A N N É E 5 7 5 7 / 1 9 9 7 DOSSIER SPECIAL La Foi du Rav Kook ete 1997 Ce numéro est dédié à la mémoire de : Rav Léon ASHKENAZI (Manitou) ZTS”L ”C EDITO ” hers lecteurs, chères lectrices V , ouloir faire connaître la pensée du Rav Abraham Itshak Ha-Cohen Kook au public francophone est un pari audacieux que nous avons décidé de relever. En effet, alors que d’autres pensées sont très bien diffusées au sein de notre communauté, il devenait plus que nécessaire de combler cette lacune et ce, à plus d’un titre. En premier lieu, cet enseignement est d’une richesse qui trouve son inspiration dans la tradition millénaire des grands maîtres qui ont marqué l’histoire du peuple juif. Ceci ne diminue en rien l’exceptionnelle modernité de cette philosophie profondément ancrée dans la foi d’Israël et à l’écoute de l’évolution de son histoire, de celle des autres nations. SOMMAIRE LA CHRONIQUE DU RABBIN A. BLUM 3 RAV A.I HACOHEN KOOK 4 LE DOSSIER 6 RAV KOOK ET E. LEVINAS 6 OROT HA-TE’HIYAH 11 LETTRES 12 DE FEU OUVERTURES LE FRUIT 17 À VENIR 18 DE PRESSE 19 DOSSIER REVUE ET L’ARBRE 16 BIOGRAPHIE 20 De plus l’enseignement du Rav Kook a suscité une formidable impulsion religieuse au sein des pionniers œuvrant pour la renaissance de l’Etat d’Israël, œuvre dont nous savourons aujourd’hui encore les fruits. Enfin, mais cette liste pourrait s’étendre à l’infini, nous ne pouvions pas ne pas souligner l’esprit d’ouverture et de tolérence envers toutes les composantes de l’assemblée d’Israël et des peuples qui caractérisait essentiellement le Rav Kook. Le Rav Kook écrivait : “Les justes purs, ils ne se lamentent pas sur l’impiété, mais ils ajoutent de la justice; ils ne se lamentent pas sur l’athéisme, mais ils ajoutent de la foi; ils ne se lamentent pas sur l’ignorance, mais ils ajoutent de la connaissance”. C’est dans cet esprit de dévouement et d’amour de la Torah qu’il œuvra toute sa vie, sans chercher à créer une nouvelle idéologie ou une secte particulière au sein du peuple juif, mais dans le seul souci de faire converger toutes les bonnes volontés vers la rédemption finale d’Israël et du monde : “Toute action qui a pour but l’édification ou l’amélioration de ce qui existe en Erets Israël est chère à mon cœur... Je me tiens prêt à aider à résoudre les conflits... afin de calmer les cœurs dans la paix et la fraternité” (Iggarot Hareya II, p. 29). Dans l’espoir de participer autant que faire se peut à cette “réparation du monde” par la divulgation de l’enseignement complexe et éclairé du Rav Kook, OROT s’adresse à tous les publics, sans vouloir imposer aucun dogme ni aucune idéologie, mais surtout dans le désir de sensibiliser ceux qui voudront bien l’être à la profondeur et à la beauté des liens qui unissent Dieu, la Torah, Israël et le monde. C’est au travers de ses propres écrits et de ceux de ses nombreux disciples, ainsi qu’au travers des enseignements d’autres grands maîtres, qu’OROT proposera dans chaque bulletin d’aborder la philosophie du Rav Kook. Nous attendons les remarques et les suggestions de tous ceux que ces lectures auront interpellés. Dan KLAJMIC [email protected] 2 ete 1997 ” ” OROT ETUDIONS LA BIBLE LA CHRONIQUE P DU RABBIN ALEXIS BLUM ublier un périodique en langue française consacré à la Réaffirmer l’importance de la Bible dans la vie juive peut paraître inutile. pensée juive est une heureuse entreprise qui mérite tous nos encouragements. Et pourtant dans les centaines de synagogues de la région parisienne, dans les dizaines de centres communautaires et cercles d’études en dehors de la Paracha de la semaine, combien y-a-t-il aujourd’hui de cours réguliers portant sur des textes bibliques ? e me réjouis de ce projet qui tient à mettre l’accent sur l’oeuvre du Grand-Rabbin Abraham Isaac Hacohen Kook. Parmi les multiples positions originales défendues par cet éminent maître du judaïsme universel, j’aimerais rappeler que le Rav Kook avait envisagé de créer une yechiva différente des établissements classiques. Il songeait à fixer entre autres critères pour être admis à la yechiva, de tenir compte non seulement comme ailleurs des connaissances talmudiques du candidat, mais aussi de la culture biblique. avenir lointain, quasi-mythique. Il s’agit de toutes les générations de l’époque post-biblique. En vérité, il semble bien que la Yechiva Mercaz Harav n’a jamais appliqué l’essentiel du programme proposé d’abord par son fondateur. Et le Ran (4) précise : as-tu espéré que se réalisent en ton temps les paroles des prophètes? Depuis la disparition du Professeur André Neher (19141988) qui depuis 1946 avait publié une vingtaine de livres et plus de 500 articles, le plus souvent en rapport avec la Bible, très rares sont les auteurs juifs diffusant aujourd’hui en France des leçons sur la Bible. Il est donc évident qu’il faut étudier les textes prophétiques pour en comprendre les significations. Du moins au début de son apprentissage, chacun doit-il consacrer un tiers de son temps à l’étude des vingt quatre livres de la Bible (5). Comment en est-on venu à une situation aussi regrettable ? Peut-on y remédier ? Quels sont néanmoins les ouvrages récents concernant la Bible écrits par des auteurs juifs en français ? Quelle traduction de la Bible, quelle introduction faut-il utiliser ? Ne serait-ce qu’en tant que clef de l’Histoire, le texte biblique s’impose donc à nous pour que nous nous efforcions d’en saisir les profondeurs. Voilà quelques questions dont nous laissons les réponses en suspens pour une prochaine chronique. A.B. J Cependant, plus qu’ailleurs, l’étude de la Bible a été mise en valeur par les élèves du Rav A.I. Kook et de son fils le Rav Tsvi Yehouda Kook (1). RABBIN ALEXIS BLUM e Rabbin Alexis Blum est rabbin de la Communauté de Neuilly-Sur-Seine (Hauts-de-Seine) où il dispense divers cours de ‘Houmach, Michna et Guemara. Il est diplômé du Séminaire de l’Ecole Rabbinique de France et titulaire d’une Licence d’Hébreu. Il est chargé également de l’aumônerie de l’Ecole Polytechnique et des prisons, ainsi que du Journal des Enseignants juifs Hamoré. Il a étudié une année en Israël à la Yechiva Mercaz Harav Kook sous la direction spirituelle du Rav Tsvi Yehouda Kook, le fils du Rav Kook, et du Nazir. L Un texte célèbre du traité Meguila (14a) donne la règle suivante : “De nombreux prophètes ont apparu en Israël en nombre double du nombre des Hébreux sortis d’Egypte, mais seule la parole prophétique qui a été nécessaire pour les générations à venir a été mise par écrit” (2). Les générations à venir ne sont pas seulement celles qui s’inscrivent dans un Le Rabbin babylonien Rava énumérant les questions qui seront posées à l’homme au moment de comparaître au Jugement (relatif à tout son comportement durant sa carrière terrestre) mentionne Tsipita Li-Yechoua, as-tu vécu dans l’espoir de la délivrance ? (3). Rachi explique : il s’agit des paroles des prophètes. Un auteur non-juif contemporain Maurice Blanchot (6) a excellemment exprimé ce qui fait la spécificité du message biblique : “S’il y a un monde où, cherchant la vérité et des règles de vie, ce que l’on rencontre, ce n’est pas le monde, c’est un livre, le mystère et le commandement d’un livre, c’est bien le judaïsme, là où s’affirme, au commencement de tout, la puissance de la Parole et de l’Exégèse, où tout part d’un texte et tout y revient, livre unique dans lequel s’enroule une suite prodigieuse de livres, Bibliothèque non seulement universelle, mais qui tient de l’univers, et plus vaste, plus profonde, plus énigmatique que lui”. 3 Légendes (1) Voir par exemple l’ouvrage de Rav Avraham Remez sur le Livre de Josué (Jérusalem 5755). (2) La Guemara Meguilla, traduite par le GrandRabbin Israël Salzer, Keren Ha-sefer, Colbo, Paris 1978, p. 74 voir note 30. (3) Chabbat 31a. (4) Rabbénou Nissim. (5) Voir Choul’hane Aroukh, Yoré Déa, Chap. 246. (6) L’entretien infini, Gallimard, Paris 1969, pp. 574-5, cité par Lionel Cohn Oui... je lis la Bible, Jérusalem 1976, p. 33. ete 1997 RABBI ABRAHAM ITSHAK HACOHEN KOOK ZTS”L BIOGRAPHIE 1865-1935 nspiré d’une biographie du Rabbin Moché Tzvi Neriyah z”l dans I “Celebration of the soul” (Ed.Genesis Jerusalem Press). vraham Yitz’hak HaCohen Kook est né dans le petit village de Grivia près de Dvinsk, en Lithuanie, le 16 Eloul 5625 (1865), mois qui sera toujours l’occasion d’évènements importants dans sa vie comme on le verra par la suite. Son père est le Rabbin Chelomo Zalman HaCohen Kook, pieux talmudiste de la Yechiva de Volozhin, centre alors incontesté du mouvement mitnagued (1). Sa mère se nomme Pérel Zelata, fille de Rabbi Raphaël, l’un des premiers ‘Hassidim de Rabbi Mena’hem Mendel de Loubavitch, l’auteur du Tzema’h Tzedek. Le Rabbin Chelomo Zalman sert notamment d’émissaire à Jérusalem pour la Yechiva de Volozhin et celle d’Etz ‘Haïm. Il remplit autant sa maison d’amour de la Torah et d’observance scrupuleuse des mitzvot que d’une passion inconditionnelle pour Eretz Israël. Il lui arrive fréquemment de parler hébreu le Chabbat et ainsi le jeune Avraham Yitz’hak acquiert-il un penchant pour la Terre Sainte et la langue hébraïque. A UN ÉLÈVE HORS DU COMMUN Jusqu’à l’âge de treize ans Avraham Yitz’hak étudie la Torah dans sa ville natale. Après sa Bar-Mitzvah en 1878, il étudie dans diverses Yéchivot durant une période de huit ans. Il passe d’abord deux ans à Lutzen sous la direction spirituelle des Rabbins Eliezer Dan Yechivah et Yaakov Rabinowitz, fils du Rabbin Mordé’haï Gimpel Jaffe. Il retourne ensuite étudier trois années à Grivia puis, en 1883, il va apprendre à Samargon dans la banlieue de Vilna. Il s’y fait connaître comme “le prodige de Grivia” et sa réputation atteint le Rabbin Eliahou David Rabinowitz-Téomim de Poniowitz, qui choisit ce talmudiste en herbe pour sa fille. Entre les fiançailles et le mariage, Avraham Yitz’hak étudie encore un an et demi à la fameuse Yéchiva de Volozhin. On l’appelle là-bas “le prodige de Poniowitz” d’après le nom de la ville d’origine de son futur beau-père : il prend l’habitude d’étudier dix-huit heures par jour. Tout au long de son enfance Avraham Yitz’hak fréquente également la maison du Rabbin Réouven HaLévi de Dvinsk, l’un des talmudistes les plus réputés de son époque et auteur notamment de la collection de responsa Roch Leréouvéni ; ce dernier ne cache pas son affection pour le jeune prodige en le présentant aux autres Maîtres. Le Rabbin Réouven HaLévi a une influence majeure sur la méthode talmudique du Rav Kook. Sous sa direction Avraham Yitz’hak apprend à concentrer son travail sur la manière de déduire une décision légale (hil’hatique) tout en évitant la dialectique autant que l’abstrait, ces raisonnements d’ordre analytiques qui jouissaient alors d’une grande popularité auprès des jeunes talmudistes. Lorsque le Rav Kook se marie à l’âge de vingt ans, il est instruit et compétent dans tous les domaines de l’étude juive. Influencé par le Rabbin Naftali Tzvi Yehouda Berlin (le Netziv), Roch Yéchiva de l’école talmudique de Volozhin, qui s’impliquait alors dans divers enjeux nationaux, le Rav Kook commence à rechercher des moyens pour pénétrer de sainteté tous les aspects de la vie de la nation. Son activité littéraire commence à Volozhin par quelques articles sur le Netziv qui sont publiés dans les mensuels Kol Ma’hziké HaDat et Knesset Israël. En 1888, le Rav Kook lance son propre magazine, le mensuel Itouré Sofrim. Le but audacieux de ce journal rempli de nouvelles expressions et de phrases sur l’unité nationale, le renouveau et la littérature, est d’unifier la Torah et le nationalisme dans cette époque présioniste. Il est également “de construire un hâvre de paix pour la littérature rabbinique” et “d’unifier tous les mouvements à l’intérieur du peuple juif en l’honneur de la nation et de son renouveau”. L’essai obtient un large succès, mais par manque d’organisation il n’est suivi d’un second numéro en 1889. Le rêve du Rav Kook de publier un journal populaire, Chalom Laam, afin de faire connaitre ses idées ne verra jamais le jour non plus. Durant la période qui sépare la publication des deux numéros d’Itouré Sofrim, le Rav Kook est nommé Rabbin de la petite ville de Zoïmel en Lithuanie. Il y assumera 4 ses fonctions de 1888 à 1895. En 1891 il publie anonymement un petit ouvrage intitulé ‘Havach Péer qui traite de la mise des téfilin et de leur emplacement sur la tête. Il voyage également à cette époque d’une communauté à l’autre et, tel un prédicateur, enjoint avec ferveur les gens qu’il rencontre de prendre conscience de l’importance de la mitzva des téfilin. En 1890, le Rabbin Mordé’haï Elasberg, un des premiers sionistes religieux, abandonne son poste de Boïsk. Le Rav Kook accepte de l’y remplacer en 1895. C’est làbas également que s’enracinent ses inclinaisons nationales alors qu’à la même époque le sionisme politique et tous ses avatars s’établissent fermement. Dans Teoudat Israël Ouleoumiouto article parut en 1901 dans le journal HaPeles, il expose avec profondeur et originalité la conception de la Torah concernant l’essence et les objectifs du nationalisme juif qu’il tient pour des éléments intrinsèques à la Torah. Il souligne l’absurdité de vouloir exclure la religion du processus de reconstruction d’Eretz Israël. C’est encore à Boïsk qu’il aborde des sujets plus théologiques et qu’il commence notamment son commentaire sur les parties aggadiques du Talmud qui ne sera publié après sa mort sous le nom d’Eyn Ayah. L’ARRIVÉE EN ERETZ ISRAËL C’est en 1902 que le Rabbin de Jaffa, Naftali Hertz HaLevi, décède et qu’on propose au Rav Kook de le remplacer. Jaffa est alors une petite ville et la communauté achkenaze y est plus petite encore mais c’est avec joie qu’il accepte le poste. Il arrive à Jaffa