Les Troubles Bipolaires de l’Humeur Dijon, 31 mars 2012 Pr Bernard BONIN Les troubles bipolaires de l’humeur de l’adulte • Définitions • Clinique: Intervalles « libres » • Evolution: Complications/Comorbidités • Diagnostic • Thérapeutiques Définitions Classifications Fréquence TROUBLES BIPOLAIRES MALADIE MANIACO-DEPRESSIVE Affection chronique de l’humeur qui se caractérise par des perturbations cycliques de l’humeur: Soit des accès d’excitation et d’agitation: accès maniaques Soit des accès de dépression:accès mélancoliques Le patient retrouve un état habituel entre les accès: intervalles libres // périodes inter-critiques souvent symptomatiques Le pronostic de récidive est inhérent au concept même de maladie périodique La périodicité est de règle: rythmicité avec répétition d’accès séparés par des intervalles libres. Mais les accès sont très variables en: -- nombre: toutes les cadences sont possibles -- intensité -- durée: durée moyenne de 6 à 9 mois -- forme: manie, mélancolie Evolutions bipolaires: deux types d’accès Evolutions unipolaires: un seul type d’accès (rares) Facteurs de fréquence Prévalence sur la vie entière au sein de la population générale: 1% ROUILLON F, 2005 Sexe: touche autant l’homme que la femme Race: toutes les races et toutes les cultures Maladie observée dans toutes les couches de la société avec une fréquence comparable. Troubles bipolaires: 6 ème rang mondial des maladies en terme de handicap MURRAY CJ, 1996 2 ème en 2012 Nombre d’années vécues avec le handicap(DALYs): les troubles bipolaires constituent à eux seuls 1 % des années vécues avec un handicap dans la population mondiale ROUILLON F, 2005 SPECTRE DES TROUBLES BIPOLAIRES JL SENON, D SECHTER, D RICHARD 1995 Trouble BIPOLAIRE I Succession d’épisodes dépressifs majeurs, d’une durée d’au moins 14 jours et d’épisodes maniaques, d’une durée d’au moins 1 semaine et dont l’intensité nécessite une hospitalisation Trouble BIPOLAIRE II Succession d’épisodes dépressifs majeurs et d’épisodes d’hypomanie, d’une durée d’au moins 4 jours, n’ayant pas l’intensité de la manie et ne nécessitant pas d’hospitalisation Trouble BIPOLAIRE III Association d’épisodes dépressifs majeurs et -soit d’une hypomanie induite par un traitement biologique -soit d’un tempérament hyperthymique -soit d’antécédents familiaux de troubles bipolaires Clinique Début des troubles Adulte jeune Episode dépressif F 75% KAPLAN HI, 1997 H 67% Premiers troubles à l’ ENFANCE Etude de POST, 2008 USA: 61% des patients : début des troubles dans l’enfance Etude d’HENIN A, 2007 Troubles: -22% troubles déficitaires de l’attention -14,8% troubles oppositionnels avec provocation -9,9% troubles des conduites Etude de Da FONSECA D, 2010 Fréquence des troubles anxieux : -7,4% anxiété de séparation -45,3% anxiété généralisée Clinique Symptômes psychiques Mélancolie Tristesse Douleur morale Idées délirantes Symptômes Ralentissement psychomoteurs Inhibition Symptômes Insomnie matin somatiques Anorexie Manie Euphorie Idées délirantes Excitation Agitation Insomnie totale Boulimie Etat Mixte: Association des symptômes d’un épisode dépressif majeur et de ceux d’une manie ou d’une hypomanie ; l’absence d’inhibition psychomotrice majore le risque suicidaire Intervalles libres Intervalles « libres » (?) La maladie maniaco-dépressive est réputée évoluer vers des guérisons symptomatiques et des retours à l’adaptation sociale antérieure Jusqu’à 70 % des patients présentent des manifestations subsyndromiques inter-critiques R. MORRIS, J Aff Disord, 2002 Manifestations liées à la chronicisation à la résistance au traitement aux effets indésirables des psychotropes aux retentissements des accès sur les conduites sociales aux retentissements des accès sur la personnalité Périodes inter-critiques -persistance de symptômes résiduels -autres symptômes inter-critiques -troubles du fonctionnement psychosocial 1) Symptômes résiduels Persistance d’une symptomatologie discrète et de difficultés d’adaptation chez 1/3 des patients bipolaires J.P. OLIE, H. LOO, M.F. POIRIER….,EMC, 1990 TROUBLE BIPOLAIRE I DSMIVTR La majorité des sujets : réduction symptomatique significative entre les épisodes 20 à 30 % : labilité de l’humeur et autres symptômes résiduels TROUBLE BIPOLAIRE II DSMIVTR La majorité des sujets : niveau de fonctionnement complètement normal entre les épisodes. 