juillet 2015
LE MILITANTISME EST MORT
VIVE LE MILITANTISME !
« Renouvellement », « reconquête », « contrats d’objectifs » : les grands partis politiques français
disent vouloir lancer d’ambitieux chantiers de recrutement de nouveaux militants1. L’UMP est même
allée jusqu’à changer de nom, dans l’espoir d’attirer de nouveaux membres. Il est vrai que les partis
sont confrontés à une baisse continue de leur nombre d’adhérents : au PS, il est passé de 280 000 en
2006 à 131 000 en 20172; à l’UMP, de 250 000 en 2006 à 143 000 aujourd’hui3. Soit une réduction de
plus de 50% en seulement dix ans.
Mais cette tendance n’est pas universelle : les Verts britanniques ont recruté 37 000 nouveaux
adhérents lors de la campagne des élections législatives de cette année4 et le FN compterait entre 74
0005 et 83 0006 adhérents, soit deux fois plus qu’en 2012 et dix fois plus qu’en 20077. En dehors de
nos frontières, Syriza en Grèce ou Podemos en Espagne portent la promesse que l’engagement
politique a encore de beaux jours devant lui.
Le succès des partis qui continuent à attirer est certes porté par une vision, un projet de société ou un
discours contestataire. Néanmoins, l’expérience militante qu’ils offrent à leurs membres est un facteur
au moins aussi important. Pour s’en convaincre, il suft de comparer les deux campagnes de Barack
Obama. Alors qu’en 2012 le président des Etats-Unis avait déjà quatre ans de mandat difciles
derrière lui et qu’il avait déçu de nombreux électeurs, sa campagne a réussi à attirer plus de 2 millions
de volontaires, c’est-à-dire encore davantage qu’en 2008.
Le nombre de militants et leur niveau d’engagement sont décisifs pour inventer les partis politiques de
demain, des partis réellement en mesure de reconquérir les déçus de la politique par des campagnes
d’une nouvelle ampleur et capables d’élaborer des propositions de politiques publiques plus proches
des attentes des citoyens.
Les partis ont donc raison de faire du recrutement de militants une priorité. Mais leurs efforts ne sont-ils
pas vains ? Les grands partis traditionnels ne sont-ils pas des structures dépassées par les évolutions
récentes de la société ? Le militantisme politique est-il une chose du passé ? Dans cette note, nous
esquissons un état des lieux du militantisme du XXIe siècle et présentons quelques pistes qui
permettront aux partis d’attirer à nouveau celles et ceux qui veulent changer le monde en faisant de la
politique !
1 Voir : http://www.lopinion.fr/4-janvier-2015/comment-partis-politiques-comptent-vous-enroler-d-ici-2017-1995 ; http://www.liberation.fr/poli-
tiques/2014/12/12/les-plans-de-cambadelis-pour-relever-le-ps_1162257
2 http://www.francetvinfo.fr/politique/ps/congres-du-ps/infographie-congres-du-ps-l-hemorragie-de-militants-au-coeur-de-la-bataille_913177.html
3 http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2014/08/13/nombre-d-adherents-a-l-ump-qui-faut-il-croire_4470899_4355770.html
4 http://www.theguardian.com/politics/2015/jan/15/green-party-membership-surge-leaders-debates
5 Charlotte ROTMAN. « A la moulinette de la formation bleu Marine ». In : 20 ans et au Front. Les nouveaux visages du FN. Paris, Robert Laffont
2014
6 http://www.frontnational.com/les-adherents/
7 http://www.francetvinfo.fr/politique/front-national/le-fn-assure-avoir-multiplie-par-12-son-nombre-d-adherents-depuis-2007_733401.html
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C’est (un peu) vrai. Mais ce n’est pas une fatalité. Les enquêtes disponibles sur les adhérents des
grands partis politiques en France8 montrent qu’ils ne sont pas représentatifs de l’ensemble des Français :
ils sont en moyenne plus âgés, plus diplômés et ils appartiennent à des CSP plus élevées (cf. la gure 2
ci-dessous). A titre d’exemple, seuls 10% des adhérents PS en 2011 avaient entre 15 et 30 ans, alors que
c’est le cas de 22% des français (données issues des travaux de Claude Dargent et Henri Rey9, ainsi que
du recensement INSEE 2012). Les chiffres de l’UMP ne sont pas très différents10 : en 2004, 68% des
adhérents étaient des hommes et 55% avaient un diplôme d’études supérieures.
