l’indisciplinaire
des arts vivants
cahier special
-
cahier spécial Mouvement réalisé en partenariat avec le Festival mondial de Charleville-Mézières
d’une marionnette
Les voies
émancipée
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a « manipulation » a mauvaise presse.
En politique, le mot renvoie à d’obscures
intrigues où l’on ne sait qui, dans les
coulisses, tire les ficelles d’une pièce où le jeu
est faussé. Et il n’est jamais agréable de se
sentir « manipulé », pour nous conduire à
agir selon une volonté qui ne serait pas tout à
fait la nôtre.
A contrario, la « scène marionnettique » joue
carte sur table
. Elle ne dissimule pas que
quelqu’un, quelque chose, peut rester dans
l’ombre. La marionnette n’aime pas la
transparence ; elle est même parfois
théâtre
d’ombres
. Elle revendique l’
illusion
et en fait
de surcroît la voie d’accès à une vérité. Qui
plus est, cette vérité devient
humaine
par la
grâce de formes animées : théâtres d’objets,
d’images, de papier, etc. L’humanité de la
marionnette (ou plutôt, devrait-on dire, « ses
humanités ») a à voir avec l’enfance. La
marionnette EST l’enfance de l’art, quand tout
(formes, couleurs, sons, senteurs, etc.) est
encore indistinct, juste avant que le langage
ne vienne nommer, classer, séparer, diviser.
Autant dire qu’il n’y a aucune exagération,
Ce supplément a été réalisé grâce au soutien
du Conseil général des Ardennes.
Cahier spécial / MOUVEMENT
Réalisé en coédition avec le Festival mondial des théâtres
de marionnettes de Charleville-Mézières.
Coordination : Naly Gérard.
Conception graphique : Sébastien Donadieu.
Edition : David Sanson, Pascaline Vallée.
Partenariats/publicité : Alix Gasso.
Ont participé : Jean-Marc Adolphe, Joan Baixas,
Mathieu Braunstein, Dominique Duthuit, Naly Gérard.
Traductions : John Baker.
© mouvement, 2009. Tous droits de reproduction réservés.
Ne peut être vendu.
MOUVEMENT, l'indisciplinaire des arts vivants / 6, rue Desargues,
75 011 Paris / Tél. +33 (0)1 43 1473 70 / Fax +33 (0)1 4314 69 39 /
www.mouvement.net
Mouvement est édité par les éditions du Mouvement, SARL de
presse au capital de 4 200 euros, ISSN 125 26 967. Directeur de la
publication : Jean-Marc Adolphe.
Festival mondial des théâtres de marionnettes
de Charleville-Mézières / BP 249, 08103 Charleville-Mézières cedex,
France / Tél. +33 (0)3 24 59 94 94 - Fax +33 (0)3 24 56 05 10
festival@marionnette.com / www.festival-marionnette.com
Le Festival mondial des théâtres de marionnettes est subventionné
par le ministère de la Culture et de la communication, le Conseil
régional Champagne-Ardenne, le Conseil général des Ardennes
et la Ville de Charleville-Mézières.
bien au contraire, dans la décision de faire
vibrer le Festival mondial des théâtres de
marionnettes de Charleville-Mézières au
mélange des arts, et davantage encore, au
centre des arts. La marionnette est un champ
artistique longtemps resté sur les marges.
Mais de cette marginalité nomade qui la
constitue, la marionnette vient aujourd’hui
parler au cœur de la création contemporaine.
En s’évadant du seul castelet, la marionnette a
fait sa révolution, sans la moindre goutte de
sang. Une révolution douce, et quasiment
invisible, grâce à laquelle la marionnette
contemporaine est partie à la conquête de
l’espace. Art traditionnel, ancestral, la
marionnette est aujourd’hui capable de
convoler, en union libre, avec les plus
pointues
des nouvelles technologies. La
longue et magnifique histoire du festival de
Charleville-Mézières n’a pas peu contribué à
ce formidable bouleversement grâce auquel la
marionnette s’est émancipée d’elle-même.
Ultime et géniale manipulation, ouverte à tous
les possibles.
Anne-Françoise Cabanis et Jean-Marc Adolphe
anipulation" has been given a bad
press. In the world of politics, the
term refers to dark intrigues
where we are never sure who is lurking
behind the curtain and pulling the strings
that bring the twisted performances to
their conclusion. And it is never very
pleasant to feel that you are being
"manipulated" to act according to a will
which is not entirely your own.
