IRTS Institut Régional du Travail Social Nord Pas-de-Calais Site Métropole Lilloise Diplôme d’Etat d’Ingénierie Sociale (DEIS) Formation complémentaire 2012 La protection de l’enfance : Entre subsidiarité et coopération Présenté par Michel JONARD Mémoire sous la direction de Bruno TAILLIEZ Session mars 2013 REMERCIEMENTS En préambule à ce mémoire, je souhaiterai adresser mes remerciements aux personnes rencontrées dans le travail d’enquête, et toutes celles qui ont contribué par leurs observations, leur aide, leur soutien, leur questionnement à l’aboutissement de ce mémoire. Je remercie plus particulièrement, monsieur Bruno TAILLIEZ, en tant que directeur de mémoire, pour sa disponibilité, et ses précieux conseils dans la réalisation de ce mémoire. Merci à mes proches de m’avoir toujours soutenu dans la concrétisation de ce travail. GLOSSAIRE ADSSEAD : Association de Services Spécialisés pour Enfants et Adolescents en Difficultés AEMO : Assistance Educative en Milieu Ouvert AGSS de l’UDAF : Association pour la Gestion des Services Spécialisés de l’Union Départementale des Associations Familiales AMASE : Allocation Mensuelle Aide Sociale à l’Enfance AP : Accueil Provisoire ASE : Aide Sociale à l’Enfance CAMSP : Centre d’Action Médico Sociale Précoce CASF : Code de l’Action Sociale et des Familles CLSH : Centre de Loisirs Sans Hébergement CMP : Centre Médico Psychologique DERPAD : Dispositif Expert Régional pour Adolescents en Difficulté DTPAS : Direction Territoriale de Prévention et d’Action Sociale EPDSAE : Etablissement Public Départemental IMP : Institut Médico Pédagogique ODAS : Observatoire De l’Action Sociale décentralisée ONED : Observatoire National de l’Enfance en Danger PPE : Projet Pour l’Enfant PEF : Pôle Enfance Famille PJJ : Protection Judiciaire de la Jeunesse PMI : Protection Maternelle Infantile RUTPAS : Responsable d’Unité Territoriale de Prévention et d’Action Sociale SEPIA : Service Educatif de Protection d’Investigation et d’Accompagnement SSD : Service Social Départemental TPE : Tribunal Pour Enfants TS AEMO : Travailleur Social en Assistance Educative en Milieu Ouvert TS ASE : Travailleur Social de l’Aide Sociale à l’Enfance TISF : Technicienne d’Intervention Sociale et Familiale UTPAS : Unité Territoriale de Prévention et d’Action Sociale SOMMAIRE INTRODUCTION ………………………………………………………………… 1 PARTIE I : Cadre contextuel Chapitre I : Evolution et mutations de la protection de l’enfance …………… 7 I.1. De l’enfant objet de propriété aux droits de l’enfant ……………………….. 7 I.2. De l’exclusion à la prise en compte des bénéficiaires ……………………… 11 I.3. Vers la primauté du droit des usagers de la protection de l’enfance …………. 12 Chapitre II : Les acteurs administratifs de la protection de l’enfance II.1. Le Conseil Général comme acteur de l’accompagnement administratif II.2. Les missions de l’aide sociale à l’enfance ………. 20 ….. 20 …………………………………. 21 II.3. Le dispositif de protection de l’enfance du Conseil Général ………………. 23 Chapitre III : la Justice, l’intervention de l’Etat dans la protection de l’enfance 26 III.1. Cadre de l’intervention judiciaire ………………………………………….. 27 III.2. Modalités de l’intervention judiciaire ……………………………………… 27 III.3. L’exercice des différentes mesures ordonnées par le juge des enfants ……... 28 PARTIE II : Cadre exploratoire et conceptuel Chapitre I : Exploration stratégique de la protection de l’enfance ……………. 33 I.1. Des champs d’intervention mal définis ………………………………………… 35 I.1.1. Une confusion dans les domaines d’intervention administratif/judiciaire.. 36 I.1.2. Des interventions complémentaires ………………………………………. 37 I.2. Un processus évaluatif : «un sentiment d’être évalué» …………………………. 38 I.3. Subsidiarité et pratiques professionnelles ……………………………………... 40 I.3.1. le principe de subsidiarité : vecteur de changement des pratiques ……… 40 I.3.2. Une zone d’incertitude : la double évaluation …………………………… 41 Chapitre II : Le principe de subsidiarité ………………………………………… 43 II.1. Définir le principe de subsidiarité …………………………………………….. 43 II.2. La subsidiarité dans la protection de l’enfance ………………………………... 44 II.3. Le principe de subsidiarité et l’accueil provisoire …………………………….. 46 Chapitre III : Du partenariat à la coopération …………………………………. 47 III.1. Partenariat et réseau …………………………………………………………... 47 III.2. De la coordination à la coopération …………………………………………… 50 PARTIE III : Territoire et dispositif Chapitre I : Le terrain d’étude ………………………………………………….. 54 I.1. Le département du Nord et son secteur d’action sociale ……………………… 54 I.2. Le valenciennois : notre terrain d’étude ………………………………………. 55 I.3. Protection de l’enfance et suppléance ………………………………………… 56 Chapitre II : Accueil provisoire et dispositif méthodologique ………………. 60 II.1. Définir l’accueil provisoire ………………………………………………….. 61 II.1.1. Les principes fondateurs de l’accueil provisoire ……………………… 61 II.1.2. L’accueil provisoire dans le cadre judiciaire …………………………. 62 II.2. Dispositif méthodologique ………………………………………………….. 64 II.2.1. Etude et analyse des supports écrits …………………………………... 64 II.2.2. D’une démarche de type ethnographique aux entretiens ………………. 66 II.3. Analyse critique du dispositif d’accueil provisoire …………………………. 68 II.3.1. L’accueil provisoire et le code de l’action sociale …………………….. 69 II.3.2. L’accueil provisoire : un dispositif protocolaire ……………………… 73 II.3.3. Etat des lieux des accueils provisoires …………………………………. 81 II.3.3.1. Avant la mise en œuvre de l’accueil provisoire ………………… 84 II.3.3.2. Pendant le déroulement de l’accueil provisoire ………………….. 