Première partie : Contexte. Développement durable, Collectivités, Action collective et Territoire I. LES COLLECTIVITES LOCALES AU CŒUR DU DEVELOPPEMENT DURABLE 1. Des compétences multiples qui répondent aux enjeux du développement durable Les collectivités locales sont des acteurs incontournables du développement durable, en raison de la diversité et de l’importance de leurs compétences. Le chapitre 28 de l’Agenda 21 rappelle que – « Les problèmes abordés dans Action 21 qui procèdent des activités locales sont si nombreux que la participation et la coopération des collectivités à ce niveau seront un facteur déterminant pour atteindre les objectifs du programme. En effet, ce sont les collectivités locales qui construisent, exploitent et entretiennent les infrastructures économiques, sociales et environnementales, qui surveillent les processus de planification, qui fixent les orientations et la réglementation locales en matière d’environnement et qui apportent leur concours à l’application des politiques de l’environnement adoptées à l’échelon national ou infranational. Elles jouent, au niveau administratif le plus proche de la population, un rôle essentiel dans l’éducation, la mobilisation et la prise en compte des vues du public en faveur d’un développement durable » (CNUED, 1992)7. L’Agenda 21 de Rio comporte quarante chapitres, dont 17 renvoient à des domaines où interviennent ou peuvent intervenir les collectivités locales. Les collectivités sont compétentes et peuvent contribuer à la résolution des problèmes en ce qui concerne chacune des 4 sections de l’Agenda 21 de Rio, qui abordent : les dimensions sociales et économiques, la conservation et la gestion des ressources, le renforcement du rôle des grands groupes d’acteurs, les moyens d’exécution. L’étendue des problèmes auxquels renvoie le développement durable autant que la variété des compétences des collectivités locales, appellent une contribution de ces dernières vis-à-vis des enjeux locaux et globaux dans ces différents domaines. En 1994, la Charte d’Aalborg affirmait ainsi qu’« une vie humaine durable ne peut exister sur cette terre sans collectivités durables »8. Les champs d’action et les compétences évoquées ci-dessus se distribuent de manière variable, selon les pays, entre l’Etat et les différents niveaux d’organisation territoriale infranationaux. L’envergure des compétences des collectivités fait notamment d’elles des agents économiques au poids très important. La commande publique représente aux alentours de 130 milliards d’euros par an, c’est à dire environ 10% du PIB. La commande publique peut donc être utilisée comme un important levier du développement durable9. Ceci passe par les choix stratégiques qu’adoptent les collectivités et par les exigences qu’elles introduisent dans les cahiers des charges. 7 CNUED, 1992, « Rapport de la Conférence des Nations Unies sur l’Environnement et le Développement » (ou Agenda 21), Rio de Janeiro, Chapitre 28 « Initiatives des collectivités locales à l’appui d’action 21 », § 1. 8 La Charte d’Aalborg ou Charte des villes européennes pour la durabilité, a été adoptée par les participants à la conférence européenne sur les villes durables qui s’est tenue à Aalborg, Danemark, le 27 mai 1994. 9 Il impossible de connaître les montants exacts de la commande publique (les administrations évoluent sans aucun repère au niveau de leurs dépenses). Un observatoire de la commande publique a été mis en place en 2005, qui devrait publier des données plus précises fin 2007. Mais quelques chiffres reviennent fréquemment : le montant global de la 23 2. Un cadre privilégié de proximité avec les parties intéressées Les collectivités locales constituent, par définition, un cadre d’action de proximité avec les acteurs de leur territoire. Circonscriptions administratives et juridiques infranationales, elles sont de facto à différentes échelles – au gré de leurs compétences et des échelles territoriales auxquelles s’expriment les nécessités de l’action collective – un cadre privilégié d’expression des acteurs dans le champ du politique et de la prise de décision. Proximité et prise en compte des acteurs, ouverture aux parties intéressées Experts et scientifiques, citoyens, organisations de la société civile (associations, ONG), entreprises, Etat déconcentré, acteurs faibles et générations futures : le développement durable implique que l’ensemble des parties intéressées prennent part aux décisions et aux choix qui affectent une collectivité d’individus. L’attention portée par les citoyens à la prévention des risques a développé une forte demande sociale pour une réelle participation aux décisions d’aménagement et d’environnement. Longtemps restée l’apanage de quelques précurseurs ou experts, la protection de l’environnement est aujourd’hui devenue une préoccupation partagée par un grand nombre d’acteurs, témoins de la montée des risques et des incertitudes auxquelles sont confrontés les sociétés. Le développement durable « introduit la notion de « grands groupes », les organisations qui ont un rôle essentiel à jouer pour le développement durable : femmes, jeunes, populations autochtones, entreprises, agriculteurs, syndicats, ONG, scientifiques et collectivités locales. Ces acteurs, supposés représenter la société mondiale, sont conviés à participer comme observateurs aux réunions internationales. Au niveau local les collectivités sont invitées à décliner ces engagements internationaux » (BRODHAG, 2002)10. Les associations positionnées sur sa prise en compte au niveau local, revendiquent le fait que développement durable « introduit la nécessité d’une concertation avec les grands groupes sociaux