Fluides hydrothermaux océaniques

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Fluides hydrothermaux océaniques
Jean-Luc Charlou, Jean-Pierre Donval
Prélèvement de fluide avec une bouteille titane
© Ifremer / Serpentine 2007
La circulation hydrothermale se produit le long des dorsales médio-océaniques, chaîne volcanique continue qui s'étend sur environ 60 000 kilomètres, lorsque l'eau de mer s'infiltre au travers de la croûte océanique fracturée. Cette structure perméable de la croûte océanique associée à la présence d'une source de chaleur profonde permet la circulation hydrothermale de l'eau de mer au travers du substratum. Le processus de circulation hydrothermale se fait alors en trois étapes.
L'eau froide pénètre dans la croûte (phase de recharge), est progressivement réchauffée. Les échanges avec la roche commencent avec modification de la composition chimique. Le fluide s'appauvrit en magnésium et sulfate et s'enrichit en hydrogène sulfuré. Le fluide atteint ensuite sa température maximum au niveau de la zone de réaction de haute température, proche de la chambre magmatique. Dans ces conditions, la composition du fluide est fortement influencée par la température, la pression, le rapport eau/roche, la nature de la roche attaquée et le temps de réaction.
Le fluide de haute température remonte ensuite très rapidement de manière adiabatique (phase de décharge) en continuant à interagir avec la roche.
Progressivement, le fluide se refroidit lentement par conduction et par mélange avec de l'eau de mer plus froide à proximité de la surface influençant sa composition finale. En dépit de leur apparence similaire, les fluides hydrothermaux couvrent une large gamme de températures et se caractérisent par des compositions chimiques très variées, fonction des conditions de réaction.
Tout le travail du géochimiste consiste à prélever ces fluides de haute température, analyser leur composition chimique à leur émission sur le plancher océanique, et à reconstruire leur histoire au cours de la circulation hydrothermale afin de comprendre les processus thermodynamiques et géochimiques qui les contrôlent au cours du transit au travers de la croûte océanique.
Pourquoi étudier les fluides hydrothermaux ?
Du point de vue de l'océanographie chimique, il est important de savoir quelle est l'influence des fluides hydrothermaux sur le cycle des éléments dans l'océan, et plus généralement sur la chimie globale des océans à court et long terme. Du point de vue de l'océanographie biologique, on trouve sur ces évents hydrothermaux de nouveaux écosystèmes se développant par chimiosynthèse.
Dans ce processus, l'ensemble des éléments vitaux sont apportés par le fluide (soufre, méthane, hydrogène, hydrogène sulfuré et autres éléments métalliques). Les flux de matière et d'énergie apportés par les fluides jouent aussi un rôle important du point de vue du "bilan chimique des océans". D'un point de vue géologique, la chimie des fluides contribue à estimer la profondeur de la chambre magmatique, à mieux comprendre la formation de la nouvelle croûte océanique et la formation des dépôts sulfurés massifs.
Comment découvrir ces fluides hydrothermaux ?
Les évents hydrothermaux sont localisés sur des sites plus ou moins grands, d'environ 200 par 200 mètres. Plusieurs techniques complémentaires contribuent à leur découverte.
Les campagnes de surface associant la bathymétrie, la photographie du fond, la recherche d'anomalies physiques et chimiques dans la colonne d'eau à l'aide de capteurs et prélèvements d'eaux, permettent de délimiter les zones. Ensuite, les submersibles et véhicules télé-opérés (ROV) permettent la localisation précise des évents et leur étude in situ détaillée.
Comment prélever ces fluides de haute température à leur émission sur le plancher océanique ?
Ce travail précis ne peut donc se faire qu'à l'aide de submersibles et/ou ROV, en utilisant des systèmes de prélèvements spécialement conçus à cet effet. Divers systèmes existent maintenant, tous basés sur des principes d'aspiration simple (type seringue) ou par pompage. Le fluide étant à une température de l'ordre de 350-400°C, des seringues en titane (photo du haut) sont couramment utilisés. Le géochimiste doit conditionner ces préleveurs avant chaque plongée.
Le submersible ou le ROV se charge du prélèvement en profondeur dans les zones actives étudiées. Au retour sur le navire, le fluide précieux est récupéré. Commence alors un long travail de conditionnement des gaz et d'analyse à bord (photo ci-dessous).
Après qualification des échantillons, les gaz (H 2, CH 4, CO 2...) sont extraits à l'aide d'un extracteur de gaz, récupérés et analysés à bord à l'aide d'appareils analytiques installés dans un container laboratoire embarqué. Certains éléments minéraux (Mg, SO 4, Cl) sont aussi analysés à bord.
Dans ces fluides, certains éléments sont enrichis, d'autres appauvris par rapport à l'eau de mer. De nombreux conditionnements spécifiques sont aussi réalisés pour l'analyse à terre des éléments traces, les analyses isotopiques et la recherche des molécules organiques présentes (hydrocarbures, acides carboxyliques, acides aminés...). La composition chimique d'un fluide sortant sur le plancher océanique est un enregistrement des conditions de pression et de température et de l'ensemble des réactions chimiques qu'il a subi durant son transit dans la croûte océanique fracturée.