88 II.3.4. Les bénéficiaires et le dispositif ……………………………………….. 90 Chapitre III : Les préconisations ………………………………………………. 92 III.1. Au niveau des acteurs ………………………………………………………. 93 III.2. Au niveau des bénéficiaires ........................................................................... 95 III.3. Modalités de mise en œuvre des préconisations …………………………...... 98 CONCLUSION ………………………………………………………………… 102 BIBLIOGRAPHIE ………………………………………………………………. 105 ANNEXES ………………………………………………………………………... 108 INTRODUCTION Le statut de l’enfant n’a cessé d’évoluer : objet de propriété, sur lequel la toute puissance paternelle disposait d’un droit de vie ou de mort, celui-ci fera l’objet de manière progressive d’un dispositif de protection. Ce dernier passe successivement du simple recueil des enfants abandonnés à une mission plus large de prévention, de protection et d’aide sociale qui verra son aboutissement avec l’ordonnance du 23 décembre 1958. Selon l’Observatoire National de l’Enfance en Danger, le nombre de mineurs pris en charge au titre de la protection de l’enfance en France au 31 décembre 2008 est d’environ 267 000 mineurs, soit 1,87% des moins de 18 ans. Le système français de protection de l’enfance permet leur prise en charge et s’articule autour de la protection administrative, mise en œuvre par les services du Conseil Général, en accord avec le bénéficiaire; et la protection judiciaire, ordonnée sur décision du juge des enfants, déclinée par les services (le plus souvent associatifs) habilités. L’intervention judiciaire est justifiée par l’obligation dans notre société de prendre en compte l’intérêt de l’enfant dans une situation de danger, et de signifier aux parents leurs droits, devoirs et obligations. Elle s’inscrit dans un temps préétabli et imposé à chacun des acteurs. La graduation de ce dispositif, de l’intervention administrative à l’intervention judiciaire, reposait jusqu’en mars 2007 sur une distinction entre le risque de danger et le danger avéré, critères qui déterminaient respectivement le cadre d’intervention de chacun et permettait d’intervenir en amont et en aval du danger encouru par les mineurs. Notre expérience professionnelle, en tant qu’éducateur spécialisé, puis chef de service, dans le domaine de la protection de l’enfance, et plus particulièrement le champ judiciaire, depuis bientôt vingt ans, nous a permis d’en observer et en appréhender les enjeux et les évolutions. Durant cette période, la protection de l’enfance a été marquée par de nombreux changements initiés par différents textes de lois. Ce fut le cas par exemple de la loi de février 2002 rénovant l’action sociale et médico sociale qui a affirmé la place des bénéficiaires, et le décret 1 du 15 mars 2002 modifiant le nouveau code civil, qui énonce que les familles doivent être associées au travail qui leur est proposé, et leur permet d’accéder à leur dossier. Au cours des années qui vont suivre, va être mis en lumière le cloisonnement des institutions qui oeuvrent dans le cadre de la protection de l’enfance et l’absence de coordination à travers notamment certains faits divers1. C’est dans ce souci d’organisation de la protection de l’enfance que va être initiée sa forme actuelle via notamment la loi du 5 mars 2007. Ce texte vient redéfinir les compétences respectives du président du Conseil Général et de l’autorité judiciaire, ainsi que leur articulation. Il clarifie les objectifs de la protection de l’enfance, et favorise la prévention, et le repérage des enfants en danger. L’enjeu majeur de cette loi est de « restaurer le rôle et la place des parents dans la recherche d’une issue positive aux situations de danger repérées pour les enfants », mais aussi de prioriser l’intérêt de l’enfant. La loi renforce les actions de prévention au titre de la protection de l’enfance, et vient modifier la frontière entre la compétence judiciaire et la compétence des départements. Elle précise que : si la famille est d’accord, il revient aux services du Conseil Général d’intervenir quel que soit la gravité de la situation. C’est le principe de subsidiarité qui vient préciser le passage de l’intervention administrative à l’intervention judiciaire. Cette dernière repose alors davantage sur le désaccord, la non collaboration de la famille ou l’impossibilité à intervenir auprès d’elle. Avant la réforme de mars 2007, la saisine du magistrat pour ce type de mesures, était le plus souvent initiée par le service social départemental sans nécessairement qu’une intervention sociale ait été mise en œuvre. Seul le critère de danger avéré permettait la transmission au service judiciaire. Cette réforme a eu, en premier lieu, un effet sur l’activité des services habilités à exercer les mesures judiciaires2. Notre pratique professionnelle dans le champ de la protection de l’enfance judiciaire, nous a fait interroger cette baisse d’activité au travers du principe de subsidiarité qui privilégie la protection administrative, préalablement à l’intervention 1 Affaire d’Outreau en 2001 (abus sexuels sur mineurs), affaire de Drancy en 2004 (découverte d’enfants sous alimentés)… 2 A titre d’exemple, sur les trois services du ressort valenciennois d’une association 1249 enfants étaient suivis au titre de l’assistance éducative en 2008, pour 1208 en 2010, alors que les années précédentes l’activité était en augmentation croissante. 