15 % des sujets : labilité de l’humeur Symptômes thymiques 146 patients souffrant Trouble Bipolaire I Suivis 12,8 ans d’un NIMH Troubles thymiques présents 47,3 % du temps D = 31,9 % M,h = 8,9 % Mix = 5,9 % Symptômes sub-syndromiques hypomaniaques,dépressifs mineurs(29,9%T) Symptômes dépressifs et maniaques caractérisés (11,2 % T) Evolution chronique TB I LL JUDD, Arch Gen Psychiatry, 2002 86 patients souffrant d’un Trouble Bipolaire II Suivis 13,4 ans Patients symptomatiques 53,9% du temps D = 50,3 % h = 1,3 % Mix = 2,3 % Les symptômes subsyndromiques,dépressifs,hypo maniaques, mineurs sont trois fois plus fréquents que les symptômes dépressifs caractérisés Evolution chronique TBII LL JUDD, Arch Gen Psychiatry, 2003 Le caractère toujours actif de la maladie est évoqué compte tenu que ces symptômes résiduels sont un facteur de risque de récidive L.L. JUDD, Arch Gen Psychiatry, 2008 2) Autres symptômes intercritiques Altérations cognitives: Capacités d’attention Mémoire Fonctions exécutives A. MARTINEZ-ARAN, Bipolar Disord, 2007 S. BRISSOS, Can J Psychiatry, 2008 F. BELLIVIER, Congrès Encéphale, 2009 Hyperréactivité émotionnelle: réponses émotionnelles plus intenses et pour des stimuli plus faibles M LEBOYER, 2010 (Activation excessive des régions corticales préfrontales et sous corticales: amygdale, putamen chez les patients euthymiques et leurs parents de premier degré non atteints). 3) Troubles du fonctionnement psychosocial TROUBLE BIPOLAIRE I DSMIVTR 60 % : difficultés chroniques interpersonnelles ou professionnelles entre les épisodes aigus. TROUBLE BIPOLAIRE II DSMIVTR 15 % des sujets : difficultés relationnelles ou professionnelles Handicap social Incapacité de travail 158 patients souffrant de TB I 30% du temps 133 patients souffrant de TB II 21% 358 patients de troubles dépressifs récurrents 20% L.L. JUDD, J Affective Disord, 2008 Retentissement socio-professionnel: - handicap social moyen ou sévère chez 63% des patients - 41 à 43% des patients travaillent/ difficultés d’insertion ROUILLON F , 2005 Altération du fonctionnement psychosocial (Longitudinal Interval Follow-up Evaluation) = 54 à 59 % du temps C.C. de ALMEIDA ROCCA, Aust N Z J Psychiatry, 2008 Altération de la qualité de vie L. GUTIERREZ ROJAS, Bipolar Disord, 2008 Retentissement familial: lorsqu’un des conjoints souffre d’un trouble bipolaire, il y a divorce pour 4 couples sur 5 (1/3 PG) ROUILLON F, 2005 Evolution Complications Etude de Zurich : devenir de 219 patients souffrant de troubles bipolaires. D'après Angst et al. (2000) 30 27 % 25,5 % 25 20 16 % 15,9 % 15 10 7,8 % 7,8 % 5 0 Guérison score GAS > 60 > 5 ans depuis dernier épisode Rémission score GAS > 60 < 5 ans depuis dernier épisode Rémission incomplète score GAS < 60 > 5 ans depuis dernier épisode Rémission incomplète récurrences Chronicité dernier épisode sans rémission durée minimum 2 ans Suicide P. Delamillieure – L'Encéphale, 2006 ; 32. Troubles bipolaires 40% des patients: plus de 10 épisodes W CORYELL, 1989 Récurrences dépressives, maniaques qui se poursuivent après 60 ans (13 - 59,5%) F GALLAND, 2005 Mortalité par suicide Méta-analyse de GOODWIN F, 1990 19 % des patients souffrant de troubles bipolaires meurent par suicide 50 %: au moins une tentative de suicide Mortalité Etude d’ OSBY U 2001 (Suède) Population de 50000 patients décédés entre 1973 et 1995 Trouble bipolaire: 15 fois plus de risque de mourir par suicide pour les hommes, 22 pour les femmes