Inversely, in the world of puppetry, the
cards are laid clearly on the table. It is
freely admitted that someone or something
stays hidden in the shadows. Puppetry
dislikes transparency; it is sometimes even
perceived as the theatre of shadows. It is a
perpetrator of illusion and even makes it
the means of attaining a certain truth.
Moreover, this truth becomes human
through the grace of the animated forms:
theatres of objects, images, paper, etc. The
humanity of puppetry (or should we say "its
humanities") is related to childhood.
Puppetry IS the childhood of art, when
everything (shapes, colours, sounds,
smells etc.) is still indistinct and language
has yet to designate, classify, separate and
divide.
It is fair to say that there is no exaggeration
- quite the contrary - in the decision to
bring the world puppet theatre festival in
Charleville-Mézières to life with a mixture
of arts and, more particularly, to place it at
the centre of the arts. Puppetry is an
artistic field which long remained on the
periphery. But from this fundamental
itinerant marginality, puppetry is now
finding its voice at the heart of
contemporary creation. By escaping from
the castle, puppetry has fought its
revolution without a single drop of blood
being spilt - a gentle, almost invisible
revolution through which contemporary
puppetry has begun its conquest of space.
A traditional, ancestral art, puppetry is now
capable of cohabiting with the most cutting
edge technologies of the new era. The long
and magnificent history of the festival of
Charleville-Mézières has contributed more
than a little to this incredible change
thanks to which puppetry has emancipated
itself. A final and brilliant manipulation,
open to every possibility.
Anne-Françoise Cabanis et Jean-Marc Adolphe
L
M
d’une marionnette
Les voies
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édito
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out porte à croire que 2009 est une
« année des arts de la marionnette ».
La saison est ponctuée de rendez-vous
importants, à commencer par le Festival
mondial des théâtres de marionnette,
qui prend un nouveau tournant et s’ouvre
davantage aux formes contemporaines.
En octobre prochain, une semaine nationale
de la marionnette intitulée « Tam Tam
- Les Dessous de la Marionnette » met ce
théâtre à l’avant-scène dans plus de 150 lieux
culturels en France(1). Du côté patrimonial,
la Maison Jean-Vilar d’Avignon accueille
une exposition qui souligne le rôle capital
de la marionnette dans la pensée d’Edward
G. Craig(2), tandis que le Musée des
marionnettes du monde ouvre ses portes
à Lyon. Autre signe de la vitalité de ce champ
du théâtre : une production éditoriale
florissante qui reflète l’histoire d’un art
millénaire et universel et les réflexions
de chercheurs, plus nombreux qu’hier à
ausculter ses formes actuelles(3). Ces signes
attestent de la reconnaissance d’un
phénomène : la marionnette contemporaine
constitue un mouvement esthétique bien
vivant des arts de la scène. Par sa diversité,
ce mouvement de fond renouvelle les modes
de représentations théâtrales. Il en passe
par les simulacres de corps, par l’objet en
mouvement, par la construction d’images,
par les mécanismes et les machines, par
les matériaux bruts ; bref, il dépasse le seul
corps de l’acteur. Ce théâtre que l’on pourrait
définir comme un « théâtre d’animation »,
donne vie à l’inerte, transforme l’objet en
sujet de théâtre. Le propre de la marionnette
d’aujourd’hui c’est donc moins l’effigie
qu’une façon de donner vie aux éléments
concrets du théâtre selon une logique
organique et dynamique : il transpose
le mouvement du vivant à ce qui est
inerte. En ce sens, c’est un théâtre
de la transformation et de l’invention.