2 judiciaire, et contribue ainsi à enrayer le phénomène de judiciarisation en matière de protection de l’enfance.3 Les services départementaux du Nord4 confirment cette baisse des interpellations judiciaires, qu’ils expliquent, au-delà du recentrage de leurs actions de prévention, en partie par le temps nécessaire à l’évaluation de la collaboration de la famille à l’aide qui lui est proposée. Cette temporalité plus longue entraîne une interpellation plus tardive de l’autorité judiciaire, souvent source d’aggravation du danger du fait de l’opposition de la famille à accéder au travail proposé. La réforme de la protection de l’enfance et ce principe de subsidiarité ont imposé des changements dans les pratiques professionnelles et dans l’articulation entre les services administratifs et les associations habilitées, mutations nécessitant de nouveaux modes de coopération. Ces évolutions se confrontent à des résistances des professionnels qui sont à mettre en relation avec les changements qui en découlent dans les pratiques professionnelles, mais aussi les représentations, idées préconçues, parfois plus anciennes qui existent entre ces deux acteurs. Si ces deux dispositifs (administratif/judiciaire) s’inscrivent dans des logiques organisationnelles différentes, ils oeuvrent tous deux avec le même but «… prévenir les difficultés auxquelles les parents peuvent être confrontés dans l’exercice de leurs responsabilités éducatives, d’accompagner les familles et d’assurer le cas échéant, selon des modalités adaptées à leurs besoins une prise en charge partielle ou totale …»5. Les deux systèmes de protection doivent en ce sens collaborer, recourir l’un à l’autre, voire se compléter afin d’assurer cette mission de protection de l’enfance. Les acteurs de la protection de l’enfance sont donc interdépendants. En ce sens qu’ils sont en interaction et dépendent les uns des autres. Pour autant leur coordination et le partage des compétences ne sont pas aisés à déterminer. 3 En 2005, 59% des informations concernant des mineurs en danger ou en risque de danger sont directement adressées à l’autorité judiciaire (lettre de l’ODAS-décembre 2006) ; au 31 décembre 2006, 77% des mesures exercées au titre de la protection de l’enfance sont ordonnées par le juge des enfants (Rapport ONED-2008). 4 Direction Territoriale de Prévention et d’Action Sociale et Unité Territoriale de Prévention et d’Action Sociale. 5 Code de l’action sociale et des familles, article L 112-3. 3 Cette coordination des acteurs a toutefois été pensée dans le cadre du code de l’action sociale et des familles, via le schéma départemental, obligation légale qui consiste à la mise en œuvre d’un outil programmatique destiné à favoriser les synergies entre les différents acteurs en charge de l’enfance au niveau départemental. Elle se traduit par des protocoles, des schémas d’interventions élaborés entre le Conseil Général et les services judiciaires. Dans notre pratique en tant que chef de service garant de l’articulation inter institutionnelle et instigateur du partenariat, nous avons pu observer certaines difficultés, dans la déclinaison de ce dispositif de protection de l’enfance et notamment dans la coopération des deux acteurs qui y concourent. En effet, la protection administrative est un dispositif de droits communs qui garde toute sa place auprès des familles accompagnées dans le cadre d’une mesure de protection de l’enfance judiciaire. Ainsi les recours des familles aux services de la protection maternelle infantile, aux services sociaux départementaux et leurs dispositifs d’aide peuvent intervenir en même temps qu’une intervention judiciaire et nécessitent des rencontres, des échanges permettant une définition préalable des prérogatives de l’un et de l’autre afin de déterminer la cohérence des actions menées. Sur ce point nous avons pu parfois constater que les échanges, la communication, l’articulation entre services administratifs et judiciaires étaient parfois problématiques voire inexistants. Le principe de subsidiarité pose la suppléance du champ administratif par le champ judiciaire s’il y a non collaboration de la famille à l’aide proposée. Pour autant, la plupart des situations familiales impliquent parfois que ces deux opérateurs interviennent au sein de la même famille, pour des actions différentes ou parfois complémentaires, à des moments différents ou non, voire même parfois de manière conjointe, autour de cet objectif commun : garantir la protection de l’enfant. C’est par exemple le cas dans le dispositif d’accueil provisoire d’un mineur par les services de l’aide sociale à l’enfance6, prérogative des services administratifs, qui permet sur décision du président du Conseil Général que soient pris en charge « les mineurs qui ne peuvent demeurer provisoirement au domicile de leur parent… »7. Compétence de la protection administrative, ce dispositif peut être proposé dans le cadre 6 de l’exercice d’une mesure de protection Ce dispositif permet de mettre à distance momentanément le mineur de sa famille en le confiant à l’ASE, avec l’accord des détenteurs de l’autorité parentale. Il sera développé ultérieurement dans notre recherche. Nous le nommerons dorénavant dans cet écrit AP. 7 Code de l’action sociale et des familles. 