Mais ici nous cherchons la cause première et générale : elle doit être simple, car la matière aussi est simple.
Nous cherchons la vraie cause, c'est-à-dire la raison créatrice : car tout ce que vous avez énuméré ne constitue
pas plusieurs causes distinctes, mais se rattache à une seule, à celle qui crée. La forme, dis-tu, est une cause! Non
; cette forme que l'ouvrier imprime à son ouvrage est une partie de cause, non une cause. Le modèle non plus
n'en est pas une : c'est un moyen dont la cause a besoin. L'artiste a besoin de modèle comme de ciseau, de lime ;
sans toutes ces choses l'art ne peut procéder, et pourtant ce ne s'ont ni parties de l'art, ni causes. Le but de
l'artiste, dit-on, ce pour quoi il se met à l'œuvre, est une cause. Quand c'en serait une, elle ne serait pas efficiente,
mais accessoire. Or celles-ci sont innombrables ; et nous cherchons la cause la plus générale. Mais la sagacité
ordinaire de ces grands hommes leur a fait défaut lorsqu'ils ont dit que le monde entier, que toute œuvre achevée,
est une cause : car il y a grande différence entre l'œuvre et la cause de l'œuvre. »
Texte 3 : Platon, Cratyle, 412b-413d : « La justice, δικαιοσύνη s'explique facilement par l'intelligence du
juste, δικαίου σύνεσις. Mais le juste, δίκαιον, est un mot difficile. Ici on ne s'accorde que jusqu'à un certain
point, [412d] au delà duquel les opinions se partagent. Ceux qui croient que tout est en mouvement, supposent
que la plus grande partie de l'univers ne fait que passer, mais qu'il y a un principe qui parcourt l'univers et
produit tout ce qui passe, et que ce principe est d'une vitesse et d'une subtilité extrême. Car il ne pourrait
traverser toutes choses dans leur mouvement, s'il n'était assez subtil pour que rien ne pût l'arrêter, et assez rapide
pour qu'en comparaison de la vitesse de sa course tout fut comme en repos. Ainsi puisque ce principe gouverne
toutes les choses [412e] en les parcourant et les pénétrant, διαιόν on l'a appelé avec raison δίκαιον, en ajoutant
le κ, pour rendre la prononciation plus coulante. Jusqu'ici, ainsi que je viens de le dire, on s'accorde
généralement à reconnaître [413a] que telle est la nature du juste. Mais, moi, Hermogène, qui suis fort curieux de
tout ce qui concerne la justice, je m'en suis enquis en secret, et j'ai appris que ce dont nous parlons est tout à la
fois le juste et la cause. Car la cause, c'est ce par quoi δι' ὅ, une chose est produite, et c'est pour cela, m'a-t-on dit
en confidence, que le nom de δίκαιον est propre et convenable. Mais lorsque après avoir écouté ceux qui me
parlent de la sorte, je ne laisse pas de leur demander tout doucement S'il en est ainsi, qu'est-ce donc, de grâce,
que le juste? ils trouvent que c'est pousser trop loin les questions et sauter, comme on dit, [413b] par-dessus la
barrière. Ils prétendent que j'en ai assez demandé et assez entendu: et quand ils veulent rassasier ma curiosité,
alors ils ne s'accordent plus, et ils s'expliquent chacun à leur manière. L'un dit : le juste, δίκαιον, c'est le soleil;
lui seul en effet gouverne les êtres, en lespénétrant et les échauffant, διαίων κάων. Vais-je tout joyeux de cette
découverte la redire à quelque autre, voilà un homme qui se moque de moi, et me demande si je crois qu'il n'y a
plus de justice entre les hommes quand [413c] le soleil est couché. Et si je lui demande à lui-même son opinion :
Le juste, me dit-il, c'est le feu,(70). Mais cela n'est pas encore très facile à comprendre. Un troisième définit le
juste, non pas le feu, mais la cha- 85 leur qui est dans le feu. Un quatrième enfin, se moquant de tous les autres,
prétend que le juste, c'est ce que dit Anaxagoras, à savoir l'intelligence ; c'est elle qui gouverne le monde par
elle-même, et qui, sans se mêler à rien, arrange toutes les choses en les pénétrant, διὰ ἴων. Je me trouve alors,
mon cher ami, dans une bien plus grande incertitude, qu'avant d'avoir commencé à m'enquérir [413d] de la
nature du juste. Mais, pour notre philosophe, il est bien convaincu que telle est l'origine du nom qui nous
occupe. »
Texte 3 : Aristote, Métaphysique A, 1, 982a30-982b11 : « Puisque telle est la science que nous cherchons, il
nous faut examiner de quelles causes et de quels principes s'occupe cette science qui est la philosophie. C'est ce
que nous pourrons éclaircir par les diverses manières dont on conçoit généralement le philosophe. On entend
d'abord par ce mot l'homme qui sait tout, autant que cela est possible, sans savoir les détails. En. second lieu, on
appelle philosophe celui qui peut connaître les choses difficiles et peu accessibles à la connaissance humaine; or
les connaissances sensibles étant communes à tous et par conséquent faciles, n'ont rien de philosophique. Ensuite
on croit que plus un homme est exact et capable d'enseigner les causes, plus il est philosophe en toute science.
En outre, la science qu'on étudie pour elle-même et dans le seul but de savoir, paraît plutôt la philosophie que
celle qu'on apprend en vue de ses résultats. Enfin, de deux sciences, celle qui domine l'autre, est plutôt la
philosophie que celle qui lui est subordonnée; car le philosophe rie doit pas recevoir des lois, mais en donner; et
il ne doit pas obéir à un autre, mais c'est au moins sage à lui obéir.
Telle est la nature et le nombre des idées que nous nous formons de la philosophie et du philosophe. De tous ces
caractères de la philosophie, celui qui consiste à savoir toutes choses, appartient surtout à l'homme qui possède le
mieux la connaissance du général ; car celui-là sait ce qui en est de tous les sujets particuliers. Et puis les
connaissances les plus générales sont peut-être les plus difficiles à acquérir; car elles sont les plus éloignées des
sensations. Ensuite, les sciences les plus exactes sont celles qui s'occupent le plus des principes; en effet celles
dont l'objet est plus simple sont plus exactes que celles dont l'objet est plus composé; l'arithmétique, par
exemple, l'est plus que la géométrie. Ajoutez que. la science qui peut le mieux enseigner, est celle qui étudie les
causes; car enseigner, c'est dire les causes de chaque chose.
De plus, savoir uniquement pour savoir, appartient surtout à la science de ce qu'il y a de plus scientifique; car
celui qui veut apprendre dans le seul but d'apprendre, choisira sur toute autre la science par excellence, c'est-à-