Un décès par suicide dans le monde toutes les 40 secondes Le Glas Louis GALLIAC Musée de Dijon MORTALITE / MORBIDITE Trouble bipolaire: mortalité (suicides exclus) 2 fois supérieure à la population générale. Etude d’ OSBY U 2001 (Suède) Population de 50000 patients décédés entre 1973 et 1995 Sujets dont les troubles bipolaires débutent entre 25 et 30 ans perdent: -9 années d’espérance de vie -12 années d’existence en bonne santé -14 années d’activité professionnelle MURRAY, 1994 Comorbidités psychiatriques Fréquence des troubles psychiatriques associés Pathologies anxieuses Trouble panique Prévalence: 20,8% (0,8%-1,6%PG) YW CHEN, 1995 Trouble obsessionnel compulsif Prévalence: 8 à 35 % (1-2%PG) Mac ELROY, 2001 TROUBLES ADDICTIFS BIPOLARITE/PG (année) National Epidemiologic Survey on Alcool and Related Conditions ADDICTION TROUBLE POP GEN 9,35% Tr BIPOLAIRE 27,9% OR 2,98 *Abus 5,28% 7,6% 1,44 *Dépendance 4,07% 20,3% 4,99 Tr ALCOOL 8,46% 23,8% 2,81 *Abus 4,65% 6,3% 1, 35 *Dependance 3,81% 17,5% 4,59 Tr DROGUES 2,00% 12,1% 6,05 *Abus 1,37% 5,3% 3,87 *Dépendance 0,63% 6,8% 10,79 DS HASIN, 2007 Alcool / Bipolarité PB/PG Abus et dépendance 49% des hommes: 2,84 fois plus fréquent 29% des femmes: 7,75 fois plus fréquent MA FRYE, 2003 Comorbidités somatiques Pathologies cardiovasculaires Facteurs de risques cardiovasculaires Hypertension / Dyslipidémie / Diabète / Coronaropathie Obésité Comportement: tabagisme, alimentation, sédentarité Traitements: effets indésirables Syndrome métabolique X 1,6 PB/PG Facteurs intrinsèques: -prédisposition génétique -facteurs endocriniens: cortisolémie et insulinémie augmentées, inefficacité de la leptine -facteurs vasculaires -facteurs inflammatoires: augmentation des cytokines proinflammatoires GOLDSTEIN, 2009 Obésité Bipolaires Pop Générale Surpoids 44% 25% Obésité 20% 13% Obésité abdominale 29% 17% Mac ELROY, 2003 Diabète type II Patients souffrant de troubles bipolaires: 9,9% Population générale: 3,4% CASSIDY F, 1999 Migraines Population générale: 5% Troubles bipolaires: 25,9% Difficultés de diagnostic COMPLEXITE du DIAGNOSTIC Méconnaissance: -nosographie:pathologie masquée par d’autres diagnostics: dépression, psychose…. -sémiologie: diversité des modes d’expression, formes paucisymptomatiques, comorbidités -variations sémiologiques selon l’âge RETARD du DIAGNOSTIC Pour l’identification du trouble: -en moyenne 8 ans d’évolution entre la première consultation et le diagnostic de la maladie (LISH JD, 1994) -en moyenne 10 ans d’évolution entre l’apparition des premiers symptômes et la mise en route d’un traitement thymorégulateur (GOLDBERG JF, 2002) -consultations auprès de 4 à 5 psychiatres Conséquences délétères d’un diagnostic erroné ou retardé: -retard de la mise en place du traitement -augmentation du risque suicidaire -diminution de l’adaptation sociale -augmentation du nombre des hospitalisations -problèmes médico-légaux Indice de bipolarité Adulte Clinique Episodes antérieurs d’hypomanie (à rechercher lors d’un premier épisode dépressif caractérisé) Antécédents familiaux (trouble bipolaire, suicides) EDM survenant avant 25 ans, âge de début précoce Récurrence Tempérament hyperthymique ou cyclothymique Niveau particulier de réactivité émotionnelle (inter-critique) ROSENTHAL NE, 1996 Réponse spectaculaire ou mauvaise réponse au traitement antidépresseur Inversion de l’humeur Symptômes atypiques de l’EDM: hyperphagie, hypersomnie, éléments psychotiques, éléments mixtes, dépressions agitées ou anergiques, irritabilité, attaques de colère GHAEMI NS, 2002 AKISKAL HS, 1995,GOODWIN, 2004, C HENRY, 2009 Thérapeutiques RFE Recommandations Formalisées d’Experts 2010 THYMOREGULATEURS Etat maniaque* / Etat mixte** Sels de lithium* Valproate ** Antipsychotiques: rispéridone, olanzapine, aripiprazole, quétiapine Etat dépressif Thymorégulateur en première intention S’abstenir d’une monothérapie antidépressive