4 judiciaire. Il vient mettre en lumière ce principe d’articulation entre ces deux opérateurs, à la fois dans la concertation préalable à sa mise en œuvre, mais aussi dans sa concrétisation et dans l’accompagnement de celui-ci. Se pose également la question de la place du bénéficiaire, et de la manière dont il parvient à s’orienter entre ces deux dispositifs, dont le cadre d’intervention et les interlocuteurs sont différents. Dans une phase exploratoire nous avons questionné les changements induits par cette loi du 5 mars 2007, notamment dans les pratiques partenariales des différents acteurs, afin de comprendre et analyser les effets de ce principe de subsidiarité, à partir d’entretiens avec les professionnels des deux champs. Lors de ces échanges, les représentations sociales réciproques sont apparues omniprésentes dans le discours de chacun. D’autre part, dans ce questionnement axé sur l’articulation entre administratif et judiciaire, le dispositif d’accueil provisoire est très vite apparu comme redondant dans les propos des interviewés, comme source de difficultés en terme d’articulation entre les deux opérateurs. De fait ce dispositif s’est imposé à nous comme un objet d’étude pertinent. Dans cette première phase, nous avons interrogé les postures professionnelles des acteurs administratifs et judiciaires, postures qui favorisaient, ou non, la coopération interprofessionnelle. Nous avions l’idée qu’un amendement de ces postures pouvait être réfléchi et travaillé afin de développer le partenariat. Les prospections initiales nous ont rapidement amené à nous questionner davantage via un dispositif, ses procédures et processus, à savoir l’accueil provisoire. Quelle coordination induit-il voire impose t’il pour les acteurs professionnels et les bénéficiaires ? Avec quels effets ? Du fait du principe de subsidiarité énoncé par la loi, nous avons pu constater qu’une suppléance existe de l’administratif vers le judiciaire, par le biais de la saisine du juge des enfants. Cependant la réciproque n’existe pas systématiquement, et s’apparente davantage dans la pratique à une coordination, une coopération des acteurs de la protection de l’enfance qui se traduit parfois par la mise en œuvre de dispositifs administratifs dans le cadre d’une mesure judiciaire. Si ce recours à l’intervention du Conseil Général, est profitable au bénéficiaire puisqu’il vient l’inscrire dans un dispositif de droit commun, il vient toutefois questionner l’aspect économique de cette double intervention, mais surtout la notion de subsidiarité, et la manière dont elle se décline dans ce cas. 5 C’est donc la mise en application de cette notion de subsidiarité et la coopération des acteurs de la protection de l’enfance que nous allons interroger dans ce travail de recherche. Nous y déclinerons, dans une première partie, le cadre d’intervention de la protection de l’enfance et son évolution au regard des lois ; puis nous identifierons les acteurs qui y contribuent et leurs objectifs d’actions. Dans une seconde partie, en nous appuyant sur notre phase exploratoire, nous tenterons de définir les notions de subsidiarité et de coopération. Dans un troisième temps, à partir d’une analyse critique d’un dispositif : l’accueil provisoire, présentant la particularité d’être une compétence administrative pouvant être mise en œuvre dans le cadre judiciaire, nous tenterons de questionner et analyser ledit dispositif, sa mise en œuvre et ses enjeux. Ceci devrait nous permettre d’émettre des propositions d’amendement et d’apporter des préconisations de mise en œuvre, notamment en lien avec le caractère administratif dudit dispositif. 6 PARTIE 1 : CADRE CONTEXTUEL Définir la protection de l’enfance actuelle nécessite de s’attacher à en comprendre son origine, ses fondements et les textes qui ont influencé son évolution. Ce dispositif est étroitement lié à la perception de « l’objet » de la protection de l’enfance qu’est l’enfant, et son cadre de vie : « la famille » qui n’ont cessé d’évoluer à travers les siècles. Chapitre I : Evolution et mutations de la protection de l’enfance I. 1. De l’enfant objet de propriété aux droits de l’enfant L’émergence des droits de l’enfant Dans les sociétés antiques l’enfant était avant tout objet de propriété. Le pater familias romain disposait avec la toute puissance paternelle d’un droit de vie ou de mort sur l’enfant. Ce dernier n’existera en lui-même qu’à partir du XII éme siècle, sous l’influence de l’Eglise qui développera un certain nombre de mesures en sa faveur tel CHARLEMAGNE qui veille à leur protection pour en faire des chevaliers courageux, où SAINT VINCENT DE PAUL qui créé des établissements d’accueil en réponse aux abandons dont ils font l’objet… . Progressivement émergera un droit de l’enfance, Jean Jacques ROUSSEAU rédige le premier traité consacré à l’éducation des enfants («Emile ou de l’éducation»), et y développe l’idée que l’enfant nait vierge de tout enseignement, de tout savoir, et que c’est la société qui vient par la suite le corrompre. Au cours des siècles qui suivront de nombreuses étapes importantes viendront ponctuer l’évolution de ce droit comme, par exemple, le droit à l’assistance lors de la révolution qui marque le passage de la charité à une certaine forme de justice. Le XIX éme siècle période charnière pour la protection de l’enfance. Des textes essentiels sont adoptés à la fin de ce siècle et viennent fonder l’intervention judiciaire dans la sphère familiale privée autour des points suivants : 7 - La déchéance de la puissance paternelle8, établit un contrôle de l’exercice par le père de ses droits sur l’enfant. Cette loi introduit l’idée de protection judiciaire des enfants maltraités ou moralement abandonnés et de faute éducative des parents. Les parents sont ainsi répertoriés : ceux qui se sont adonnés à un crime sur leur enfant, l’incitent à la prostitution, la corruption, qui ont fait l’objet d’une condamnation pour des délits en relation