Valorisation de l’implantation des haies et bandes boisées dans l’alimentation des bovins sur parcours en Région Wallonne Vandermeulen Sophie Promoteur : Bindelle Jérôme Année académique 2011-2012 Figure 1 : Broutage du feuillage de la haie par une vache en prairie Figure 2 : Analyse in vitro du potentiel de fermentation des fourrages Depuis que l’Homme a domestiqué les ruminants, leur alimentation est constituée tant de fourrages herbacés que ligneux. Les arbres et arbustes constituent toujours une ressource fourragère non négligeable dans les régions tropicales, méditerranéennes, arides ou encore montagneuses. En zone tempérée en général et en Belgique en particulier, le scénario est tout autre puisque l’exploitation de fourrages ligneux a pratiquement disparu des systèmes de production animale. Pourtant, les fourrages ligneux présentent un intérêt pour l’alimentation des animaux et la prévention de certains parasites, qu’un travail de fin d’études de Gembloux Agro-Bio Tech a voulu mettre en évidence. Au cours des dernières décennies, l’intensification de l’agriculture et la rationalisation de la gestion du pâturage a mené à la disparition de la plupart des haies des paysages agricoles de nos régions et ainsi de l’utilisation de fourrages ligneux dans l’alimentation des animaux. En Région Wallonne, les arbres et arbustes réapparaissent dans les parcelles agricoles grâce aux pratiques de gestion de l’espace rural respectueuses de l’environnement. Une série de méthodes agro-environnementales (MAE) ont en effet été développées dans l’Arrêté du Gouvernement wallon du 24 avril 2008. Ces méthodes s’intègrent dans le Plan de Développement Rural 2007-2013 et permettent à l’agriculteur qui entreprend de mettre en place une ou plusieurs de ces méthodes de bénéficier de subventions. Une des MAE consiste en l’implantation de haies et bandes boisées (HBB) sur les parcelles agricoles. Ces HBB sont considérées comme des éléments du réseau écologique et du paysage. Elles présentent divers intérêts agronomiques, écologiques, paysagers et patrimoniaux tels que la diversification des revenus pour l’agriculteur, l’abri que procurent les ligneux aux animaux contre les intempéries et leur rôle primordial dans le maintien de la biodiversité. En outre, ces HBB suscitent un intérêt grandissant des agriculteurs pour le sylvopastoralisme, méthode de gestion durable associant à la fois des arbres et des animaux d’élevage sur parcours. Dès lors, outre les aspects écologiques et environnementaux, quels sont les bénéfices alimentaires et de santé animale que peut tirer un agriculteur lors de la mise en place de HBB en prairie ? Telles sont les questions auxquelles s’est intéressé Gembloux Agro-Bio Tech de l’Université de Liège (ULg) dans le cadre d’un travail de fin d’études conduit par Mme Sophie Vandermeulen. Cette question générale aux multiples facettes a été fragmentée en toute une série de questions particulières que des recherches de terrain et des travaux de laboratoire ont abordées : Quelle est l’influence de l’accès à une haie composée de plusieurs arbres et arbustes sur le comportement de bovins en prairie ? Quelle est la valeur alimentaire de ce type de fourrages ? L’ingestion de fourrages ligneux permet-elle de réduire l’infestation en parasites gastro-intestinaux des bovins ? De février à juillet 2012, une étude de comportement de génisses en prairie s’est déroulée au Centre des Technologies Agronomiques (CTA) de Strée en collaboration avec l’équipe de Christian Marche, directeur du centre. Depuis 2005, le CTA a planté plusieurs kilomètres de haies le long de prairies dans le cadre d’aménagement agro-environnemental. Une prairie jouxtée d’une haie composée d’une dizaine d’espèces ligneuses indigènes ainsi qu’un troupeau de 12 génisses laitières ont été mis à disposition par le CTA. Les animaux ont été observés pendant 4 semaines et leur activité de pâturage, de broutage, de rumination et d’abreuvement ont été répertoriées suivant que les animaux avaient accès à une haie de ligneux ou pas. Il est important de distinguer le pâturage du broutage: le pâturage consiste en l’ingestion d’herbe tandis que le broutage désigne la préhension de fourrages ligneux. Des analyses de détermination de la valeur alimentaire des fourrages ligneux ont été réalisées d’une part au Centre wallon de Recherches Agronomiques en collaboration avec Virginie Decruyenaere et d’autre part au sein de l’Unité de Zootechnie de Gembloux Agro-Bio Tech dirigée par le Professeur André Théwis. Enfin, un examen qualitatif et quantitatif des parasites retrouvés dans les fèces des bovins étudiés suivant qu’ils aient eu accès ou non à une haie pendant la période d’observation a été réalisé en collaboration avec le Laboratoire de Parasitologie et Pathologie des maladies parasitaires du Professeur Bertrand Losson de la faculté de Médecine vétérinaire de l’ULg. L’étude du comportement