durant l’été 1904. En tant que Rabbin de Jaffa et des implantations voisines, il cherche immédiatement à éliminer les divisions qui existent déjà entre les religieux et les laïcs. Alors que certains Rabbins ignorent purement et simplement les pionniers non-religieux, le Rav Kook tente de les rapprocher de la Torah et encourage leurs efforts de reconstruction. Il leur montre son intérêt par des lettres ouvertes dans les journaux, des conversations individuelles et des visites personnelles. Ce faisant, il espère que ses actes hâteront la rédemption tant attendue. Les premiers chapitres d’Orot HaTechouvah, dans lesquels il expose ses enseignements sur le repentir, sont publiés à OROT ete 1997 partir de 1905. En 1906, il renouvelle ses efforts visant à la sortie d’un mensuel ; celui-ci doit s’appeler HaNir. Mais ce projet avorte une fois de plus. C’est encore à la même époque qu’il publie un court essai intitulé Ivké Hatzon dans lequel il exprime les préoccupations de sa génération et leurs enjeux spirituels. Préoccupé par l’essor économique du pays, le Rav Kook presse de nombreuses organisations de Diaspora d’acquérir des terres en Eretz Israël et les assiste dans leurs démarches. En 1907 il rédige un ouvrage hala’hique consacré à l’étrog, Etz Adar, dans lequel il établit clairement la supériorité de l’étrog non-greffé qui pousse en Israël, espérant ainsi soutenir le secteur agricole encore embryonnaire. A partir de 1908, il assume certaines responsabilités au sein de l’Ecole Mizra’hi, ce qui lui vaut déjà des cris d’alarme de quelques Rabbins du vieux Yichouv de Jérusalem attachés au ban existant sur l’étude des langues étrangères et des sciences profanes dans les écoles juives. Ce ‘Hérem existe depuis la moitié du XIXème Siècle et est dû en partie aux craintes suscitées par les ravages de la Réforme. Mais depuis son édit il ne cesse d’être combattu par de grandes autorités rabbiniques comme le Rabbin Yéhochoua Leib Diskin de Brisk. C’est notamment son fils, le Rabbin Yitz’hak Yerouham Diskin, qui signera le ‘Herem prononcé contre le Rav Kook lors de la publication d’Orot où le Rav Kook enjoindra à “découvrir les étincelles de sainteté contenues dans les langages et la sagesse des peuples”. L’année sabbatique tombe en 1910. S’engage alors une controverse hala’hique acharnée sur le point de savoir s’il est légitime de vendre la terre afin de ne pas perturber l’agriculture naissante. Cette année-là le Rav Kook publie Chabbat Haaretz : c’est un traité concernant les lois de la Chemitah aux termes duquel il conclut que certaines formes d’agriculture peuvent être permises sous certaines conditions et après notamment que la terre ait été vendue à des non-juifs pour une durée déterminée. Au début de l’année 1914, le Rav Kook est à nouveau sous le feu des zélotes de Jérusalem en raison du poste de responsable spirituel qu’il a accepté de prendre à l’Ecole Ta’hkémoni de Jaffa, où les langues étrangères et les études profanes sont enseignées aux étudiants. C’est également au cours de cette année que le Rav Kook accepte l’invitation qui lui est faite d’assister à la Convention Internationale de l’Agoudat Israël à Berlin. Mais la première Guerre Mondiale le surprend peu de temps après son arrivée en Allemagne. La Convention est annulée et le Rav Kook trouve refuge en Suisse. Pendant deux ans, il réside à Saint-Gallen, puis en 1916, il devient rabbin de la communauté londonienne de Ma’hziké Hadat. Les années à Jaffa ainsi que son séjour forcé en Suisse ont rendu le Rav Kook très prolixe. Sa production littéraire de cette période est peut-être la plus créatrice. La masse de ces écrits qui se composent d’autant de révélations intuitives que d’analyses personnelles profondes, est recueillie dans des carnets de notes. Ces textes ont un large champ d’application : l’individu et la collectivité, le peuple juif et les nations, le bien et le mal ou encore l’Univers et Dieu. Des portions de ces écrits seront publiées plus tard par le fils du Rav Kook, le Rabbin Tzvi Yehouda Jérusalem. Ses activités dans la Ville Sainte sont motivées par les mêmes objectifs que ceux qu’il a fixés pour “la Bannière de Jérusalem”. L’un d’eux est d’établir un Rabbinat et un Grand-Rabbinat pour tout Eretz Israël. Il espère que les Maîtres les plus réputés soutiendront son initiative et que le Rabbinat d’Eretz Israël sera organisé de telle manière qu’il deviendra l’autorité rabbinique centrale pour tout le peuple juif. Il dépense sans compter son temps et son énergie pour la réalisation de ce projet, ignorant l’opposition virulente de ceux qui refusent de reconnaître quelque Rabbinat que ce soit impliqué dans le sionisme. 1920 voit la publication d’Orot, qui lui vaut d’être mis au ban par les deux autorités de l’ancien Yichouv : le Rabbin Yit’hak Yerouham Leib Diskin et le Rabbin Yosseph ‘Hayim Sonnenfeld, ou plus exactement par les plus zélés de leur entourage. Le Rabbin de Gour, Rabbi Avraham Mordé’haï Alter, sera même appelé d’Europe pour rétablir la paix entre les communautés. Une telle effervescence n’empêche pas la majorité des Rabbins d’Eretz Israël de se réunir durant l’été 1921 à Jérusalem et de fonder le Grand-Rabbinat à la tête duquel ils placent le Rav Kook ainsi que le Rabbin Yaakov Meir, premier Grand Rabbin Sépharade. LE MERKAZ HARAV Kook, sous le titre d’Orot; la majorité des textes sera récoltée et éditée par “le Nazir”, le Rabbin David HaCohen dans Orot HaKodech. LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE Peu de temps après l’arrivée du Rav Kook à Londres débute l’activisme politique qui culminera avec la Déclaration Balfour. Le Rav envisage la déclaration britannique sur le “Foyer National Juif” comme “le début de la rédemption” qui transformera la vie de la nation. Il fonde à cette époque “La Bannière de Jérusalem”, organisation visant à unir toutes les factions des religieux avec les laïcs. Son objectif est de parfaire les idéaux politiques et spirituels de la Nation. Il voyage dans de nombreuses villes anglaises et correspond avec les juifs européens ou américains en s’efforçant de les convaincre de rejoindre son camp. Le second objectif du Rav Kook est la création d’une Yéchiva Universelle qui servirait d’institut d’études juives supérieures. Le but de la Yéchiva est double : former des Maîtres dans les études juives traditionnelles mais aussi neutraliser les approches non-traditionnelles du Talmud et de la Bible grâce à d’intensives recherches dans le domaine des controverses soulevées. Il pense également que la renaissance d’une littérature juive religieuse est nécessaire pour répandre la sainteté dans toute la nation. En 1935 le Rav Kook tombe gravement malade, atteint du cancer. Il combat durant plusieurs mois avant de succomber le 3 Eloul 5695 (1935) seize années jour pour jour après son arrivée à Jérusalem pour y servir en qualité de Rabbin de la Ville Sainte. Légendes Le décès de sa fille Esther Yael à l’âge de quatorze ans, juste après Soukkot 5680 (1919) coïncide avec un tournant majeur de la vie publique du Rav Kook. Vers la fin de l’été 1919, le Rav quitte Londres pour occuper le poste de Rabbin de 5 (1) Au XVIIIème Siècle, sous l’impulsion du Baal Chem Tov, naît le ‘Hassidisme qui est un mouvement de renouveau religieux insistant sur le service divin dans la joie et la proximité de tous avec Dieu par le travail de l’esprit. Ce mouvement rencontre un écho populaire sans précédent mais il se heurte à des opposants dans les écoles talmudiques, les “mitnaguedim” dont la conception centrée sur l’étude est plutôt empreinte de rigueur. ete 1997 DOSSIER DIDIER SENANEDJ our ce premier dossier, consacré à l’enseignement du Rav Kook, nous avons choisi de ne pas exposer un aspect particulier de sa philosophie ou l’une de ses prises de position originale qui l’ont placé sur le devant de la scène politico-religieuse. Ces sujets seront traités dans les prochains numéros d’Orot. P our l’heure nous nous sommes P attachés à mettre en relief, autant que faire se peut, ce qui, au cœur même de la pensée du Rav Kook agitait son âme exaltée : le fondement de tous les fondements, Dieu luimême. En effet, pour le cabbaliste, la “Devekout Hachem” (attachement à Dieu) constitue le but ultime. Ainsi, dans un premier temps, le rabbin Naor va-t-il nous guider à la rencontre de la foi du Rav Kook, forgée dans le judaïsme le plus authentique, mais qui, confrontée aux modes de pensée les plus divers, s’en est trouvée renforcée. En effet, et ” A PROPOS DE PAR LE c’est bien l’un des aspects les plus dynamiques de sa pensée, le Rav Kook n’évite, ni ne craint aucune critique, ou opposition. Il estime, comme l’exposent clairement les chapitres 51 et 52 d’Orot HaTehya, que de la discussion jaillit la lumière et que la confrontation des idées permet d’opérer une purification des concepts. Comme l’enseignait notre maître le Grand Rabbin Meyer Jaïs, c’est de la conception que l’on se fait de Dieu que dépend la réponse à apporter aux problèmes fondamentaux que constituent, depuis l’aube de l’humanité, le LA RABBIN BEZALEL NAOR & RAV KOOK - EMMANUEL LEVINAS mystère de l’existence de notre monde et le rôle de l’homme ici bas. Nous verrons à la lecture de la lettre adressée en 1906 par le Rav Kook à l’un de ses condisciples de jeunesse, que la diversité humaine fait partie intégrante du plan divin sans qu’aucune superiorité ou inferiorité de statut soit jamais invoquée à l’encontre des uns ou des autres. Les images qu’il rapporte à propos de la “Yechiva du Messie” et du “Livre d’Adam” sont particulièrement significatives à cet égard. D.S NON EXISTENCE DE DIEU L ” orsque Friedrich Nietzsche déclara que Dieu était mort (1), il déclencha un siècle de tumulte théologique. Plus particulièrement dans les années cinquante et soixante, cette polé- mique devint le sujet des sermons, ainsi que le thème à débattre au n notera avec intérêt, et non sans une certaine curiosité, que deux penseurs religieux de renom envisagèrent avec ironie-et dans un état d’esprit typiquement juif-le défi de Niezsche comme d’un grand intérêt pour la religion plutôt que le contraire. Dans ce qui peut être considéré comme son oeuvre maîtresse, Orot, le Rav Avraham Yizhak ha-Kohen Kook (18651935) écrivit audacieusement les lignes suivantes : O fil des pages des journaux spécialisés. D’une époque à l’autre, la confusion qui s’est établie entre le pur monothéisme et l’obscurité provoquée par la corporéité est progressivement dissipée; et alors que chaque fois qu’un aspect de la corporéité s’effondre, c’est comme si c’était la foi elle-même qui disparaissait, il apparait en dernière analyse que la foi n’est pas amoindrie, mais plutôt qu’elle 6 a été épurée. Dans les derniers jours de l’acheminement de la pensée humaine vers la sphère de la croyance pure, la dernière écorce de la corporéité-l’attribution d’une existence au divin-est tombée car en vérité tout ce que nous définissons par le terme “d’existence” est totalement séparé du divin. Les ombres que fait planer cette négation ete 1997 peuvent sembler de l’athéisme, mais en réalité, il s’agit ici de la plus haute croyance qui puisse être, à condition qu’elle soit convenablement clarifiée... (2) Dans quel sens interpréter ces paroles du Rav Kook à propos de la “non-existence” de Dieu ? Rabbi Moche Yehiel Tsuriel, dans son monumental abrégé, Otserot Rayah (3), indique qu’il faudrait comprendre les paroles du Rav Kook comme réflective de Maïmonide au début du Mishné Torah : DOSSIER 1. Le fondement de tous les fondements et le pilier de la sagesse est de savoir qu’existe un Etre Primordial qui a amené tout existant à être. Toute existence, fût-elle celeste, terrestre, ou relevant d’un ordre intermédiaire, n’existe qu’au travers de Sa vraie Existence. 2. S’il était possible d’imaginer qu’Il n’existât pas, il en découlerait que rien d’autre ne saurait exister. 3. Si, néanmoins, on supposait que tous les autres êtres étaient non-existants, Lui seul existerait toujours. Leur nonexistence n’impliquant pas Sa non-existence, car tous les êtres dépendent de Lui ; mais Lui, béni soit-Il, ne dépend pas d’eux, ni d’aucun d’eux. Ainsi Sa réalité est-elle différente de toute autre. 