« PRODUCTEURS INDIVIDUELS ET COLLECTIFS »
DANS LA SOCIOLOGIE ROUMAINE SOUS LE RÉGIME
COMMUNISTE
Andrei Negru
Institutul de Istorie „George Bariţiu” din Cluj-Napoca
Abstract. This study is the result of a research which falls into the Sociology of
Romanian Sociology. It focuses on the main sociological periodical from the socialist
period, namely the journal called “Viitorul social” (“The Social Future”). The
quantitative analysis of two of its main columns – “studies and articles” and „scientific
life” provides relevant information about the “individual producers” (authors of
studies and articles) and the “collective producers” active in the field of Sociology
(institutions which initiated and supported sociological investigations or organized
scientific events). The contributors of the journal sociologists who were publishing
since the inter-war period; representatives of different social and humanistic
disciplines converted to Sociology; graduates of the newly founded university
Department of Sociology– represent, according to the opinion of the author of this
study, the most significant Romanian “individual producers” in the field of Sociology
within the period of 1965-1989. Most of them came from Bucharest and from other
cultural and scientific centers of the country Cluj, Craiova and Târgu Mureş.
Bucharest is better represented than the other centers also regarding the “collective
producers” of Sociology. Their “inventory” covers some of the higher education
institutions which offered chairs of Sociology or of Social Sciences, the Scientific
Institutes of the Academy of Social and Political Sciences, as well as other institutes
which developed activities in this domain, like the Centre for Research regarding Youth
Problems, which stands out due to the sociological research activity unfolded by its
members as well as to the unceasing activity of organizing scientific events in the field.
Key words: Romanian Sociology in the period of 1965–1989, The “Viitorul Social”
(“Social Future”) Journal, authors of sociological studies, sociological institutions
Un regard en arrière relève le fait que le sort de la sociologie roumaine ne fut
pas aussi heureux qu’on le croirait. Discipline scientifique ayant réussi
d’importants accomplissements pendant la première moitié du XX-e siècle lorsque,
An. Inst. de Ist. „G. Bariţiu” din Cluj-Napoca, Series Humanistica, tom. VII, 2009, p. 23–37
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outre l’Ecole sociologique de Bucarest, reconnue sur le plan international1, des
théoriciens remarquables dont D. Drăghicescu, P. Andrei, E. Sperantia, Tr.
Brăileanu, V. Bărbat, N. Petrescu, avaient été, à côté de D. Gusti, des créateurs de
systèmes sociologiques2, la science roumaine de la société entra pour quelques
décennies dans un cône d’ombre à cause des changements politiques internationaux
et internes survenus après la seconde guerre mondiale. Après l’ « intégration » de
la Roumanie dans le camp socialiste, la sociologie fut considérée comme « science
bourgeose », donc inutile au processus d’édification du nouveau régime et, par
conséquent, brutalement rayée du paysage scientifique et culturel roumain3.
Cependant, la sociologie roumaine continua à survire par des représentants de
marque, membres de l’Ecole sociologique de Bucarest ou sociologues non affiliés,
qui continuèrent leur activité de recherche, dans « l’illégalité », dans différentes
institutions, et stimulèrent l’intérêt pour la sociologie parmi des collaborateurs plus
jeunes4 dont certains contribuèrent pleinement à la relancer pendant les années ’60.
Officiellement réinsérée dans la vie scientifique roumaine lors du IX-e
congrès « historique » du parti communiste roumain de 1965, pour des raisons
plutôt conjoncturelles, la sociologie roumaine réussit à créer, pendant une période
relativement brève, le support institutionnel nécessaire à son développement et à
son affirmation sur le plan interne et international. Le processus
d’institutionnalisation démarra en 1965, avec la création du Centre de recherches
sociologiques de Bucarest, pour continuer par la reprise de l’enseignement
sociologique universitaire (d’abord au sein de l’Université de Bucarest, ensuite
dans celles de Cluj et de Iassy) et par la création d’unités de recherches au sein de
l’Académie des sciences sociales et politiques (les Centres de sciences sociales de
Cluj, Craiova, Iassy, Sibiu, Târgu Mureş et Timişoara), pour finir par la création de
la presse de spécialité, à savoir la revue « Viitorul social », qui eut une parution
ininterrompue jusqu’en décembre 1989.
Le nouveau système sociologique ainsi créé ne fut pas le continuateur de la
sociologie roumaine de l’entre-deux-guerres dont la réalisation institutionnelle la
plus importante avait été l’École sociologique fondée et dirigée par Dimitrie Gusti.
La filiation avec celle-ci ne concerna que la lignée de la « recherche marxiste »
avait activé entre autres Miron Constantinescu, celui qui eut une contribution
importante dans la « reconstruction du système institutionnel de la sociologie
roumaine détruit pendant la période 1947–1965 »5 et dans le rétablissement du lieu
1 Voir: Maria Larionescu, Contribuţii ale sociologiei româneşti la dezvoltarea sociologiei
ştiinţei, « Viitorul social », LXXVI, nr. 6, 1983, p. 536–540; I. Bădescu, Ecouri americane ale Şcolii
sociologice de la Bucureşti, « Viitorul social », LXXVI, nr. 6, 1983, p. 541–546.