concernés, avant toute prise de décision engageant les populations et leur devenir. Les démarches de concertation conduisent à une nouvelle pratique de l’exercice du pouvoir. Les citoyens deviennent acteurs d’une démocratie participative, animée par l’autorité locale » (COMITE 21, 2001)11. Les étapes clés d’une démocratie participative sont, selon le discours de ces acteurs, d’« adopter la transparence et la lisibilité des actions12, décloisonner les savoirs, organiser les échanges et le débat public, construire des outils de concertation, de suivi et d’évaluation », et constituent souvent « une véritable révolution culturelle, tant nos habitudes sont ancrées dans la relation frontale entre décideurs et citoyens. C’est cette démocratie renouvelée qui fonde l’adhésion des citoyens à un projet de développement. Cette évolution des modes de décision, intégrant les pratiques de commande publique est compris entre 120 et 150 milliards d’euros, soit environ 10% du PIB (MarchesPublicsPme.com, www.marchespublicspme.com, consulté le 16/11/07). 10 BRODHAG C., 2002, « Développement durable et partenariat », www.agora21.org 11 Comité 21, 2001, « Territoires et Développement Durable - Guide des collectivités territoriales pour la mise en œuvre d’un développement durable - Tome 1 », Comité 21/EDF/Caisse des Dépôts et Consignations/AMF/DATAR, 52pp (p12). 12 Un diagnostic des pratiques actuelles, mené par différentes équipes du CRIDEAU à travers l’Europe, est à cet égard assez sévère: « Les rapports nationaux ont mis en évidence l’état affligeant de l’information relative à l’impact réel de certaines activités sur l’environnement. Malgré les pétitions de principe sur le droit à l’information, la protection de l’environnement souffre d’une véritable culture du secret qui confine parfois à la stratégie d’opacification ». ORTIZ L., GOUGUET J-J (Dir), 2002, « La territorialisation des politiques environnementales », CRIDEAU/CNRS-INRA, PULIM. 24 concertation, une information transparente sur les enjeux et les moyens, une responsabilité vis-à-vis des impacts des projets, peut être résumée par le terme de gouvernance13 » (COMITE 21, op. cit.). L’idée s’est ainsi imposée parmi certains scientifiques, que face à la complexité des problèmes visés et aux controverses qui révèlent l’ampleur des incertitudes, « l’action autoritaire de type réglementaire, d’essence régalienne, s’appuyant sur une segmentation administrative des problèmes et une séquentialité des processus de décision, n’est plus adaptée » (AGGERI, 2000)14. Les problématiques environnementales sont emblématiques de l’évolution du rôle du local dans la prise de décision. L’intervention publique prend dorénavant place dans des « univers controversés » (HOURCADE et Al., 1992)15 à la base desquels on trouve une grande confusion « à propos de la nature et de l’étendue de la pollution, de l’identité des pollueurs, de la validité des connaissances scientifiques et des solutions appropriées ». Les solutions à ces controverses ne pourraient ainsi être envisagées sans la coopération d’une variété d’acteurs (experts, entreprises, société civile…), et sans importants efforts d’innovation. CALLON et RIP (1991)16 montrent qu’en situation de grande confusion dans les faits et d’un grand nombre de valeurs divergentes (vache folle, trou dans la couche d’ozone), « le meilleur moyen de résoudre les controverses [est] d’impliquer le plus grand nombre possible d’acteurs dans des ‘‘forums hybrides’’ afin d’établir des normes sociales et techniques » (AGGERI, 1999)17. Décloisonner le débat entre administrations, communauté scientifique, entreprises et milieux associatifs et syndicaux, doit donc permettre de mieux cerner les risques et les effets des décisions, et d’acquérir une meilleure capacité d’anticipation stratégique, tout en assurant la prise en compte des aspirations des parties intéressées. Une participation publique active doit donc assurer la sensibilisation des citoyens aux enjeux du développement durable et leur donner la capacité de participer à la prise en charge des enjeux collectifs. Ces approches partenariales « permettent de tisser les liens les plus fins de solidarité et de citoyenneté sur le territoire » (BRODHAG, 2002, op. cit.). Elles sont la condition d’une patrimonialisation des enjeux par les acteurs, et de leur responsabilisation. La participation devant intervenir à travers les différentes phases de conception, de réalisation et d’évaluation des projets, la notion de subsidiarité est centrale dans la mise en œuvre locale du développement durable. Selon le principe de subsidiarité, la responsabilité d’une tâche incombe au plus bas niveau de décision compétent pour l’entreprendre. La subsidiarité concerne non seulement les échelons de gestion mais s’applique jusqu’au niveau du citoyen, en raison de la légitimité de l’intervention de ce dernier ainsi que de ses impacts en tant qu’acteur – les actions individuelles et leur somme engageant l’ensemble de la collectivité et son devenir (à travers notamment, les modes de vie, de production et de consommation, de transport, etc.). L’échelon local constitue donc un cadre privilégié pour la rencontre entre les acteurs et leurs ajustements autour d’un projet, favorable aux conventions et aux contrats multi-acteurs. Les conventions multi-acteurs engagent des acteurs multiples autour d’objectifs communs, 13 Nous aurons l’occasion d’apporter d’autres éclairages sur le sens, l’origine et les implications du terme polysémique de gouvernance, qui quel que soit le contexte, renvoie toutefois à des règles nouvelles et à l’intervention d’acteurs nouveaux et multiples en ce qui concerne la prise de décision. 