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Jeudi 28 juin 2012
La guerre des marques dans le cyberespace
Par : Roger Loosley, Sharmela Thevarajaha, Pooja Patel
Bon nombre de sociétés connaissent la valeur de leurs marques, laquelle figure souvent dans leurs bilans, d’où l’importance de
maintenir le caractère distinctif de leurs marques pour assurer leur succès à long terme. Sinon, les consommateurs pourraient à la
longue confondre un produit ou un service d’un concurrent avec celui de la société, ce qui pourrait entraîner une réduction des ventes
pour la société. Cette situation peut s’aggraver lorsque la qualité du produit d’un concurrent est inférieure à celle de la société, causant
ainsi des dommages à la marque, une perte de clientèle et une atteinte à la réputation de la société par ricochet.
Dans le contexte des supermarchés, les clients sont habitués aux produits de « marque maison » qui sont très semblables aux articles
de marque et qui entraînent très peu de confusion. La présentation de la marque maison montre la plupart du temps uniquement
l’article de marque auquel elle souhaite se substituer. Dans le contexte d’une technologie en rapide évolution et des moyens de
communications en apparence illimités, les consommateurs en ligne sont exposés à une myriade de produits, dont aucun ne sera
nouveau pendant longtemps, et faire une distinction parmi les produits et les producteurs en ligne pourrait être plus difficile qu’au
supermarché. Par conséquent, les consommateurs se tournent vers des marques pour se fier à la qualité d’un produit, au moyen de
caractéristiques telles que l’origine, la qualité, le prix ou la nouveauté et utilisent souvent des noms de marques pour leurs recherches
sur Internet.
À mesure que la « guerre des marques » se déplace des tablettes des supermarchés vers le cyberespace, les « règles
d’engagement » existantes doivent être redéfinies. L’affaire récente de Interflora c. Marks and Spencer Plc[1] a fait ressortir cet enjeu
et a montré qu’au moment de faire la publicité d’un produit, les sociétés ne doivent pas tirer un avantage indu d’autres marques ni
les ternir.
L’affaire Marks & Spencer
Interflora, réseau de livraison de fleurs, a poursuivi Marks and Spencer Plc M&S ») pour contrefaçon de marque de commerce, en
invoquant l’enregistrement de diverses maques de commerce pour INTERFLORA portant sur la livraison de fleurs et d’autres services.
M&S a acheté plusieurs Adwords de Google pour Interflora, plusieurs combinaisons d’INTERFLORA, les noms de domaines
d’Interflora, des URL et des variantes proches d’Interflora. Lorsqu’un internaute tape INTERFLORA ou des variantes dans le moteur de
recherche Google, un lien commandité vers une annonce pour le service de livraison de fleurs M&S apparaît. Toutefois, les annonces
de M&S n’affichent pas le nom d’INTERFLORA.
La High Court a soumis des questions à la Cour européenne de justice (« CEJ ») relativement à un certain nombre de points
concernant l’utilisation par un concurrent, dans le cadre d’un service de référencement sur Internet, de mots clés identiques à une
marque de commerce, lorsque la permission d’utiliser la marque de commerce n’avait pas été donnée par son titulaire.
Pour la question de la contrefaçon en vertu de l’alinéa 5(1)a) et de l’alinéa 9(1)a) de la Directive sur les marques de commerce
(89/104/CEE, remplacée depuis lors par la directive consolidée 2008/95/CE) au moyen de l’utilisation de marques de commerce en
tant que mots clés dans la publicité, la CEJ a formulé les observations suivantes :
Atteinte à la fonction d’indication d’origine
La CEJ a estimé que l’élément déterminant était de savoir si un internaute normalement informé et raisonnablement attentif était censé
savoir, compte tenu de la connaissance générale du marché, que le service de livraison de fleurs M&S ne faisait pas partie du réseau
Interflora mais qu’il était plutôt en concurrence avec lui. Si cela ne peut être établi, il devient alors une question de faits de déterminer
si la publicité de M&S permettait à l’internaute de savoir que M&S ne faisait pas partie du réseau Interflora. La CEJ a jugé qu’étant
donné que le réseau Interflora était composé de plusieurs détaillants de taille et de profil commercial différents, il pouvait être difficile
pour un internaute de conclure, sans l’aide de la publicité, si M&S faisait partie ou non du réseau Interflora.