2 Maria Larionescu, Sociologia în România: trecut, prezent, perspective. Forum Sociologie
Românească, „Sociologie Românească”, vol. III, nr. 1, Primăvara 2005, p. 17.
3 C. Zamfir, 9 ipoteze pentru o analiză sociologio-epistemologică a sociologiei româneşti în
perioada comunistă, « Sociologie Românească », vol. III, nr. 1, Primăvara 2005, p. 55.
4 Ibidem, p. 56.
5 Sociologi români. Mică enciclopedie, Ştefan Costea (coord.), Bucureşti, Edit. Expert, 2001,
p. 127.
3 « Producteurs individuels et collectifs » dans la sociologie roumaine... 25
et du rôle de la sociologie dans le « système national de la science et dans
l’investigation des réalités sociales»6. La rupture avec l’École sociologique de
Bucarest fut évidente dans la presse de spécialité aussi. Vouée, comme d’ailleurs
tout le mouvement sociologique roumain ranimé après 1965, à contribuer « le plus
possible à l’édification de la société socialiste multilatéralement développée7 », la
revue n’emprunta aucun des noms prestigieux de l’Ecole dirigée par D. Gusti
(« Arhiva pentru Ştiinţă şi Reformă Socială » ou « Sociologie Românească »), mais
celui d’une publication socialiste parue pendant la première moitié du siècle
(« Viitorul social », 1907–1908, 1913–1914, 1916, 1946–1947) qui avait milité
pour l’édification de la société socialiste et communiste en Roumanie8.
Ce système fonctionna comme tel jusq’en 1977, quand, la « peur » de la
direction du parti communiste à l’égard de la sociologie et des sociologues, qui
avait mené en 1948 à leur suppression, refit surface. Ainsi, après seulement une
décennie d’existence durant laquelle furent formées quelques nouvelles générations
de sociologues, l’enseignement universitaire et postuniversitaire y compris la
formation doctorale, fut pratiquement supprimé car il fut cloîtdans l’Académie
« Ştefan Gheorghiu » (institution de formation des propagandistes du parti
communiste), probablement pour une plus rigoureuse surveillance de l’activité des
sociologues roumains. La transformation de la formation sociologique en un
apanage des activistes du parti communiste est prouvée par le fait que l’accès à
l’enseignement sociologique postuniversitaire, y compris la formation doctorale,
était permis seulement aux cadres du parti, restant inaccessible même aux jeunes
universitaires de ladite Académie. Un certain recul se manifesta aussi dans les
institutions de recherche qui furent subordonnées administrativement et
financièrement à des institutions du réseau de l’enseignement supérieur, l’Académie
des sciences sociales et politiques n’étant chargée que de la coordination de leur
activité scientifique. Le même recul connut aussi la presse sociologique.
Dans ce qui suit nous traiterons seulement de la presse de spécialité,
notamment la revue « Viitorul social », qui fut affectée elle aussi au moins quant au
nombre de pages réservé à la sociologie, réduit en faveur des matériaux à contenu
politique et économique. Cette diminution commença en fait dès la fin de sa
deuxième année de parution (n° 4/1973), lorsque « Viitorul social » fut transformé
d’une « revue de sociologie » en une « revue de sociologie et de politologie ».
Malgré ce double profil, le contenu sociologique resta prédominant pendant toute
la parution de la revue dans ses trois composantes principales : études et articles,
chroniques de livres et notes de lecture, et actualité scientifique interne et
internationale. Ainsi, 73,77% des études et articles, respectivement 46,31% des
6 Istoria sociologiei româneşti, Ştefan Costea (coord.), Bucureşti, Edit. Fundaţiei « România
de Mâine», 1998, p. 317.
7 M. Constantinescu, Cuvânt înainte, « Viitorul social », I, nr. 1, 1972, p. 13.
8 Redacţia, 75 de ani de la apariţia revistei « Viitorul social », « Viitorul social », LXXV,
nr. 6, 1982, p. 690.
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chroniques publiées dans la revue eurent un contenu sociologique, alors que la
politologie bénéficia de 10,83% pour les études et articles, respectivement 13,92%
pour les chroniques de livres. Les autres domaines présents dans la revue furent la
démographie (5,87% du total des études et des articles, respectivement 5,49% du
total des chroniques), l’histoire (4,11%, respectivement 6,42%), l’économie
politique (1,93%, respectivement 6,16%) et le droit (1,84%, respectivement
2,81%). Les chroniques de livres présentèrent des ouvrages d’autres domaines
aussi : philosophie (6,96%), psychologie et psychologie sociale (6,29%), éducation
(2,67%), éthnologie (2%) et écologie (1,07%). Ces données nous mènent à la
conclusion que « Viitorul social » fut essentiellement une revue de sociologie à une
large ouverture vers la problématique des autres domaines des sciences humaines.