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1. Les militants ne sont pas des gens comme les autres
Fig.1 : Le PS ne se féminise que très lentement
Fig.2 : Les adhérents PS sont en moyenne plus diplômés que le reste de la population et sont en
majorité des cadres et professions intellectuelles supérieures
8 Voir notamment, pour le PS : Claude Dargent et Henri Rey. « Sociologie des adhérents socialistes, Rapport d’enquête ». Les Cahiers du
CEVIPOF, nº59 Décembre 2014, et pour l’UMP les travaux de Florence Haegel, dont «La mobilisation partisane de droite. Les logiques
organisationnelles et sociales d’adhésion à l’UMP », Revue française de science politique 2009/1 (Vol. 59), p. 7-27
9 Claude Dargent et Henri Rey. « Sociologie des adhérents socialistes, Rapport d’enquête », pré-cité
10 Florence Haegel, «La mobilisation partisane de droite. Les logiques organisationnelles et sociales d’adhésion à l’UMP », pré-cité
Sources : INSEE ; Claude Dargent et Henri Rey. « Sociologie des adhérents socialistes, Rapport d’enquête ». Les Cahiers du
CEVIPOF, nº59 Décembre 2014.
Sources : INSEE ; Claude Dargent et Henri Rey. « Sociologie des adhérents socialistes, Rapport d’enquête ». Les Cahiers du
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Cet éloignement sociologique des adhérents et militants est problématique à plusieurs titres. Lorsque ce
sont eux qui désignent les candidats aux élections lors de primaires internes, ils peuvent avoir tendance
à choisir des prols moins adaptés aux attentes des électeurs. Au contraire, l’organisation de primaires
ouvertes à l’ensemble des sympathisants et non réservée aux adhérents des partis est un bon moyen de
s’ouvrir à un échantillon plus large de sympathisants et d’agrandir sa base de contacts.
De manière plus générale, il est peu surprenant que les militants des partis politiques rencontrent des
difcultés pour comprendre et s’adresser au reste de la population, dont ils sont très différents. Mais
l’actualité récente comporte quelques exemples de politisation de prols si ce n’est représentatifs, mais du
moins différents du prol du militant traditionnel. Lors de la « Manif pour tous », une population peu
familière des manifestations de rue et traditionnellement éloignée du militantisme politique s’est organisée
en masse pour protester contre la loi sur l’élargissement du mariage aux couples de même sexe. Dans un
registre différent, Podemos en Espagne entend faire participer largement la population à ses assemblées
citoyennes de quartier et à ses forums de participation en ligne.
2. Militer dans un parti politique, c’est dépas
C’est faux. De nombreux partis, en France et en Europe, exercent encore un pouvoir d’attraction,
notamment auprès des jeunes. En France, le Front national revendique 83 000 adhérents, dont 29% ont
moins de 30 ans. En Espagne, Podemos, fondé en 2014 par des universitaires et des personnalités issues
de mouvements citoyens et associatifs, attire des prols divers et grandit rapidement. Le parti revendique
aujourd’hui 370 000 « membres inscrits ». Ce statut de membre inscrit ne requérant pas de cotisation, il
est difcile de le comparer aux chiffres des partis traditionnels : seuls un peu moins de 7 000 inscrits se
sont engagés à verser une contribution nancière régulière. Néanmoins, les 1,2 millions de voix obtenues
lors des élections européennes de juin dernier, quelques mois seulement après la fondation du parti, et les
centaines de milliers de personnes réunies lors de la manifestation convoquée à Madrid le 31 janvier 2015
attestent d’un succès réel.
Si le discours contestataire et « anti-système » des partis comme Syriza en Grèce, Ciudadanos ou
Podemos en Espagne explique certainement en partie leur succès dans le contexte européen actuel, c’est
aussi leur mode d’organisation qui les distingue des partis traditionnels. Podemos a par exemple mis en
place des « Equipes d’Action Participative », qui sont des « groupements territoriaux de personnes
voulant participer à des actions concrètes et directes »11. La constitution des équipes et l’engagement de
leurs membres sont facilités par l’utilisation des outils numériques.
