4 Chapitre ouvrage – Éditions LGDJ – Ivan Tchotourian
scène médiatique au début des années 2000
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renvoie au dispositif institutionnel et comportemental
régissant précisément la relation entre les dirigeants d’une entreprise et les parties concernées par son
devenir (actionnaires, salariés, créanciers)
11
. La gouvernance d’entreprise ne vient-elle pas elle-même
de l’affirmation d’un pôle de pouvoir
12
? En ce sens, l’intitulé de l’ouvrage d’Henri
Mintzberg « Pouvoir et gouvernement d’entreprise » met nettement en lumière le lien entre pouvoir et
gouvernance d’entreprise
13
. En parallèle, il ne peut être nié que l’un des piliers idéologiques du
capitalisme financier – capitalisme fondé sur la propriété, le marché et le contrat – repose sur un face-
à-face entre le dirigeant et l’actionnaire dans la pure tradition du « régisseur de l’argent d’autrui »
évoquée par Adam Smith
14
. Or, ce face-à-face a pris une intensité particulière à partir du moment où
des auteurs ont constaté une séparation entre la propriété (dans les mains d’un actionnariat dispersé) et
le contrôle (dans les mains de la direction) et dénoncé conséquemment l’absence de légitimité
fondamentale des dirigeants à exercer le pouvoir
15
. En droite ligne, la littérature économique
16
,
gestionnaire et financière
17
construit l’entreprise sur un modèle qui trouve ses bases, depuis les années
1960, sur une approche contractuelle : la théorie de l’agence. Développé par Alchian et Demsetz à
propos de la fonction de production des entreprises
18
, les professeurs Jensen et Meckling ont repris
cette théorie en l’employant au-delà de cette fonction : « (…) contractual relations are the essence of
the firm, not only with employees but with suppliers, customers, creditors, etc. (…) the firm is simply
one form of legal fiction which serves a nexus for contracting relationships »
19
. L’entreprise est
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Pour comprendre l’intérêt du corporate governance : A. Finet, « Pourquoi le gouvernement d’entreprise ?
Introduction et mise en place d’un cadre théorique d’analyse », dans Gouvernement d’entreprise : enjeux
managériaux, comptables et financiers, A. Finet (dir.), Éditions De Boeck Université, 2005, p.15.
11
R. Pérez, « La gouvernance de l’entreprise », La Découverte, 2003, spéc. p.22. Recensant les définitions
usuelles de la gouvernance des entreprises en sciences de gestion : C. Chatelin-Ertur et S. Onnée, « La
gouvernance des organisations : entre norme et règle de droit », dans La gouvernance juridique et fiscales des
organisations, J-L. Rossignol (dir.), Editions TEC & DOC, 2010, p.13, spéc. p.18.
12
P. Moreau Defarges, « La gouvernance », P.U.F., 2006, spéc. p.35.
13
H. Mintzberg, « Pouvoir et gouvernement d’entreprise », Éditions d’Organisation, 2004.
14
A. Smith, « Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations », Garnier Flammarion, 1776
(nouvelle édition 1991).
15
A. A. Berle and G. C. Means, « The Modern Corporation and Private Property », Harcourt, Brace & World
Inc. (nouvelle édition 1991 : Transaction Publishers, New Brunswick, New Jersey).
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Les travaux économiques sur la théorie de la firme présentent une unité profonde en concevant l’entreprise au
travers de rapports contractuels entre des individus libres. Parmi les auteurs défendant cette opinion, Ronald
Coase est sans doute le plus représentatif. Trouvant ses racines dans les premiers développements de la
philosophie politique européenne, Coase conçoit l’entreprise avant tout comme un nœud de contrats entre
individus (R. H. Coase, « The Nature of the Firm », Economica, 1937, vol. 4, nº16).
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La méthodologie de la théorie financière a largement emprunté à la théorie néoclassique de la firme. En effet,
les théories financières s’attachent moins à prévoir une croissance raisonnable de l’entreprise (J. B. Williams, «
The Theory of Investment Value », Cambridge, Harvard University Press, 1938) qu’à déterminer le risque relatif
d’une action et à rejeter toute perspective à long terme (cf. la « théorie du portefeuille » développée par
Markowitz et le modèle d’équilibre des actifs financiers (« Capital Assets Pricing Model ») qui est venu la
compléter à partir du début des années 1990. Pour une histoire des théories financières modernes : P. L.
Bernstein, « Capital Ideas: The Improbable Origins of Modern Wall Street », New York : Free Press, 1992).
18
A. A. Alchian and H. Demsetz, « Production. Information Costs, and Economic Organization », Economic
Review, 1972, vol. 62, n°5, p.777.
19
M. C. Jensen and W. H. Meckling, « Theory of the Firm: Managerial Behaviour. Agency Costs and
Ownership Structure », Journal of Financial Economics, 1976, vol. 3, p.305, spéc. p.310.