4. C’est ce que le Prophète entend par : “Mais Le Seigneur est le vrai Dieu” (Jérémie 10 : 10) ; c’est à dire, que Luiseul est réel, et que rien d’autre n’a de réalité comme Sa réalité. C’est la même pensée que la Torah exprime dans le texte suivant : “Il n’y a point d’autre que Lui” (Deut. 4 : 35) ; ce qui signifie, qu’il n’y a pas d’existant réel autre que Lui, comme Lui (4). Selon Maïmonide Dieu n’existe pas dans le sens où les autres êtres existent. Son Existence est absolue, nécessaire, indépendante et primordiale, alors que l’existence de tous les autres est relative, possible, contingente et dérivée. La dynamique des théorèmes de Maïmonide est la relativisation des autres formes d’existence en faisant de Dieu l’Existence elle-même. [L’Existence devient alors l’exact opposé des attributs comme l’ouïe, la vue, etc...qui sont précisément du domaine des êtres humains et employés par la Torah à propos de Dieu dans un sens symbolique (Cf.Les Psaumes 94:9). A l’inverse, l’Existence s’applique à proprement parler au domaine de Dieu, et n’est attribuée aux hommes que dans un sens dérivé.] C’est avec le même raisonnement que, dans son Guide des Egarés, Maïmonide justi- départ d’une nouvelle approche de la divinité. Interviewé par son élève Salomon Malka, il déclara ceci : Le Dieu de Nietzsche qui est mort est celui qui intervenait dans le monde, comme les autres forces du monde, et qu’il fallait orienter comme ces forces (7). fie le Tétragramme-YHWH comme le nom propre de Dieu (5). Compte tenu de ce qui précède le Rav Kook avance la proposition “Dieu n’existe pas” avec une certaine ironie : “Dieu n’existe pas-dans le sens où d’autres êtres existent”. L’objection n’est pas “d’être” en soi face à Dieu, mais seulement “d’être” dans le sens où cela s’applique à tous les autres. Autrement dit, il y a deux sortes d’existence : l’existence (avec un petit “e”) pour tous les autres et l’Existence (avec un grand “E”) pour Dieu. Cette lecture d’Orot est corroborée par un passage complémentaire d’Orot ha-Emounah : Il existe de l’incroyance qui est tenue pour de la croyance, et de la croyance qui est tenue pour de l’incroyance. Comment cela? Il se peut qu’un homme admette que la Torah vient des cieux, mais les “cieux” qu’il se représente sont si étranges qu’il ne reste rien d’une vraie croyance. A l’inverse, comment l’incroyance pourrait-elle être considérée comme quelque chose d’admis? Tel est le cas d’un homme qui réfute le fait que la Torah vienne des cieux, mais son incrédulité est basée seulement sur la conception des “cieux” que se font les esprits vains et insensés, alors qu’il maintient que la Torah doit trouver son origine dans une source supérieure... Ce refus est considéré comme une ratification du principe selon lequel “La Torah vient des cieux” est un exemple de toutes les croyances, générales et particulières (6). [n.d.t. : Ainsi, l’homme qui croit que Dieu existe, mais qui envisage cette existence sous l’angle des caractéristiques de l’existence humaine, celui-là fait-il preuve d’incroyance. Mais à l’inverse, quiconque professe que Dieu n’existe pas-dans le sens où d’autres êtres existent, celui-ci montre une véritable croyance.] De la même manière, le philosophe Emmanuel Lévinas (1905-1995) envisage-t-il la déclaration de Nietzsche, “Dieu est mort”, comme le point de 7 Je pense que toutes ces choses-là doivent être dites avec beaucoup de précaution ; même la manière dont je cherche les circonstances où Dieu “vient à l’idée” peut être prise pour athéisme (8). Le passage d’Orot est renforcé par un parallèle figurant dans Iggerot Rayah : Nous ne devons pas avoir peur de toutes les polémiques suscitées par l’athéisme, mais au contraire nous RABBIN BEZALEL NAOR e Rabbin Bezalel Naor est le fondateur et le président d’Orot, une organisation vouée à la diffusion des enseignements du Rav Kook. Il est également éducateur en pensée juive au Séminaire Théologique Rabbi Yits’hak El’hanan à New-York. Ancien Roch Kollel à Kiryat Arba, Israël, le Rabbin Naor est l’auteur de plus de vingt ouvrages et de soixante-dix articles sur divers sujets d’études et de problèmes contemporains, ainsi que l’éditeur de “Orot Newsletter”. Il a enseigné dans divers endroits comme Cajamarca, Pérou, et Paris en France. Durant ses années à Jérusalem, le Rabbin Naor développe une solide amitié avec le Rav Tsvi Yéhouda Kook, le fils du Rav Kook. Grâce à cette relation privilégiée il a publié une traduction commentée d’Orot. L réjouir de notre capacité à démontrer que ces mêmes tendances, qui semblent si pernicieuses et si contradictoires avec la foi et la religion, en fait, rapprochent le monde de “La Maison du Dieu de Jacob” (Isaïe 2 : 3), Lequel est élevé et exalté. Toutes les attaques intelligentes ne concernent en réalité que l’aspect imaginaire de la nature humaine, lequel se rapporte aux “sentiments de foi”, et ce côté imaginatif doit être détruit ; néanmoins les bonnes choses qu’elle engendre dans le monde doivent être préservées. Des concepts clairs, convaincants et libres de toute forme d’illusion, ne peuvent se trouver que sur le plan profond de la pure unité divine, laquelle est la source fondamentale d’Israël (9). Aussi bien dans les Lettres (10) que dans Orot, le Rav Kook fait allusion à une évolution spirituelle dans laquelle la ete 1997 DOSSIER conscience religieuse de l’Homme atteint des conceptions toujours plus abstraites du divin. “D’une époque à l’autre, la confusion qui s’est établie entre le pur monothéisme et l’obscurité provoquée par la corporéité est progressivement dissipée (11).” Dans ce sens, on peut affirmer sans crainte que le Rav Kook considère Maïmonide comme l’un de ces jalons sur la voie de la décorporéalisation et de l’éclaircissement. “Comment pourrions nous ne pas être reconnaissant envers notre maître Maïmonide pour son formidable travail dans le Guide, d’avoir purifié les fondements de la foi et d’avoir écarté du sein d’Israël les inanités que constituent la corporéité divine ? Il est facile d’imaginer ce qu’aurait été le sort de la Foi, sans son travail empreint de sainteté... Dieu merci, son entreprise a achevé d’éradiquer du coeur de la nation toute entière cette croyance erronée et, dans le coeur de chacun, est désormais établi le principe qu’il faut croire d’une foi parfaite que Dieu “n’est pas un corps et n’est affecté par aucun phénomène physique et ne possède aucune forme que ce soit (12).” Mais alors, pourquoi la réponse au défi lancé par Nietzsche représente-t-elle un jalon supplémentaire ? La proscription de l’existence divine avec un “e” minuscule ne faisait-elle pas déjà partie intégrante de l’agenda du Guide ? “Maïmonide dit que la différence entre l’existence du Créateur, bénisoit-il, et l’existence d’autres existants, est (la différence) entre une existence nécessaire (ou absolue) et une existence possible (13)”. “[Maïmonide] sonde la profondeur de la différence entre l’Existence la plus haute, qui est au-delà de toute appellation, et les attributs existentiels... (14).” N’y aurait-il eu aucune évolution, en terme de théologie juive, qui représenterait un progrès au regard de la définition limpide de Maïmonide ? On se hasarde à dire dans ce sens que selon le Rav Kook, la contribution de la Kabbale (telle qu’énoncée aux dix-huitième et dixneuvième siècles aussi bien par les adeptes de R. Israël Ba’al Shem Tov que par ceux de R. Elijah, Gaon de Vilna(15) est significative en la matière. A cet égard, R. Tsevi Yehudah Kook (16), indique comme source du passage d’Orot, “Les Sélections du Gaon R.Elijah [de Vilna] publié à la fin du [commentaire sur] Sifra di-Zeni’uta, Mystère du Tsimtsoum.” On peut y lire : Sache, en ce qui concerne le En Sof (l’Unique Infini), béni soit-il, que nul ne doit Le contempler, car il est même interdit de L’appeler “Existence Absolue.” Même la première Sefirah est appelée “Ayin” (“N’est pas”), et c’est seulement la seconde (Sefira) que l’on appelle “Yech” (“Est”) car nous savons qu’elle existe, et c’est tout ce qu’il est possible de saisir d’elle (la deuxième Sefira). Néanmoins, en ce qui concerne la première (Sefira), et à plus forte raison en ce qui concerne En Sof, béni soit-Il, il est interdit de Le contempler (17). Cela constitue clairement un rejet (tout au moins partiel, sinon total) de la doctrine de Maïmonide sur l’Existence Absolue ou Nécessaire (18). On peut trouver dans Orot ha-Emounah une présentation plus radicale : En ce qui concerne la plus haute vérité divine, il n’y a aucune différence entre la croyance graphique (ha-emounah hametzouyeret) et l’incroyance. Aucune des deux conceptions ne rapproche de la Vérité, si ce n’est qu’en ce qui nous concerne (le-gabey didan), la foi se rapproche de la vérité et l’incroyance du D ieu “ n’est ni être, ni non-être au-delà de l’être et du non-être” mensonge, et par conséquent, le bien et le mal procèdent de ces deux opposés“Le Juste y marchera ; mais les Pêcheurs y trébucheront” (Osée 14 : 10)- et le monde entier, avec toutes ses valeurs matérielles et spirituelles est tout de notre perspective (le-’erkenou). Et de notre point de vue, la vérité se révèle dans la foi et est la source du bien, alors que le mensonge se révèle dans l’incroyance et est la source du mal. Mais en ce qui concerne le Or En Sof (la Lumière de l’Infini) tout est équivalent (19). Il apparaît qu’ici le Rav Kook opère dans un cadre cabbaliste (cf or En Sof). Bien que le contenu de son discours soit très proche des “Sélections du Gaon R. Elijah”, il semble néanmoins que son inspiration la plus spécifique vienne de la théologie de R. Aharon ha-Levi Horowitz de Starosselje, éminent disciple de R. Schnéour Zalman de Liady et brillant commentateur de la ‘Hassidout “Habad. La preuve la plus marquante en est l’utilisation du terme “le-gabey didan”, qui est un leitmotiv dans la théorie de la relativité du Rabbi de Starosselje (20). Dire que Dieu est au delà de la croyance 8 et de l’incroyance, ce qui est une autre manière de dire qu’il est au delà de l’existence et de la non-existence, constitue une avancée significative par rapport à la théorie de “l’existence absolue” de Maïmonide. Maïmonide avait réservé la pleine signification du terme “d’existence” à Dieu, en partant des cas les plus bas d’existence pour arriver au plus haut : l’Existence Absolue. Le Rav Kook a totalement banni ce terme de la théologie, celui-ci ne pouvant s’appliquer à Dieu d’aucune manière. [A ce point du raisonnement on pourrait arguer que la différence entre l’”existence la plus haute” et “ce qui est au delà de l’existence et de la non-existence” est purement sémantique et que les deux traditions philosophique et Cabbaliste concordent tout à fait. Cette question mérite d’être approfondie.] Lévinas, qui n’a jamais revendiqué aucun penchant particulier pour la Cabbale, a néanmoins atteint le même résultat de manière tout à fait indépendante. C’est dans son essai, “Dieu et la Philosophie” extrait de son ouvrage De Dieu qui vient à l’idée, que Lévinas expose de la manière la plus complète et la plus ordonnée sa conception de Dieu. Dans le paragraphe 3 il écrit : C’est pourquoi le discours philosophique doit pouvoir embrasser Dieu - dont parle la Bible-si toutefois ce Dieu a un sens. Mais pensé, ce Dieu se situe à l’intérieur de la “geste d’être”. Il s’y situe comme étant par excellence... Et ce n’est pas par hasard que l’histoire de la philosophie occidentale a été une destruction de la transcendance. La théologie rationnelle, foncièrement ontologique, s’efforce à faire droit dans le domaine de l’être à la transcendance en l’exprimant par des adverbes de hauteur appliqués au verbe “être” : Dieu existerait éminemment, ou par excellence. Mais la hauteur - ou la hauteur d’au-dessus de toute hauteur qui s’exprime ainsi, relève-t-elle de l’ontologie ? Et la modalité que l’adverbe emprunté à la dimension du ciel étendu au-dessus de nos têtes fait valoir ne régit-elle pas le sens verbal du verbe “être”, au point de l’exclure -insaisissabledu pensable, au point de l’exclure de l’esse se montrant, c’est à-dire se montrant sensé dans un thème ? (22) Lévinas ne cite aucun nom mais on peut affirmer sans aucune hésitation qu’il s’agit d’une attaque directe contre Maïmonide. Dans un texte plus ancien, “Le Nom de Dieu d’après quelques textes talmudiques” (publié dans L’Au-delà du verset), il écrit à diverses reprises que Dieu n’est “ni être, ni non-être - au-delà de l’être et du non-être” (23). ete 1997 DOSSIER Son crédo (ou plutôt son anti-crédo) est particulièrement révélateur : “Lorsque je reconnais cette influence juive, j’aimerais ne pas parler en termes de croyance ou d’incroyance. Croire n’est pas un verbe à employer à la première personne du singulier. Personne ne peut réellement dire je crois-ou je ne crois pas en ce qui nous concerne- que Dieu existe. L’existence de Dieu n’est pas une question relevant de l’âme d’un individu utilisant des syllogismes et de la logique. Elle ne peut pas être prouvée.” (24) Pour revenir au Rav Kook, son dialogue révolutionnaire avec l’athéisme évoque une autre tradition ‘Hassidique: celle de Braslav. Effectivement, la suite de notre passage d’Orot présente une similitude remarquable avec le célèbre discours de Rabbi Na’hman, “Bo el Paroh”. Le Rav Kook conclue : Mais la foi d’Israël prend racine dans le En Sof (l’Infini), qui est au-dessus de tout contenu de la foi. C’est pourquoi la foi d’Israël est réellement considérée comme l’idéal de la foi et la foi de l’avenir, Ehyéh Acher Ehyé (“Je serai ce que je serai”) (25), ce qui est inestimablement plus élevé que ce que contient la foi dans le présent. La conception spirituelle doit descendre de nombreux niveaux pour pouvoir être appelée la foi d’Israël en tant que foi présente et pas l’idéal de la foi. Ainsi, dans la foi elle-même apparaissent les dommages de l’incroyance mais ils ne peuvent prétendre atteindre l’idéal de la foi. Celui-ci est au-delà du concept de l’incroyance comme il est audelà de la croyance... La “Cinquantième Porte”, l’idéal de la foi, qui pour Moïse lui-même resta un idéal hors de portée (26), n’a pas son équivalent dans l’impureté. Et l’influence de cette Cinquantième Porte, de l’idéal de la foi, prodigue une vie surnaturelle à toutes les autres portes et force “l’écorce” de l’incroyance, dépourvue d’idéal, à abdiquer devant la sainteté de la croyance connectée à l’idéal éternel (27). Nous avons certainement parcouru un long chemin depuis la conception de Maïmonide de l’Existence Divine Absolue. Alors que chez Maïmonide le nom Ehyéh Acher Ehyé dénote une existence absolue dans le présent (28), pour le Rav Kook, formulée au futur, l’expression Ehyéh Acher Ehyé offre la promesse d’une révélation future. Selon un enseignement Cabbaliste (29), la Cinquantième Porte qui fut refusée à Moïse durant sa vie, lui fut accordée lorsqu’il mourut sur le Mont Nébo. De même, dans le discours de R.Na’hman, Moche Rabenou -qui à présent doit adopter le silence comme moyen de se relier au flux de croyance/incroyance qui jaillit de l’antinomie primordiale de l’existence/non- existence de Dieu, laquelle résulte de la Contraction Cosmique ou du Tzimtzoumchantera dans le futur, après la résurrection, de la manière la plus éloquente qui soit, le