3. Si le militantisme décline tant, c’est parce que les citoyens ne s’intéressent
plus à la politique
C’est plutôt faux. L’idée selon laquelle les démocraties occidentales souffrent d’un individualisme de plus
en plus fort est largement répandue. Dans son livre « Bowling Alone : The Collapse and Revival of
American Community » (2000), Robert Putnam a ainsi théorisé la théorie du déclin du « capital social » aux
Etats-Unis et en Europe, en étudiant l’évolution d’indicateurs tels que l’engagement dans des clubs et
associations, la conance déclarée dans les institutions, la fréquence des dîners en famille ou des
activités de loisirs entre amis. Ce « capital social » est en effet déni par Putnam comme l’ensemble des
liens inter-personnels et des valeurs partagées qui créent un « sens de la communauté » et permettent aux
citoyens de se faire conance.
11 http://podemos.info/participa/
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Mais cette théorie du déclin du capital social est contestée par d’autres auteurs. Certains montrent
notamment qu’aux Etats-Unis, la participation aux associations de parents d’élèves, la fréquence des
interactions directes entre les citoyens et leurs députés ou la participation à des associations d’entre-aide
locale, entre autres indicateurs, ont au contraire augmenté par rapport aux années 60 et 70, prises par
Putnam comme référence et censées être un âge d’or de l’engagement civique12. De façon générale, il
apparaît que les organisations formelles, bureaucratiques et verticales sont peu à peu remplacées par des
formes de participation plus horizontales et plus exibles13.
En France aussi les données disponibles tendent à montrer que les Français s’intéressent toujours à la
chose publique. D’après les enquêtes « European Values »14, menées à intervalles réguliers dans une
quarantaine de pays européens, 48% des Français disent « s’intéresser à la politique ». Ils sont également
18% à parler fréquemment de politique, alors que la moyenne dans l’Union européenne est de 15%. Ces
chiffre est par ailleurs en hausse : en 1999, 36% des Français afrmaient s’intéresser à la politique et
seulement 11% disaient parler fréquemment de politique. De plus, 68% des Français sondés en 2008
disent avoir déjà signé une pétition et 16% avoir participé à un boycott, alors que ce n’est le cas que de
37% et 10% respectivement des citoyens de l’UE.
4. L’engagement militant et bénévole a changé de forme
C’est vrai, en partie. Pour ce qui est de l’engagement bénévole en tout cas, la demande pour des
engagements d’intensité légère, plus informels et moins hiérarchiques, est de plus en plus forte. Comme
le relève le rapport du Sénat sur le bénévolat dans le secteur associatif15, le nombre de personnes voulant
s’engager augmente (certaines associations disent recevoir plus de demandes qu’elles ne peuvent en
satisfaire), mais les bénévoles sont moins disponibles qu’auparavant. 66% des bénévoles interrogés par
l’INSEE en 2004 déclarent ainsi avoir participé à des activités de leur association seulement de temps en
temps, contre 34 % régulièrement.
Pour s’adapter à cette demande, les partis doivent concevoir d’autres formes d’engagement que le rôle
unique du militant dévoué corps et âme au parti. Cela suppose notamment de voir l’engagement militant
comme quelque chose de continu, qui peut connaître différents degrés d’intensité intermédiaires entre le
simple électeur et le militant actif : abonné à la newsletter, sympathisant participant ponctuellement aux
campagnes, sympathisant actif sur les réseaux sociaux, etc. De plus, le passage à des formes
d’engagement d’intensité grandissante ne peut être dans la plupart des cas que progressif : il est plus facile
de demander à des bénévoles déjà actifs, ne serait-ce que ponctuellement, de s’engager au stade suivant,
que de catapulter un sympathisant au niveau du colleur d’afches le plus chevronné de la section.
Concevoir l’engagement militant de la sorte suppose une évolution culturelle importante, tant de la part des
militants que des électeurs et sympathisants : les premiers, pour qui le militantisme est une partie
importante de leur identité, ne sont pas toujours prêts à accueillir des gens qui s’investissent moins ; les
seconds n’envisageront même pas de s’engager tant que le militantisme reste perçu comme un
engagement nécessairement très fort. La responsabilité de cette double évolution incombe principalement
aux partis politiques.