des bovins a mis en évidence que l’accès à une haie composée d’arbres et arbustes influence le comportement de ces animaux en prairie. Des mesures de disponibles herbacés, exprimés au travers de hauteurs d’herbe, ont démontré que les génisses n’ingèrent des fourrages ligneux (Figure 1) que lorsque cette biomasse herbacée est faible. Les bovins sont des « paisseurs », à savoir que naturellement, leur choix se porte sur l’herbe, tandis que d’autres espèces de ruminants, telles que les chèvres, sont des animaux « brouteurs » c’est-à-dire qu’ils se nourrissent plutôt de fourrages ligneux. Cependant, cette étude a montré que lorsque l’herbe se fait plus rare, les bovins peuvent passer d’un comportement de paisseurs, basé sur l’herbe, à un comportement de brouteurs, même si les quantités de feuillages ligneux ingérées restent limitées. Si on s’attarde sur la valeur alimentaire des fourrages ligneux en comparaison aux fourrages herbacés, on remarque que certains arbres et arbustes présentent une composition chimique et un potentiel de fermentation dans le rumen (Figure 2) intéressants. Par exemple, le sureau noir présente un taux en protéines supérieur à 30% du fourrage lorsqu’il est séché, dépassant les deux fourrages herbacés de référence à savoir le ray-grass et le trèfle blanc (Figure 3). La teneur en protéines d’autres espèces s’approchent de ces herbes. La fermentation d’un fourrage dans le rumen détermine la quantité d’énergie que va fournir cet aliment à l’animal. Dans notre cas, le potentiel de fermentation de plusieurs fourrages ligneux avoisine les valeurs obtenues pour les deux herbes de référence, avec un maximum atteint par le peuplier noir. Teneur en protéines (%) 35 30 25 20 15 10 5 0 Peuplier noir Frêne Ray-grass Trèfle blanc Sureau noir Figure 2 : Teneur en protéines de fourrages herbacés (2) et ligneux (3) L’analyse coprologique a démontré que l’accès au broutage de fourrages ligneux peut permettre une réduction en parasites gastro-intestinaux, et plus précisément, en trichostrongles. Par gramme de matière fécale, 50 œufs de trichostrongles ont été dénombrés pour les génisses ne pouvant pas brouter les arbres et arbustes alors que l’infestation des génisses avec un accès à la haie a été réduite à 0 œuf de ce nématode. Dès la mise à l’herbe au printemps, les bovins s’infestent en ingérant les larves qui évoluent en vers pouvant provoquer lésions des organes et troubles plus ou moins importants selon le degré d’infestation de l’animal. Pour pallier ces dégâts indésirables, les élevages mettent en place un plan de prophylaxie le plus souvent basé sur l’utilisation d’anthelminthiques de synthèse. Récemment, une prise de conscience des éleveurs et des consommateurs remet en question l’emploi de ces substances en productions animales pour limiter les teneurs résiduelles dans la viande et le lait, les rejets dans l’environnement au travers des urines et des fèces et le développement de résistance des espèces infestantes. Dans notre étude, l’accès des bovins à une haie composée d’arbres et arbustes semblent entraîner une réduction de l’infestation en certains parasites gastro-intestinaux. De nombreuses études ont rapporté des observations similaires lors de l’ingestion d’espèces ligneuses par des ruminants, bien que ces espèces soient différentes. La baisse du nombre de parasites infestant les animaux serait due à la présence de tanins, molécules naturellement présentes dans le règne végétal, qui agissent notamment sur l’éclosion des œufs ainsi que le développement des larves de parasites dans les matières fécales. Les effets sur l’infestation parasitaire et sur le comportement au pâturage sont à valider dans des expériences ultérieures de plus longue durée et sur toute la saison de pâturage puisque cette étude s’est limitée au printemps. Cependant, le travail a clairement montré que les haies et bandes boisées peuvent être valorisées par les bovins au-delà de leur plus-value environnementale et esthétique. En raisonnant les espèces implantées, l’agriculteur qui s’engage dans la mise en place de haies le long de ces parcelles peut ainsi diversifier les fourrages qu’il distribue à son troupeau. Certaines espèces ligneuses présentent en effet une qualité fourragère intéressante, proche des fourrages distribués habituellement aux animaux d’élevage. Si ces fourrages peuvent apporter des nutriments essentiels tels que les protéines, l’apport dans l’alimentation des animaux de compléments alimentaires coûteux pour l’éleveur pourrait diminuer. De plus, ces fourrages peuvent amener à une infestation parasitaire moindre et ainsi à une diminution de l’utilisation systématique de substances anthelminthiques de synthèse ce qui peut dès lors réduire les coûts économiques liés à l’achat de ces produits. Aux avantages écologiques et agronomiques pourrait dès lors s’ajouter un avantage économique non négligeable pour l’agriculteur.