chant de la foi qui procède du En Sof ou de l’Infini (30). Rabbi Na’hman se débat avec l’ange de l’athéisme comme le fait le Rav Kook : pris dans le vide de ce monde, Dieu est et n’est pas tout à la fois (31). Rabbi Na’hman également enracine la foi d’Israël dans l’Infini (En Sof) qui est au-delà du Vide (halal hapanouy) : Les Enfants d’Israël sont appelés Ivriim (les Hébreux) car par leur foi ils surpassent (ovrim) l’hérésie qui procède du Vide. Et c’est pour cette raison que Dieu est appelé le Dieu des Ivriim (Exode 3 : 18), comme dans Ever ha-Nahar, “La Rive du Fleuve” (Josué 24 : 2), ce qui signifie que la Divinité entoure le Vide résultant du Tzimtzoum, car Elle a contracté la lumière vers les rives, les côtés. De même Israël est appelé Ivriim, car par leur foi en le Dieu des Côtés, ils transcendent l’athéisme (32). Le Rav Kook, en tant que représentant moderne de la tradition mystique juive, répond au défi de l’athéisme grâce à la notion de En-Sof qui est au-delà de l’Existence, ainsi qu’avec celle de l’idéal de la révélation future. Ainsi, le mélange de réflexions cabbalistes nouvelles, avec d’un côté celles de R. Elijah, le Gaon de Vilna (1720-1797) et d’un autre côté celles de R. Na’hman de Braslav (17711811) et de R. Aharon ha-Levi Horowitz de Starosselje (1766-1828), a-t-il donné naissance à une nouvelle configuration cosmique. Légendes : (1) Friedrich Nietzsche, Also Sprach Zarathustra/Thus Spoke Zarathustra dans Nietzsche (Walter Kaufmann, trad.) [New York 1968] II, p. 202 ; IV, pp. 373, 375, 398, 399. (2) R. Avraham Yizhaq ha-Kohen Kook, Orot (Jérusalem, 5740) pp. 127-128. Il ne s’agirait pas de l’unique propos du Rav Kook relevant le défi de Nietzsche sans mentionner son nom. Comparer Orot, pp. 88-89, avec The Genealogy of Morals (Francis Golffing, trad.) [Garden City, N.Y., 1956] pp. 167-170, 185-186. (3) R. Moche Y. Tsuriel, Ozerot Rayah (Tel Aviv, 5748) I, 223. C.f. R.A.Y.H. Kook, Eder ha-Yeqar (Jérusalem, 5745), p. 41-42. (4) Moses Maimonide, Sefer ha-Madda-The Book of Knowledge (Moses Hyamson, ed.), Jérusalem, 1971, p. 34 a. Cf. l’introduction de Maïmonide au Commentaire sur la Michna, Sanhedrin, Chap. X (le premier principe), et le Guide des Egarés (Shlomo Pines, trad.) [Chicago, 1963] I,52 (quatrième groupe), II, Introduction (dix-neuvième et vingtième préliminaires) et II,1-en plus des sources déjà rapportées par R. Tsvi Yehuda Kook à la fin d’Orot, p. 182 : “Guide des Egarés” I, 8, 35, 56, 57. Voir aussi les commentaires de Rav Kook sur le livre ‘Hezyone Amatsyahou (Keidan, 5694) 12 : 2, republié dans M. Zuriel, Ozeret Rayah, II, pp. 1035-1036. (5) Guide des Egarés I,61. (6) R.A.Y.H. Kook, Orot ha-Emounah (Jérusalem, 5745) p. 25. (7) Voir aussi Edith Wyschogrod, Emmanuel Levinas-The Problem of Ethical Metaphysics (The Hague, 1974) p. 80, n. 9. (8) Salomon Malka, Lire Lévinas (Paris, 1984) p. 113. (9) R.A.Y.H.Kook, Iggerot Rayah (Jérusalem, 5722) I, 50 (Lettre 44). (10) Ibid, pp. 46-48. (11) Cité ci-dessus, note (2) et c.f. R. Na’hman de Braslav, Liqoutey Maharan, I, 6 : 3. (12) R.A.Y.H. Kook, Ma’amrey ha-Rayah 9 (Jérusalem, 5740) I, 106. La citation est tirée du troisième des Treize Principes Fondamentaux de la Foi, célèbre et très populaire résumé des principes de Maïmonide dans son introduction à son commentaire du dixième chapitre de la Michna, Sanhedrin (Pereq Heleq). (13) Ma’amrey ha-Rayah, p. 108. Historiquement, la question de savoir jusqu’à quel point la croyance anthropomorphique était stagnante en Israël avant la campagne de Maïmonide pour la décorporéisation, est une question passionnante. En faveur du Rav Kook on peut ajouter les sources suivantes : R. Moché Taku, Ketav Tamim (Ms.Paris B.N.H 711 ; Ozar Nehmad, III, Vienne, 5620 ; Akademon (facsimile), (Jérusalem, 5744) ; Kitvey Ramban (Chavel, ed.) [Jérusalem 5728] I ; 345348 ; Ché’élot Ou-Techouvot Rachba I, #414 (lettre de R. Yedayah b. Abraham Bedersi). (14) Orot ha-Emounah, p. 59. (15) Voir Iggerot Rayah I, 304 (Lettre 266). ete 1997 (16) Orot, p. 182. (17) Il doit être rappelé pour mention qu’il existe certains doutes quant au fait de savoir si Les Sélections ont bien été écrites par le Gaon. Voir R. Chelomo Elyachev, Lechem Chevo veA’helemah/’Heleq ha-Beourim (Jérusalem 5695) 5a et la défense de l’attribution par Y. Avivi, Kabbalat ha-GueRA (Jérusalem, 5753), p. 27. (18) Voir aussi David S. Shapiro, “The World Outlook of Rabbi Kook,” dans Samuel K. Mirsky Memorial Volume (New York, 1970) p. 79. [Le Professeur Lawrence Kaplan de Montréal a porté à mon attention le fait que Rabbi Joseph B. Soloveitchik, dans son essai “Ou-Viqachtem mi-cham” (Ha-Darom, Tichri 5739) p. 78, note 15 in fine, souligne que les affirmations figurant dans Les Selections du Gaon sont une opposition à Maïmonide.] Dans ce texte attribué au Gaon, l’Existence Absolue est plutôt analysée comme l’est l’Intellect dans la pensée de R. Schneour Zalman de Liady (l’opposant du Gaon) : elle est reléguée au rôle d’une hypostasis. Voir Maïmonide, M.T., Hil. Yessode ha-Torah 2 : 10, Hil.Techouvah 5 : 5, Guide des Egarés I, 68; R. Yehoudah Loewe (Maharal) de Prague, Guevourot Hachem, Deuxième Introduction ; idem, Dere’h ‘Hayim 5 : 6 (Honig ed. pp. 233-236); R. Schneour Zalman de Liady, Tanya I, 2 (note), II, 9 (note) ; R. Menahem Mendel de Loubavitch, Derekh Mitzvotekha, Chorech Mitzvat ha-Tefilah, Chapitres 29-30 ; R. Avraham Yitzhaq ha-Cohen Kook, Iggerot Rayah III, 207-208 (lettre 896). Ainsi, tant selon le Gaon (en admettant qu’il faille bien lui attribuer le texte sus visé) que d’après le Ba’al ha-Tanya, la perception de Maïmonide de la divinité n’a pas été audelà de la deuxième séfirah, ‘Ho’hmah ou “Yech”. En réalité, la tradition ‘Habad est beaucoup plus explicite que Les Sélections du Gaon quant au caractère inapproprié de la terminologie existentialiste de Maïmonide. Voir R.Yizhaq Eisik ha-Levi Epstein d’Homel, Hanah Ariel (Berditchev, 5672) Toledot 43b. Après avoir exposé que le terme employé par Maïmonide pour Dieu, Matzouy (Existant), est contestable pour les Cabbalistes, R.Eisik le met en rapport avec metzia, “objet trouvé” se rapportant à quelque chose qui apparaît après avoir été dissimulé. [R. Chlomo Elyachev, dont l’ouvrage Lechem Chevo ve-Ahlamah est le point culminant de la Cabbale d’origine Mitnagued, fait une observation comparable, dans Haqdamot ou-Chearim 1 : 2.] En ce qui concerne Dieu, néanmoins, le côté caché et le côté “trouvé” (dévoilé), les deux aspects d’absconditus et de revelatus, sont tous deux infinis. Comme R. Bahya ibn Paquda le dit de manière si éloquente dans ‘Hovot ha-Levavot, Chaar ha-Yi’houd, chap. 10 : “Où pourais-je Te trouver ? Où ne pourais-je point Te trouver !” (Hanah Ariel, ibid.) Voir également R. Chalom Dov Schneerson, Sefer ha-Ma’amarim (5659) s.v. Tze’enah ou-Re’enah, p. 182. (19) Orot ha-Emounah, pp. 23-24. Cf. R.A.Y.H. Kook, ‘Arpiley Tohar (Jerusalem, 5743) p. 30, où l’on trouve une opposition semblable de la Volonté et de la Nécessité, de l’Intentionnel et de l’Accidentel. (20) Voir Rachel Elior, La Théorie de la Divinité dans la ‘Hassidout ‘Habad (Hébreu) [Jerusalem, 1982] p. 28. Pour d’autres conceptions de la théorie kabbaliste de la relativité, voir R. Moche Cordovero, Pardes Rimonim 4 : 4 ; R. Schnéour Zalman de Liady, Tanya II, 6 (p. 81b) ; et R. ’Hayim de Volozhin, Nefesh ha-’Hayim III, 5 [cité par Norman Lamm, dans Torah for Torah’s Sake (Hoboken, 1989) pp. 82-84]. Dans la terminologie du Pardes Rimonim, l’expression retenue pour la relativité serait “be-erkenou”; dans le langage du Nefesh ha-’Hayim : “mi-zidenou”. Pour autant que je sache, “le-gabey didan” est une expression propre au Rabbi de Starosselje. [Je pense qu’une analyse plus approfondie de l’ensemble de l’oeuvre de Rav Kook permettrait de révèler d’autres éléments de la ‘Hassidout de Starosselje. Pour débuter, comparer ‘Arpiley Tohar du Rav Kook, p. 15 paragraphe commençant par “Life’amim”, à Chaarey Avodah 4 : 10 de R. Aharon ha-Levi Horowitz de Starosselje (cité par Elior p. 271).] Néanmoins, voir également R. Moché ‘Hayim Luzzatto, Kalah Pit’hey ‘Hokhmah (Jerusalem, 5747) petah 27, p. 81 : “le-gabey didan”; idem, Adir ba-Marom, II (Jérusalem, 5748) p. 74 ; R. Immanouel ‘Haï Ricchi, Yocher Levav (Amsterdam, 5502) 10a : “le-gabey didan... le-gabey ha-En Sof Atsmo”. (21) Voir Lévinas, L’Au-delà du verset (Paris, 1982) p. 150, n. 6. (22) Lévinas, De Dieu qui vient à l’idée (Paris, 1986) p. 95. C.f. aussi Eric Gutkind, The Body of God (New York: Horizon Press, 1969) p. 29 : “La théologie est athéisme extrème parceque dans la théologie celui qui existe est subordonné à l’existence, idolâtrisant l’existence.” (23) Lévinas, L’Au-delà du verset, pp. 148, 157. Assez curieusement, dans cette même étude (p. 147) Lévinas cite verbatim le début du Michné Torah de Maïmonide, qu’il mutile sérieusement en traduisant “che yech cham matzuy richon” par “que le Nom existe et qu’Il est l’être premier.” Par erreur, il a vocalisé cham en chem, qu’il traduit alors par “Le Nom”. Est-ce que le Professeur Lévinas traduirait également par “Le Nom” le même mot dans, par exemple Hil.Taaniyot 5 : 1 ? En ce qui concerne l’utilisation du mot “cham” par Maïmonide tout au long du Michne Torah, voir S.H. Kook, Iyounim ou-Mehqarim (Jérusalem, 5719) pp. 320-321. (24) Face to face with Levinas (Richard A. Cohen, ed.) [Albany, 1986] p. 18. (25) Exode 3 : 14. (26) Roch Ha-chanah 21b. (27) Orot, p. 128. (28) Guide I, 62-63. (29) R. Isaiah ha-Levi Horowitz, Chnei Lou’hot ha-Berit, Vaet’hanan, citant R. ’Hayim Vital. Cf. R. Nathan Shapiro, Megalleh Amouqot (252 Ofanim), ofan 29 et 50. (30) R. Na’hman de Braslav, Liqoutey Maharan I, 64 (sp. pars. 3,5). Voir Joseph G.Weiss, Studies in Braslav Hassidism (Heb.) [Jérusalem, 1974], Chap. VIII (sp. pp. 123-128, 139-140). (31) Liqoutey Moharan, ibid, par. 1 (cité par Weiss, pp. 123-124). (32) Liqoutey Moharan, ibid, par. 2 (cité par Weiss, pp. 143). Yeshivat Har Etzion : Alon Shevut - Gush Etzion 90433 - Tel. : 02-9931-456 - Fax. : 02-9931-298 - E-mail : [email protected] Yeshivat Mahon Meïr : 2 Hameiri Street - PO Box 34107 Jerusalem 91340 - Tel : (02) 652-5997 - Fax : (02) 651-4820 - E-mail : [email protected] DOSSIER ADRESSES UTILES Yeshivat Mercaz Harav Kook : 12 Ben Dor St. - P.O.Box 5010 Jerusalem 91050 - Israel - Tel. : 02-6524793,02-6524821 - Fax : 02-6540356 - E-mail : [email protected] Torah Outreach Program : 54 ‘Habad Street - Jerusalem - Israel - Tel. : 02-288968 - E-mail : [email protected] 10 Yeshivat Ateret Cohanim : P.O. Box 1076 - Jerusalem 91009 Israel - E-mail : [email protected] Mossad HaRav Kook : PO Box 642 - Jerusalem 910006 - Tel : 02-5260 231 - Fax : 02-526 968 ete 1997 ”R OROT ha-te’hiyah LES LUMIERES DE LA ENAISSANCE CHAPITRE 51 & 52 ” après une traduction et un commentaire du Rabbin Bezalel Naor D’ dans OROT-The Annotated Translation of Rabbi Abraham Isaac Kook’s Seminal Work, (Jason Aronson Inc., New Jersey, 1993). ant que la nation n’éprouve pas le besoin de corriger de manière générale l’approche concrète qu’elle a de la vie, les impuretés qui ternissent la compréhension du divin, de la crainte de Dieu, de la Foi et de tout ce qui s’y rattache, ne causent pas de dommages apparents. Cependant, lorsque le temps arrive où la nécessité de la renaissance nationale se fait sentir et où la véritable “Corne du salut” doit être révélée, immédiatement ces impuretés commencent à gêner. Il devient alors impossible pour la nation de s’unir et de parachever au plus profond de son être ce qui est le secret de sa force et la mise en oeuvre de ses commandements, si ce n’est grâce à des conceptualisations et des actes clairs procèdant de la pureté liée à la véritable connaissance de Dieu, autrement dit à la plus haute clarification qui soit. C’est la raison pour laquelle se développe impudemment une grande force négative lors des “prémices du Messie” (1), mais c’est cette opposition elle-même qui va permettre de purger tout ce qui est encore trouble (2) dans les conceptions théologiques ainsi que dans les orientations nationales qui en dépendent. Bien qu’il soit affreux de voir autant de belles choses, de bonnes qualités, de lois et de coutumes être balayées de la sorte et apparemment déracinées par ce déluge de DOSSIER T négativité- tout finira malgré cela par se développer dans la pureté et dans la force, dans la plus haute sainteté, depuis le noyau le plus sûr, le plus pûr et le plus exalté qu’aucune négativité ne peut affecter. Sa clareté resplendira sur Sion d’une nouvelle lumière (3), d’une merveilleuse splendeur dépassant de loin les conceptions que peuvent s’en faire, avec leurs faibles (4) pouvoirs, des âmes épuisées matériellement et spirituellement par un long et aliénant (5) exil. faiblesse, le mensonge et l’iniquité, ces dernières soutenant elles-même occasionnellement les bonnes fondations que constituent l’humilité, la modestie, la foi etc... Mais de la même manière que le bien occasionné par le méchant est exécrable pour le juste (6), le bénéfice que le bon et le sacré retirent du mal et de l’impur produit de nombreux maux. La lumière de la rédemption ne sera actualisée qu’avec la destruction de toutes les mauvaises fondations, même celles qui soutiennent le bon et le sacré. Bien que la bonté, la sainteté et la foi en souffriront et apparaîtront par là affaiblies, en vérité cet affaiblissement et cette descente seront une ascension et un encouragement. En effet, après l’éradication de ces mauvais éléments, la lumière de la splendeur (7) et de la sainteté commencera immédiatement à croître sur les bases saines de la connaissance (8), de la sagesse (9), de la puissance (10), de la gloire (11), de l’endurance (12) et de la splendeur (13). Ainsi, à la fin des jours, le royaume d’éternité (14) sera fondé (15) par la lumière et la bonté de Dieu ainsi qu’au travers de la fidélité de l’amour de David (16), en alliance perpétuelle qui ne cessera jamais. Il dit : “Assurément, ils sont bien mon peuple, enfants qui ne mentiront pas, et il devient pour eux un sauveur. Dans toutes leurs afflictions il était affligé, et l’ange de sa présence les a sauvés; dans son amour et sa pitié il les a rachetés, et il les a pris et les a portés pour toujours” (17). Parfois, des choses bonnes et saintes reposent sur des causes laides telles que la Légendes (1) Michna Sotah 9 : 15. (2) De l’hébreu keheh. Dans le texte original d’Arpiley Tohar (Jérusalem, 5743), p. 28, on trouve l’expression “halouch ou-mékhoar”, “faible et répugnant”. Puisqu’Arpiley Tohar précède Orot dans le temps, il faut en conclure que notre version est une tentative visant à atténuer le ton nettement plus péjoratif de l’original. Le Rav Kook pensait que le Judaïsme tel qu’il émergeait du long Exil vers la lumière du Jour (de la Rédemption) aurait à se défaire de certaines conceptions erronées qui s’étaient infiltrées dans la théologie et qui avaient assombri la vie juive. Voir notamment les extraits suivants: Du fait du moratoire général sur l’étude sacrée des sujets touchant à la divinité, le concept même de la divinité s’est progressivement obscurci par manque d’efforts intellectuels et émotionnels. Dans le même temps, la peur de l’extérieur, la foi naturelle et la soumission contrite sont demeurées dans de nombreux coeurs comme un héritage des temps anciens, quand la connaissance et l’émotion de Dieu brillaient si intensément que leur impact direct embrassait toutes les âmes. 11 Puisqu’ainsi la conscience interne de Dieu est maintenant amoindrie, l’essence divine est considérée par les masses -et même par certains individus supposés être des lumières pour ces masses- comme simplement une force dominatrice à laquelle personne ne peut échapper et à laquelle la sujétion est due. Quand une personne se soumet au service divin dans une situation aussi désolée, avec une mentalité aussi sombre, pleine d’une confusion qui vient à l’esprit lorsque l’on réfléchit sur Dieu sans l’intellect ni la Torah (la peur inférieure, yirah tataah, provient de sa source qui est la peur supérieure,yirah ilaah), ete 1997 DOSSIER cette personne perd alors progressivement la notion de la splendeur de ce monde car elle se forge une mentalité emprunte de l’idée de punition (katnout ha-mohin). Alors, ce qui se révèle à l’âme n’est pas la gloire de Dieu mais plutôt la petitesse de vaines chimères qui peignent le tableau d’un être factice, troublé, appauvri et furieux, un tel tableau terrorisant et déprimant quiconque y croit. Il paralyse le coeur et empêche la gentillesse humaine de s’affirmer tout en déracinant l’éclat divin qui se trouve au fond de l’âme. Et quand bien même une telle personne répèterait-elle toute la journée que sa croyance est celle en un Dieu Unique, ce ne serait qu’un cliché vide de sens duquel son âme n’aurait aucune connaissance véritable. Toute âme sensible se doit d’ignorer un tel cliché qui constitue précisément l’incroyance typique de l’époque des “prémices du Messie”, quand les eaux constituant la mer de la conscience de Dieu se sont vidées au sein de l’Assemblée d’Israël (Knesset Israel) et dans le monde entier. (Zeroim, “Souffrance cathartiques”, republié dans l’édition de 1950 d’Orot, p. 126). Lorsque la prière est corporéalisée, elle devient une imposture, une idolâtrie. Il y est alors fait appel à un dieu conçu comme étant sévère, dictatorial et recherchant la servilité de ceux qui le servent. Un tel dieu est gratifié lorsqu’on vient lui demander ses faveurs en rampant. Alors sa nature sévère est adoucie et il accède à la requête qui ne représente rien d’élevé mais juste un simple souhait. Une telle prière n’est pas convenable, elle est même viciée et idolâtre; il lui manque l’essence même de la prière et elle doit être considérée comme pécheresse. (Ozerot haRayah II, p. 919). (3) Extrait de la Prière du Matin. Fin de la première bénédiction du Chéma dans le rite Achkénaze. (4) “Dal” (au singulier) dans l’édition de 1920 est corrigé “dalim” (pluriel) en 1950. (5) De l’hébreu dildoul, littéralement “appauvrissement” et deloulah (appauvrie) dans Arpiley OROT ” LETTRES DE FEU 13 KISLEV 5667 - 30 NOVEMBRE 1906 ” nspiré librement d’une traduction et un commentaire du Rabbin I Tzvi Feldman dans “Rav A.Y. KOOK, Selected letters” (Maaliot Publications, Yechivah Birkat Moche, Maaleh Adoumim, Israël 1986). ar la grâce de Dieu, en la Sainte Ville de Jaffa, puisse-t-elle être reconstruite et affermie, le 13 Kislev 5667 (1). A mon ami, le grand Rav, le sage et exalté, notre maître, le Rav Chmouel Alexandrov (2), que sa lumière brille. Paix et bénédiction. Vos lettres me sont parvenues il y a déjà un moment et je tenais particulièrement à y répondre en raison du respect que je vous porte et également du bénéfice qui en résulterait, mais j’ai été pris dans le tourbillon d’obligations pressantes et comme je voulais vous répondre en détail ainsi qu’avec la clareté qui s’impose-tâche qui demande beaucoup de temps libre-j’ai dû reporter. Néanmoins, lorsque je me suis aperçu que le problème était sans fin et que je vous devais une seconde réponse, j’ai décidé de ne plus attendre. Je vais écrire rapidement, autant que je le peux, en répondant P Tohar (Jérusalem, 5743). (6) NAZIR 23B; YEBAMOT 103 (7) De l’hébreu zohar. Dans Arpiley Tohar, p.109, tohar, “pureté” (8) Daat en hébreu. (9) ‘Ho’hmah en hébreu. (10) Guevourah en hébreu. (11) Tiferet en hébreu. (12) Netza’h en hébreu. (13) ‘Hod en hébreu. (14) Toussad en hébreu, de Yessod. (15) Mal’hout en hébreu. Il semble que le Rav Kook fasse ici allusion au “Mystère de la mort des Rois” ou au “Mystère de la brisure des Vases”. Sur les ruines des royaumes du mal se dressera Mal’hout Olamim, “Le Royaume d’Eternité. Voir également Israel Ou-Te’hyato, “Israël et sa renaissance, Orot, Chapitre XIII. (16) Isaïe 55 : 3. (17) Isaïe 63 : 8, 9. dans l’ordre à chacune de vos lettres. Bien que je doive être très bref, j’espère que cela suffira pour quelqu’un d’aussi sage que vous. (...) (3) Ce processus dépend évidemment de la qualité de la révélation de cet amour extrême, ainsi que de l’affirmation par Israël de son pouvoir original, non pas grâce à des habits d’emprunt (4) mais par sa propre source d’inspiration. Tout ce qui trouve son origine dans la sagesse de l’humanité n’est pas emprunté. Cela nous appartient autant qu’au monde entier mais ce que l’humanité ne peut pas donner-l’immense amour de Dieu imprimé dans l’histoire d’une nation tel un fil rouge marquant tout ce qu’il entoure et ce, depuis le début de son existence en tant que nation distincte, avec ses hauts et ses bas- cela ne 12 peut être trouvé au sein de l’humanité. L’humanité n’y est pas encore prête; elle est toujours vêtue de ses habits d’enfant, attendant qu’Israël l’aide à ,s’en défaire. C’est pourquoi cela nécessite qu’Israël utilise son pouvoir originel qui est toujours à sa disposition. A notre époque où “les plantes attendent juste sous la surface du sol” (5) la lumière d’Israël est en passe d’être révélée. Si nous voulons vraiment être sages et vertueux et revenir [au judaïsme] par amour, nous rapprocherons la rédemption finale ainsi que le salut de l’humanité-qui dépend largement de nous. Nous nous trouvons bien au-dessus de toutes les philosophies du désespoir, y compris de celles qui, bien qu’étant les plus raffinées et les plus attrayantes, ne sont en réalité que de vaines moqueries. Même le renouveau “néo-Kantien” ne peut porter atteinte à la part la plus infime soit-elle, de la force d’Israël. Il est vrai, comme nous l’avons toujours su-sans pour autant avoir besoin de Kant pour nous révéler ce secret-que toute connaissance humaine est relative et subjective. C’est ce qu’on appelle [le concept de] “la Royauté” qui est telle ete 1997 un réceptacle sans pouvoir par luimême, ou encore “la Synagogue”, ou “la Lune”, et qui reçoit l’illumination. Tous nos actes, nos émotions, nos prières, nos pensées-tout dépend de “zot”, “Be-zot ani botea’h” “En cela j’aurai confiance” (6). Mais quiconque est issu d’un peuple païen dont les ancêtres ont été capables de s’écarter du Dieu d’Israël, “qu’ils appellent le Dieu des dieux”, (7) peut [à plus forte raison] détourner également son esprit de Ce qui est inévitablement plus grand que tout; même si pour nous également Il parait être sans existence puisqu’Il n’a aucune forme intellectuelle ou métaphysique. Mais nous, nous savons qu’il ne peut en être autrement et que tout ne peut découler que de Lui. Nous ne parlons ni même essayons de contempler la Source de toutes les sources, mais par le c’est le Seigneur ; nous l’avons attendu; nous serons heureux et nous nous réjouirons dans son salut” (16)”. “Heureux le peuple qui se trouve dans une telle situation, heureux le peuple dont l’Eternel est Dieu” (17). Ce n’est pas vers Kant que nous devons nous tourner mais vers la Mer Morte, le Sinaï, Jérusalem, Abraham, Moïse, David, Rabbi Akiba et Rabbi Chimon Bar Yo’haï, et vers tous ceux qui nous sont chers, qui sont notre vie et la joie de nos coeurs pour toujours. “Préparez la voie du Seigneur, un chemin droit dans la plaine pour notre Dieu”, “Et il y aura une voie, un chemin, et on l’appellera le chemin de la sainteté... Et ceux qui seront rachetés y passeront” (18). Tout ce que les hommes les plus brillants et les plus sublimes peuvent être amenés à concevoir se trouve déjà dans notre trésor sous une forme plus complète et plus haute et, ce qui est plus important, sous une forme divine. C’est là que réside la différence entre rien et tout. Maintenant, Dieu merci, nous nous trouvons proches de la rive [de la rédemption]. Nous pouvons porter notre drapeau bien haut. L’esprit pur et sacré qui émane de notre source a d’ores et déjà subjugué la totalité du monde scientifique et de l’éthique, à tel point que nous ne devons plus hésiter à proclamer notre victoire. Bien sûr, cette proclamation ne sera pas acceptée dans le monde entier, mais seulement à l’endroit ou elle fut acceptée pour la première fois, à la place où la lumière resplendit, sur la Montagne de Sion. Même les plus faibles esprits parmi nous vivront, se redresseront et se tiendront sur leurs pieds. Maintenant que notre éprouvante [de sa maison,] de sa nation si solide, ordonnée et distinguée, n’est qu’une fabrication de l’esprit. Mais nous devons également marcher avec ces captifs qui se sont éloignés de la table de leur père et nous devons leur dire sans haine: Frères, [même] s’il est comme vous le dites, des propos de légende ayant une telle capacité à engendrer le bien et la bénédiction, l’espoir infini et la morale, de tels propos sont si précieux et nobles qu’ils ne peuvent qu’être les paroles du Dieu vivant. En conséquence, il importe que tout ce qui a pu être décidé en leur nom soit gardé avec honneur et amour. Même si c’est insuffisant à les revivifier complètement, ce sera suffisant pour ouvrir une porte, pour écarter le mépris et la haine, le rejet et le dégoût pour tout ce qui a trait au judaïsme, même dans les coeurs de ceux de ses enfants qui en sont le plus loin. Et l’éclat du savoir intérieur, la morale majestueuse et élevée, la clarification des très hautes aspirations de la nation toute entière, combinées avec une solide intégration des aspirations les plus raffinées de l’élite de l’humanité, rapprocheront de plus en plus nos enfants de la sainteté extrême. Et ils reviendront et vivront une vraie vie, une vie de grandeur, de courage et de sainteté. dos sier simple fait que nous ne le nions pas, tout peut vivre et exister à jamais (8). C’est cela l’idée majestueuse et éternelle d’Israël même si, au bout du compte, cette idée n’est elle-même révélée qu’au travers de la Che’hina (9). Et puis quoi! Le néant et le “Je” [Ain et Ani] s’écrivent avec les mêmes lettres (10). Mais il ne s’agit pas ici du monothéisme, lequel nie les talents, l’amitié et la beauté. Le monothéisme est une invention des Gentils, une traduction imprécise, une sorte de compréhension de l’infini qui se contredit elle-même, et qui par conséquent ne peut mener à rien (11). Ce n’est pas la source du nom du Dieu d’Israël qui est l’infini et l’incompréhensible cause de toute existence, parce qu’il est l’existence-même du monde (12) qui ne peut être compris et dont on ne peut parler qu’au travers des nuances des couleurs (13) et qu’au moyen de ses nombreux hauts faits et de sa paix abondante, de son épanchement d’amour et de courage. [Seul] Israël qui proclame “c’est mon Dieu et je veux l’embellir” (14) peut dire cela, [et cette phrase ne peut trouver écho] dans le désert aride du monothéisme islamique pas plus que dans le négationisme bouddhiste (15); c’est seulement [en vivant] la plus haute existence qui apporte la joie à tous et donne vie à tout, révélée au travers de la perception subjective de tous les coeurs qui la recherchent et la comprennent, “Et tout un chacun pointera du doigt disant “Non point, c’est notre Dieu ; nous l’avons attendu pour qu’il nous sauve ; travail spirituel a grandi et s’est étendu, autant dans le respect de notre propre survie que dans celui du monde entier, sur quoi les plus faibles d’entre nous peuvent-ils encore porter leurs doutes ? Seulement sur l’incapacité à expliquer le passé en fonction des données du présent. Pour cette raison, [certains soutiennent par exemple] que les parties narratives de la Torah ne sont peut-être que des mythes qui n’ont jamais vraiment eu lieu. Mais ce même doute ne peut qu’avoir été emprunté aux