14 AGGERI F., 2000, « Les politiques d’environnement comme politiques de l’innovation », Gérer et Comprendre, juin 2000. 15 HOURCADE et Al., 1992, « Ecological economics and scientifical controversies: lessons from some recent policy making in the EEC », Ecological Economics 6, pp211–233. 16 CALLON M, RIP A, 1991, « Forums hybrides et négociations des normes socio-techniques dans le domaine de l’environnement », Environnement, Science et Politique, Cahiers du GERMES, 13, pp227–238. 17 AGGERI F., 1999, « Environmental policies and innovation: A knowledge-based perspective on cooperative approaches », in Research Policy 28, pp699–717. 25 particulièrement au terme de processus de concertation, et leur mise en œuvre peut par exemple trouver un support dans le montage d’associations ad hoc (NAPOLEONE et Al., 1995)18. Les objectifs du développement durable sont dans ce sens issus d’une négociation entre acteurs fortement déterminée par les spécificités et les enjeux locaux, ce qui permet d’affirmer que « l’acception du concept de développement durable est en partie socialement construite » (FADEEVA, 2003)19. Cette réalité est bien illustrée par les locutions de projet de territoire et de territoire de projet. Aurélien BOUTAUD (2004)20 a montré que le développement durable était une notion issue d’une négociation coopérative au niveau international. Il émerge de la volonté d’acteurs aux intérêts divergents de concilier environnement et développement, au travers de cette valeur nouvelle basée sur la recherche de stratégies gagnant-gagnant. Cependant, au niveau local, les stratégies d’appropriation compétitive prédominent, chaque acteur cherchant dans la négociation à faire prévaloir ses intérêts propres sans construire des alternatives gagnantes/gagnantes. Le développement durable introduit une spécificité fondamentale dans cette ouverture des modes de décision aux acteurs concernés. Le terme d’acteurs renvoie à des individus ou des groupes actifs ou potentiellement actifs dans cette participation aux décisions. L’ouverture des processus décisionnels ne répondrait que partiellement aux exigences du développement durable si elle recouvrait uniquement la prise en compte des attentes des acteurs qui se trouvent de facto en capacité de faire entendre ou valoir leurs intérêts. Le développement durable implique ainsi que les décisions prennent également en compte les attentes des intérêts de l’ensemble des parties intéressées, dont le cercle déborde celui des acteurs et des parties prenantes. On entend par parties intéressées l’ensemble des individus ou groupes pouvant impacter ou être impactés par une décision ou un projet : les parties intéressées incluent les acteurs faibles ou absents, qui ne sont pas en capacité de faire valoir leurs intérêts. Il s’agit notamment des individus ou groupes sociaux exclus ou faibles, des habitants des pays en voie de développement, et des générations futures (par définition incapables de faire valoir leurs attentes…) (BRODHAG, 2002, op. cit.). Proximité et construction des enjeux L’Agenda 21 enjoint les collectivités à mettre en œuvre des Agendas 21 locaux, stratégies locales qui déclinent ses préoccupations globales. Il ne contient pas de prescription sur le contenu des Agendas 21 locaux, le principe étant de permettre aux partenaires d’identifier leurs propres priorités. Ces dernières doivent toutefois être cohérentes avec le diagnostic de la CNUED et les préoccupations globales présentes dans les différents chapitres de l’Agenda 21. On peut remarquer avec Régis Debray que « toute communauté durable se construit en contre. Le pour s’en déduit »21. En partie, on peut penser que le local s’approprie le développement durable en réaction à des problèmes spécifiques et unificateurs d’une communauté d’acteurs. Des démarches locales de développement durable se sont par exemple développées de manière précoce dans la région du Nord-Pas-de-Calais, soumise à de graves problèmes environnementaux, 18 Les conventions multi-acteurs engagent des acteurs multiples autour d’objectifs communs, particulièrement au terme de processus de concertation, et leur mise en œuvre peut par exemple trouver un support dans le montage d’associations ad hoc (NAPOLEONE et Al., 1995, « Aménagement communal participatif à Montpezat ou l’élaboration, avec les habitants, d’un schéma directeur cohérent », Le Courrier de l’environnement de l’INRA n°24, avril 1995, www.inra.fr). 19 FADEEVA Z., 2003, « Exploring Cross-Sectoral Collaboration for Sustainable Development - A Case of Tourism », Doctoral Dissertation, The International Institute for Industrial Environmental Economics. 20 BOUTAUD A., 2004, « Le développement durable : penser le changement ou changer le pansement ? Bilan et analyse des outils d’évaluation des politiques publiques locales en matière de développement durable en France : de l’émergence d’un changement dans les modes de faire au défi d’un changement dans les modes de penser », thèse de doctorat (ENMSE, Centre SITE), 416pp (p143). 21 Comme le remarquait Régis Debray à propos de la construction européenne, dans Le Figaro des samedi 14 et dimanche 15 février 2004. 