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 Si le genre par excellence du « premier romantisme » est le fragment, bien que celui-ci ne 
soit pas le seul comme le rappellent Lacoue-Labarthe et Nancy, c’est que le fragment est tout 
particulièrement apte à rendre visible la prise en charge par l’écriture de la question de sa légitimité, 
et au travers elle, le questionnement de la légitimité de tout discours, c’est-à-dire du même coup, 
celui de sa possibilité. Les questions de sa légitimité et de sa possibilité sont les fils entrecroisés du 
tissu, pour reprendre une image derridienne, qu’est le produit de l’écriture. À suivre l’un de ces fils, 
on suit nécessairement l’autre. Si le premier est celui que nous fait suivre Rancière à travers son 
analyse du passage d’un régime de l’art à un autre, le second, on s’en souvient, est déroulé (même 
si peut-être un tel fil ne peut-il justement jamais faire l’objet d’un « déroulement » qu’à la condition 
d’être toujours enroulé dans le même mouvement) par Blanchot quand en 1942 il demande 
« Comment la littérature est-elle possible ? ». Ceci ne revient pas à dire que Blanchot ne pose pas la 
question de la légitimité de la littérature ou que Rancière est indifférent à la question de sa 
possibilité. C’est plutôt tout le contraire. Chacune de ces questions travaille en profondeur leurs 
pensées. Mais c’est sans doute dans la manière dont l’une et l’autre questions se trouvent davantage 
appuyées chez ces auteurs, que leurs versions respectives du romantisme se distinguent. Non 
seulement cela, mais la perspective qu’adoptent l’un et l’autre sur le fragment est opposée. Ainsi, 
quand Blanchot y voit le lieu de l’expérience de la littérature comme limite, Rancière aborde le 
fragment non plus comme « ruine » (expression et moyen du désœuvrement), mais comme 
« germe » (Rancière, La parole 59). Pour Rancière, c’est dans le fragment que se trouvent 
conjuguées l’expression du monde et de la société d’une part, et la littérarité ou « l’art pour l’art » 
d’autre part. Or ces deux versants dont Rancière souligne qu’ils appartiennent à un même mode 
historique de la littérature, se fondent sur cette autre ligne de partage : l’opposition entre « poésie 
immanente du monde » et « poésie tirée de la subjectivité » (Rancière, La parole 55). Ce que 
Rancière formule ainsi : « […] c’est peut-être cette téléologie de la continuité retrouvée entre une 
poésie immanente du monde et une poésie tirée de la subjectivité qu’exprime le concept schlégélien 
du fragment » (Rancière, La parole 59). Si le fragment soulève la question de la légitimité de la