Ricardo Luiz Cordioli, Valentina Garelli, Aissam Lyazidi, Laurent Suppan, Dominique Savary, Laurent Brochard, Jean-Christophe M. Richard Réanimation cardio-pulmonaire : Risques et importance de la ventilation Rev Med Suisse 2013;9:2318-2323 Résumé Les mécanismes physiologiques qui régissent les interactions cardiorespiratoires pendant la réanimation cardio-pulmonaire (RCP) permettent de comprendre les risques et bénéfices de la ventilation. La ventilation est indispensable aux échanges gazeux surtout en cas de RCP prolongée. La ventilation, pratiquée avec un ballon ou un ventilateur, présente des risques quand elle interrompt les compressions thoraciques ou qu’elle est excessive. Une ventilation trop importante peut gêner les effets hémodynamiques du massage thoracique. Pour ces raisons, les recommandations internationales insistent particulièrement sur la bonne pratique du massage cardiaque. La technique d’insufflation continue d’oxygène qui crée une pression légèrement positive permet un massage continu et prévient le risque de lésions pulmonaires liées à une RCP prolongée. Brève histoire de la ventilation pendant la réanimation cardio-pulmonaire Les efforts visant à réanimer les victimes de l’arrêt cardio-pulmonaire remontent à l’histoire ancienne. La ventilation y prend une place importante dès les premières descriptions. Dans la mythologie égyptienne, on trouve l’histoire d’Isis, déesse de la guérison qui, à travers une respiration par «bouche-à-bouche», sauva son mari Osiris.1 Une description similaire du bouche-à-bouche est présente dans la Bible lorsque le prophète Elisée ressuscite un enfant qui semblait mort.2 Les sages-femmes hébraïques, 1300 ans avant Jésus-Christ, utilisèrent la méthode d’insufflation d’air pour la réanimation des nouveau-nés.3 Galien, environ 150 ans après Jésus-Christ, testa une méthode de ventilation artificielle plus sophistiquée sur des animaux.4 Lors de l’assassinat du président américain Abraham Lincoln, le Dr Charles Augustus Leale, un jeune médecin de l’Armée, a été la première personne à assister le président. Son premier acte fut de reconnaître l’absence de pouls. En assurant l’ouverture des voies aériennes, avec l’aide de deux médecins, ils ont tenté de fournir une ventilation artificielle simultanément au massage cardiaque assuré par la compression de la poitrine.5 L’ère moderne de la réanimation cardio-pulmonaire (RCP) remonte aux années 60. La description de la technique du massage cardiaque avec la séquence ABC (A : airway patency, B : breathing, C : circulation) a alors été recommandée pour la RCP.6,7 Depuis, beaucoup de débats ont eu lieu sur l’importance de la ventilation assistée pendant la RCP. En effet, si la ventilation est indispensable, au moins après la phase initiale de l’arrêt cardiaque, on sait aussi qu’elle peut être délétère si elle interrompt le massage cardiaque ou si elle est excessive.8,9 De nouvelles perspectives technologiques dans le domaine de la ventilation et de l’arrêt cardiaque relancent la discussion qui doit mettre en balance l’importance de la ventilation et ses risques potentiels. Mécanismes physiopathologiques impliqués dans la réanimation cardio-pulmonaire Débit cardiaque Le massage cardiaque se caractérise par la succession de phases de compression et de décompression. La compression active de la cage thoracique génère une pression positive qui participe à éjecter le sang du cœur et du système vasculaire thoracique. La décompression passive crée une pression négative qui favorise le retour veineux et préserve la précharge cardiaque. Deux théories peuvent expliquer comment le débit cardiaque est généré lors de la RCP (figure 1). La «théorie de la pompe cardiaque», qui voit la compression directe du cœur pendant le massage cardiaque comme la principale explication et la «théorie de la pompe thoracique», qui considère que c’est l’augmentation de la pression intrathoracique (et pas seulement la compression du cœur) qui explique l’éjection du sang lors de la RCP.6,10 Les deux théories se complètent et cohabitent. Le débit cardiaque qui en résulte dépend de facteurs comme la force, la fréquence et la durée d’interruption des compressions thoraciques.11,12 Agrandir la figure 1 La théorie de la pompe thoracique explique le flux sanguin et la ventilation au cours du massage thoracique* * Valve antireflux à l’entrée du thorax. Ventilation et réanimation cardio-pulmonaire L’objectif de la ventilation pendant la RCP est essentiellement de maintenir une oxygénation adéquate et une élimination suffisante de dioxyde de carbone. Les patients, qui reprennent une circulation spontanée après un arrêt cardiaque, peuvent présenter d’importantes anomalies des gaz du sang