La marionnette est bien « au centre des
arts » comme le proclame la bannière
de l’édition 2009 du Festival de Charleville-
Mézières. Elle ne peut se réduire à une seule
forme et puise au contraire dans la diversité
des langages artistiques. Les possibilités
du théâtre d’animation permettent une
approche à la fois libre et cohérente des
autres arts. La danse, la musique, la vidéo,
la peinture ou la sculpture sont convoquées,
non pas sur un mode fusionnel mais dans
un dialogue : ces disciplines s’articulent
pour produire du vivant. Ce ne sont pas
des spectacles « indisciplinaires », une
notion en passe de figer une nouvelle
catégorie(4), mais bel et bien des œuvres
marionnettiques. L’animation constitue
un point d’appui pour donner sens à ces
connexions, un point d’appui qui se situe
dans l’espace du plateau. C’est ce qu’explique
Jean-Luc Félix, plasticien, pédagogue et
président du Festival mondial des théâtres
T
aussi bouleversant, intime et complice : « Ce sont
mes outils. Ils apparaissent sur mon chemin pour
nourrir mon langage théâtral, visuel et corporel. »
Sans chercher à théoriser, elle bâtit des univers
singuliers où s’imbriquent, sous sa baguette de
chef d’orchestre minutieuse, la réalité et ses diffé-
rentes formes de représentation. « Avec Troubles,
je voulais parler de l’amour et du mariage, moi
qui n’ai jamais été mariée. Deux petites figurines
de mariés trouvées par hasard ont été le point de
départ de l’écriture de petites pièces chorégraphi-
ques et burlesques découpées comme de véritables
courts-métrages cinématographiques. » Assis der-
rière une table, dans un espace scénique soigneu-
sement délimité, Agnès Limbos et son comparse
musicien Gregory Houben se jouent leur propre
idylle amoureuse, en deux dimensions parallèles,
format nature et format miniature. Répliquée
par des jouets animés, cette double vision d’une
seule et même histoire suscite une joyeuse étran-
geté en brouillant les repères habituels : « Toute
classification m’énerve. Je me reconnais avant tout
dans un théâtre d’auteur populaire, qui cherche
à transposer à travers la poésie de l’objet, des ques-
tions sociales, politiques et universelles, sans rien
chercher à imposer. » Dominique Duthuit
Avant de toucher à « l’objet », Agnès Limbos l’a
contemplé longtemps. « Toute petite, j’établissais
avec eux un rapport mystique. Je les posais devant
moi, comme en prière. Mes parents disaient : “On va
la mettre au Carmel. »Aujourd’hui, après plus
de trente ans de métier, cette autodidacte belge,
à la fois clown, comédienne, mime et metteure en
scène, entretient avec les objets et les jouets
manufacturés les plus ordinaires un dialogue tout
Agnès Limbos
Objets gigognes
Tomber des nus, de
la Cie Tenir debout.
Photo : Jean-Luc Beaujault.
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de marionnettes.
« S’il est un domaine où
les arts de la marionnette recoupent d’autres
disciplines artistiques, étant elle-même
partie intégrante du théâtre, ce sont
la scénographie et les arts plastiques ;
la scénographie parce que se posent
les problèmes d’espace et d’échelle propres
à la marionnette. Le castelet ayant presque
disparu de la scène contemporaine, quel est
donc le cadre, l’espace, dans lequel évoluent
nos personnages ? Manipulé à vue,
le référent visuel n’est plus le cadre fixe
du castelet mais le corps du manipulateur
et le plateau à l’échelle de l’homme ; d’où la
tendance qui en découle, celle de travailler
avec des marionnettes de plus en plus
grandes qui rentrent en tension avec
le manipulateur comme étant pratiquement
son double. Giacometti, le grand sculpteur
du XXesiècle, avait dans ses écrits
théoriques posé ces problèmes, celui de
l’échelle et celui du personnage regardé non
pas seul et isolé, ce qui n’est qu’un artifice,
mais en relation continuelle avec son
environnement. »
L’objet animé lui aussi
est en relation continuelle avec son
environnement. C’est un art qui joue
de la distance, du vide entre les choses,
qui rend vivant ce jeu indispensable pour
la circulation du mouvement… et du sens.
Le marionnettiste travaille justement dans
l’espace entre l’objet et le corps humain,
entre la matière sonore et la poupée, entre
l’image et le geste.
La marionnette comme effigie
anthropomorphique est devenue, dans
certains spectacles, un instrument aigu
pour scruter la limite entre le mort et le vif,
notamment par le biais de l’hyperréalisme.
Plusieurs compagnies manipulent des
sculptures saisissantes de ressemblance :
la
mimesis
, jamais totale, génère un trouble
de notre perception et un sentiment
d’étrangeté(5). Le « théâtre d’androïdes »
dont rêvait Maeterlinck n’est pas loin.