Gentils. En effet, quiconque s’estime avoir grandi et être né dans une maison particulière en connait bien les règles de fonctionnement et ne peut vraisemblablement penser que l’existence et l’histoire 13 Il ne me semble plus nécessaire de m’étendre davantage en détail sur le sujet du miracle de l’existence du Ain (Néant) (19), et du conundrum de l’unité des opposés (20). Tout cela résulte t Notre ravail spirituel a grandi et s’est étendu, autant dans le respect de notre propre survie que dans celui du monde entier d’un regard désinvolte et d’un a priori extérieur. La pensée juive, si élevée, ne peut tolérer la séparation des opposés. Comment nous serait-il possible en effet de constater d’une part que, dans l’ensemble du monde sensible, la vie et les choses sont toutes construites par le rapprochement et l’harmonisation des opposés-le positif et le négatif, le froid et le chaud, les mâles et les femelles- ete 1997 alors que, d’autre part, le monde des idées ne serait qu’une étendue aride et désolée, décomposée et corrompue, sans connections ni relations, seulement figée dans le trouble et la confusion? Il ne fait aucun doute que le daltonisme intellectuel (21) consistant à penser que les opposés n’existent pas et que tout est révélé en une seule couleur, est une erreur. Mais comme il est vrai et clair que les hauts Partzoufim (22) du monde spirituel, perceptibles par toutes les âmes sensibles au savoir, joignent, unissent, harmonisent et connectent [les opposés] comme elles le font dans le monde inférieur, permettant à des couleurs invisibles de devenir des nuances vivaces. Comme elle est bénéfique, plaisante, vraie et joyeuse cette grande et puissante loi qui guide l’homme au delà de la mortalité (23)! “Quand tu marcheras elle te conduira; quand tu te coucheras elle te gardera; et quand tu te réveilleras elle marchera avec toi” (24). Il est évident que tout ce que nous voyons, entendons, et ressentons à quelque propos que ce soit, et surtout en matière de morale ou de raisonnement et à plus forte raison tout ce qui touche la divinité, n’est qu’apparences et appellations. Sous ces dernières se trouve le vrai contenu plus durable et plus vivant, par lequel toutes choses s’unissent. Toutes les formes de connaissance ne sont que des aspects particuliers de la forme interne, partiellement révélée, de la même manière qu’une partie de l’océan est révélée à Même si ces mots ne servent qu’à éclairer l’intellect et augmenter le courage de ceux qui se tiennent déjà dans le cercle [des religieux], étant pourtant déjà sensibles sans ces explications, cela n’en demeurera pas moins extrêmement bénéfique, en ce sens que si ces gens sont eux-même raffermis dans la sainteté, ils seront capables de guérir et d’élever d’autres... ensemble corrige d’une main puissante toutes les doctrines et toutes les religions, leurs principales sources, ramifications et chemins, et scrute minutieusement leurs essences et leur buts en les plaçant toutes dans un système ordonné et hierarchisé, jusqu’à ce qu’il constitue le Partzouf cumulatif de toute l’humanité, le “Livre d’Adam” (25), et qu’il unisse ce qui est révélé à ce qui est caché, le passé avec le présent et les deux avec le futur. Et par cette expansion permanente, il se rapproche tranquillement du “trésor de vie” particulier à Israël où il trouve tout, tous les germes de félicité et de vie, à tel point qu’il n’est plus nécessaire de faire disparaître quoi que ce soit. Il transforme tout en lumière, les ténèbres en clarté, l’amertume en douceur. Il s’agit là de la Torah complétée par le Roch Yechiva dans le palais du Messie (26). Quant à moi, je n’ai écrit que des articles, de simples observations, pauvres et insignifiantes, qui n’aideront à réveiller le coeur que de certains hommes sages et exceptionnels. L’éveil du coeur portera ses fruits. Cet éveil et sa formidable proclamation doivent débuter en Terre d’Israël. C’est mon désir et mon espoir. [Ainsi,] le bien qui existe dans le matérialisme historique [le marxisme] restera de lui-même avec nous. A ce propos, il nous apparait avec certitude qu’il lui est impossible de se maintenir en tant que doctrine permanente, fût-elle ancienne ou rénovée, avec tous ses effets et ses ramifications. Une telle doctrine a besoin d’être élaguée et taillée, raffinée et purifiée, et ce qui est bon en elle durera à jamais comme tout ce qui est compatible avec la lumière d’Israël, sa force et son éternité. (...) (27) A ceux qui révèrent le nom du Seigneur de Jacob, à ceux qui ont choisi l’héritage de Jacob, ces mots peuvent apporter une nouvelle vie et une joie qui remplit le coeur. Je doit m’arrêter ici. Paix et bénédiction, selon votre désir et celui de votre ami qui recherche votre bien-être. Avec un grand amour, Humblement vôtre, Avraham Yitz’hak Hacohen Kook. dos sier RABBIN TZVI FELDMAN e Rabbin Tzvi Feldman enseigne et étudie à la Yechiva Hesder, Birkat Moche, à Maaleh Adoumim, Yechiva qui combine l’étude de la Torah avec les obligations militaires au sein de Tsahal. L celui qui se tient sur sa rive. Ce n’est qu’en connectant de nombreuses perspectives que l’on peut approcher la perception du tout, même si ses parties semblent certainement se contredire l’une l’autre. Si tel est le cas dans le monde objectif, il en est a fortiori de même dans le monde subjectif, où nous ne cherchons à voir que la beauté, l’harmonie et à écouter notre impression profonde. Dans un tel monde, c’est notre simple capacité à expliquer qui unifie et connecte ces conceptes. A l’inverse, seul un défaut d’appréciation peut amener à séparer, ou simplement à être négligent dans l’unification sous l’effet d’une certaine indolence. Si je devais être amené à écrire un “livre” [de philosophie] j’explorerais certainement les profondeurs du contenu de l’esprit, pour proposer un système [expliquant] pourquoi nous ne devons pas craindre toutes les divisions des discours hérétiques. Nous ne devons pas avoir peur de toutes les polémiques suscitées par l’athéisme, mais au contraire nous réjouir de notre capacité à démontrer que ces mêmes tendances, qui semblent si pernicieuses et si contradictoires avec la foi et la religion, en fait, rapprochent le monde de “La Maison du Dieu de Jacob” (Isaïe 2:3), Lequel est élevé et exalté. Toutes les attaques intelligentes ne concernent en réalité que l’aspect imaginaire de la nature humaine, lequel se rapporte aux “sentiments de foi”, et ce côté imaginatif doit être détruit; néanmoins les bonnes choses qu’elle engendre dans le monde doivent être préservées. Des concepts clairs, convaincants et libres de toute forme d’illusion, ne peuvent se trouver que sur le plan profond de la pure unité divine, laquelle est la source fondamentale d’Israël. Dans un “livre”, il faudrait certainement tout aborder en détail afin d’indiquer comment on peut approcher les idées fondamentales en réfutant les inanités et en montrant comment [par leur purification] elles peuvent devenir vibrantes, sûres et délicieuses, avec une influence certaine sur la vie et le monde réel. Mais un tel livre serait extrêment long. Quand bien même serait-il aussi court et concis que possible, il serait impossible d’accomplir correctement la tâche en un seul livre et en une seule génération. C’est pourquoi notre but essentiel doit être de relever la gloire de la sagesse propre d’Israël, de la tirer d’où qu’elle puisse être, afin que pas même une goutte ne soit perdue de cette citerne. [Il doit s’agir] non seulement d’un corpus de littérature morale, de recherche, de philosophie, ou de cabbale, chacun avec sa propre singularité, mais encore d’une louange de la valeur et de l’étendue de la connaissance de la pensée juive et de la pensée humaine depuis ses racines les plus profondes jusqu’au delà des idées humaines les plus hautes. Cet 14 [IGROT 44] ete 1997 OROT Légendes (1) Le 30 Novembre 1906. (2) Le Rav Kook correspondit durant de nombreuses années avec le penseur S. Alexandrov (1865-1941) qui avait étudié avec lui à la Yechiva de Volozhin. Bien qu’Alexandrov soit resté pratiquant jusqu’au jour de sa mort entre les mains des nazis, ses idées radicales en firent bien souvent un hérétique aux yeux de certains. La plupart de ses échanges d’idées avec le Rav Kook ont été publiés par Alexandrov dans son livre Mi’htevei Me’har Ouvikoret (1ère Partie, Vilna 1907; 2ème Partie, Krakovie 1910; 3ème Partie, Jérusalem 1932). (3) La première partie de cette lettre explique que “l’essence de l’existence juive ne se trouve que dans l’amour de Dieu” et que cette qualité intrinsèque est inaltérable. Cette “lumière” unique du judaïsme est aussi un éclairage pour toute l’humanité mais elle se révèle plus particulièrement dans le peuple juif. Cela n’exclut pas l’existence d’individus exceptionnels et d’une grande sagesse au sein des nations, mais le peuple juif, pris dans son ensemble et en tant que tel, est unique dans sa quête de Dieu. Cette qualité du judaïsme n’est pas seulement un trait de son caractère national, mais c’est aussi ce qui fait la particularité de sa foi, qui vise à révéler à l’humanité toute entière l’amour de Dieu dans sa plus grande complétude. (4) Allusion aux idées des autres nations. (5) “Rav Assi a soulevé une contradiction : un verset dit “Et la terre produisit de l’herbe” en parlant du troisième jour, alors qu’un autre verset dit à propos du sixième jour “Aucune pousse n’était encore sur la terre”. Cela nous enseigne que les plantes attendaient juste sous la surface du sol qu’Adam vienne et prie, alors elles jaillirent.” ‘Houlin 60b. (6) Psaumes 27 : 3. Le Zohar indentifie le mot zot avec la sefira Mal’hout (la Royauté). Mal’hout est la dernière des dix sefirot et n’a pas de pouvoir par elle-même. Les cabbalistes utilisent de nombreux symboles pour décrire cette sefira, parmi lesquels la lune qui n’émet pas de lumière par elle-même mais réfléchit celle du soleil et la synagogue qui n’est pas intrinsèquement sacrée mais qui reçoit sa sainteté grace à ceux qui viennent y prier. Le Zohar (2ème Partie, 23a) décrit Mal’hout comme étant “celle qui par elle-même est sans lumière mais qui est tournée vers les autres et les éclaire comme une lampe qui reflète le soleil”. De cette manière Mal’hout reçoit toutes les lumières supérieures et ce n’est qu’à travers elle que SPÉCIAL INTERNET l’abondance de la lumière divine atteint le monde. C’est pourquoi “tous nos actes, nos prières et nos pensées”-qui sont des expressions de la sainteté et de la révélation de la lumière divine au travers des actions humaines-dépendent de cette sefira qui est le lien entre les mondes supérieur et inférieur. Mal’hout est aux plus hautes sefirot ce que le phenomenon est au noumenon dans la terminologie de Kant. (7) “Le Dieu d’Israël a été appelé “le Dieu des dieux” à travers le monde et néanmoins les nations ont choisi de ne pas l’adorer” Mena’hot 110a. (8) Il nous est impossible d’avoir une perception directe de Dieu. Nous ne pouvons nous confronter à son Etre de manière conceptuelle qu’au moyen de la sefira de Mal’hout qui est notre seule possibilité de nous faire une conception de Son émanation. Nous ne pouvons percevoir ni concevoir les sefirot de manière directe, pas plus que l’Infini de quelque manière que ce soit. Ce n’est qu’en nous abstenant de le nier qu’il nous est possible de nous exprimer à son égard ou de le concevoir. (9) La Che’hina qu’on traduit généralement par “la Présence Divine” est également assimilée à la sefira de Mal’hout et représente la Présence Divine dans le monde inférieur. (10) L’hébreu Ain (néant) est l’anagramme de Ani (Je). Ain symbolise la conception la plus élevée de la divinité, le Ainsof ou l’Infini, que nous ne pouvons concevoir. En ce sens c’est le “néant”. Ani est le symbole de Mal’hout, la sefira la plus basse et celle avec laquelle nous pouvons avoir la relation la plus directe possible, la plus personnelle (“Je”) avec Dieu. Bien que le conception négative indirecte de l’Infini ne soit possible qu’à travers Mal’hout, ou la Che’hina, qui est le seul canal possible pour toutes les lumières divines, c’est en fin de compte indifférent. Mal’hout et Ainsof ont une connexion mystique spéciale. Puisqu’en matière de cabbale chaque lettre de l’alphabet hébraïque a une signification particulière et symbolise une certaine lumière divine, deux mots différents qui contiennent les mêmes lettres doivent avoir un lien spirituel. (11) Le terme même de “monothéisme” est contradictoire dans sa définition puisque le concepte de l’infini n’accepte aucune définition. (12) “Lorsque nous tentons de circonvenir le nom du Seigneur pourquoi l’appelons nous Makom [lieu, endroit] ? C’est parce qu’il est les prémices du monde mais que son monde ne constitue pas ses prémices”. Berechit Rabba 5 : 68. (13) Mal’hout est comparé à une perle qui reflète toutes les couleurs du spectre. (14) Exode 15 : 2. (15) Le but que vise le bouddhiste est d’atteindre le Nirvana qui est la négation complète de tous les désirs. (16) Zohar, 1ère Partie, 23a. La citation est d’Isaïe 25 : 9. (17) Psaumes 144 : 15. (18) Isaïe 40 : 3; 35 : 8, 9. (19) C’est une référence à l’ouvrage du Rav Kook, Eder Hayakar, p. 33. Il y explique que le plus haut degré de divinité est appelé Ain (néant), puisqu’il est totalement inconcevable pour l’esprit humain. Dans sa lettre, Alexandrov affirme que l’existence du néant est une impossibilité logique. (20) Alexandrov argue que les opposés, tels que l’existence et le néant, ne peuvent être unis ou même co-exister. (21) Forme de cécité relative aux couleurs, dénommée ainsi d’après le nom du chimiste anglais John Dalton qui fut le premier à l’identifier. (22) Terme cabbalistique rappelant la configuration des sefirot. (23) Jeu