avec leur enfant (abandon, ivresse, vagabondage), mais aussi « ceux qui par leur ivrognerie habituelle, leur inconduite notoire ou scandaleuse ou par de mauvais traitements, compromettent soit la santé, soit la moralité de leur enfants »9. C’est la première procédure civile en la matière, qui envisage uniquement une mesure de placement de l’enfant dans différents établissements (maisons de correction, colonies pénitentiaires souvent comparées à des bagnes pour enfants). - Le retrait partiel et le placement de l’enfant 10. - Le délit de violence, voie de fait et attentat sur les enfants est réprimé 11 . La peine est aggravée, si le délit est commis par un ascendant légitime, naturel ou adoptif ou toute personne ayant autorité sur l’enfant ou sa garde. - L’instauration des mesures de surveillance ou d’assistance éducative12 va modifier les dispositions concernant la puissance paternelle et le droit de correction en réformant les dispositions des articles 376 et suivants du Code civil. Un autre décret vient compléter la Loi du 24 juillet 1889 en indiquant que lorsque la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation de l’enfant sont compromises ou insuffisamment sauvegardées par le fait des père et mère, une mesure de surveillance ou d’assistance éducative peut être prise par le président du tribunal civil sur requête du ministère public. Il est ainsi envisagé de procéder à un contrôle de l’activité des parents envers leurs enfants, et de les aider si défaillance il y a. Au cours de cette période, quatre réponses principales furent donc mises en œuvre en France pour protéger les enfants et répondre à leurs difficultés : - la déchéance des parents et l’emprisonnement des jeunes délinquants - leur rééducation en maison de correction - le placement en internat spécialisé 8 Loi du 24 et 25 juillet 1889. Revue Informations Sociales. «Familles et pouvoirs » N°4-5, 1980. 10 Loi 15 novembre 1921. 11 Loi 19-21 avril 1898. 12 Décret du 30 octobre 1935. 9 8 - l’accompagnement éducatif en milieu ouvert La famille est alors désignée comme coupable, et son exclusion est la condition sine qua none de l’évolution de l’enfant. La séparation est la seule réponse qui semble permettre à l’enfant de se construire. Nous sommes ici dans une logique de substitution où le travailleur social remplace la famille d’origine de l’enfant. Cette première période que nous venons d’évoquer succinctement marque les prémices de la protection de l’enfance. D’un esprit préventif à l’assistance éducative En 194513, au lendemain de la guerre, une ordonnance relative à l’enfance délinquante, vient atténuer la responsabilité pénale du mineur délinquant, en fonction de son âge, et à associer des mesures éducatives à une éventuelle sanction. Un esprit radicalement nouveau guide ce texte dont le maître mot est la prévention : qu’il s’agisse de la santé des enfants, du suivi des enfants délinquants ou des dysfonctionnements familiaux et de leurs conséquences, cette ordonnance affirme la prééminence de la prévention sur la répression. L’ordonnance de 1945 sera suivie d’un autre texte en 195814 relatif à la protection de l’enfance et de l’adolescence en danger qui confie l’assistance éducative au juge des enfants. Celui-ci abroge les textes de lois antérieurs, par un texte unique en direction de tous les enfants en danger. Le juge des enfants devient alors compétent tant pour l’enfance délinquante, que pour l’enfance en danger. Selon Jean Pierre ROSENCZVEIG, cette ordonnance apporte à la justice des enfants une « couleur délibérément sociale »15. Le délit n’est donc plus nécessaire pour justifier une intervention judiciaire au sein de la famille, le juge des enfants pourra intervenir en cas de danger pour la santé ou la moralité de l’enfant, ou lorsque ses conditions d’éducation seront 13 Ordonnance du 2 février 1945. Ordonnance du 23 décembre 1958. 15 ROSENCZVEIG Jean Pierre, 1996, « Le dispositif français de protection de l’enfance », Paris, Editions jeunesse et droit, Page 357. 14 9 gravement compromises comme le précisent les Articles 375 et suivants du Code Civil. L’enfant devient alors sujet de droits. Après ce bref rappel historique, nous nous sommes davantage intéressés à la déclinaison de ce dispositif de protection de l’enfance. La protection de l’enfance : un dispositif binaire Le système français de protection de l’enfance mis en place avec l’ordonnance du 23 décembre 1958 (relative à la protection judiciaire de l’enfance et l’adolescence en danger instaurant l’assistance éducative) et le décret du 7 janvier 1959 (relatif à la protection sociale de l’enfance en danger qui fonde le principe de la protection administrative de l’enfance) présente la particularité d’être binaire : il s’articule autour de la protection sociale et la protection judiciaire, qui reposent sur une distinction entre risque de danger et danger avéré. Ce système de protection de l’enfance a pour objet « d’éviter les difficultés autant que faire se peut aux enfants des populations fragiles ou supposées l’être »16. Cette dualité du système de protection de l’enfance en France s’appuie depuis de nombreuses années sur deux axes de protection : - La protection administrative, mise en œuvre par les Conseils Généraux avec l’aide du secteur associatif, regroupe l’ensemble des interventions individuelles et collectives de nature essentiellement préventive. Ce type de protection repose sur l’existence d’un risque en matière d’éducation, d’entretien, de santé et de sécurité ou de moralité, et ne peut exister qu’avec l’accord des personnes. Cette mission est exercée par le service de l’aide sociale à l’enfance. - La protection judiciaire regroupe les interventions individualisées sur décision du juge des enfants. Elle vise à contrôler l’exercice de l’autorité parentale sans y porter atteinte, en apportant aide et conseil à la famille, laquelle n’aurait pas accepté en premier lieu l’aide proposée par les services de la protection administrative. Ces mesures sont mises en œuvre en dernier recours lorsque la protection offerte par l’aide sociale à l’enfance ne suffit plus, on peut donc dire que les mesures d’assistance éducative sont l’ultime moyen de protection du mineur en danger. 