Traitement prophylactique Sels de lithium Anticomitiaux: carbamazépine, valpromide, valproate, lamotrigine Antipsychotiques de seconde génération: olanzapine, rispéridone, quétiapine, aripiprazole…. Recommandations Prescription -thymorégulateur le plus précocement possible -posologie minimale efficace -monothérapie -contraception Surveillance clinique -poids, tour de taille, tension artérielle, fréquence cardiaque, ECG (QT) -évolution, fonctions cognitives, vigilance, tolérance neurologique Surveillance biologique: -taux plasmatique -ionogramme, glycémie, créatinine -bilan lipidique… Conclusion RFE HAS Recommandations Formalisées d’Experts 2010 Troubles bipolaires Diagnostic pas toujours facile D’un trouble aigu épisodique vers une pathologie chronique progressive Nécessité d’un traitement thymorégulateur à instituer le plus précocement possible Surveillance de l’évolution psychiatrique, somatique Education thérapeutique. Fou de Dieu, Bible du XIIIe siècle Hector BERLIOZ / Honoré de BALZAC Virginia WOOLF / Winston CHURCHILL ALEXANDRE le GRAND / Edgar POE Napoléon BONAPARTE / Ernest HEMINGWAY / Léon TOLSTOI Abraham LINCOLN / Robert SCHUMANN Théodore ROOSEVELT Johann GOETHE /Marie-François MAINE de BIRAN / Ludwig BEETHOVEN Gérard de NERVAL / Charles BAUDELAIRE Stéphane MALLARME Friedrich NIETZSCHE / Lord BYRON…… De CHIRICO 1912 La calomnie d’Apelle 1495 Trouble cyclothymique Existence pendant au moins deux ans de nombreuses périodes pendant lesquelles des symptômes hypomaniaques ou dépressifs sont présents (sans que le diagnostic de manie ou de dépression puisse être porté) Pas de période sans symptômes >2 mois Pas d’épisode thymique majeur au cours des deux premières années du trouble Pas de trouble psychotique… Pas d’effets d’une substance Souffrance significative… Trouble dysthymique Humeur dépressive présente pratiquement toute la journée, plus d’un jour sur deux, pendant au moins deux ans Au moins deux des symptômes suivants: perte d’appétit ou hyperphagie, insomnie ou hypersomnie, baisse d’énergie ou fatigue, faible estime de soi, difficultés de concentration ou à prendre des décisions, sentiments de perte d’espoir Pas de période sans symptômes > 2 mois Au cours des deux premières années, pas d’état dépressif majeur Pas d’épisode maniaque Pas de trouble psychotique chronique, d’affection médicale, de prises de substances De quels troubles souffrent les enfants de parents présentant un trouble bipolaire? DA FONSECA, 2010 Etudes DELBELLO MP, 2001, HENIN A 2005 Troubles présentés par les enfants: -25 à 30% troubles de l’attention -10% troubles du comportement -32% troubles de l’humeur Etudes de HIRSHFELD-BECKER DR, 2006 Troubles des enfants: -troubles déficitaires de l’attention -anxiété de séparation -trouble anxieux généralisé Etude de DUFFY A, 2010 -Etude longitudinale 207 enfants « à risque », 87 sujets contrôles -23% troubles anxieux à 9 ans et 31% troubles du sommeil à 10 ans -31% troubles dépressifs mineurs à 14 ans et un EDM à 17 ans (états maniaques 19 ans) (aucune manie avant 14 ans) ETATS MIXTES Association des symptômes d’un épisode dépressif majeur et de ceux d’une manie ou d’une hypomanie ; l’absence d’inhibition psychomotrice majore le risque suicidaire ; le traitement est difficile CYCLES RAPIDES Succession d’au moins 4 cycles de variation de l’humeur par an, chaque cycle ayant une durée d’au moins 18 jours TROUBLE CYCLOTHYMIQUE Variations de l’humeur d’une durée de moins de 18 jours, pendant une période d’au moins 2 ans Tempéraments CYCLOTHYMIQUE HYPERTHYMIQUE ou IRRITABLE Oscillations thymiques Irritabilité Traitement préventif. Quand ? Le plus précocement possible Nombre d’épisodes antérieurs: -risque de récurrence élevé -qualité de vie et réponse thérapeutique moins bonnes -hospitalisations plus longues -après chaque nouvel épisode: raccourcissement de la durée de l’pisode intercritique suivant LV KESSING, 2004