26 sociaux et économiques de reconversion industrielle. Sustainable development est le maître mot de nombreuses collectivités locales australiennes, situées sur un littoral fragile et faisant face à une évolution démographique et à une pression touristique sans précédent. Maints exemples témoignent de la diversité des facteurs qui poussent des collectivités à la recherche d’un développement durable. La diversité des formes que prennent les démarches des collectivités ainsi que leur inégalité d’avancement, s’explique en partie par le fait qu’elles sont le reflet de préoccupations et de contextes spécifiques. Pour autant, le développement durable se caractérise par la mise en exergue de la portée globale des enjeux environnementaux, économiques et sociaux contemporains. Le concept de développement durable correspond à la reconnaissance des interrelations systémiques à l’échelle planétaire, entre l’homme, ses activités, son bien-être et la biosphère. C’est cette nouvelle façon d’envisager les liens entre développement et environnement qui constitue l’apport majeur des constats dressés en 1987 par le rapport BRUNTDLAND. Situations d’incertitude, controverses socio-techniques et forums hybrides Parallèlement, des situations combinant incertitude scientifique et stratégies divergentes d’acteurs concernés se sont multipliées ces dernières années (gestion des risques, déchets nucléaires, sang contaminé, ESB, OGM...), créant des situations de controverse, problématiques et difficilement gouvernables, que CALLON et Al. appellent « controverses socio-techniques ». Les auteurs réfléchissent à partir de ces situations, à la légitimité des phénomènes de gouvernance, et plus particulièrement, d’immixtion des citoyens dans les processus de décision technique et scientifique. Ces controverses, en effet, dépassent largement les seules questions techniques. Un de leurs enjeux est « d’établir une frontière nette et largement acceptée entre ce qui est considéré comme indiscutablement technique et ce qui est reconnu comme indiscutablement social. [...] Reconnaître sa dimension sociale, c’est redonner une chance [à un dossier] d’être discuté dans des arènes politiques » (CALLON et Al., 200l)22. Ces situations se multiplient dans un contexte d’incertitudes, et la question du monopole des scientifiques sur la « vérité » et sur la pertinence de choix techniques et leurs implications sociales, est posée. L’activité scientifique est un processus social, et la science ne peut être soustraite aux enjeux de pouvoir. Les auteurs rappellent que l’on peut toujours mettre en question les conditions épistémologiques de sa neutralité. Aussi CALLON et al. légitiment-ils la possibilité pour les « profanes » (riverains, d’élus, acteurs associatifs, scientifiques issus de disciplines non prises en compte dans un projet technique...) de participer aux côtés des « experts », aux prises de décision socio-techniques. Des acteurs d’origines diverses et aux intérêts et points de vue divergents se mobilisent ainsi autour de projets entourés d’incertitudes afin que soient pris en compte leurs points de vue, et que la décision ne soit pas confisquée par les scientifiques et les experts. Les espaces ouverts où des groupes peuvent se mobiliser pour débattre des choix techniques qui engagent le collectif sont désignés par le terme de « forums hybrides » par les auteurs : ces espaces rassemblent en effet des acteurs hétérogènes, préoccupés par des questions à la fois techniques et sociétales. Ce phénomène offre un enrichissement, un contrepoids et une alternative, sur des sujets précis, à la prise de décision issue de la seule démocratie élective informée par le scientifique. Les débats ainsi permis, débouchent par ailleurs sur l’élaboration progressive de références collectives communes aux acteurs, susceptibles d’informer et de compléter des décisions unilatérales, remettant par là en cause le monopole du savoir des scientifiques et des politiques. 22 CALLON et Al., 2001, « Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique », Le Seuil, Paris, 358pp (p45). 27 Les réponses aux questions émergent donc de plus en plus, à des échelles très variées, de processus multi-acteurs jouissant d’un éclairage privilégié sur les questions de rentabilité, d’exigences technologiques, de faisabilité, d’acceptabilité, de cohérence... Ceci est particulièrement vrai dans le champ de l’environnement, à partir duquel ces problématiques ont émergé. L’émergence et la constitution des « forums hybrides » n’est pas présentée par les auteurs comme allant de soi, mais leurs conditions d’existence se font de plus en plus fréquentes : les auteurs estiment que le mouvement de multiplication des controverses socio-techniques est irrépressible (CALLON et Al., op. cit., p.352). Le Grenelle de l’Environnement, qui s’est tenu en Septembre – Octobre 2007 en France, participe au niveau national de ce type de processus multi-acteurs (il s’agissait toutefois d’une consultation d’experts). 3. Des rapports anciens entre action territoriale et politiques d’environnement Si le concept de développement durable affirme l’importance de stratégies et d’actions territoriales en adéquation avec les enjeux contemporains, la territorialisation des politiques publiques n’est pas une préoccupation nouvelle, a fortiori et par définition pour les collectivités, qui déploient depuis longtemps une approche spatiale de la gestion de leur territoire. C’est notamment le cas avec la planification des activités, bien avant que n’arrivent sur le devant de la scène les enjeux modernes du développement local. Depuis plus de deux siècles, la puissance publique considère largement les problèmes environnementaux « sous la forme d’interactions situées sur un territoire : riverains exposés aux odeurs incommodes, aux risques d’incendie et d’explosion des manufactures dès le XVIIIème siècle, problèmes d’hygiène et d’insalubrité puis de dégradation de la qualité de l’air dans les agglomérations urbaines, pollutions des rivières et des nappes phréatiques par les rejets industriels et les engrais agricoles, flux de déchets sans cesse croissants dans les lieux de production et de consommation ». La gestion préventive de