12 Everett C. Ladd, ‘The Data Just Don’t Show Erosion of America’s “Social Capital”’, The Public Perspective
(June 1996), 5–22
13 Robert Wuthnow, “Loose Connections: Joining Together in America’s Fragmented Communities”, Cambridge,
Mass: Harvard University Press, 1998
14 http://www.europeanvaluesstudy.eu/
15 http://www.senat.fr/rap/r05-016/r05-016_mono.html
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C’est plutôt faux. Bien sûr, un leader politique avec un charisme et une histoire personnelle comme ceux
de Barack Obama est important, mais ce n’est ni nécessaire, ni sufsant pour faire venir et conserver des
militants. Beaucoup des volontaires des campagnes d’Obama de 2008 et 2012 ont des histoires qui se
ressemblent : d’abord attirés par la personnalité et le charisme du candidat, c’est l’expérience que la
campagne avait à leur offrir et le lien tissé avec les autres volontaires et avec le coordinateur local de la
campagne qui les a ensuite poussés à rester et s’impliquer davantage16.
5. Pour sauver le militantisme, il suffit d’avoir un leader politique comme
Barack Obama
6. D’ailleurs, la campagne d’Obama en 2008 a révolutionné le militantisme
C’est plutôt faux. Elle a certes révolutionné l’organisation des campagnes, mais pas le militantisme.
La campagne d’Obama en 2008 a été saluée par de nombreux commentateurs politiques comme un
tournant majeur dans l’histoire des campagnes électorales. Il est vrai que le recrutement de plus de deux
millions de volontaires sur toute la durée de la campagne force l’admiration (rapporté à la population
française, cela correspondrait à 400 000 volontaires, lorsqu’une campagne présidentielle française en
réunit rarement plus de 100 000).
Néanmoins ce n’est pas tant le type d’activités proposés aux volontaires que la structure et l’organisation
de la campagne qui ont fait la différence. Une des innovations majeures de la campagne d’Obama était
l’organisation en petits groupes indépendants mais très soudés, et coordonnés dans une structure
décentralisée, non hiérarchique. Cette structure donnait très facilement la possibilité à des leaders locaux
(les organizers) d’émerger et d’organiser des activités de mobilisation autour d’eux, en coordonnant une
équipe de volontaires. La même structure caractérise aussi d’autres organisations, telles que des églises
protestantes américaines17, qui gardent un dynamisme surprenant malgré une taille imposante.
7. Si Barack ne peut pas nous aider à sauver le militantisme,
la science le pourra
C’est en cours. Il n’existe encore que très peu de travaux scientiques rigoureux qui se soient penchés
sur ce qui pousse les individus à s’engager. La littérature « traditionnelle » s’est surtout penchée sur les
facteurs structurels et les dynamiques collectives favorisant l’apparition de mouvements de contestation
(manifestations, mouvement sociaux)18. Or si l’on se place du point de vue de l’individu, il n’est pas
forcément rationnel de participer à des actions collectives telles qu’une grève ou une manifestation. En
effet, ces actions sont coûteuses en temps et parfois en argent ; or chacun bénéciera de leur succès,
même s’il n’y a pas pris part19. Le sentiment d’appartenance à un groupe et la reconnaissance par les pairs
sont des leviers efcaces pour augmenter la participation électorale ou pousser les gens à faire des dons
philanthropiques20. Néanmoins la première expérience ayant testé ce type de mécanismes dans le cadre
d’actions revendicatives (en dehors de l’acte de vote) est très récente21.
16 http://www.hufngtonpost.com/zack-exley/the-new-organizers-part-1_b_132782.html
17 http://www.newyorker.com/magazine/2005/09/12/the-cellular-church
18 Voir les travaux cités par McClendon, Gwyneth H . 2014. « Social Esteem and Participation in Contentious Politics: A Field Experiment at an
LGBT Pride Rally ». American Journal of Political Science, Vol. 58, No. 2, Pp. 279–290
19 Cette contradiction a été notamment mise en lumière par Olson (Olson, Mancur. 1965. The Logic of Collective Action: Public Goods and the
Theory of Groups. Cambridge, MA: Harvard University Press)
20 DellaVigna, Stefano, JohnA. List, et UlrikeMalmendier. 2012. “Testing for Altruism and Social Pressure in Charitable Giving.” Quarterly Journal of
Economics 127(1): 1–56. ; Gerber, Alan S., Donald P. Green, et Christopher W. Larimer. 2008. “Social Pressure and Voter Turnout: Evidence from a
Large-Scale Field Experiment.” American Political Science Review 102(1): 33–48
21 McClendon, Gwyneth H . 2014. « Social Esteem and Participation in Contentious Politics: A Field Experiment at an LGBT Pride Rally ». American
Journal of Political Science, Vol. 58, No. 2, Pp. 279–290
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