16 ROSENCZVEIG Jean Pierre, Op.cit, page 12. 10 Alain DUBREUIL en a bien résumé l’esprit : « L’intervention des pouvoirs publics, administratifs et judiciaires est commandée par la participation de la société à l’entretien et à l’éducation de l’enfant (scolarité, orientation, formation professionnelle, prestations sociales) et la nécessité de suppléer aux carences et aux conflits des parents (contrôle de l’autorité parentale, délégation et déchéance partielle ou totale, répartition de son exercice en cas de conflits ou de dislocation de la famille, protection de l’enfance délinquante ou en danger »17. Deux axes de protection : deux modes d’intervention : Depuis 1958, les modes d’intervention de la protection de l’enfance se structurent autour d’une alternative : - L’aide directe dans les familles (l’aide à domicile dans le cadre administratif et l’action éducative dans le cadre judiciaire). - La séparation et le placement à la demande des parents (accueil provisoire), ou sur décision du juge des enfants si la situation de danger le nécessite (mesures de garde). L’assistance éducative est donc la réponse judiciaire à une autorité parentale défaillante. Elle a pour objectif d’aider les parents à mieux endosser leurs prérogatives, de les conseiller afin de leur permettre de mieux éduquer leurs enfants. Elle traduit la volonté d’intervention de l’état dans l’espace familial, afin de contrôler l’exercice que les parents font de leur autorité parentale. I.2. De l’exclusion à la prise en compte des bénéficiaires Comme nous l’avons vu précédemment, et jusque dans les années 1970, les familles sont considérées comme défaillantes, nocives, coupables et, protéger l’enfant de celles-ci suppose nécessairement l’éloignement de celui-ci du milieu familial. Progressivement une prise de conscience s’opère quant aux effets néfastes de cette séparation, effets mis en évidence par les travaux de SPITZ et BOWLBY sur l’hospitalisme et l’attachement lors de séjours prolongés d’enfants séparés de leur mère (retard de développement, dépression ….). 17 DUBREUIL Alain, 1991, « La protection pénale de la famille en droit français – Droit de l’enfance et de la famille », Paris, C.F.E.P.J.J. 11 « A quoi peut bien servir un traitement en milieu spécialisé, envisagé initialement comme « thérapeutique » et destiné en principe à faciliter l’intégration du sujet (cf. Reynaud, 1982) lorsqu’on constate au bout du compte une aggravation de ses troubles, la dégradation de sa situation étant bien souvent liée aux conditions de vie collective en institution ? »18 A cette époque, il y a également des critiques qui sont formulées au regard des coûts financiers des placements pour la société, d’autres modes de prises en charge moins onéreux et plus efficaces sont donc recherchés. On parle davantage de suppléance parentale et non plus de substitut. La suppléance parentale se définissant comme « l’action auprès d’un mineur visant à assurer les tâches d’éducation et d’élevage habituellement effectuées par les familles, mises en œuvre partiellement ou totalement hors du milieu familial dans une organisation résidentielle »19. C’est le passage de la notion de remplacement du parent défaillant par le professionnel, à celle de complémentarité. Le Code civil est refondu en 197020, et il affirme l’intérêt du maintien de l’enfant dans sa famille. Une mesure d’assistance éducative peut désormais être prononcée lorsqu’une situation fondée sur la mise en danger du mineur est avérée. Ce texte instaure également dans le Code civil le concept d’autorité parentale, qui remplace l’ancienne puissance paternelle : « ensemble de droits et devoirs conférés aux parents dans l’intérêt de l’enfant en vu d’assurer sa protection et son développement ». I.3. Vers la primauté du droit des usagers de la protection de l’enfance La décennie suivante marque un véritable changement dans le système de protection de l’enfance en France, et la question du droit des usagers et de leur participation aux interventions sociales est en débat. 18 FABLET Dominique, 2005, « Suppléance familiale et interventions socio éducatives : analyser les pratiques des professionnels de l’intervention socio éducative » Paris, L’harmattan, page 153. 19 DURNING Paul in FABLET Dominique, Op.cit, page 57. 20 Loi du 4 juin 1970. 