Le travail de Gisèle Vienne se situe dans
cet espace. Elle présente, avec son vieux
complice Etienne Bideau-Rey, une nouvelle
version de
Showroomdummies,
créé
en 2001 : dans cette pièce chorégraphique,
on trouvait déjà sa façon de scruter
l’érotisme trouble du corps devenu objet,
et la standardisation des apparences et des
gestes. La sculpture propose d’autres visages
de l’humain. Dans
La Chair de l’homme
,
d’Aurelia Ivan, une population
d’homoncules taillés dans des ceps de vigne
porte les voix multiples du théâtre de Valère
Novarina. «
Ce que peut la marionnette,
c’est aussi, en nous montrant ses bords,
étendre le spectre des visages de l’humain »
,
écrit Didier Plassard(6).
La mise en mouvement des corps artificiels
peut être de différentes natures. Elle
est chorégraphique chez le danseur-
marionnettiste hollandais Duda Paiva qui
se laisse phagocyter par ses personnages de
mousse pour jouer en virtuose la dialectique
de la relation, entre duo et duel, entre
séduction et domination, entre possession
et arrachement. Chez Claire Heggen,
l’animation s’appuie sur le théâtre gestuel
dans son solo
Les choses étant ce qu’elles
sont…
Le geste met en vie la matière tissu
et des esquisses de corps pour raconter
le mouvement de la mémoire et l’intériorité.
Le solo de Cécile Briand,
Tomber des nus
,
est dans la même veine – l’exploration des
mondes intérieurs par le biais de la matière.
Le personnage, un modèle de peintre,
se confronte aux représentations de
son corps comme à autant de miroirs.
Doubles sculptées, empreintes de papier,
mannequin-puzzle : la femme-objet
rencontre les « objets-femmes ».
Dans
Kefar Nahum
, la danseuse Nicole
Mossoux-Bonté est une montreuse d’objets
fantasmagoriques, qui s’accouplent
et engendrent des créatures difformes
en perpétuelle métamorphose.
Le geste du plasticien est encore d’une autre
essence. Le peintre Joan Baixas, initiateur
de La Claca, première compagnie espagnole
de marionnette contemporaine, a dans
les années 1970 jeté les bases d’un théâtre
de la matière (voir p. 10).
La dramaturgie repose alors sur la main
du peintre composant en direct des fresques
vivantes, qui naissent, respirent et
disparaissent. Dans
Zoe, criminelle
innocence
, la dernière création du Catalan,
ombres, peinture, marionnettes et vidéo
sont les ingrédients d’un mélodrame en
quatre actes accompagnés par la musique
du pianiste de jazz Agustí Fernández.
D’autres compagnies tissent les modes
du théâtre d’animation pour inventer leur
propre langage théâtral dans une liberté
souvent jubilatoire : le Théâtre de la Pire
Espèce mélange le papier découpé, le
théâtre d’ombres et le théâtre d’objets ;
les Américains du Red Moon Theater font
s’entrechoquer le théâtre de papier et
la vidéo, tandis que la compagnie Akselere
s’appuie sur l’objet, le théâtre d’ombres
et le conte pour transposer des archétypes
dans notre réalité. La Québécoise Marcelle
Hudon bricole un assemblage de vidéo,
de jeu d’ombre et de théâtre d’objets
pour fabriquer des images expressionnistes
qui dissolvent les frontières et mélangent
les échelles. Mais les formes dites
traditionnelles, comme la marionnette
à gaine, conservent leur pertinence. Dans
Jerk,
mis en scène encore par Gisèle Vienne,
miste, ethnologue de l’imaginaire, accoucheur de
pays étranges, qui est-il ? « Je suis un bricoleur d’ob-
jets, de mots, d’histoires qui travaille d’abord avec
ses mains, avec le stylo, le pinceau, la scie, le mar-
teau, la colle. Alors seulement les pensées apparais-
sent. » Résistant à toute hiérarchie, il met son jeu,
son humour et son inventivité au service d’une
conviction, celle de faire vivre à ceux qui l’écoutent
le plaisir de percevoir la réalité d’autres possibles,
oubliées ou effacées. Zigzaguant d’une expression
à l’autre, par assemblage, collage ou associations
d’idées, Roland Shön dessine un théâtre qui
emprunte des chemins de traverse pour ne jamais
se laisser enfermer. Dans une logique toute per-
sonnelle, Ni fini, ni infini, à la lisière du cirque forain
et du cabinet de curiosités, déploie une mécanique
scénique qui tourne sur elle-même, comme un
« rouleau de l’Evolution ». Avec trois saltimbanques,
un montreur, un musicien et un régisseur, Roland
Shön déroule, en boucle, le fil de l’histoire d’un
homme « étourni » par la rotation inexorable de
la terre. Au contact de machines à images sur rou-
lettes, qui jouent avec l’ombre, la photographie,
le dessin ou la peinture, s’ouvrent un temps et un
espace autres, autrement humains, qui « réactivent
la mémoire et la lecture du monde ». Dominique Duthuit
Le théâtre de Roland Shön est un théâtre tout
court, sans majuscule ni particule. L’acteur,
détrôné de sa toute puissance, se nourrit et se
transforme au contact d’objets de factures très
diverses, libérés de leur fonction ordinaire. Toute
question d’étiquette dans ce territoire-là est vaine.