La revue « Viitorul social » ne fut pas la seule publication roumaine de
sociologie sous le régime communiste, mais elle représenta « l’axe » du système
des périodiques de spécialité qui comptait aussi les séries de sociologie des
« Annales » des universités de Bucarest, Cluj et Iassy, il y avait des
départements de profil, ainsi qu’une revue en langues étrangères. Parue sous
l’égide de l’Académie des sciences sociales et politiques et du Comité national de
sociologie (rejoints ultérieurement comme éditeurs par l’Association roumaine de
sciences politiques et l’Académie « Ştefan Gheorghiu » sous ses différents noms le
long des années), la revue « Viitorul social » représente cependant la plus
importante publication périodique de la sociologie roumaine de cette période. A la
différence des autres publications, qui publiaient les recherches et l’activité des
sociologues des régions activaient les institutions respectives, cette revue
reflétait la vie sociologique roumaine dans son ensemble9. Son étendue nationale
fut assurée aussi par les membres de l’équipe de rédaction10 qui comptait des
personnalités scientifiques de premier rang des centres universitaires importants
pour l’activité sociologique roumaine.
« Viitorul social » eut comme objectifs principaux : a) la présentation la plus
adéquate possible de la réalité sociale roumaine ; b) la stimulation de l’étude des
processus sociaux pour qu’ils puissent être plus facilement dirigés ; c) offrir aux
organes de décision des solutions à des problèmes sociaux et contribuer à
l’élaboration de prévisions dans le domaine ; d) informer le public sur le
mouvement sociolgique roumain et international11. Par conséquent, la revue se
donna un projet thématique très ambitieux qui visait l’approche des problèmes de
théorie sociale et d’histoire des doctrines sociologiques, la promotion de recherches
sur le terrain dans les divers domaines de la réalité sociale, y compris le support
9 Les collaborateurs de la revue firent des investigations sur le terrain dans 65 localités
urbaines et 237 localités rurales. Voir Andrei Negru, Viitorul social. Indice bibliografic adnotat, Cluj-
Napoca, Edit. Argonaut, 2006, p. 419–423.
10 L’équipe de redaction était composée, sans exceptions, de sociologues de Bucarest, Cluj,
Iaşi et Timişoara.
11 M. Constantinescu, art. cit., p. 12.
5 « Producteurs individuels et collectifs » dans la sociologie roumaine... 27
théorique et méthodologique, et la stimulation des études de sociologie
économique, démographie sociale, sociologie de la littérature, des arts, de la
culture, de l’enseignement et de l’éducation12.
L’analyse du contenu de deux des rubriques de base de la revue (« études et
articles » et « vie scientifique interne et internationale ») fournit des informations
relevantes sur les « producteurs individuels » (auteurs d’études et d’articles) et sur
les « producteurs collectifs » de sociologie (institutions ayant initié et soutenu des
recherches sociologiques, présentées dans cette qualité dans les matériaux publiés
dans les pages de la revue, et les institutions sous l’égide desquelles furent
organisées des manifestations scientifiques de sociologie consignées dans la
rubrique « vie scientifique interne »). Il nous faut pourtant préciser que, si pour les
« producteurs individuels » les données que nous allons présenter reflètent exactement
la dimension de cette catégorie, dans le cas des « producteurs collectifs » les
données n’ont qu’un caractère orientatif, car d’une part toutes les institutions ayant
mené des activités de recherche ou ayant organisé des manifestations scientifiques
ne figurent pas dans les pages de la revue, d’autre part, toutes les manifestations
scientifiques déroulées sous leur égide n’y figurent non plus.
1. LES « PRODUCTEURS INDIVIDUELS » DE SOCIOLOGIE
Les auteurs de matériaux à contenu sociologique publiés dans les pages de la
revue « Viitorul social » représentaient des régions qui couvraient tout le territoire
de la Roumanie, la publication étant en général ouverte à tous ceux qui, intéressés
par des problèmes de sociologie, parvenaient à satisfaire aux exigences imposées
par l’équipe de rédaction. Tout comme dans le cas de l’émergence d’une nouvelle
science, lors du retour de la sociologie dans la vie scientifique roumaine, les
publications sociologiques y compris les périodiques furent fréquentées, surtout
pendant les premières années, par des auteurs venant d’autres disciplines
scientifiques, surtout des sciences humaines. Un certain nombre de ces auteurs
représentèrent un réel bénéfice pour la « nouvelle » science, par leur contribution
au développement de la sociologie roumaine de l’époque dans les trois
composantes de son système institutionnel : enseignement, recherche et
publications scientifiques. Parmi eux, il y eut aussi des opportunistes, des auteurs
qui n’avaient pas obtenu jusqu’à ce moment-là des résultats notables dans leurs
domaines d’activité et qui avait brusquement découvert leur « vocation
sociologique». Au fur et à mesure, ceux-ci s’exclurent eux-mêmes du domaine et
de la liste des collaborateurs, les pages de la revue restant ouvertes seulement aux
professionnels, recrutés, eux, des domaines connexes à la sociologie ou parmi les
diplômés de l’enseignement universitaire de spécialité. Les collaborateurs de la
revue sur le terrain de la sociologie sont les « producteurs individuels » de la
12 Ibidem, p. 12.
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