12 A partir de cette époque, sous l’effet de différents facteurs, la protection de l’enfance connaîtra une réelle évolution notamment du fait d’une plus grande place reconnue aux parents et aux enfants. Ainsi, les travaux de la commission HOUZEL, proposeront une lecture de la parentalité selon trois axes : - L’exercice « qui renvoie aux dimensions sociale et culturelle de la parentalité, inscrite dans un ensemble de règles qui structurent les liens notamment entre les générations » - L’expérience « concerne la dimension subjective du fait de devenir parent et les processus qui se déroulent chez un individu qui devient père ou mère » - La pratique « est le domaine des tâches quotidiennes, des soins que les parents ont à remplir auprès de l’enfant ».21 Cette réflexion vient interroger l’accompagnement éducatif et notamment comment suppléer en partie, et de manière provisoire, certaines fonctions parentales qui peuvent être défaillantes, sans pour autant s’immiscer, interférer dans ce qui va bien. Parallèlement, la décentralisation issue de la loi du 22 juillet 1983 vient préciser la frontière entre ce qui relève des compétences des départements, et de celles de l’état. « Le législateur a préféré confier au département non seulement la protection administrative, sous le terme d’aide sociale à l’enfance, mais aussi la mise en œuvre des mesures de protection judiciaire. Seules les mesures confiées au secteur public de la protection de la jeunesse, les mesures d’investigation et les mesures de protection des jeunes majeurs ….restent de la compétence de l’état ».22 Les parents sujets de droits : La Loi du 6 juin 1984 (Loi DUFOIX) en s’appuyant sur le rapport BIANCO-LAMY de 1980 qui souligne la mise à l’écart des parents des enfants placés au service de l’aide sociale à l’enfance, reconnaît pour la première fois les parents comme sujet de droits, et notamment : 21 22 NAVES Pierre, 2007, « La réforme de la protection de l’enfance », Paris, Dunod, page 128. Cour des comptes, octobre 2009, rapport public thématique « la protection de l’enfance », page 2. 13 - d’être informés, sur les conditions et les conséquences d’une intervention sociale au niveau des prestations familiales et de l’exercice de l’autorité parentale - d’être accompagnés, assistés au cours de la procédure, dans les démarches auprès des services par la personne de leur choix - d’être associés et de participer à toutes les décisions concernant leur enfant, notamment concernant son orientation - de voir leur situation révisée régulièrement - le droit pour l’enfant d’être consulté et associé aux décisions qui le concernent. La protection de l’enfant maltraité : Par la suite, l’accent sera mis sur la protection de l’enfant maltraité23. Le législateur rappelle l’obligation de signalement et impose la coordination de l’intervention des services sociaux et médico sociaux. Il étend l’obligation de recours à l’autorité judiciaire, si la famille ne coopère pas et s’il y a présomption de sévices : « Lorsqu’un mineur est victime de mauvais traitements ou lorsqu’il est présumé l’être, et qu’il est impossible d’évaluer la situation ou que la famille refuse manifestement d’accepter l’intervention du service de l’aide sociale à l’enfance, le président du conseil général avise sans délai l’autorité judiciaire et, le cas échéant , lui fait connaître les actions déjà menées auprès du mineur et de la famille concernés »24 . La compétence de l’autorité judiciaire en cas de mauvais traitement ou de présomptions lorsqu’il existe une impossibilité d’intervention dans la famille, et donc d’évaluation est édictée à travers ce texte de loi. La place prépondérante de l’usager dans les institutions sociales et médico sociales : De manière progressive, la place irremplaçable des parents dans l’éducation de leurs enfants, la nécessité de prendre davantage en considération la compétence et la parole des familles devient une priorité. Le postulat que l’enfant ne peut être aidé en dehors de la prise en compte de sa famille semble acquis25. Cela aboutira à un texte de loi destiné à rénover l’action sociale et médico sociale, qui affirme la place prépondérante de la personne dans les institutions sociales et médico sociales et les droits des usagers de ces services26. Ce texte énonce avec 23 Loi du 10 juillet 1989. Article L.226-4 du Code de l’action sociale et des familles. 25 Rapport NAVES-CATHALA (juin 2000) qui souligne : l’insuffisance de l’évaluation de la situation des mineurs et de leurs familles; et l’absence de dialogue avec la famille; Rapport ROMEO (octobre 2001) qui pointe le dialogue difficile entre les familles et les professionnels. 26 Loi du 2 janvier 2002. 24 14 force dans son article 7, les Droits qui sont garantis aux usagers, avec la volonté de faire primer le projet de celui-ci sur celui de la structure 27 Celle loi édicte des obligations pour les établissements, et notamment de se soumettre à des évaluations, et définit de nouvelles règles de fonctionnement, avec notamment la mise en place de procédures et outils destinés à informer, recueillir l’avis des bénéficiaires (livret d’accueil, contrat de séjour ou document individuel de prise en charge, projet individuel….). Le nouveau code civil relatif à l’assistance éducative, permet aux familles d’accéder à leur dossier. Le législateur affirme que les familles doivent pleinement être associées au travail qui leur est proposé28 Un dispositif de protection de l’enfance controversé : Le cloisonnement des institutions oeuvrant dans le champ de la protection de l’enfance et le manque de coordination entre les services du Département et ceux de l’Etat, ainsi que le manque de connaissance et d’évaluation du dispositif sur le plan national sera par la suite mis en lumière29. Des acteurs de la protection de l’enfance de tous horizons vont se regrouper pour réclamer une loi d’orientation, précédée d’un débat public national pouvant être alimenté par les recommandations des différents rapports existants, mais également la tenue d’états généraux de la protection de l’enfance sous la responsabilité du président de la République30. Dans un rapport de décembre 2006, l’observatoire national de l’action sociale décentralisée fait état d’une augmentation sensible du nombre d’enfants en danger (89000 en 2003 – 95000 en 2004 soit 7%). Le docteur Maurice BERGER (chef du service psychiatrie de l’enfant au CHU de Saint Etienne) dénonce dans « L’échec de la Protection de l’enfance » « l’idéologie du lien 27 L’article 7 de la loi du 2 janvier 2002 énonce certains principes visant à favoriser le respect de l’usager (dignité, vie privée, intimité et Droits) et une prise en charge, un accompagnement individualisé de la personne prenant en compte sa participation à la conception et à la mise en œuvre de son projet. 