. La nature cherche un feuillage abondant. Elle ne le trouve
nulle part. Son cycle terminé, la nature regarde avec étonnement les branches nouvelles. Mais la
vie et ses fruits durent peu, les hommes connaissent cette loi : on meurt rapidement et on naît
lentement.
Lorsque tu auras dépassé la clôture, tu te croiras en plein air. Le terrain est en effet abandonné à
lui-même, on trouve là des prés, des bois et des pâturages et des ronceraies. Le cultivateur a
pourtant rectifié la nature, il a mis dans les prés de l’engrais, du trèfle, il a nettoyé les sentiers des
bois et a enlevé ce qui pouvait gêner les pas ou blesser la vue. Le ruisseau coule entre des rives
sinueuses, charrie ses eaux sur un grand espace, il s’élargit dans les prés et dans les bois. Sache
que dans un tel espace tu es enfermé. Le lieu très agréable ou tu te promènes est une prison. On
a élevé un mur de pierre et de mortier, sur une longueur de plusieurs lieues. Il descend dans les
vallées, escalade les collines, passe à travers les rochers raboteux, entoure le terrain, monte la
garde et enferme tout. Pour toi c’est un asile, pour les bêtes sauvages, cerfs et chevreuils, c’est la
prison. Il les enferme et les empêche de sortir. Pour eux aussi c’est un asile, un lieu très sûr. Là leur
salut est assuré. On leur prépare des vivres, on leur offre un gîte. Le danger ne menace que ceux
32 - Vénus : dans la mythologie romaine, déesse de l'Amour et de la Beauté, assimilée à l’Aphrodite des Grecs. À
l’origine divinité des Jardins et des Champs, Vénus voit sa figure se confondre avec celle d’Aphrodite aux environs du
IIe siècle av. J.-C. Sa légende reprend alors les attributions et les épisodes de la déesse grecque.
33 - Atalante, dans la mythologie grecque, fille de Schoenée de Béotie ou de Iasos d'Arcadie. Déçu qu'elle ne soit pas
un garçon, son père l'abandonna sur une montagne peu après sa naissance. Elle fut secourue et nourrie par une
ourse, puis élevée par des chasseurs. Devenue grande, c'était elle-même une chasseresse habile. L'exploit qui la rendit
célèbre fut sa participation à la chasse au sanglier de Calydon, une ville d'Étolie dans le centre de la Grèce.
34 - Père de Nausicaa, dans la mythique Atlantide d’après de récit d’Homère ; l’Odyssée ou le jardin est décrit,
également cité par Platon.
35 - Vertumne, dont le nom signifie tourner, changer, était sans doute un roi d'Étrurie qui, à cause du soin qu'il avait
pris des fruits et de la culture des jardins, obtint, après sa mort, les honneurs de la divinité. Ce qu'il y a de certain,
c'est que son culte passa de chez les Étrusques à Rome où on le considérait comme le dieu des jardins et des vergers.
Ses attributions différaient de celles de Priape : il veillait surtout à la fécondité de la terre, à la germination des plantes,
à leur floraison et à la maturation des fruits. Il avait le privilège de pouvoir changer de forme à son gré, et il eut recours
à cet artifice pour se faire aimer de la nymphe Pomone qu'il choisit pour épouse. Ce couple heureux et immortel
vieillit et se rajeunit périodiquement sans jamais mourir. Vertumne a donné sa foi à la nymphe et lui garde une
inviolable fidélité.
Neuville Histoire et Patrimoine
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qui s’échappent. A leur égard le maître est bienveillant. Rien ne peut nuire à ces esclaves, à moins
qu’ils ne cessent d’être esclaves36.
Dans l’enceinte protectrice, cerfs, vous jouez en toute sécurité, aucun danger ne vous menace, la
pierre vous entoure et les chiens sont enfermés dans leur gîte. Paissez l’herbe fraîche. Soignez vos
petits. Le maître vous protège. Ici Actéon37 peut vivre tranquille. Vous pouvez aller à travers les
champs immenses, goûter la fraicheur de l’ombrage des bois et vous rafraîchir dans l’eau claire.
Le loup ne saisira pas les chevreuils. Les traits des chasseurs ne surgiront pas. Aucun piège ne se
cache dans les bois. Ne sortez pas de l’enceinte, ne vous laissez pas attirer par une liberté. Restez
dans votre demeure. C’est en vain, rapides cerfs, que vous rivalisez avec l’Eurus. Si une fois vous
sortez, vous perdrez votre vie et votre sang.