L'ensemble de ces données informe sur la profondeur de la circulation hydrothermale dans le substratum, sur le temps de résidence, et contribue à comprendre le mode de formation des dépôts métalliques sulfurés associés.
Bref, tout un ensemble de conditionnements et d'analyses qui permettent d'établir la signature chimique du fluide, de connaître son histoire au travers de la croûte océanique, d'évaluer les conséquences de ces flux sur le milieu environnant.
La composition chimique d'un fluide sortant sur le plancher océanique est un enregistrement des conditions de pression et de température et de l'ensemble des réactions chimiques qu'il a subi durant son transit dans la croûte océanique fracturée.
L'ensemble de ces données informe sur la profondeur de la circulation hydrothermale dans le substratum, sur le temps de résidence, et contribue à comprendre le mode de formation des dépôts métalliques sulfurés associés.
Bref, tout un ensemble de conditionnements et d'analyses qui permettent d'établir la signature chimique du fluide, de connaître son histoire au travers de la croûte océanique, d'évaluer les conséquences de ces flux sur le milieu environnant.
Conditionnement des gaz et analyse à bord
© Ifremer / Serpentine 2007 / Jean-Luc Charlou
Quels sont les processus qui contrôlent la composition chimique des fluides ?
Les fluides hydrothermaux sont émis sous forme d'évents de haute température (350 à 400°C) et sous forme de diffusions de basse température (de quelques dizaines de degrés). Le taux de réaction de l'eau de mer avec la roche sera d'autant plus fort que la température est élevée. Il est maintenant admis, au vu des travaux expérimentaux et des résultats de modélisation thermodynamique, qu'au niveau de la zone de réaction, l'équilibre entre l'eau et les minéraux des roches est atteint.
Le processus de séparation de phases intervient dès lors que le fluide salé se trouve soumis à de fortes pressions et températures. Nous savons que le point critique de l'eau de mer est caractérisée par une pression de 298 bars et une température de 405°C. Selon que l'on se trouve plus haut ou plus bas que ces valeurs, on aura un fluide classé en domaine subcritique ou un fluide classé en domaine supercritique, et dans ces 2 domaines, le fluide aura des propriétés thermodynamiques et chimiques très différentes.
Ainsi, des fluides aux compositions très variées ont été collectés à ce jour sur les dorsales médio-océaniques (Pacifique, Atlantique, Indien), et ce, à différentes profondeurs de quelques centaines de mètres à plus de 4000 mètres, tel le site Ashaze, site hydrothermal le plus profond connu à ce jour, étudié et échantillonné avec succès au cours de cette campagne.
Ces fluides hydrothermaux évoluent-ils dans le temps ?
Dans les années 1975, peu après leur première découverte sur la dorsale des Galapagos, on considérait que ces fluides devaient avoir une composition relativement stable. Depuis, grâce à la découverte progressive de nouveaux sites actifs dans des conditions d'émission variés et des environnements tectoniques et géologiques différents, il est maintenant certain que les fluides hydrothermaux présentent des compositions chimiques très variables, qu'elles peuvent changer d'une zone à une autre ou même d'un évent à un autre sur un même site, et qu'elles peuvent rester stables sur des périodes plus ou moins longues (échelle de la dizaine d'années) ou évoluer lentement ou brutalement dans le temps.
Ils sont contrôlés par l'activité tectonique et volcanique qui peuvent faire varier et faire évoluer leur composition. Il est clair que les éruptions volcaniques, les tremblements de terre ont des conséquences dramatiques et une incidence sur la température, la composition chimique, créant les flux de matière et d'énergie rejetés plus ou moins fortement dans la colonne d'eau environnante.
Ainsi, en un site actif donné, la composition chimique d'un fluide peut varier sous l'influence des variations thermodynamiques telle la séparation de phase contrôlée par la pression et la température, d'épisodes tectoniques et volcaniques, ou rester stable durant une longue période, favorisant dans ce cas l'installation progressive d'habitats de communautés biologiques et bactériennes se développant par chimiosynthèse.
On sait que sur les dorsales à taux d'accrétion élevé (> 12 cm/an, cas de la dorsale Est Pacifique), les mouvements lents progressifs menant à une fracturation de la croûte associés aux événements magmatiques brutaux font varier très rapidement la composition des fluides dérivés ici d'une réaction entre l'eau de mer et la croûte basaltique.
Par contre, sur les dorsales lentes comme la dorsale médio-Atlantique, les fluides étant davantage contrôlés par les mouvements tectoniques, auront tendance à rester plus stables dans le temps. Mais l'eau de mer, en descendant plus en profondeur, va atteindre et pouvoir réagir avec les roches (péridotites) du manteau et donner lieu à la réaction dite de "serpentinisation" en produisant des fluides de composition très originale.
Un des objectifs de la campagne Serpentine qui va explorer les sites Ashaze à 12°58'N et Logachev à 14°45'N, est d'étudier le processus de serpentinisation et son influence sur la géochimie des fluides. 
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