de mots sur le Psaume 48, verset 5 où al mout peut être lu comme ayant la signification de “dans la jeunesse” ou “audelà de la mortalité”. (24) Proverbes 6 : 22. (25) Le Livre d’Adam fut donné par Dieu à Adam. Il contient la généalogie de toute la race humaine jusqu’à la fin des temps et il décrit chaque génération avec ses figures emblématiques, ses sages et ses chefs. Voir Baba Metzia 85b. (26) Zohar, 1ère Partie, 4b.”Il entendit une voix proclamer: “Faites place, faites place, parce que le roi Messie arrive à la Yechiva de Rav Chimon” Car tous les justes là-bas ont été dirigeants d’académies sur terre et ils sont devenus élèves de la Yechiva céleste; quant au Messie, il visite toutes ces académies et appose son sceau sur toutes les décisions qui sortent de la bouche des savants”. Ainsi le Messie collecte la vérité et la sagesse de tous les hommes sages de l’univers. (27) Ici le Rav Kook continue sa lettre en exposant l’importance de la Cabbale et de la Haggada, puis s’étend un moment sur l’étude critique de la Bible et sur le rôle que doit jouer à cet égard la Yechiva Universelle qu’il entend créer à Jérusalem, mais ces sujets feront l’objet d’une étude plus particulière dans un prochain numéro. Yeshivat Mahon Meïr : http://165.254.113.2/education/machon -meir/ Yeshivat Mercaz Harav Kook : http://www.virtual.co.il/education/education/mercaz/ Yeshivat Ateret Cohanim : http://www.jer1.co.il/orgs/orgs/ateret/ Site consacré au Rav Kook : http://www.ort.org/anjy/hadracha/kook/ orot_fr.htm Ecrits du Rav Aviner : http://www.col.fr/aviner 15 ete 1997 ” ” OROT OUVERTURES RABBIN JOSEPH B.SOLOVEITCHIK C et article est extrait de “Hachkafot Ha-Rav-Reflections of the Rav” Volume 1, Leçons de pensée juive adaptées des cours du Rabbin Joseph B.Soloveitchik, par Abraham Besdin (KTAV Publishing House, Inc. Hoboken, N.J.). e terme d’Havayah, composé des quatres lettres, youd, hé, vav, hé (le Tétragramme), se distingue particulièrement des autres noms de Dieu. Alors que ces derniers sont dérivés de Ses attributs, c’est à dire de Ses actions telles qu’elles se manifestent à l’homme, le nom Havayah se rattache à Son essence qui est d’Etre et c’est pourquoi on l’appelle le Chem Hameyou’had, “le Nom Unique” (Sifré, Nom.143) ou le Chem Hameforach, “le Nom Explicite” prononcé par le Grand Prêtre le jour de Yom Kippour ; on ne le nommera “le Nom Ineffable” que plus tard lorsqu’on ne pourra plus le prononcer (Yoma 39b ; Sotah 37b). DOSSIER L Toutes ces raisons confèrent à ce nom une haute sainteté ainsi qu’une différence fondamentale avec les autres appellations divines. Il y a une majesté particulière associée à ce nom et grande est la crainte de le prononcer car il évoque Dieu lui-même et pas seulement un aspect de la perception que nous pouvons avoir de lui. Alors que les autres noms sont des noms communs qui sont aussi employés pour certaines choses (par exemple “élohim” pour “les juges”, “adoni” pour “mon maître”, etc...), le Tétragramme (Havayah) s’applique exclusivement à Dieu. Havayah traduit une Existence Eternelle, c’est la forme abrégée de hayah, hoveh, veyiheyeh, qui signifient que Son existence embrasse totalement le passé, le présent et l’avenir infini. Dieu est Existence et le monde est soutenu par Lui qui, “dans Sa Bonté, renouvelle la création chaque jour, continuellement” (Office du Matin). Ainsi, Dieu n’est-Il pas seulement le Créateur (Elohim) mais aussi le Sustentateur (Havayah). Maïmonide ouvre son magnum opus, le Michné Torah, par la formulation du premier Article de Foi. “Le fondement essentiel et le pilier de toute sagesse est de savoir qu’existe un Etre Primordial, matzouï richon, qui a amené tout existant à être. Et toute existence, de quelque ordre qu’elle soit, ne tire son existence que de la véritable source de toute Existence” (Hil.Yessode Hatorah 1 : 1). Il est intéressant de noter que Maïmonide évite d’utiliser les termes employés par la Bible pour la création, boré, nivra et beriah, leur préférant les termes matzouï, mamtzi et nimtza. Pourquoi cette évidente prédilection pour des termes philosophiques contemporains plutôt que pour la terminologie biblique? Apparamment, Maïmonide estime que beriah et ses dérivés peuvent être trompeurs; ils pourraient suggérer qu’il n’y eut qu’un seul acte de création divine en un seul et unique moment, après lequel Dieu Se serait détaché du monde. En arrivant à cette conclusion, c’est tout le Judaïsme, la Torah et les Mitzvot qui s’effondreraient ! Les termes matzouï ou mamtzi, néanmoins, établissent clairement que Dieu continue de veiller, de s’inquièter et de soutenir le monde et que son existence continue est contingente à la Sienne. En effet, la combinaison de chacune des premières lettres des quatres premiers mots de la formulation de Maïmonide -Yessod Hayessodot, Veamoud 16 RABBIN JOSEPH B.SOLOVEITCHIK e Rabbin Joseph B.SOLOVEITCHIK est né en Pologne en 1903 dans une famille célèbre pour ses Talmudistes. Son grand-père, Rav ‘Haïm de Brisk et son père Rav Moché, ont donné un nouveau souffle à l’étude du Talmud par une nouvelle méthodologie mettant l’accent sur une recherche scientifique et une analyse rigoureuse. Le jeune Rabbin Joseph B. s’imprègne de cette méthode d’étude talmudique grâce à l’enseignement qu’il suit sous la direction de son père, le Rav Moche. L Il poursuit ses études profanes à l’Université de Berlin où il se lie d’amitié avec le futur Rabbi de Loubavitch Mena’hem Mendel Schneerson. Là, il s’intéresse aux mathématiques et aux sciences physiques, puis plus particulièrement à la philosophie, la logique la métaphysique et l’épistémologie. En 1931 il obtient son doctorat grâce à sa thèse portant sur l’Epistémologie et la Métaphysique dans l’oeuvre d’Hermann Cohen. Arrivé aux Etats-Unis en 1932, il s’installe à Boston où il dirige et développe l’école Maïmonides Day School. En 1941 il succède à son père en tant que Roch Yéchivah et Professeur de Philosophie à Yeshivah University où il prend également l’habitude de donner des cours hebdomadaires à des étudiants avancés. Sa maîtrise de la Hala’ha et ses connaissances étendues en matières profanes, alliées à une acuité particulière envers les problèmes modernes (il adhère au mouvement Mizra’hi, le parti national-religieux en Israël, qui voit en lui un de ses chefs spirituels) font de lui l’un des personnages les plus influents du Judaïsme américain et mondial. Il décède en 1993. RABBIN ABRAHAM R. BESDIN e Rabbin Abraham R.Besdin est Mousmach de la Yéchivah Rabbénou Yitz’hak El’hanan à Yeshivah University, ainsi que le dirigeant spirituel de la Communauté d’Etz ‘Haïm de Flatbush à Brooklyn, New-York. Il est l’auteur de deux ouvrages sur le Rav Soloveitchik. L Ha’ho’hmot (le fondement des fondements et le pilier de toutes Sagesses)forme le nom Havayah (le Tétragramme) ; ceci, afin de souligner que Dieu est Celui qui soutient le monde et pas simplement son créateur. ete 1997 ” ” OROT LE FRUIT ET L’ ARBRE PAR LE RABBIN HILLEL RACHMANI (ADAPTÉ PAR SIMMY MIRVIS) u début de la Création il était destiné que l’arbre ait le même goût que le fruit. Toutes les actions qui ont un but spirituel élevé devaient être ressenties par l’âme avec le même sentiment d’élévation , d’allégresse et de délice que ce que nous imaginons du but lui-même. Mais l’existence terrestre, l’instabilité de la vie, la lassitude de l’esprit lorsqu’il est enfermé dans la corporalité, ont amené à ne goûter que le fruit de la réalisation du but final, qui incarne l’idéal primaire, et de ne ressentir que dans la finalité le plaisir et la splendeur. Mais les arbres qui portent des fruits, avec tout ce qui est nécessaire à la croissance du fruit sont devenus de la matière ordinaire et ont perdu leur goût. Ceci est la faute de la terre par laquelle elle fut maudite, lorsque Adam fut lui aussi maudit. ”(1) A travail devient une corvée. Le faible reflet de son but est la seule chose qui le retient. C’est dans cette situation que le Rav Kook voit le résultat de la faute de la Terre. Dans la parabole le Fruit c’est le but, le goût correspond à l’inspiration et l’arbre représente les moyens de réaliser le but. A l’origine, les moyens d’arriver au but étaient supposés être remplis des mêmes sens de plaisir et d’inspiration que le résultat final. La satisfaction de la fin pénétrait le processus qui y menait. Cependant, le péché de la Terre était de garder toute l’inspiration dans le but, laissant aux moyens un goût insipide. RABBIN H I L L E L R A C H M A N I ans ce passage, le Rav Kook traite du célèbre midrach (2) où il est question de la faute de la Terre pendant les Six Jours de la Création. Au troisième jour, le Saint, béni soit-Il ordonna : “Que la Terre produise des végétaux ... des ‘arbres-fruits’, portant des fruits”. La terre a désobéi à l’ordre originel et n’a produit que des “arbres qui donnent des fruits”. Dans les yeux des Sages, la terre a fauté en ne produisant pas des “arbres-fruits”. Quels sont donc , ces arbres dont l’écorce et les branches avaient eux-mêmes un goût de fruit ? Nous connaissons uniquement les arbres dont l’extérieur brun est employé pour le bois de chauffage, tandis que seul le fruit offre un bon goût. D Ce midrach nous intrigue. Comment des objets inanimés peuvent-ils fauter ? Est-ce que la terre a le libre-arbitre, comme l’homme, de se révolter contre son Créateur ? Dans une de ses lettres, le Rav Kook explique que le midrach emploie le mot “faute” pour décrire un défaut de la nature. Ce défaut, qui semble être un phénomène naturel, est le sujet dont le Rav Kook faisait mention précédement. Le Rav Kook explique le midrach par une parabole : “Nous connaissons tous le phénomène qui veut que lorsque l’on contemple quelque chose d’une haute nature spiri- tuelle, nous nous emplissons d’une certaine sensation “d’allégresse et de joie”. Imaginons que nous sommes le Grand Prêtre entrant dans le Saint des Saints à Yom Kippour. Ce serait sûrement une expérience très enrichissante. Mais nous savons tous qu’il n’est pas si facile d’atteindre ce niveau de spiritualité. La préparation nécessaire est énorme. Et c’est précisément pendant ce processus de préparation fastidieux qu’il est si facile de perdre l’inspiration représentée par le but à atteindre.” L e Rabbin Hillel Rachmani enseigne et étudie à la Yechiva Har Etzion à Alon Shevut. “Mais chaque défaut est destiné à être réparé. Ainsi nous sommes assurés que le jour viendra où la Création retournera à son état originel, et l’arbre aura le goût du fruit. Alors la terre se repentira de sa faute et il n’y aura plus d’obstacles aux délices de la lumière idéale, qui sera soutenue par des moyens appropriés sur la voie de la réalisation et stimulera son émergence de potentialité vers la réalité.” (1) Il y a un espoir pour le monde malgré la faute de la terre. Le Rav Kook dit que chaque faute tôt ou tard sera réparée, même celle de la terre. Aujourd’hui déjà, nous commençons à voir les débuts de ce “Tikkoun” (réparation). Par exemple, imaginez un professeur qui sort de l’université. Il est plein de rêves d’éducation des jeunes de classes sociales défavorisées, voulant fournir aux enfants une chance de réussir dans ce monde. Mais dès le début il est confronté aux réalités pénibles et banales de l’enseignement. Les copies à corriger s’entassent sur son bureau. Son 17 Les hommes idéalistes qui éprouvent le plaisir de la finalité dans les moyens servent d’exemple. Il y a 15 ans, j’étais un des membres fondateur de la ville d’Ofra. Nous avions commencé dans un campement de baraquements provisoires. Toute la journée nous faisions des travaux extrêmement durs, afin de poser des clôtures sur les montagnes environnantes. Mes compagnons avaient le feu dans leurs yeux. Chaque mètre parcouru avait autant de signification pour eux ete 1997 que le résultat final de leur labeur. Ils avaient rapproché l’écart qui existait entre la finalité et les moyens. Ce passage a servi de modèle à la pensée du Rav Kook en matière de finalité et de moyens. Cela va nous permettre d’identifier maintenant ces idées d’arbre et de fruit, et de finalité et de moyens, avec un nouvel ensemble de concepts : le Kodech et le ‘hol (le sacré et le profane). Les concepts de finalité et de moyens du Rav Kook vont nous servir de base à la compréhension du rapport entre le Kodech et le ‘hol. Le Kodech est l’intérieur, “le goût” de la réalité ; il est la signification de l’existence. Le ‘hol qui est détaché du Kodech devient ainsi fade et neutre, sans aucune signification. C’est, bien sûr là, une formulation extrême. Il n’y a pratiquement rien dans le monde qui n’ait pas une certaine forme de sens. Cependant, nous décrivons le Kodech et le ‘hol comme ayant des niveaux différents de sens. A la lumière de cette définition nous découvrons que le rapport entre le “fruit et l’arbre” peut être abordé de façons différentes. Plus les moyens, représentés par l’arbre, s’identifieront au but à atteindre, le fruit, plus ils auront du goût et du sens (les deux traductions du mot Hébreu “ta’am”). Et inversement, plus les moyens se détacheront de ce qui doit être le but ultime, plus ils deviendront insipides, superficiels et vides de sens. Le judaïsme essaie de nous éduquer à sanctifier nos vies, ou autrement dit, à mettre le goût du fruit dans l’arbre. Il est de notre devoir de relier tous les éléments profanes et matériels de la vie aux buts spirituels, qui reflètent la signification absolue de l’existence, donc à Dieu Lui-même. Légendes (1) Orot Hatechouva 6,7 (Ed. Mossad HaRav Kook) . (2) Genèse Rabba 5,9. ” ” OROT DOSSIERS À VENIR DANS LE PROCHAIN NUMÉRO • La contreverse d’Orot • L’année Sabbatique REMERCIEMENTS • La place du corps UN GRAND MERCI À : • Le végétarisme • L’art et l’esthétique • Le rapport aux non-juifs • Le Hassidisme • Mysticisme et Rationnalisme - Madame Laurence KLAJMIC (Correction des textes et patience) - Monsieur Laurent TORJMAN (Photogravure et T’chatch) - Madame Elisabeth SENANEDJ (Idem) - Monsieur Pierre WUNEN-BURGER (Recherche iconographique et scooter) - Monsieur Thierry BARTIN (Assistance technique) - Le Mercaz Harav KOOK (Imageries culturelles) - Monsieur Frédéric BLANC (Création graphique et boissons) - La Synagogue de Neuilly-Sur-Seine (Soutien moral et financier) - Monsieur le Rabbin Barouh LEVY (Collaboration culturelle) - Monsieur le Rabbin Lévy AZIMOV (Soutien moral et technique) - Monsieur le Rabbin Tsvi TAU (Conseils et encouragements) - Monsieur David ZAOUI (Conseils juridiques) 18 ete 1997 ”A REVUE DE PRESSE ” lors qu’en Diaspora l’assimilation est galopante et que la plupart des commu- (1) Le Rabbin Jonathan Blass est rabbin de Neveh Tzuf en Samarie. Il dirige le programme d’enseignement rabbinique Ratzon Yehouda destiné aux élèves diplômés des Yechivot Hesder (Yechivot qui combinent l’étude de la Torah avec les obligations militaires au sein de Tsahal). nautés se radicalisent pour se protéger plutôt que d’essayer d’endiguer l’hémorragie, les derniers affrontements épistolaires en Israël entre ‘Harédim et non-religieux ne donnent guère plus d’espoir quant à l’avènement d’une société juive harmonieuse, en paix avec elle-même et rayonnant sur les nations. La presse s’est faite l’écho à de nombreuses reprises de la surenchère effectuée par les opposants et les partisans de l’ouverture ou de la fermeture de la Rue Bar Ilan à Jérusalem. est ainsi qu’Ornan Yekoutieli, conseiller municipal hiérosolymitain et leader du parti Meretz a pu déclarer : “La question est alors de savoir si l’image de Jérusalem est rationnelle, culturelle et orientée vers le XXIème siècle, ou bien si nous rétrogradons vers le Moyen-Age. Il faut donc savoir si nous voulons nous tourner vers Téhéran, ou bien poursuivre en direction du monde occidental... Si Bar Ilan ne constituait pas une voie de transit pour 60.000 résidents du Nord de Jérusalem et 60.000 autres du Sud de la capitale, je ne me serais pas opposé à sa fermeture.” (The Jerusalem Post-Edition Française, semaine du 14 au 20 Août 1996). De son côté, le premier adjoint au maire ‘Haïm Miller, qui dirige au sein du conseil municipal le groupe Yaadout Ha-Tora (le judaïsme de la Tora), expose les revendications ultra-orthodoxes : “Je ne saurais tolérer qu’à Tel Aviv on ferme une rue (Dizengoff) le chabbat pour le commerce des cafés et des pubs, et qu’à Jérusalem on n’autorise pas la clôture d’une rue pour des prières... Utilisez donc une autre route qui vous prendra deux, trois ou peut-être cinq minutes supplémentaires, afin que nous puissions vivre en juifs, côte à côte à Jérusalem.” (ibid.). Visiblement le dialogue ne passe pas d’une communauté à l’autre et l’incompréhension ne semble pouvoir qu’augmenter quand, dans la même période, un supermarché de Jérusalem, cédant à la pression des clients ‘harédim, interdit l’accès de son magasin aux femmes qui ne sont pas couvertes selon la Hala’ha (The Jerusalem Post, 9 août 1996), ou qu’un officier de police féminin se fait attaquer dans sa voiture par des ultra-orthodoxes alors qu’elle enquête sur les agressions dont sont victimes certaines femmes employées au Ministère de l’Education, qui jouxte Méah Chearim (Jewish Chronicle, 9 Août 1996). Chaque camp se retranche derrière ses positions et nul ne tente d’envisager le problème dans sa globalité. Face à ce dialogue de sourds, n’y a-t-il plus rien à faire qu’à baisser les bras en attendant la venue du Messie? Le Rav Kook croyait trop en l’homme pour se résoudre à de telles extrémités. Et c’est en C’ Légendes digne élève de cette école de pensée que le Rabbin Jonathan Blass (1) s’est exprimé sur les douloureux affrontements autour de la rue Bar Ilan : “(...) La campagne qui s’en est suivie pour obtenir sa fermeture le Chabbat reflète un esprit insulaire contraire à l’engagement aux côtés de tout le public juif qui a permis à la communauté religieuse d’exercer une influence positive et décisive sur le sort des dernières élections israëliennes. Personne ne pense qu’il y aura plus de juifs qui observeront ou n’observeront pas le Chabbat si la rue est ouverte ou fermée aux voitures. Hala’hiquement parlant, c’est une infraction tout aussi grave de conduire sur une déviation que sur la Rue Bar Ilan. Réduire la circulation dans un quartier en l’augmentant dans un autre n’est d’aucune influence sur la religiosité du public israëlien. Le débat ne porte pas sur l’observance de la Torah sur la Terre d’Israël, mais sur le confort et la commodité. Alors que pour ceux qui conduisent le Chabbat il n’est pas commode de faire un détour dans le but d’éviter Bar Ilan, pour les résidents de la communauté religieuse, il est plaisant de pouvoir flâner dans les rues le Chabbat sans avoir à faire attention à la circulation. Alors pourquoi tout ce tumulte ? Quelle est la question de principe qui est ici en jeu ? Le combat de Meretz pour garder Bar Ilan ouverte à la circulation le Chabbat est basé sur son interprétation partisane des libertés civiques, en ce qu’elles doivent prévaloir sur toute législation basée sur des valeurs juives. Les groupes religieux favorables à la fermeture de la rue le Chabbat prétendent que c’est la légitimité même du mode de vie religieux qui est ici mise en cause. Si la Rue Dizengoff de Tel Aviv est fermée le vendredi soir à la circulation afin que les occupations séculières puissent y être mieux appréciées, les mêmes considérations devraient être accordées à ceux qui profiteraient encore plus du Chabbat avec la fermeture de Bar Ilan. Ainsi se présente l’argumentation, toute solution moindre étant considérée comme discriminante à l’encontre de la communauté religieuse. Mais contrairement à la fermeture des rues 19 dans un quartier de distractions, la fermeture d’une aire résidentielle durant tout le Chabbat classerait définitivement celle-ci dans la catégorie religieuse et plus aucun non-religieux ne voudrait venir y vivre. Il est vrai que les rues de certaines synagogues sont fermées durant les heures de prières. Mais combien de juifs non-pratiquants voudraient emménager dans un quartier qui est juridiquement interdit aux voitures durant tout le Chabbat? La ghettoïsation, même volontaire, qui établit des enclaves séparées pour les juifs religieux en les entourant de murailles légales tenant les autres à l’écart, est mauvaise pour les religieux comme pour les non-religieux. Cela encourage le contentement de soi chez les religieux et limite l’influence de la Torah là où elle est le plus nécessaire: chez ceux qui ne la connaissent pas. Il n’est plus alors étonnant de voir que l’isolationnisme religieux est accueilli avec enthousiasme par ceux qui, à gauche, y voient un complément de leur propre politique de cantonnement. Le député travailliste Ephraïm Sneh, par exemple, qui soutient l’idée d’une fermeture pour une partie du Chabbat a ajouté comme corollaire qu’il s’opposerait vigoureusement à toute demande visant à maintenir les commerces fermés le Chabbat à Herzlia. Et la raison en est qu’en tant que zone à prédominance non religieuse, elle est en droit de garder ce caractère. La comparaison effectuée par Sneh démontre que le débat sur le rôle que doit jouer la Torah en Israël a été transformé par l’appel lancé au respect d’un style de vie local religieux. D’une question idéologique dont l’issue doit déterminer l’avenir du peuple juif, on est arrivé au problème du respect d’un simple pluralisme culturel, d’une couleur régionale. A une époque où la majeure partie du peuple juif n’est pas totalement religieuse, le confort qui résulterait de l’occultation de la dérangeante réalité montrant comment la plupart des israëliens passent leur Chabbat, est ce dont les religieux ont le moins besoin. Aussi longtemps que la sainteté du Chabbat est violée en Israël, il est juste que le plaisir personnel que nous tirons du Chabbat soit amoindri, de même que notre auto-satisfaction à l’observer. Certes, l’identification avec la nation dans son ensemble est douloureuse, mais c’est une valeur positive en elle-même et comme les dernières élections l’ont prouvé, elle peut nous pousser à améliorer les choses.” (The Jerusalem Post 15 Août 1996). D.S ete 1997 ” BIOGRAPHIE PAR LE PROFESSEUR I YOSSEF FENTON ” l y a bientôt deux ans, à la veille de Roch ha-Chanah, Chelomoh-Zalman Shragai ZTS”L fut inhumé aux Monts des Oliviers à Jérusalem, ville dont il avait été le premier Maire juif dans les années ‘50. Ainsi disparut un gâdôl be-Yisra’el à l’âge vénérable de 96 ans, au terme d’une vie toute entière consacrée au mouvement deTorah ve-Avodah dont il avait été un des premiers architectes et bâtisseurs idéologiques. é à la fin du siècle dernier à Gorzkowice en Pologne au sein d’une famille de ‘hassidim de Radzin, ce Talmid hakham avait été formé dans des yechivot polonaises où il avait été l’élève du Rebbe de Radomsk. Mobilisé en 1918 dans l’armée polonaise, il lutta longuement en tant que ‘hassid pour le droit de garder sa barbe. Un des pionniers des Tse’irey Mizrahi, il fonda dans sa ville natale un journal sioniste intitulé Tehiyya. Il fut parmi les fondateurs du He-Haloutz ha-Mizrahi, dont il dirigea la ferme de formation entre 19204. Prenant congé de son rebbe, Rabbi Mordekhai Yosef Leiner de Radzin, il monta dès 1924 en Eretz, où avec le Admour he-Haloutz (Rabbi Isaïe Shapira ZTS”L) il fut actif dans l’établissement du ha-Po’el ha-Mizrahi. En 1929 il fut nommé pour la première fois comme délégué au Congrès sioniste, tâche qu’il assuma désormais régulièrement. La même année il fut élu au directoire du Va’ad Le’oummi où il dirigea le département de la presse et de l’information. Il fut également responsable des émissions radiophoniques en hébreu sous le Mandat britannique. Il essaya en vain d’utiliser ses contacts afin de sauver des mains des Allemands le Rebbe de Radzin, Chmuel Chlomoh Leiner ZTS”L et de le faire venir en Palestine. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale il fut élu membre de l’exécutif de l’Agence Juive à Londres. Sa profondeur spirituelle et intellectuelle fut très appréciée par les milieux ecclésiastiques qu’ il essaya d’influencer afin de modifer la politique anglaise en Palestine et faire accepter la légitimité du retour du peuple juif dans sa terre. Les expé- N riences de cette époque sont vivement relatées dans ses mémoires (Jérusalem, 1988). Un épisode, qui n’est pas sans un message actuel, mérite d’être rapporté. Il y a exactement, soixante ans, à la veille de la Choa, peu après les émeutes arabes de 1936/7, pendant lesquelles beaucoup de sang juif avait été versé, Shragaï s’était rendu en mission en Pologne pour le compte du Keren ha- Yesod. Au cours d’un meeting à Varsovie il fut violemment conspué par un représentant du Bund (anti-sioniste): “Comment pouvez-vous prôner le retour des Juifs sur la terre d’Israël alors que cette terre est rouge (de sang) ?” Shragaï, imperturbable, répondit prophétiquement : “Oui, la terre d’Israël est rouge - par les rayons de l’aube de la rédemption, tandis que la terre d’Europe est rouge des rayons crépusculaires de l’exil”. Un silence glacial s’installa, brisé spontanément par la foule entonnant les accents émouvants de la ha-Tiqvah. Avec l’établissement de l’Etat, il retourna en Israël où il fut élu le pre- mier Maire juif de Jérusalem, poste qu’il occupa jusqu’en 1952. Deux ans plus tard il fut désigné comme directeur du Département de l’Immigration au sein de l’Agence Juive, précisément durant toute la période de l’aliyah massive des années ‘60. En 1975 il fut nommé président mondial d’honneur du mouvement Mizrahi et ha-Poel ha-Mizrahi. En tant qu’idéologue du sionisme religieux il publia sur le sionisme, la religion et l’Etat, le mouvement de Torah we-avodah, la halakhah et la modernité des dizaines de livres et de brochures dont les plus connus sont : Hazon veHagshamah (1956) Pa’amey Gue’oullah (1963) et Zemannim (1969). En outre, il demeura un ‘hassid fidèle de la tendance Izbica-Radzin à laquelle il consacra une trilogie historique et philosophique. Après la Guerre il fut un des premiers à renouveler le port de la tekhelet en Eretz-Israël, selon la tradition de Radzin. Désireux de partager son expérience sioniste avec ses frères en dehors d’Israël, il contribuait régulièrement aux journaux de la Gola et une partie de son œuvre en yiddissh fut publiée précisément en France par les éditions de Unzer Vort, dirigées par son ami de longue date Chalom Klinger. Presque jusqu’à son dernier jour, il continuait à se rendre chaque matin à son bureau de l’Agence Juive à Jérusalem, où nous avions l’habitude de lui rendre visite durant nos séjours en Israël. Avec sa disparition, le mouvement Mizrahi a perdu un des ses grands dirigeants de la première heure, et le monde religieux-nationaliste une figure irremplaçable. Que sa vie exemplaire au service de son peuple et de son pays soit pour nous une source d’inspiration Y.F OROT EDITION FRANÇAISE PÉRIODIQUE RÉALISE COMMUNAUTE JUIVE DE NEUILLY -PARIS-OUEST- PAR LA REVUE SOUS LE CONTRÔLE DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE DE LA SYNAGOGUE DE NEUILLY-SUR-SEINE 12, rue Ancelle 92200 Neuilly-Sur-Seine/France E-MAIL : [email protected] WEB : http://www.col.fr/orot COMITÉ D’HONNEUR : MLR Schlomo Aviner, MLR Alexis Blum, MLR Philippe Haddad, MLR Bezalel Naor. DIRECTEURS DE RÉDACTION : Dan Klajmic, Didier Senanedj. COMITÉ DE RÉDACTION : MLR Alexis Blum, Prof. Yossef Fenton, Laurence Klajmic, Elisabeth Senanedj N 20 ° I S S N E N C O U R S