l’environnement a ainsi longtemps été « pensée comme une question de planification territoriale permettant de concilier le développement économique local et la protection de l’environnement ». Cette dernière a été rendue possible par « l’intervention d’ingénieurs, de gestionnaires ou d’urbanistes dotés de techniques reposant sur un type particulier de visibilisation, de spatialisation et de découpage des problèmes environnementaux ». Ainsi les politiques hygiénistes nées au XIXème siècle pour contenir les épidémies reposèrent sur un quadrillage territorial, les procédures d’autorisation…, et « s’appuient depuis deux siècles sur un examen des interactions potentielles entre l’activité industrielle et son environnement local (riverains, nappe phréatique, rivière, rejets atmosphériques) ». Aujourd’hui, parmi de très nombreux exemples, la gestion intégrée de la ressource en eau « se fait au sein de l’espace délimité par le bassin versant, et, à moins grande échelle, les SAGE (Schémas d’Aménagement et de Gestion des Eaux) fournissent aux acteurs partageant un même cours d’eau un espace de coopération local » (ABRASSARD et AGGERI, 2002)23. Cependant, la séparation entre le territoire et les politiques est souvent restée marquée, notamment dans le contexte de la crise de 73 et la décentralisation des années 80, comme le rappelle Jacques THEYS (THEYS, 2004)24. Logiques sectorielles et opportunismes de projets eurent alors tendance à l’emporter sur les logiques territoriales, et la planification spatiale s’est effritée. En conséquence, pendant 20 ans l’environnement n’a plus été envisagé dans l’aménagement du territoire que sous trois angles : comme solution de repli pour espaces ruraux marginalisés, comme contrainte à respecter dans les projets, et en termes de gestion du syndrome NIMBY25. Avec la sensibilisation 23 ABRASSART C, AGGERI F, « La naissance de l’éco-conception - Du cycle de vie du produit au management environnemental "produit"», CGS, ENSMP. Article pour la revue Responsabilité et environnement (15 janvier 2002). 24 THEYS J., 2004, « L’aménagement du territoire à l’épreuve du développement durable », in Regards sur l’actualité No 302, La Documentation française, juin-juillet 2004. 25 NIMBY : « Not In My BackYard », « Pas dans mon arrière-cour ». Acronyme qui désigne le combat d’associations de riverains créées pour défendre leur environnement local, sans tenir compte de l’intérêt général. Le terme s’applique à 28 accrue de l’opinion à l’environnement dans les années 90, il a cependant fallu apporter des réponses nouvelles. La réintégration de l’environnement dans l’aménagement est notamment manifeste en 1997, avec la création du Ministère de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement (MATE). L’approche hygiéniste et sectorielle qui a longtemps caractérisé l’intervention publique doit désormais céder la place à de nouvelles modalités d’action qui prennent en compte l’intrication entre les différentes problématiques, ainsi que l’interaction entre les différentes échelles, du global au local, auxquelles s’expriment les enjeux. 4. Besoins sociaux et environnement quotidien : antécédents d’une réflexion sur le fait architectural, urbain et territorial La réflexion sur l’intégration des considérations sociales, économiques et environnementales dans la planification et l’aménagement du territoire, fut initiée dès le milieu des années 60. L’American Institute of Planners redéfinit en conséquence ses objectifs, les problèmes engendrés par l’urbanisme de l’après-guerre affectant rapidement le nouveau monde26. Se faisant plus humbles, certains aménageurs et architectes comprirent dès cette époque la nécessité de travailler en équipes pluridisciplinaires et en lien avec les élus locaux, des universitaires, et des représentants de la population et des entreprises locales (ELLIN, 1995) 27. Une approche plus « populaire », en tout cas moins élitiste et autoritaire de l’aménagement et qui prit des formes variées (‘architecture participative’, ‘planification sociale et environnementale’, ‘aménagement communautaire’…) a pu émerger à partir de cette période des deux côtés de l’Atlantique. Faire participer les gens à la conception de leur environnement quotidien devint de plus en plus clairement une condition de réussite pour les opérations d’urbanisme, d’aménagement et d’architecture. Simultanément, de nouveaux faits et études mettaient en évidence l’impact de leur environnement sur les groupes sociaux ainsi que les impacts des schémas généraux d’occupation de l’espace (ségrégation sociospatiale…) sur l’ensemble du corps social. La prise de conscience des effets sociaux et psychologiques des conditions de vie sur les habitants n’est d’ailleurs pas sans faire écho au naturalisme d’Emile Zola, la prise de décision étant longtemps restée hermétique à ce type de considérations. Au début des années 70 certains (comme John Turner) cherchent donc par exemple à substituer un logement ‘convivial’ à un logement « manipulatif »… Dès le milieu des années 70, les nouvelles technologies de l’information et de la communication (essentiellement la radio et la télévision) furent mises à profit de manière expérimentale afin de permettre la participation de la population aux débats concernant son cadre de vie. A Dayton (Ohio, USA), les Designathons, série d’émissions télévisées, permirent aux aménageurs de répondre en direct aux questions des téléspectateurs sur les différentes alternatives de réaménagement d’une partie de la ville et sur leurs impacts. Ce type d’initiatives rencontra – et rencontre toujours – des résistances professionnelles, institutionnelles et politiques. Elles ont néanmoins transformé la théorie et les pratiques des aménageurs, en réaction aux accusations de sociologues et de psychologues, qui mirent en évidence les risques de ‘déterminisme environnemental’ et l’existence d’une ‘psychologie environnementale’. Le concept d’identité de lieu (place identity) fut défini comme « une sous-structure de l’identité personnelle définissant un individu en relation avec le monde physique, à travers des souvenirs, des idées, des valeurs, des préférences, des significations, et des une mobilisation qui s’élève contre un projet (infrastructure, équipement…) perçu préjudiciable à la qualité de vie d’un quartier, sans que soit mise en cause son utilité intrinsèque. 