artériel.13,14 Une hypoxie et/ou une hypercapnie devrait être évitée ou corrigée car elle peut réduire la probabilité de survie du patient et causer de graves séquelles.13,15,16 La ventilation pendant la RCP est donc indispensable mais elle se fait trop souvent au détriment du massage cardiaque car elle peut compromettre son efficacité en l’interrompant. C’est le cas avec toutes les recommandations qui alternent de façon séquentielle compressions thoraciques et insufflation manuelle. La ventilation peut également être délétère si la fréquence de ventilation est trop élevée, et/ou les volumes délivrés sont trop importants, provoquant une hyperventilation délétère sur la fonction circulatoire.17 Le «phénomène de Lazare» a été décrit comme un retour retardé et paradoxal de la circulation spontanée (return of spontaneous circulation : ROSC) non pas pendant mais après l’arrêt de la RCP : l’explication en est une hyperventilation qui empêche la reprise d’une activité cardiaque efficace. Ce phénomène traduit l’apparition d’une autoPEP (pression expiratoire positive) secondaire à une hyperinflation thoracique qui compromet le retour veineux.18 Pour en limiter les effets délétères et pour ne pas interrompre le massage cardiaque, la ventilation peut être administrée simultanément aux compressions thoraciques. Le volume et la fréquence de ventilation doivent donc être bien maîtrisés pour ne pas être délétères. Enfin, il faut comprendre qu’une partie de la force appliquée sur le thorax et destinée au système cardio-vasculaire se dissipe à travers la compression des poumons (système ouvert). L’écrasement de la cage thoracique, qui en résulte lors des compressions répétées, conduit à réduire les volumes pulmonaires en dessous de la capacité résiduelle fonctionnelle. Ce point est important car il pourrait expliquer en partie les lésions pulmonaires rapportées au cours du massage cardiaque.19,20 Recommandations Au cours de ces 30 dernières années, on a assisté à des changements de recommandations concernant la RCP. Le rôle du massage cardiaque est devenu de plus en plus déterminant accordant, du coup assez logiquement, une importance moindre à la ventilation. Le Conseil européen, dans sa dernière révision de 2010, recommande les modalités de ventilation suivantes.21,22 Après avoir pris soin de vérifier la liberté des voies aériennes et au besoin tenter de désobstruer celles-ci, les professionnels sur place ont plusieurs alternatives pour réaliser la partie ventilatoire de la RCP. Modalités de ventilation concernant le sujet non intubé Ventilation bouche-à-bouche Elle se pratique en alternance avec les compressions thoraciques en délivrant une respiration régulière, pas trop violente qui dure une seconde suivie par une seconde de pause. Récemment, cette technique a été remise en question par les résultats d’une étude qui ne lui retrouvait pas d’utilité.23 Les experts s’accordent pour dire que le bouche-à-bouche ne doit se pratiquer que si une autre personne est présente pour assurer le massage cardiaque et que si ce témoin a été préalablement formé aux gestes élémentaires de survie. Le bouche-àbouche ne doit en aucun cas compromettre l’efficacité du massage cardiaque. Ventilation au ballon autoremplisseur Cette technique se pratique avec ou sans oxygène. Elle nécessite deux secouristes, dont l’un assure le massage cardiaque et l’autre vérifie la bonne position de la tête et l’adhésion du masque. Le risque majeur de cette modalité de ventilation est de délivrer une pression positive et des volumes trop importants pouvant causer un phénomène d’hyperventilation et une insufflation gastrique.24-26 Masque laryngé/masque œsophago-trachéal/tube laryngé de King Il s’agit de dispositifs qui permettent de faciliter l’intubation, au mieux sans interrompre le massage cardiaque.27,28 Les études qui comparent l’utilisation de ces dispositifs supraglottiques à l’intubation orotrachéale sont en faveur de cette dernière technique de ventilation. Les dispositifs supraglottiques doivent être considérés comme une méthode alternative en cas d’intubation trachéale difficile.21,29 Modalités de ventilation concernant le sujet intubé Ventilation au ballon autoremplisseur avec ou sans oxygène L’insufflation doit durer une seconde et elle doit garantir une expansion de la cage thoracique visible. La fréquence d’insufflation joue un rôle important sur l’hémodynamique (la pression intrathoracique et la perfusion coronaire). Une augmentation progressive de la fréquence d’insufflation peut être délétère.30 Pour cette raison, il est recommandé que la fréquence ne dépasse pas dix insufflations/minute avec une fréquence de compressions thoraciques de 100 à 120/minute sans faire de pause. Les