C’est vers un théâtre « autre » que Roland Shön
navigue, un théâtre sans limites, qu’il explore aux
confins des rêves et de l’inconscient. Sorcier ani-
Roland Shön
Objets de contes
En 1985, Hervé Diasnas, jeune chorégraphe juste
rentré des Etats-Unis, fait sensation avec la créa-
tion de Premier Silence, duo danse-marionnette,
confrontation de « deux présences à figure
humaine » La pièce sera jouée soixante-dix fois,
pendant un quart de siècle. Au départ, le pantin
(manipulé par un marionnettiste invisible) appa-
raît relativement immobile, pendu à un clou,
planté dans le dossier d’une chaise. Mais très vite
l’objet s’anime, entre les mains de cinq marion-
nettistes successifs. L’une des étapes passe briè-
vement par le fil, une technique que le chorégra-
phe juge finalement trop contraignante. La
mutation suivante, décisive, et qui vaut désor-
mais à la pièce son nouveau titre - Le Reflet du
silence -, voit la marionnettiste sortir de l’obscu-
rité. « Cela introduit discrètement un tiers, une
présence scénique décalée qui révèle les coulis-
ses d’une poésie en mouvement », écrit le choré-
graphe. Paradoxalement, cest la découverte de
la danse aérienne (avec la compagnie Motus
Modules), qui a libéré la marionnette. Le choré-
graphe, qui a lu Kleist, et sait que le danseur n’est
pas à même de lutter contre le pantin, en termes
de légèreté et de virtuosité, se reconnaît une
passion venue « d’entrée de jeu » pour l’objet.
Même si celle-ci ne fait pas de lui un « jongleur »,
comme il dit… Pour la recréation, il reprend tout :
la scénographie, les costumes, la musique qu’il
écrit lui-même. « La pièce témoigne d’un mouve-
ment de transformation parfaitement organique,
dit-il. Je pense que la marionnette va de plus en
plus en plus apparaître et que le danseur va pro-
gressivement disparaître. C’est une pièce camé-
léon, sans que je sache très bien sur quel support
elle choisit sa couleur. » Mathieu Braunstein
Hervé Diasnas
Le danseur et le pantin
Le Premier Silence,
d’Hervé Diasnas.
Photo : D. R.
Poursuite, de Marcelle
Hudon. Photo : Manon
Labrecque.
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m’intéresse, cest de trouver comment cela peut
respirer ensemble. » Dans Les Danaïdes, adapta-
tion libre des Suppliantes d’Eschyle, un trio
de comédiennes anime un chœur de vingt-cinq
marionnettes sur pilotis dont les silhouettes
hautes dessinent l’espace au fil du spectacle.
Cette scénographie verticale est à l’image de la
condition philosophique des Hommes de 500 ans
avant Jésus-Christ, reliés entre eux et reliés
aux dieux. Animée par le désir de « mettre en
objets une pensée », Emilie Flacher interroge,
au travers de la marionnette, la représentation
de l’humain contemporain : « Je recherche moins
une maîtrise totale du marionnettiste sur sa
marionnette qu’une forme de coexistence de
l’humain et de lobjet, une coexistence qui racon-
terait que l’individu n’est pas aussi détaché des
autres et de son milieu que l’on pourrait croire,
et qui dirait notre besoin profond de collectif. »
