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réseaux dans les jeux et les sports
par Pierre PARLEBAS
| Presses Universitaires de France | L'Année sociologique
2002/2 - Vol. 52
ISSN 0066-2399 | ISBN 2130532896 | pages 314 à 349
Pour citer cet article :
— Parlebas P., réseaux dans les jeux et les sports, L'Année sociologique 2002/2, Vol. 52, p. 314-349.
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LOGIQUES SPORTIVES
ET CONDUITES SOCIALES
RÉSEAUX DANS LES JEUX
ET LES SPORTS
Pierre PARLEBAS
RÉSUMÉ. — Les foisonnantes caractéristiques de surface des jeux sportifs et leur
surabondante variété masquent des structures sous-jacentes invariantes. Celles-ci sont
illustrées par des réseaux d’interaction tels ceux des duels et ceux des systèmes de coali-
tions ; les propriétés formelles de ces structures (équilibre, symétrie, exclusivité...) témoi-
gnent des orientations marquantes que les Jeux olympiques ont adoptées pour magnifier
les sociétés modernes.
On peut déceler une parenté de structure entre le sport, d’une part, la démocratie et
l’entreprise capitaliste, d’autre part. Ces homologies structurales, révélatrices de la réalité
sportive, entraînent des conflits éthiques et politiques inéluctables. Les tensions qui tra-
versent la démocratie libérale se retrouvent précisément dans le sport. Cette dissonance
interne va provoquer, à l’égard du sport, des jugements fort différents et parfois même
radicalement opposés. On est conduit à distinguer deux niveaux d’analyse : le niveau des
réseaux objectifs qui, en s’imposant à tous, fondent la grammaire du jeu, et le niveau des
réinterprétations subjectives que les différents acteurs élaborent dans leur contexte social
particulier.
ABSTRACT. — The profuse surface characteristic of sports games and their super-
abundant variety conceal invariable underlying structures. These are illustrated by inte-
ractive networks such as duels and coalition systems ; the formal characteristics of these
structures (balance, symmetry, exclusivity...) exemplify the distinctive orientations adop-
ted by the Olympic Games to magnify modern societies.
Similarities of structure can be detected between sports on the one hand, and demo-
cracy and the capitalist entreprise on the other. These structural parallelisms which reveal
the reality in sports unavoidably lead to ethnic and political conflicts. The tensions found
in liberal democracies thus appear in sports. This internal divergence produces very diffe-
rent and sometimes radically opposed judgment about sports. We are led to distinguish
two levels of analysis : an objective network level that lays down the game’s grammar
and a subjective reinterpretation level elaborated by various actor in their specific social
contexts.
Le sport et les jeux méritent-ils une étude qui leur soit propre ?
Un intérêt certes timide mais réel se dessine, de plus en plus, en
faveur de la prise en compte du sport dans les travaux sociologiques.
Cependant, force est de constater que celui-ci apparaît surtout
L’Année sociologique, 2002, 52, n° 2, p. 315 à 349
comme un simple champ d’application de conceptions extérieures,
comme une illustration latérale, ou un encanaillement de bon ton.
Cette position ancillaire est-elle inéluctable ? L’étonnante et crois-
sante implantation du sport dans les sociétés modernes appelle,
semble-t-il, une analyse sérieuse et originale : pour quelles raisons le
sport connaît-il un tel succès, et parmi la myriade de jeux sportifs
attestés dans les différentes cultures, comment se fait-il que seul un
petit lot d’entre eux, sous le nom de sport, ait réussi à s’imposer ?