volumes délivrés doivent être modérés.21 Il est indispensable de se contraindre pour éviter des volumes délivrés trop importants. Ventilation mécanique avec ventilateurs de transport Bien qu’il n’existe pas de mode de ventilation mécanique spécifiquement recommandé pour la RCP, seul le mode en pression positive intermittente est cité par l’ERC en 2010. Quel que soit le mode, il est important de régler les paramètres du ventilateur de façon à ce que le volume courant soit autour de 6-7 ml/kg au maximum, et que la fréquence respiratoire ne dépasse pas 10 cycles/minute, pour éviter la surventilation et son impact hémodynamique négatif.21,30 La concentration optimale d’oxygène pendant la RCP de l’adulte dépend de la situation clinique, mais il faut éviter, quand c’est possible, les concentrations trop élevées car l’hyperoxygénation est potentiellement toxique pour l’organisme et la fonction cérébrale.3133 La ventilation assistée est-elle nécessaire ? Nous avons vu que la ventilation telle qu’utilisée habituellement (insufflations manuelles ou ventilateur de transport) pendant la RCP présente des risques possiblement supérieurs à son bénéfice dès lors qu’elle compromet le massage cardiaque23 ou qu’elle est excessive. A côté de ces modalités conventionnelles, une partie des besoins ventilatoires peut être assurée par l’effet des compressions thoraciques seules, voire même et/ou par les phénomènes de gasping.34-39 La ventilation qui résulte du massage thoracique pourrait être suffisante, au moins initialement bien que les volumes courants générés ainsi soient souvent faibles. Des études sur des modèles animaux et chez l’homme ont montré que cette ventilation pouvait permettre un maintien efficace des gaz du sang. L’énorme intérêt d’une telle approche réside dans le fait qu’elle est complètement synchronisée au massage cardiaque, qu’elle n’interrompt pas la compression thoracique et qu’elle prévient le risque de surventilation. Toutefois, des études ont montré que cette ventilation minute produite uniquement par les compressions thoraciques tend à diminuer après 4-10 minutes de RCP, risquant de provoquer une insuffisance respiratoire et métabolique.34 Ceci pourrait être en rapport avec la dégradation de la mécanique ventilatoire observée lors de la RCP prolongée. Malgré des résultats encourageants de cette approche qui peut être optimisée par différents systèmes, la ventilation assistée traditionnelle reste recommandée.9,22 Pour les témoins d’un arrêt cardiaque non entraînés aux gestes de premiers secours, les centres d’appels d’urgence (112) encouragent uniquement la réalisation d’un massage cardiaque externe chez l’adulte. En effet, la pratique du bouche-à-bouche décourage régulièrement les témoins.40 Le massage cardiaque seul est préférable à l’absence de réanimation et cette approche pragmatique est plus facile à expliquer aux témoins par téléphone.41 Pour les enfants d’âge inférieur à huit ans, l’origine ventilatoire de l’arrêt cardiaque étant la plus probable, il conviendra toujours de privilégier l’association de manœuvres circulatoire et ventilatoire.42 Aussi, la nécessité d’une ventilation assistée est essentielle dès le début dans certains cas comme l’asphyxie ou la noyade. Alternatives et prospectives Ces dernières années, plusieurs études ont testé des alternatives à la ventilation conventionnelle pendant la RCP. L’utilisation d’une PEP pendant le massage cardiaque semble améliorer l’oxygénation et réduire le collapsus alvéolaire, sans générer de problèmes hémodynamiques.43,44 Malgré ces résultats positifs, l’application d’une PEP n’est pas recommandée en raison de crainte de conséquences physiologiques négatives, en particulier sur le retour veineux. Dans une étude sur un modèle animal, Brochard et coll. ont comparé l’utilisation d’un nouveau système de débit continu d’oxygène de 15 l/min (Boussignac CPR tube, Vygon, Ecouen, France), directement mis en trachée avec une sonde et générant un faible niveau de PEP, à la ventilation mécanique conventionnelle. Ils ont montré que l’utilisation de ce nouveau système permettait une amélioration de la circulation pendant la RCP (pression aortique systolique, débit carotide systolique).45 Quatre ans après, chez 95 patients, les mêmes auteurs ont comparé les effets de l’insufflation continue à débit d’oxygène utilisant une sonde de Boussignac à une ventilation à pression positive intermittente. Cette sonde est caractérisée par des canaux qui courent le long de l’axe longitudinal et qui débouchent dans la lumière au niveau de son extrémité distale. Le débit d’O2 insufflé se transforme en une pression positive permanente (jusqu’à 10 cmH2O en fonction du débit de gaz) dans les voies