Le cercle de Vienne et la politique
J’ai choisi d’examiner un thème qui paraîtra très marginal, sinon même totalement
absent du volume qui nous occupe aujourd’hui – Le Manifeste du Cercle de Vienne - à savoir
le thème de la politique. De prime abord, on a peine à trouver quelques traces de ce sujet dans
les centaines de pages que composent le volume. J’espère pouvoir vous montrer, a contrario
d’une thèse qui s’est imposée jusqu’à une période toute récente, disons, le milieu des années
1990 et même le début des années 2000, que la politique reste un élément de préoccupation
central dans le Cercle de Vienne, et qu’elle n’est pas du tout absente de l’ouvrage qui nous
occupe, et en particulier du fameux manifeste de 1929, au titre très neurathien, comme le note
Antonia Soulez, « Le conception scientifique du monde : Le Cercle de Vienne ». Mais pour
cela, il faudra quelques détours, comme on va le voir dans la suite.
Quelle est d’abord la thèse dominante, que les recherches récentes des années 1990 et
2000 ont remise en cause : c’est celle, pour le dire vite, d’un apolitisme du Cercle de Vienne,
voire d’une certaine forme de conformisme politique qui, dans la période considérée, à savoir
les années 1930, pouvait être jugé à bien des égards aveugle et même irresponsable. Elle
s’énonce sans aucun doute avec le plus de vigueur dans un article bien connu, qui marque
l’impossibilité d’un dialogue entre Vienne et l’Ecole de Francfort, un dialogue engagé par
Neurath, et auquel Horkheimer oppose une fin de non recevoir. L’article signé par Max
Horkheimer est publié en 1937 dans le Zeitschrift für Sozialforschung et intitulé « Der neueste
Angriff auf die Metaphysik », « la dernière attaque contre la métaphysique », qui ne cache
évidemment pas une allusion sans ambiguïté aux nombreuses déclarations antimétaphysiques
du Cercle. Cet article constitue en réalité le premier moment du Positivismusstreit, la querelle
du positivisme qu’on renvoie la plupart du temps à l’année 1961, avec comme protagonistes
Adorno d’un côté, Popper de l’autre. La querelle commence en fait 24 ans plus tôt et elle
oppose Horkheimer à Neurath : son premier épisode très court consistait essentiellement,
jusqu’à une date toute récente, dans cette fin de non recevoir que Horkheimer oppose à la
tentative de rapprochement engagée par Neurath avec son article. Mais un dossier majeur
manquait à cette histoire : la réponse de Neurath à ce qu’on ne peut pas appeler autrement que
l’agression de Horkheimer. Cette réponse, elle est connue depuis 2004, mais elle été rendue
publique il y a deux semaines, dans une traduction anglaise, dans un volume qui vient de
paraître chez paraître chez Springer, Otto Neurath and the Unity of science, sous le titre,