Lorsque tu te seras promené un certain temps, que tu auras satisfait ta vue d’un spectacle aussi
varié, lorsque tu auras contemplé les jeux des cerfs et des chevreuils, tourne à droite. Là, tu
trouveras un lieu tranquille et un siège pour reposer ton corps fatigué. Là se trouve un grand étang
entouré de collines. Un tertre au nord retient l’eau. Un décor d’arbres avec des sièges domine
l’étang. Si tu t’assieds, tu découvriras au loin un très beau spectacle. Quant à moi, j’avoue que de
mon vivant, aucun spectacle n’a davantage réjoui mon cœur. Aux alentours, les collines sont
garnies de bosquets, les branches des arbres se penchent vers l’eau. Au-dessus des collines, outre
les ruines d’un vieux château38 on ne voit que le ciel. En bas nul vent, nulle vague n’agite les eaux
calmes. On n’entend aucun bruit, aucun son. Pourtant dans les branches d’arbres, les oiseaux
gazouillent. Les oiseaux aquatiques jouent parmi les poissons. Mais rien ne disperse l’attention.
La beauté envahit celui qui la contemple.
Tout en regardant, écoute l’histoire que je vais te conter :
Là où s’étend le fleuve, là ou stagnent les eaux, la terre existait autrefois. Si l’histoire est vraie,
l’espace était réservé aux chevaux à dompter et à domestiquer. Au sommet de la colline le
courageux Anous possédait la citadelle de Montanuis39 qui tombait en ruine, il y a longtemps. Il
avait l’habitude d’aller fréquemment à l’hippodrome y faire tourner les magnifiques chevaux – et
il domptait habilement les plus rétifs – Près de Jérusalem, alors qu’il combattait adroitement, il
36 - Cette phrase est inscrite dans un des principes d’Aristote, d’un point de vue philosophique elle est à la base du
concept de Liberté qui sera repris au siècle des Lumières, quelques années plus tard.
37 - Actéon, fils d'Aristée et d'Autonéo, est un jeune prince qui par une chaude journée, surprend Diane, fille de Zeus
et de Léto, sœur jumelle d’Apollon, (déesse de la chasse et de la nature sauvage) et ses huit nymphes se baignant au
bord d'un ruisseau au cours d'une chasse. Furieuse, Diane chasse Actéon et pour se venger, le transforme en cerf afin
qu'il soit poursuivi par ses propres chiens. Des cornes poussent sur la tête d'Actéon, son cou s'allonge, ses oreilles se
dressent et deviennent fines et pointues. Plus de mains, plus de bras ; des jambes grêles et délicates les remplacent,
il s’est métamorphosé en cerf. Actéon tente de s'échapper mais il est dévoré par ses propres chiens qui le prennent
pour un gibier.
38 - Cette bâtisse a été détruite pendant la Révolution, il ne reste aujourd’hui que quelques substructions accessibles
à partir du chemin du Pont des biches. En 1631 Mgr Camille de Neufville acheta à Laurent de Tenay (ou Thené) de
Saint Christophe la terre et baronnie de Montanay, afin de constituer le marquisat.
39 - Le château de Montanay
Neuville Histoire et Patrimoine
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fut tué et mourut de sa blessure. Justina son épouse restait seule chez elle, veuve éplorée, noyant
son chagrin dans les larmes. Elle n’avait pas vingt ans. Mais son unique enfant, Calliope, vagissait
dans ses langes. Il consolait sa mère en lui rappelant son père. Elle le nourrissait avec amour. Un
espoir. Un espoir était né et grandissait. La mère le destinait aux croisades, voulant soit qu’il venge
son père, soit qu’il couvre son nom de gloire. La gloire et le métier de Mars40 l’appellent. A quinze
ans il déçut les espoirs de sa mère. Alors, courageusement il monta à cheval et il dut aller au
manège. Un maître l’accompagnait, avec une cravache. Un cheval furieux, le mors dans la
mâchoire, se précipita sur un poteau placé en face. L’enfant tomba, sa tête tapa. Le sang jaillit de
sa blessure, couvrit le sol et sa vie brève s’acheva. Lorsque la malheureuse mère regarda le
cadavre, elle embrassa les restes ensanglantés et dit, le visage baigné de larmes :
Est-ce toi Calliope41 ? Ainsi accomplis-tu le désir de ta mère ? Est-ce ici qu’ont abouti les soucis,
les veilles et les prières. Moi, ta mère, je ne te nourrissais pas de douceurs, je ne t’amollissais pas.
Dieu tu sais que je préparais mon enfant pour la guerre sainte, je te donnais un combattant.
N’aurait-il pas péri plus honorablement, s’il avait péri, son casque taché de sang païen, dans une
armée chrétienne. Il est mort sans gloire. Il a souillé de son sang les bras maternels.
Gémissante, la mère couvrait de larmes l’endroit où était mort l’enfant ; elle se frappait la poitrine.