aériennes. Cette étude avait montré une amélioration significative de pH, de PaO2, une meilleure élimination du CO2, moins de traumatismes thoraciques en rapport avec le massage, mais pas de bénéfice sur la survie par rapport à la stratégie conventionnelle.46 Ces résultats ont été confirmés par une autre étude.47 Nous avons récemment montré sur un modèle de poumon test, spécifiquement conçu pour étudier la ventilation lors du massage cardiaque, que la ventilation était principalement liée aux compressions thoraciques même lorsqu’elles sont interposées aux insufflations manuelles ou au ventilateur. Nous avons aussi montré que, dans ce contexte, l’application d’un système à débit continu (type Boussignac) améliorait la ventilation, protégeait l’écrasement pulmonaire sans pour autant compromettre la pression négative (pendant la décompression) absolument nécessaire pour le retour veineux.48,49 Ces observations sur banc d’essais viennent confirmer les résultats d’une étude animale dans laquelle les auteurs ont comparé la survie de porcs en arrêt cardiocirculatoire (fibrillation ventriculaire induite) réanimés avec un système de RCP automatisé (LUCAS Jolife AB, Lund, Sweden). Dans un bras de l’étude, les animaux étaient ventilés avec un mode de ventilation conventionnel alors que dans l’autre, la ventilation était assurée par le massage thoracique seul en présence d’une sonde d’insufflation à débit continu d’oxygène (Boussignac CPR tube, Vygon, Ecouen, France). La ventilation, les paramètres d’oxygénation ainsi que la perfusion coronaire étaient significativement supérieurs avec l’insufflation à débit continu. Après défibrillation, seulement la moitié des animaux du groupe ventilation conventionnelle retrouvait une circulation spontanée contre 100% chez ceux qui recevaient l’insufflation continue.50 Conclusion La place de la ventilation dans la RCP a toujours existé mais elle reste plus que jamais débattue car on en connaît mieux les risques. Pourtant, cette dernière est nécessaire dès que la RCP se prolonge ou même à partir du début dans certaines situations. Ne pas interrompre le massage cardiaque est un élément déterminant du succès de la RCP. Dans ce contexte, la ventilation, telle que délivrée traditionnellement à l’aide d’un ballon manuel ou via un ventilateur, doit faire l’objet d’une attention particulière pour éviter qu’elle ne compromette l’efficacité du massage. La clef est de comprendre qu’elle doit être la plus modérée possible car les compressions thoraciques par elles-mêmes participent à la ventilation. La technique d’insufflation continue d’oxygène, qui génère un niveau modéré de pression positive, est une alternative intéressante car elle permet de combiner un massage continu tout en prévenant le risque d’une ventilation trop agressive. Conflits d’intérêt L’activité de recherche du laboratoire a bénéficié du soutien de différents industriels impliqués dans la ventilation : Vygon France, Covidien, Maquet et General Electric. Implications pratiques > La ventilation a toujours été reconnue comme importante dans l’histoire de la réanimation cardio-pulmonaire (RCP) > Une compréhension de l’interaction physiologique entre la ventilation et le massage cardiaque est essentielle pour comprendre les bénéfices et risques de la RCP > La ventilation délivrée via un ballon ou un ventilateur est potentiellement délétère dès lors qu’elle interrompt le massage cardiaque ou qu’elle est trop importante (surventilation) > Le «phénomène de Lazare» doit être connu de tous les personnels impliqués dans la RCP. Ce phénomène fait référence à une reprise paradoxale de l’activité contractile du cœur après interruption de la ventilation. Il illustre le risque important de l’hyperventilation > Les récentes recommandations ont maintenu une place pour la ventilation traditionnelle en insistant sur le fait qu’elle doit être le moins agressive possible > L’insufflation continue en débit d’oxygène peut être une alternative intéressante à la ventilation traditionnelle (manuelle au ballon ou avec un ventilateur) car elle évite toute interruption du massage cardiaque > Chez l’enfant, la physiopathologie de l’arrêt cardiocirculatoire est différente et les causes respiratoires plus fréquentes. L’importance de la ventilation reste au premier plan Bibliographie Start of bibliography ↑ Varon J, Sternbach GL. Cardiopulmonary resuscitation : Lessons from the past. J Emerg Med 1991;9:503-7. [Medline] ↑ Paraskos JA. Biblical accounts of resuscitation. J Hist Med Allied Sci 1992;47:310-21. ↑ Thangam S, Weil MH, Rackow EC. Cardiopulmonary resuscitation : A historical review. Acute Care 1986;12:63-94. [Medline] ↑ Baker AB. 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