Atteinte à la fonction de publicité
En ce qui concerne la fonction de publicité de la marque de commerce, M&S avait clairement choisi le mot clé INTERFLORA afin de
tirer profit de la marque de commerce d’Interflora. Toutefois, la CEJ n’a pas jugé que cela constituait un motif suffisant pour établir que
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la fonction de publicité de la marque de commerce avait subi un préjudice. La CEJ a estimé que bien qu’une marque de commerce
constitue un élément essentiel pour assurer un système de concurrence non faussé, elle n’a cependant pas pour objet de protéger son
titulaire contre des pratiques véritables et inhérentes à la concurrence sur le marché. La publicité sur Internet à partir de mots clés qui
sont identiques aux marques de commerce permettent aux concurrents de proposer aux consommateurs d’autres choix par rapport
aux produits et services des titulaires de la marque de commerce, tout en n’empêchant pas le titulaire d’utiliser sa propre marque pour
s’attirer la faveur des clients.
Atteinte à la fonction d’investissement
La CEJ a jugé que la fonction d’investissement, qui est applicable lorsqu’une marque de commerce jouit d’une renommée susceptible
d’attirer et de fidéliser des consommateurs, est gravement atteinte lorsque l’usage par un tiers d’un signe identique porte atteinte à
cette renommée. Toutefois, si l’usage par un concurrent d’un signe identique est loyal et respectueux de la fonction d’indication
d’origine de la marque de commerce, dès lors le titulaire de la marque de commerce ne peut empêcher cet usage même si celui-ci doit
adapter ses efforts pour acquérir ou conserver sa réputation. Le fait que ledit usage conduise certains consommateurs à opter pour un
concurrent ne saurait être invoqué par Interflora comme ayant porté atteinte à la fonction d’investissement.
Protection étendue pour les marques de commerce renommées
La CEJ a accepté que la marque de commerce INTERFLORA est une marque renommée et s’est demandée si l’usage de la marque
de commerce par M&S pouvait être perçu comme préjudiciable au caractère distinctif de la marque de commerce INTERFLORA, en
profitant indument du caractère distinctif ou de la renommée de la marque de commerce ou en la diluant.
Dilution
La CEJ a estimé que pour établir si la marque de commerce avait été diluée, le critère à appliquer est de savoir si un internaute
normalement informé et raisonnablement attentif qui a tapé le mot clé et déclenché l’affichage d’une publicité serait être en mesure de
déterminer que les produits ou les services proposés par le concurrent ne provenaient pas du titulaire de la marque de commerce
mais, au contraire, d’un concurrent. Si tel est le cas, la capacité distinctive de la marque de commerce n’aura pas été dile par cet
usage, étant donné que l’usage avait simplement servi à attirer l’attention de l’internaute sur l’existence de produits ou de services
alternatifs proposés par un concurrent.
La CEJ a jugé qu’il revenait à la High Court de décider, à partir des faits, si la publicité de M&S permettait à l’internaute normalement
informé et raisonnablement attentif de déterminer que M&S était indépendant d’Interflora. Si ce n’était pas le cas, et que la fonction
d’indication d’origine a subi un préjudice, dès lors la High Court devra également déterminer si l’usage du mot « Interflora » comme
mot clé sur Internet avait eu un impact tel sur le marché des services de livraison de fleurs que ce terme en était venu à désigner, dans
l’esprit du consommateur, tout service de livraison de fleurs.