26 Les Etats-Unis furent pionniers de ces approches, du fait que l’Europe était préoccupée à ce moment là par la reconstruction : il fallait construire du nouveau et à grande échelle, l’analyse de l’existant n’étant pas le premier souci. 27 ELLIN N., 1995, « Advocacy Planning, Participation, Environmentalism, And Feminism », in Postmodern Urbanism, Cambridge, Blackwell. 29 conceptions sur l’attitude pertinente en lien avec l’environnement physique de sa vie quotidienne » (PROSHANSKY et Al., 1983)28. Avec MacHarg notamment, l’un des précurseurs dans ce domaine, la planification écologique tente dans les années 70 de concilier stratégies d’occupation de l’espace et valeur (tant patrimoniale qu’économique) des milieux naturels. A la même période l’idée de concilier besoins humains et respect de l’environnement au niveau de communautés locales restreintes, est avancée comme une réponse aux problèmes sociétaux et environnementaux qui accompagnent la concentration urbaine29. La prise en compte des femmes, parmi les groupes et acteurs faibles dont la voix s’est peu à peu faite entendre, a permis de remettre en cause certains postulats fondamentaux de l’organisation de l’environnement quotidien (tels que la séparation domicile/travail, sphère publique/privée, centre/périphérie…), devançant les évolutions de fond qui influencent actuellement l’organisation des activités (télétravail, mixage des temps et des espaces d’activités professionnelles/de loisirs…). Les revendications des minorités ethniques et des pauvres (les banlieues et leurs plans masse cristallisant en France un grand nombre de problèmes), se sont finalement étendues à une variété de populations spécifiques – ou si l’on préfère, à l’ensemble de la population considérée dans son hétérogénéité. Sont alors considérés les besoins et les problématiques particuliers, des personnes âgées, des enfants et des jeunes, des handicapés… Depuis les années 80, ces réflexions convergent et s’élargissent avec l’apparition du concept de durabilité, qui permet la synthèse entre besoins humains, respect et limites des écosystèmes, prospective, dans le cadre de réflexion désormais global qu’impose la mondialisation. Les réflexions sur la ville durable ont ainsi été précédées par celles sur l’écologie urbaine (BOUTAUD, op. cit.). La spécificité d’un projet territorial de développement durable consiste dans le prolongement des questionnements ayant trait à la gestion de l’environnement et aux problématiques sociales, et dans la reconnaissance des interrelations qui existent entre eux. Le local apparaît comme le réceptacle de la convergence entre problèmes économiques, sociaux et environnementaux, qui le lient inextricablement au contexte global contemporain. Il s’agit donc moins d’instaurer une rupture avec les pratiques passées que de les mettre à jour, même si une rupture réelle s’impose à cet effet du côté des pratiques et des modes de réflexion et d’organisation. Les collectivités locales, dans le prolongement de leurs responsabilités et de leurs compétences, sont amenées à adapter leur action au contexte d’une société mondialisée et complexe où les enjeux ne peuvent plus être considérés isolément ni à leur seule échelle. Christian BRODHAG (2003)30 affirme que « la complexité des problèmes posés par le développement durable doit être confrontée à la nécessité d’agir dans un cadre simple », le territoire pouvant offrir un cadre d’action sinon simple, du moins circonscrit et cohérent, et qu’il est possible aux acteurs d’appréhender. 5. Des relations intimes entre le local et le global Villes et territoires sont de plus en plus considérés comme les mieux à mêmes de trouver des réponses à des défis d’ordre et de portée planétaire. Pierre CALAME y voit « le paradoxe central de la globalisation économique. Plus les économies sont liées entre elles dans un marché global, plus les problèmes environnementaux sont interdépendants, plus les sciences et technologies se diffusent rapidement et plus on pourrait penser que les solutions ne peuvent être que globales. Or […], 28 PROSHANSKY et Al., 1983, « Place-identity: Physical world socialization of the self », in Journal of Environmental Psychology, 3, 57–83., cité dans ELLIN N., 1995 (op. cit.). 29 Idée exprimée notamment par E.F. SCHUMACHER dans Small is beautifull (1973). 30 BRODHAG C., 2003, « Genèse du concept de développement durable : dimensions éthiques, théoriques et pratiques », in DA CUNHA & RUEGG (Eds), Développement durable et aménagement du territoire (pp29–45), Lausanne: Presses polytechniques et universitaires romandes. 