N. G.
Depuis ses premiers spectacles, il y a une dizaine
d’années, la musique vivante reste une compo-
sante essentielle de l’univers de la compagnie
Arnica. La metteure en scène Emilie Flacher, éga-
lement constructrice des figurines, fabrique avec
son équipe un théâtre plastique et sonore qui se
veut un espace d’écoute sensible de la com-
plexité du monde. Elle s’appuie sur les mots de
poètes comme Jean-Pierre Siméon, Patrick
Dubost ou Kateb Yacine, et sur la matière sonore
du musicien et chanteur Thierry Küttel, présent
sur scène et véritable partenaire d’écriture. «En
tant qu’art du mouvement, la marionnette
appelle le rythme, souligne Emilie Flacher. Il est
nécessaire que la musique vive au même rythme
que les objets et le souffle des comédiens ; ce qui
Compagnie Arnica
Poupées tragiques
Virtuose de la marionnette à fils, le metteur en
scène de la compagnie Figuren Theater Tübingen
puise dans la variété des techniques, y compris
dans le masque, pour inventer un théâtre visuel
où les monstres ouvrent vers le merveilleux. Pour
lui, les marionnettes sont des passeuses vers un
monde artificiel, proche des ombres, de la
mémoire, du rêve. L’art de Frank Soehnle se marie
ainsi au « réalisme magique » de l’écrivain Gabriel
García Márquez dans Avec des ailes immenses,
une adaptation d’une nouvelle de l’écrivain
colombien. Dans Salto. Lamento, qui puise dans la
poésie de Rilke et les danses macabres médiéva-
les, chimères, squelettes et créatures fabuleuses
s’éveillent, se métamorphosent et s’évanouissent
portées, là encore, par les compositions du duo
Rat’n X avec clarinette, saxophone et contrebasse.
La Camarde, mariée immaculée, toute en grâce,
tendre plus qu’effroyable, est la reine de ce bal
extraordinaire, vrai memento mori intemporel. N. G.
Au départ peintre et sculpteur, Frank Soehnle
sest tourné vers le théâtre pour trouver une
réponse à sa quête d’une matière en mouvement.
Vingt ans plus tard, devenu un « maître » du
« théâtre de figures », comme on dit outre-Rhin,
il se nourrit des plus grands auteurs : Beckett,
Maeterlinck, Heiner Müller, Gertrud Stein ou
encore Bruno Schulz. La littérature est chez lui
le point de départ d’une recherche sensorielle
où prennent place la danse, la musique, le jeu
d’acteur, la sculpture, le texte. Cette alliance
des arts s’inscrit dans l’héritage laissé par le
Bauhaus, en particulier par Oskar Schlemmer.
Dans sa dernière création, Carambolage, Frank
Soehnle rend d’ailleurs hommage à l’œuvre du
créateur interdisciplinaire.
la marionnette à gaine ouvre une brèche
vertigineuse sur le psychisme du personnage.
Le procédé de la reconstitution questionne,
lui, les limites de la représentation,
à la frontière de la mémoire et du fantasme,
de l’intime et du collectif.
Le théâtre d’animation dialogue aussi
étroitement avec les arts du cirque.
De bout
de bois,
signé par un tandem acrobate/
marionnettiste, prend appui sur un objet
primitif, un morceau de bois, pour révéler
par l’équilibre et l’animation le mouvement
de la matière. Le tandem finlandais Ville
Walo/Kalle Hakkarainen crée un artisanat
de l’illusion à la croisée du jonglage,
de la prestidigitation et du théâtre d’objets.
Dans le champ de la danse apparaissent
des spectacles marionnettiques comme
Transports exceptionnels,
de la compagnie
Beau Geste-Dominique Boivin. Porté
par un air d’opéra, ce spectacle raconte
avec une étonnante finesse les affres de
la passion amoureuse entre une pelleteuse
mécanique et un danseur. Cette démarche
est emblématique d’une tendance :
les machines automates sont de plus en plus
présentes aux côtés des danseurs et des
acteurs. On pense à
Matière d’être(s)
d’OM Produck, une rencontre intimiste
entre un danseur et un engin métallique
à l’allure d’insecte extraterrestre.
L’installation scénique
Stifters Dinge
de
Heiner Goebbels est
e
ncore plus radicale.
L’interprète a disparu pour laisser l’espace
à des pianos mécaniques et des machines
monumentales, complexes, inquiétantes.