Parasitisme
La CEJ a estimé que lorsqu’une marque de commerce jouit d’une renommée, il est probable que la raison pour un concurrent de
choisir un signe identique à la marque de commerce est de tirer profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque de
commerce. Le raisonnement qui sous-tend cette action découle de l’idée que les internautes qui font des recherches pour des produits
et des services visés par la marque de commerce déclencheront des publicités des concurrents en même temps que les sultats
naturels. La question est de savoir si un tel usage peut être interprété comme étant « sans juste motif ». Lorsque la publicité affichée
sur Internet à partir de la recherche avec un mot clé propose à l’Internaute une alternative aux produits et aux services du titulaire de la
marque de commerce et qu’elle ne propose pas d’imitations ni ne porte pas atteinte aux fonctions de la marque de commerce, ni ne
cause de dilution ou de ternissement, dès lors cet usage relève, en règle générale, d’une concurrence saine et loyale dans le secteur
des produits et des services en cause. Ainsi, cet usage a donc lieu pour un « juste motif ».
Commentaire
Cette affaire envoie un message clair aux entreprises sur l’importance d’une concurrence loyale et d’offrir des choix aux
consommateurs sur Internet.
Le jugement de la CEJ apporte des précisions sur la façon dont la publicité par un mot clé par un concurrent peut porter atteinte à
certaines des fonctions d’une marque de commerce dans le cas de la double identité ainsi que pour les marques qui ont une certaine
renommée. Le jugement offre également des indications intéressantes sur la façon dont les tribunaux britanniques devraient aborder
l’équilibre entre la protection accordée aux titulaires de marques de commerce et une concurrence légitime dans un environnement en
ligne.
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Il sera intéressant de voir la façon dont les tribunaux britanniques appliqueront les éléments d’interprétation de la CEJ, particulièrement
par rapport à la signification secondaire d’Interflora comme indiquant un réseau commercial.
Conclusion
Garder un contrôle sur l’usage des marques de commerce dans le marketing électronique est crucial pour les titulaires de marques.
Internet a accru l’exposition des titulaires de marque de commerce à d’éventuelles contrefaçons de leurs marques de commerce.
Celles-ci peuvent varier de la contrefaçon de type traditionnel, telle que l’usage non autorisé d’une marque de commerce sur un site
Web tiers, à des questions particulières à Internet, telles que l’usage de marques de commerce en tant que mots clés et métabalises
(ce qui permet aux moteurs de recherche d’identifier le site à partir de mots clés et de noms de domaine).
En fin de compte, une marque renommée ne veut être confondue avec celle de ses concurrents. Internet a intensifié la concurrence
pour plusieurs sociétés et afin de rendre leurs marques plus visibles, les sociétés peuvent, délibérément ou par accident, franchir le
seuil acceptable de concurrence loyale et entraîner la contrefaçon des marques de commerce. Cela pourrait se produire non
seulement par le biais d’une association voulue ou non avec des concurrents mais également lors d’événements d’envergure tels que
les Olympiques.
Les entreprises qui font de la publicité en ligne devraient prendre certaines mesures pour s’assurer que leurs actions n’entraînent pas
une contrefaçon de marque de commerce. Parmi ces mesures, mentionnons les suivantes :
s’assurer que leurs publicités n’entraînent pas de confusion et qu’elles n’affaiblissent pas ni ne ternissent la marque de commerce
d’un concurrent,
tenir compte de l’effet que les mots clés pourraient avoir sur les consommateurs et s’assurer qu’ils n’entraînent pas de confusion au
sein de ceux-ci.
Dans la même veine, les titulaires de marques devraient surveiller les activités de la concurrence et prendre des mesures s’il en
résulte une contrefaçon de leurs marques.
Le groupe de litige spécialisé en propriété intellectuelle de Fasken se fera un plaisir de vous conseiller sur ces questions.
[1] Affaire C- 323/09
Personnes-ressources
LONDON
Roger Loosley
+44 20 7917 8511
rloosley@fasken.com
Shamela Thevarajaha
+44 20 7917 8675
sthevarajaha@fasken.com
Pooja Patel
+44 20 7917 8626
ppatel@fasken.com
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