Un miroir de la société
La relégation du sport dans les marges de la recherche sociolo-
gique nous paraît dépendante de jugements dépréciatifs liés à des
préjugés culturels. Les pratiques associées au corps, au travail phy-
sique, au jeu et au sport ne sont pas jugées habituellement d’une
grande noblesse, et la tendance générale de notre culture savante et
de nos universités est de ne leur accorder qu’une place de second
plan. À l’opposé, notre hypothèse sera que les activités ludiques et
corporelles offrent un domaine profondément investi par les nor-
mes et les valeurs de leur société d’accueil. Les jeux et les sports
autorisent une lecture sociologique qui dévoile les grandes orienta-
tions d’une culture, les choix fondamentaux de celle-ci à l’égard du
lien social et de la communication, de l’espace et du temps, à
l’égard des productions technologiques et des rapports avec
l’environnement. Le sport est comme le miroir de la société, un
reflet mais aussi en retour un agent dynamique de transformation
ou de maintien de cette société.
Une telle hypothèse doit être confrontée aux réalités sociales.
Afin d’éviter de limiter le domaine du sport à une simple surface de
projection de phénomènes extérieurs, il semble indispensable d’en
étudier les pratiques dans leur fonctionnement même, dans les
mécanismes d’action et de représentation qui sont à la source de
leur accomplissement. Dans cette optique, une stratégie intéressante
est de modéliser les situations de jeu et de sport, c’est-à-dire d’en
présenter une simulation simplifiée, éventuellement mathématisée,
sous la forme d’une maquette, qui sera souvent, dans notre cas, un
réseau. À ce titre, le cas des jeux et des sports offre une chance
exceptionnelle. Ceux-ci trouvent en effet leur existence dans un
ensemble de règles facilement accessibles qui prévoient tous les élé-
ments de logique interne nécessaires à leur mise en pratique :
316 Pierre Parlebas
modalités des interactions entre joueurs, conditions d’espace et de
temps, types d’utilisation des objets...
Le chercheur qui se propose d’étudier les jeux sportifs se trouve
par certains côtés, en position étonnamment favorable. En effet,
alors que dans les situations sociologiques ou linguistiques classi-
ques, l’enquêteur est souvent tenu de mener une longue étude
préalable pour tenter de dégager lui-même au risque de se tromper,
les traits et règles de fonctionnement de la communauté étudiée,
dans le cas du sport les codes essentiels lui sont fournis d’emblée. Et
ces règles, dont il a connaissance « d’entrée de jeu », ne se limitent
pas à la simple régulation de la situation relationnelle, elles en assu-
rent aussi la fondation. C’est-à-dire que le chercheur a entre ses
mains, dès le départ, les éléments constitutifs de la situation cultu-
relle qu’il se propose d’étudier. Il peut alors tenter d’établir la
radioscopie des activités ludosportives qu’il se refuse à considérer
comme de simples « boîtes noires ». Il se donne ainsi pour projet, à
partir d’une solide connaissance des règles et d’une minutieuse
observation des pratiques de terrain, de modéliser les structures de
fonctionnement révélatrices des jeux et des sports.
Cette formalisation peut paraître comme une gageure, car, par
exemple, comment identifier des structures invariantes là où la
variation prolifère ? La mise en modèles veut attester d’une stabilité
dans les jeux. Or, le principe même du spectacle sportif ne repose-
t-il pas sur le caractère instable, unique et imprévisible de chaque
rencontre, sur l’incertitude de son déroulement ?
Les universaux des jeux et des sports
À contre-pied de ces apparences, nous postulons que les
conduites des joueurs s’accomplissent au sein de systèmes d’inter-
action stables qui en spécifient le champ des possibles de façon
nécessairement limitante. Qu’il s’agisse du rugby, du basket, de
l’escrime ou du judo, le sport est un univers fermé ; le sport est un
monde de la clôture. L’immense variété des conduites ludosporti-
ves de surface n’est que la manifestation bigarrée de permanences
qui prennent corps dans des structures profondes. Ces structures
sous-jacentes jouent le rôle de matrices d’engendrement des com-
portements d’action et des événements qui scandent le déroule-
ment du jeu (communications entre joueurs, scores, gain du
match, prise de rôles...). On les retrouve, sous des modalités diffé-
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