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stratégique de programmes nucléaires ne pouvaient s’effectuer sans une vision du monde sur
plusieurs décennieset, en macroéconomie, les progrès de l’économétrie et des moyens de
calcul permettaient d’envisager le développement de modèles à long terme.
C’est en ébranlant cet optimisme technologique que les dossiers du développement durable
(pièges du transfert mimétique des techniques, marée noire, nucléaire, mort des forêts, ozone,
déforestation, effet de serre) interdiront une liaison aisée entre prospective et analyse.
L’économiste ne pourra en effet plus traiter la technique comme un paramètre exogène. Ce
n’est d’ailleurs pas le caractère négatif de certains impacts de la technologie qui lui pose
problème, car il dispose de la théorie de l’internalisation des effets externes, c’est la résultante
de deux paramètres :
- le décalage temporel entre une décision, ses effets attendus, le déploiement des
externalités négatives et leur reconnaissance sociale,
- les boucles dynamiques entre consommation, technologie, modes de consommation
et institutions, grille heuristique à partir de laquelle I. Sachs organisait dès 1972, son
programme de recherche sur les liens entre environnement et développement, si le choix
d’une technologie à l’instant t n’est pas neutre vis-à-vis des modes de consommation ou de la
localisation des activités, il y a un risque de boucle auto-renforçante conduisant à des
bifurcations dans les modes de développement au-delà des mécanismes de « lock-in » par
rendement croissants d’adoption systématisés par Arthur (1989).
Cette combinaison d’incertitudes et d’effets de système ouvre la possibilité d’équilibres
multiples ex-ante ; dans l’ambiance intellectuelle de l’époque, ceci venait déstabiliser l’état de
l’art de l’économiste à trois niveaux:
- les critères décisionnels: la tentative de l’économie publique, lutter autant que faire
se peut contre « l’arbitraire illimité de l’administration » devient plus risquée dès lors que les
états du monde contingents sont controversés et que l’analyse coût-bénéfice donne autant de
résultats qu’il y a d’états du monde envisageables à un horizon considéré,
- l’ambition prédictive: en plein progrès de l’économétrie, les économistes peuvent
espérer que leur art accède enfin au statut de science au sens positiviste et fournisse les outils
d’une ingénierie sociale. La mise en évidence des lois permettait de prédire puis d’optimiser
les politiques. Or le très long terme rend très vite impossible le maniement de fonctions à
élasticités constantes et l'extrapolation sans contrôle des fonctions exponentielles usuelles,
- le traitement du progrès technique: négligeant les leçons du débat entre les deux
Cambridge 1966-1971, les macro-économistes traiteront la technologie via la proxy de la
fonction coût ; or ce ne sont pas des dollars, des yens ou des francs qui portent atteinte à
l’environnement mais des modes de produire et de consommer qu’il faut bien expliciter.
Il n’y a certes rien dans le cœur de l’axiomatique néo-classique qui interdise de penser les
équilibres multiples comme on le verra avec les travaux sur les tâches solaires dans les années
quatre-vingt; mais il y a une marge entre la théorie pure et la vulgate des hand-books et des
experts. Symptomatique du divorce entre prospective et analyse économique, aucun des
grands noms de la science économique, ne s’était réellement commis à des travaux de
prospective jusqu’à la provocation du rapport du Club de Rome. L’usage d’outils numériques
devint nécessaire et la réflexion sur le long terme ne cessa d’être systématiquement associée
aux romans de science fiction ou à l’activité divinatoire. C’est dans ce contexte, aggravé par
le choc pétrolier, que des rapports de prospective seront commandés à des économistes par les
organisations internationales : Léontieff et Tinbergen par les Nations-Unies, Lesourne par
l’OCDE.