30 comme les crises du modèle actuel de développement sont des crises de relations, c’est à partir des territoires, là où l’on peut comprendre et repenser ces relations, que peuvent s’inventer des modèles de développement durable » (CALAME, 2001)31. Le socle territorial offre aux acteurs la possibilité d’une réflexion pratique et stratégique dans un cadre commun, qui leur est connu et qu’il leur est possible d’analyser. Il existe en ce sens « un tropisme marqué entre la philosophie du développement durable et les territoires […], comme si les territoires étaient l’expression d’un terrain d’action privilégié de cette notion. Pour quelle raison ? Peut-être parce qu’il existe un lien assez fort, mais implicite seulement, entre la notion du « global-local » des militants du développement durable et la réalité des phénomènes de société en milieu local, caractérisée par le fait qu’au niveau local tous les facteurs s’enchevêtrent, et le fait que spontanément le « local » est un segment complexe du tout global [...]. Ainsi la notion de développement durable territorialisé servirait de support à la recherche d’un retour à la reconnaissance du caractère complexe, au sens de la notion de complexité, de la relation société/nature/espace/territoire » (LOINGER, 2003)32. Pierre CALAME souligne la relation intense entre territoire et complexité du développement durable. Le territoire serait un prisme où le faisceau de la complexité des enjeux se matérialise de façon nette et privilégiée. « Plus une situation est complexe, plus les problèmes environnementaux, sociaux et économiques sont liés entre eux et plus il est nécessaire de penser la réalité dans sa complexité, là où toutes ces relations sont apparentes c’est-à-dire au niveau local. Pour penser la complexité, il faut "penser avec ses pieds", penser à partir de la réalité locale, quotidienne, là où les liens entre les différentes catégories de problèmes ont une évidence concrète » (CALAME, 2001, op. cit.). Les enjeux globaux comme ceux qui sont perçus de façon plus localisée, se traduisent notamment au niveau du territoire, comme le rappelle Edgar MORIN, sous la forme de problèmes d’aménagement. S’il existe une crise de civilisation, dit-il, « c’est parce que les problèmes fondamentaux sont considérés en général par la politique comme des problèmes individuels et privés. Cette dernière ne perçoit pas leur interdépendance avec les problèmes collectifs et généraux. [Une politique de développement durable33] vise à remettre l’homme au centre de la politique, en tant que fin et moyen, et à promouvoir le bien-vivre au lieu du bien-être. Elle devrait reposer sur deux axes essentiels, valables pour la France, mais aussi pour l’Europe : humaniser les villes […], et lutter contre la désertification des campagnes » (MORIN, 1997)34. Les modalités et les formes d’occupation de l’espace, comme le montrent l’urbanisme, l’architecture et la géographie, sont le reflet de l’organisation d’une société. Les enjeux du développement durable en appellent donc à l’une des compétences fondamentales des collectivités : l’aménagement du territoire35. 31 CALAME P., 2001, « La ville et le territoire au cœur de la gouvernance de demain », Conférence prononcée les 23-24 juin 2001 à l’occasion du Congrès de l’Association des Maires de Chine, retranscrite in MATE, 2001, « Villes et développement durable, Des expériences à échanger », Troisième recueil, MATE, 157pp (pp7–12). 32 LOINGER G., 2003, « Leçons des expériences récentes d’élaboration d’indicateurs territorialisés du développement durable dans le champ de la gouvernance locale », Colloque SFE de Limoges du 27 et 28 octobre 2003 dans le cadre de l’atelier n°1 : Ttransversalité et indicateurs du développement durable. 33 « une politique de civilisation », écrit l’auteur dans le texte original : nous prenons la liberté d’y substituer « développement durable », les deux locutions pouvant à nos yeux se confondre dans ce propos précis. 34 MORIN E., « Entretien avec Edgar Morin », Revue Sciences Humaines No 28, 07/1997 (propos recueillis par Anne Rapin à propos de son livre « Une politique de civilisation »). 35 Une enquête de 1995 sur les enjeux du développement durable faisait apparaître, en tête de liste, des problématiques d’ordre territorial (éclatement des villes et périurbanisation incontrôlée, mobilité individuelle, inégalités entre territoires, métropolisation, exclusion). Cela rejoint les perceptions de l’opinion publique, plus sensible aux sujets connexes (75% des gens) qu’aux questions globales (une personne sur 3) (THEYS, op. cit.). 31 Si on a pu penser trouver dans l’aménagement du territoire des solutions aux problèmes de société (à travers les réserves naturelles pour ce qui est de l’environnement, les grands ensembles et la planification d’infrastructures pour ce qui est de la vie collective, ou encore les métropoles d’équilibre pour ce qui est de l’harmonie du développement urbain à l’échelle nationale), la seule approche spatiale et sectorielle s’avère être un échec. La sanctuarisation de l’environnement n’apporte pas toutes les réponses au problème des relations homme/biosphère, la planification de masse n’a prévu ni ses effets intrinsèques ni les effets induits des modes de consommation et de production sur l’utilisation de l’espace. La métropolisation, phénomène sans précédent, exige des réflexions nouvelles sur les rapports ville/campagne et entre les villes elles-mêmes. Le développement durable passe donc par une gestion des territoires basée sur l’intégration des problématiques et des échelles, qui conjugue l’ensemble des dimensions de la vie collective, en intégrant notamment les effets des modes de production et de consommation : modes de vie et d’occupation de l’espace, mais aussi imbrication des échelles dans le sens d’une approche par filière d’activités et cycle de vie des produits, qui impactent à la fois le territoire local, des sociétés éloignées et l’ensemble de la biosphère. Conclusion intermédiaire En raison de leurs compétences, la coopération des collectivités est déterminante pour atteindre