On peut lire ces propositions comme autant
de formes « industrielles » de théâtre
d’animation. La mise en vie d’entités
non-humaines interroge là encore l’humain
et sa liberté. Elle représente l’irreprésentable,
que ce soit une réalité insoutenable ou
impensée comme notre relation à la mort,
à la déshumanisation, à la technologie.
Le théâtre d’animation est bien un théâtre
du lien : ces liens entre les éléments qui
le composent, le lien entre les interprètes
et le public sont en mouvement permanent.
C’est un mouvement du vivant, d’abord
physique et énergétique avant d’être
conceptuel. Et nous sommes invités à entrer
dans ce « jeu » pour faire sens. C’est un
théâtre concret et immédiat, qui nous met
en contact avec notre capacité à inventer du
vivant et à le partager. Si ce théâtre nous
parle tant, c’est peut-être parce qu’il rend
tangible le réseau complexe de relations
dans lesquelles nous sommes pris et qui
nous dépasse, et qu’il nous aide à lire
ce qui nous arrive en tant qu’humains.
Naly Gérard
verything would lead us to believe that
2009 is the "year of puppetry". The
season is punctuated by major events:
next October, a national week of puppetry
entitled "Tam Tam-Les Dessous de la
Marionnette" (Tam Tam - the hidden agenda
of puppets) puts this theatre centre stage in
more than 150 cultural sites in France; at the
Maison Jean-Vilar in Avignon, an exhibition
underlines the essential role of puppetry in
the thinking of Edward G. Craig, while the
"Musée des marionnettes du monde"
(Museum of World Puppets) opens its doors
in Lyon. Supported by a burgeoning editorial
production, this vitality clearly shows that
puppetry truly is at the "centre of the arts", to
quote the title of the 2009 edition of the
World Puppetry and Puppet Theatre Festival
in Charleville-Mézières.
Bringing together all other art forms and
demonstrating a plurality of media in the
context of the stage (dance, audio, video,
paint, sculpture etc.), the theatre of
animation sits at the crossroads of
contemporary issues concerning artistic
forms, in particular relating to scenography
and the visual arts. Puppetry can also be the
starting point for hybrid shows, sometimes
combining traditional techniques and state-
of-the-art technology (Théâtre de la Pire
Espèce, Red Moon Theater, Akselere etc.).
However, beyond this formal dimension,
puppetry finds itself at the heart of
anthropological considerations. With their
anthropomorphic effigies, Gisèle Vienne and
Aurelia Ivan explore the boundary between
the dead and the living; they examine the
limits of the humane and the conditions of
manipulation, the significance of bodies
when they encounter objects which bear a
strange resemblance to them. These
questions can be expressed in an almost
choreographic manner (as with Cécile
Briand, Claire Heggen or the Dutchman Duda
Paiva) or in more plastic format, as can be
witnessed with the painter Joan Baixas. They
also often pursue a dialogue with circus arts.
The theatre of animation is, by definition, a
theatre of links - a sensory experience which
confronts us with our capacity to invent the
living and to share it. Hence, the artists who
congregate in Charleville-Mézières meet each
other around a vast question: how to share
our humanity at the start of the 21st century?
Frank Soehnle
Figures d’outre-monde
E
Salto. Lamento,
du Figuren Theater
Tübingen. Photo :
Klaus Kühn.
1. Du 14 au 18 octobre. Plus de précisions sur le site des Saisons
de la marionnette : www.saisonsdelamarionnette.fr.
2. L’exposition Craig et la marionnette, présentée du 5 mai au 29
juillet à la Maison Jean-Vilar à Avignon, sera à Charleville-Mézières
du 11 septembre au 4 octobre.
3. Voir en particulier Théâtre/Public n° 193. Et L’Encyclopédie
mondiale de la marionnette, éd. L’Entretemps.
4. Voir dossier « Merde à l’indiscipline ! », in Mouvement n° 52.
5. Les marionnettes hyperréalistes sont aussi présentes chez
Là Où Théâtre avec Des nouvelles des vieilles, et Trois-Six-Trente
avec Les Aveugles.
6. Voir « Marionnette oblige : éthique et esthétique sur la scène
contemporaine », in Théâtre/Public n° 193.
Les danaïdes, de la Cie Arnica.
Photo : Michel Cavalca
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