Une course européenne contre la montre
La nature ne fait pas de sauts, mais l’Europe, elle, a tendance a procéder par bonds. Après d’épuisantes
journées où les ministres côtoient la dépression nerveuse, les négociateurs des Six et de la Grande-Bretagne
vont-ils rester fidèles à la tradition et pousser leurs discussions, qui reprennent à Bruxelles mercredi après-
midi, jusqu’à la limite des forces… et du calendrier ?
Les Anglais sont prêts, eux, à mordre allègrement sur le temps des vacances pour arriver à voir clair. Ils
savent que la fin du mois de juillet, ligne d’horizon assignée jusqu’ici pour parvenir à jeter les bases d’une
sorte d’« accord-cadre » avec les Six, est actuellement trop proche pour qu’on puisse aboutir. On parle
maintenant du 3 août, et M. Macmillan, interrogé hier aux Communes, a laissé entendre que les
conversations pourraient se poursuivre au-delà de cette date.
Les raisons de la hâte du premier ministre britannique sont bien connues : il voit avec inquiétude s’amplifier
l’opposition intérieure et voudrait présenter un dossier des négociations suffisamment étoffé avant la
conférence des premiers ministres du Commonwealth, qui s’ouvrira à Londres le 10 septembre.
Les Six ne sont pas insensibles à cette conjoncture et ont accepté de prolonger d’une semaine les
pourparlers. Il est vraisemblable toutefois qu’ils rechigneront à aller au-delà.
Une dizaine de jours suffiront-ils pour savoir si oui ou non le pari de l’entrée de la Grande-Bretagne dans le
Marché commun est gagné ?
Les négociations ont été découpées dès le début, on le sait, en six ou sept tranches représentant les grands
thèmes du débat. Or, d’eux accords seulement, n’épuisant pas au reste totalement deux chapitres de la
discussion, ont été conclus jusqu’ici : l’un porte sur les exportations vers la Grande-Bretagne des produits
manufacturés du Commonwealth développé (Canada, Australie, Nouvelle-Zélande), l’autre sur les revenus
agricoles dans la Communauté élargie au Royaume-Uni.
Pour aboutir à une « vue d’ensemble » positive avant de partir en vacances, les Six et la Grande-Bretagne
devront successivement trouver des compromis sur les points suivants : exportations des produits
manufacturés de l’Inde, de Ceylan et du Pakistan; demande d’abolition de droits de douane formulée par la
Grande-Bretagne sur un certain nombre de produits en provenance du Commonwealth, dont les plus
« sensibles » sont l’aluminium, le plomb et le zinc; association de certains pays africains et antillais de la
zone sterling au Marché commun; situation des exploitants britanniques cultivant les fruits et légumes —
particulièrement vulnérables — et enfin exportation des produits agricoles tempérés en provenance du
Canada, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande.
C’est en fait cette dernière question qui sert d’axe à toute la négociation, et il n’est pas aventuré de penser
que le jour où une solution sera trouvée sur ce point, le reste suivra… Ainsi, la conférence va-t-elle
s’attaquer à nouveau, dès le début, à ce morceau de résistance.
Il n’apparaît pas que les travaux des suppléants aient fait beaucoup avancer le dossier depuis le 29 juin, date
de la dernière rencontre à l’échelon ministériel.
Les Britanniques vont donc, une fois de plus, s’arc-bouter sur leurs propositions de garantir aux pays du
Commonwealth concernés des « débouchés comparables » à ceux qui leur sont offerts aujourd’hui en
Grande-Bretagne, et les Six vont répéter que l’assurance d’absorber tous les ans tel tonnage de blé canadien
ou de beurre néo-zélandais n’est pas conforme aux principes de la politique agricole commune.
Une nouvelle course contre la montre s’engage. L’enjeu est l’un des plus importants qui aient été proposés à
l’Europe depuis la naissance du Marché commun.