les objectifs de l’Agenda 21 de Rio. Elles constituent un cadre d’action de proximité avec les acteurs de leur territoire. Experts, scientifiques, citoyens, organisations de la société civile, entreprises, Etat déconcentré, l’ensemble des acteurs peuvent de manière privilégiée être sollicités, réunis et amenés à collaborer au niveau local. La demande sociale pour une participation aux décisions d’aménagement et d’environnement s’est fortement développée. Transparence et lisibilité des actions, décloisonnement des savoirs, débat public, concertation, suivi des projets locaux, font partie des revendications de citoyens et d’associations conscients des enjeux environnementaux et sociaux. Ces revendications convergent avec le constat de scientifiques pour qui la complexité des problèmes et des controverses liés au développement durable invalident les cadres d’action publique réglementaires, d’essence régalienne, cloisonnés et unilatéraux. Les approches partenariales locales sont la condition d’une patrimonialisation des enjeux et de la responsabilisation des acteurs. Participation et collaboration doivent donc intervenir de manière continue dans la prise de décision et la mise en œuvre des projets locaux. Les objectifs du développement durable sont ainsi issus d’une négociation entre acteurs déterminée par les spécificités locales. Le développement durable, notion issue d’une négociation coopérative au niveau international, est l’objet au niveau local d’appropriations compétitives, chaque acteur cherchant à faire valoir ses propres intérêts. Mais le développement durable introduit la nécessité que les décisions prennent en compte les intérêts de l’ensemble des parties intéressées, qui incluent les acteurs faibles ou absents, qui ne sont pas en capacité de faire valoir leurs intérêts. Il n’y a pas de prescription sur le contenu des Agendas 21 locaux. Les priorités identifiées par les partenaires doivent être cohérentes avec les préoccupations globales de l’Agenda 21, et le développement durable se caractérise par la mise en exergue de la portée globale d’enjeux contemporains globaux. Les situations combinant incertitude scientifique et stratégies divergentes d’acteurs se multiplient, créant des situations de controverse difficilement gouvernables : les « controverses socio-techniques ». Ces situations interrogent la capacité de la science à répondre seule aux enjeux, et légitiment la participation des « profanes » aux prises de décision socio-techniques. Les « forums hybrides » qui rassemblent des acteurs hétérogènes, enrichissent la prise de décision issue de la seule démocratie 32 élective informée par le scientifique. Les réponses aux questions émergent ainsi de plus en plus, à diverses échelles, de processus multi-acteurs. La réflexion sur l’intégration des considérations sociales, économiques et environnementales dans la planification et l’aménagement du territoire n’est pas un fait nouveau. Dès les années 60, urbanistes, architectes et planificateurs mirent en exergue la nécessité sociale d’une participation des acteurs aux prises de décision qui les concernaient. Le concept de durabilité permet d’élargir ces préoccupations par la synthèse entre besoins humains, respect et limites des écosystèmes, prospective, dans le cadre de réflexion global de la mondialisation. Les collectivités sont amenées à adapter leur action au contexte d’une société complexe où les enjeux ne peuvent plus être considérés isolément ni à leur seule échelle. Le territoire répond à la nécessité d’agir dans un cadre simple, circonscrit et qu’il est possible aux acteurs d’appréhender. Il offre aux acteurs la possibilité d’une réflexion pratique et stratégique dans un cadre commun. II. LE CHAPITRE 28 DE L’AGENDA 21 DE RIO: UNE PROPOSITION, L’AGENDA 21 LOCAL L’Agenda 21 de Rio prend acte de la nécessaire coopération des collectivités locales pour mettre en œuvre le développement durable. Il comporte en conséquence dans son Chapitre 28 une proposition fondatrice, l’Agenda 21 local. L’ICLEI (International Council for Local Environmental Initiatives), est un organisme créé en 1990 sous l’égide des Nations-Unies deux ans avant le Sommet de la Terre de Rio, lors d’un « Congrès Mondial des collectivités locales pour un avenir durable ». L’ICLEI a été un acteur majeur dans la coordination des réunions préparatoires au Sommet de Rio. L’une des premières tâches de cet organisme international, regroupant plusieurs centaines de collectivités, consista à proposer d’inclure les collectivités locales dans les préoccupations de l’Agenda 21 de Rio (BOUTAUD, 2004, op. cit.). L’ICLEI a joué un rôle majeur dans le suivi des signaux donnés à Rio aux collectivités. Il s’agit du premier réseau d’innovation dont le travail a conduit à la définition et à la diffusion des Agendas 21 locaux. Cet organisme travaille en lien étroit avec le PNUE36, l’UICL (Union Internationale des Collectivités Locales) et la Commission européenne. Il a été actif dans le lancement de campagnes nationales d’agendas 21 et de réseaux de villes plus thématiques (climat, écobudget, etc.). Il a très largement alimenté les réflexions sur la mise en œuvre du développement durable à l’échelle locale, et contribué à coordonner les acteurs de différents niveaux (international, national, local) et de différents horizons (institutionnels, associatifs), autour de l’Agenda 21 local. Le fruit du travail des représentants des acteurs locaux réunis au Sommet de Rio et coordonnés par l’ICLEI, tient dans le Chapitre 28 de l’Agenda 21 intitulé « Initiatives des collectivités locales à l’appui d’action 21 », qui stipule – 36 Programme des Nations Unies pour l’Environnement. 33