Ses larmes et ses lamentations tarirent ; sa douleur n’était pourtant pas morte. Elle se leva et
reprit des forces. Elle s’accusait, elle réclamait des larmes et des gémissements. Sa douleur durait
et elle désirait des témoins de sa douleur. Dieu entendait ses vœux. Soit miraculeusement il
vainquit la nature, soit il obligea la nature au miracle : par une nuit orageuse, la terre trembla, un
lac mis à nu jaillit et une fois formé il demeura. Justina vit le prodige, remercia les larmes et vint
sans cesse près de l’eau limpide. Elle pensa que l’étang provenait des larmes de la nature
gémissante.
Un chemin long et agréable te mènera de l’étang42 vers la maison. Sur une longueur de mille pas,
abritée par les ombrages des ormes, ce chemin offre aux marcheurs une promenade facile et
agréable. De plus, en été dès l’aube, la chaleur est filtrée, mais les arbres élevés n’arrêtent pas la
lumière. Entre eux un espace laisse passer le jour. Là souffle un vent frais. A gauche se situe une
40 - Mars ou Arès, c'est-à-dire « le brave, » était fils de Jupiter et de Junon. Les poètes latins lui donnent une autre
origine. Jalouse de ce que Jupiter avait mis au monde Minerve, sans sa participation, Junon avait voulu, à son tour,
concevoir et engendrer. La déesse Flore lui indiqua une fleur qui croissait dans les campagnes d'Olène en Achaïe, et
dont le seul contact produisait ce merveilleux effet. Grâce à cette fleur, elle devint mère de Mars. Elle le fit élever par
Priape, de qui il apprit la danse et les autres exercices du corps, préludes de la guerre.
41 - Origine du prénom : Calliope, La première des Muses, auxiliaire d’Apollon musagète dont elle est une des
épouses.
42 - L’étang du parc d’Ombreval, situé actuellement vers la maison d’enfant Balmont. En 1840, on incrimina les étangs
du parc d'être en partie la cause des dégâts occasionnés par les eaux. A différentes reprises les eaux des étangs
grossies par les pluies se déversaient en trombe sur la partie haute de Neuville. La municipalité décida que ces étangs
devaient être asséchés. Ils appartenaient à cette époque à M. Parent, il assécha ses étangs et il eut l'idée de construire
sur leur emplacement un hôtel à l'usage des personnes qui voulaient prendre les eaux. Cet hôtel longtemps appelé :
le Château du Parc, puis le Cénacle est entouré d'un très beau parc d'une surface de quatre hectares.
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modeste colline. De ce côté, l’astre naît43. Une rivière roule ses eaux abondantes44 elle court sur
un lit de cailloux, borde le chemin, le rafraîchit, s’étale dans de vastes bassins. A droite un sentier
s’en va à travers les prés. Cette étendue verte se prolonge jusqu’à la Saône. Elle est irriguée et
ressemble à un très beau tapis, plus beau que ceux de Perse et d’Arabie.
Les tilleuls se dressent sur les deux rives, sur un immense espace. Leurs racines profondes
embrassent le sol et leurs sommets touchent les nuages. Leurs branches feuillues se mélangent
dans l’air. Leur feuillage étend son ombre. La chaleur du soleil irrité ne passe pas. Le zéphyr souffle
en ce lieu. Dans les branches, Philomèle le rossignol chante et fait son nid. L’oiseau chanteur lance
son chant plaintif et merveilleux, non sous l’empire de la douleur mais sous celui de l’amour. Une
seule voix lance de nombreux trilles. Tout autour les oiseaux se taisent et écoutent. La Nymphe
est silencieuse. Elle se tait après avoir poussé un dernier chant. Sous le rocher elle a parlé. Le
rossignol son rival s’indigne, il module de nouvelles trilles et devient son ennemi, puis vainqueur
il s’excite. La rivière laisse couler ses flots rapides entre les tilleuls et précipite sa fuite. Le fleuve
est mécontent de couler entre les cailloux et de ne pas voir les arbres près de lui. Les arbres gênent
pourtant le fugitif, ils laissent tomber leur feuillage. Ils contiennent le flot. Plus bas les prés
verdissent, l’herbe se développe, l’humidité se répand facilement et apporte la vie. Les fleurs
nombreuses, blanches, rouges étincellent sur l’herbe. Elles colorent les rives en jaune ou les
teignent de pourpre éclatant.
Par un chemin très agréable, tu te rapprocheras de la demeure tant désirée. D’abord pénètre dans
l’écurie45, vaste, pratique, munie d’instruments. Elle peut recevoir de nombreux chevaux,
cinquante y sont à l’aise. Tu examineras les plus connus. Considère leur allure, leur poil, leur
aptitude au voyage et à la course. Puis va voir les chiens de chasse. Ils ont une demeure à l’écart.
Ils sont nourris dans une grande salle et dorment sur une couche de foin. Ensuite tu iras dans
l’atrium où sont soignés les malades et ceux qui doivent prendre des remèdes et une nourriture
spéciale. Regarde les dépisteurs, qui font lever les cerfs, et ceux qui poursuivent. C’est un plaisir
inoffensif. Certains jours le maître de maison très bon, vient caresser ces nobles amis.
Le soleil étend sur le ciel une lumière pourpre, la rosée humidifie les plantes, le zéphyr s’agite. Les
trompettes résonnent dans le ciel et la cohorte des chasseurs s’avance. Le cheval ronge son frein,
frappe le sol et attend le cavalier. Le désir de courir s’empare d’eux. La foule des chiens sort du
chenil. Voici le noir Melamptus, le blanc Agyrus, le brun Chrysalus, et Itrintia aux oreilles rousses.
Tous sont dépassés par Lorus. Ses attaques sont promptes, il devance les vents rapides. Ah !
Chevreuils, fuyez, cerfs, que vos pattes agiles vous entrainent. Courez dans l’immensité. La mort
et le mauvais destin vous poursuivraient. Déjà la course entraine les chasseurs, le cheval vif
s’avance, l’espoir du butin s’empare des chiens. Un nuage de poussière s’élève, la meute disparaît,
les trompettes résonnent dans nos oreilles.
43 - Il s’agit donc du côté Est, en direction de Montanay et des hauteurs de Fleurieu.
44 - Le ruisseau des Torrières, ce qui laisse à penser qu’à l’époque le débit de ce qui n’est qu’un ruisseau aujourd’hui
était beaucoup plus important.
45 - Actuellement le 1er niveau de cave du bâtiment de la maison des jeunes et de la culture.
Neuville Histoire et Patrimoine
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Lorsque tu auras examiné les instruments de loisirs, pénètre enfin dans la maison. Près du maître,
rien n’attirera à supprimer plus ton attention. Plusieurs pièces décorées se trouvent dans la
maison, mais tu seras séduit par la vue et la conversation du maître de maison au point que tu
oublieras le reste et jouiras seulement de sa compagnie. Profites-en autant qu’il t’est possible, j’ai
accompli mon office de guide, je n’en dis pas plus, pour ne pas gêner ton plaisir et je me retire.
-----------------------------------------Le site Internet concernant les sources sur la mythologie : http://www.dicoperso.com/list/5/
Note chronologique
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1640
1640
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1646
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1659
1665
1666
1666
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1671
1677
1683
1688
1689
1693
Mgr Camille achète le château d'Ombreval
Mgr Camille achète de multiples parcelles de terrain pour établir un parc
immense
Achat de la blanchisserie et des moulins à grains
Début de la construction du mur du parc
Canalisation des eaux Fontaine Camille, Sources de la Vosne
Reconstruction du château d'Ombreval
Mgr Camille est nommé Gouverneur du Lyonnais
Création de la fabrique de drap avec foulage et teinture
Mgr Camille est nommé Archevêque de Lyon
Établissement de l'atelier monétaire, maison de la charité
Création des foires 4 par an et les marchés hebdomadaires, à cette époque les
jeudi, sont rétablis
Visite du Roi Louis XIV à Vimy
Mgr Camille rachète le vieux château de Vimy
Création du marquisat
Vimy prend le nom de Neufville-l'Archevêque
Manufacture de drap et moulinage de la soie, au nord de la rue Victor Hugo et
foulage du drap, usine du foulon
Fabrique de fer blanc et fonderie de fer
Début de la construction de la nouvelle église
Inauguration de la nouvelle église
Création du moulin neuf, au 31 33, rue Victor Hugo
Établissement d'une savonnerie
Mort à Lyon de Monseigneur Camille de Neuville de Villeroy
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Note de la Société Neuville Histoire et Patrimoine
Ce document est une copie des notes de M. René Chassin dans son immense travail de
documentation et d’écriture sur l’histoire de Neuville. Les textes originaux sont écrits à la main en
français et en latin. Il s’agit d’un document complété des sources et des références sur les termes
de la mythologie grecque et romaine. Ce document a été publié en 1661 sous le règne de Louis
XIV et comme le montre le tableau ci-dessus Camille de Neufville de Villeroy propriétaire du
domaine, et du Château d’Ombreval était alors un personnage fort important.
Les Arts et Lettres de cette période faisaient largement référence à la mythologie et ses dieux. Le
style est certes un peu pompeux, mais cette description est fort poétique. Néanmoins, ce texte
mérite plusieurs lectures car l’interprétation symbolique est toujours présente.
Blason de Camille de Neuville
Le Parc du Château d’Ombreval
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