28 Décret du 15 mars 2002. 29 Le rapport annuel 2004 de la défenseur des enfants, Claire BRISSET, dénonce des inégalités dans les services offerts, des dysfonctionnements, un manque de coordination et semble désigner la décentralisation comme source de ces maux. 30 Le 8 septembre 2005, « l’appel des 100 » sera signé pour le renouveau de la protection de l’enfance, à l’initiative de Claude ROMEO, directeur de l’enfance et de la famille du Conseil Général de Seine Saint Denis et de Jean Pierre ROSENCZVEIG, Président du Tribunal pour enfants de Bobigny. 15 familial », il fait ainsi référence à la volonté de favoriser le maintien à tout prix de l’enfant dans sa famille, qui peut parfois empêcher d’être attentif à l’enfant lui même.31 Philippe BAS, alors Ministre délégué à la famille, introduira cette réforme de la protection de l’enfance en ces termes : « Il faut désormais, en France, poser l’exigence d’une politique d’aide efficace, s’appuyant sur l’action des professionnels de l’enfance, et dont l’ambition sera d’assurer à chaque enfant les meilleures conditions de protection et d’épanouissement affectif, psychique et intellectuel. Le faire autant qu’il est possible en confortant le cadre familial, en agissant par une prévention renforcée, en détectant plus vite et mieux les situations de danger, en associant toutes celles et tous ceux qui jouent un rôle auprès des enfants et d’abord les parents, en adaptant nos modes d’action aux situations de chaque enfant. C’est tout l’enjeu de la réforme du dispositif français de protection de l’enfance ».32 Développer la prévention : une priorité Face aux drames de la maltraitance, dont certains avaient été fortement médiatisés33, mais surtout en raison des situations détectées trop tard, mieux organiser le système de protection de l’enfance pour le rendre plus fiable, améliorer la prise en charge des enfants et développer la prévention est devenu une priorité. Ces volontés de changement seront relayées par les politiques, et notamment par le gouvernement, les parlementaires, les élus départementaux. Pour le gouvernement, un intérêt majeur se dégageait : améliorer la connaissance des données concernant la protection de l’enfance mal connue de l’Etat. Par ailleurs étant donné la charge financière représentée par la protection de l’enfance pour les départements et les sommes conséquentes engagées, estimées avant la réforme à cinq milliards d’euros, un rapport parlementaire sur la famille et les droits des enfants de Patrick BLOCHE et Valérie PECRESSE énonce que deux enfants décèdent chaque semaine en France de mauvais traitements infligés dans leur famille. Et ce alors que les crédits alloués à 31 BERGER Maurice, 2004 , «l’échec de la protection de l’enfance», Dunod. BAS Philippe, mai 2006, présentation de « La réforme de la protection de l’enfance ». 33 Affaire du réseau pédophile d’Angers en 2002 (66 personnes accusées d’avoir abusé sexuellement de 27 enfants âgés de 6 mois à 12 ans) ; l’affaire d’Outreau en 2001(abus sexuel sur mineurs) qui met en évidence les dysfonctionnements de l’institution judiciaire et de certains acteurs sociaux ; l’affaire de Drancy en août 2004 (la police découvrait cinq enfants, âgés de 13 mois à 7 ans, sous alimentés)… 32 16 la protection de l’enfance ont été multipliés par quatre en vingt ans. Ce constat ne fait que renforcer l’idée qu’il serait possible de mieux faire. Les principales intentions de la réforme ne sont pas de mettre à plat le dispositif de protection de l’enfance, mais de favoriser son adaptation aux évolutions de la société. Elle vient donc clarifier les objectifs de la protection de l’enfance et en définit la notion même : « La protection de l’enfance a pour but de prévenir les difficultés auxquelles les parents peuvent être confrontés dans l’exercice de leur responsabilités éducatives, d’accompagner les familles et d’assurer le cas échéant, selon des modalités adaptées à leurs besoins, une prise en charge partielle ou totale. Elle comporte à cet effet un ensemble d’interventions en faveur de ceux-ci et de leurs parents. Ces interventions peuvent également être destinées à des majeurs de moins de vingt et un ans connaissant des difficultés susceptibles de compromettre gravement leur équilibre. La protection de l’enfance a également pour but de prévenir les difficultés que peuvent rencontrer les mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et d’assurer leur prise en charge »34 La prise en compte de l’intérêt de l’enfant : Au-delà de mettre en exergue le concept de « protection de l’enfance », « la prise en charge des mineurs en danger ou qui risquent de l’être », cette définition insiste sur « l’intérêt de l’enfant». Si la terminologie « mineurs en danger ou qui risquent de l’être » vient élargir le champ d’action du département, la notion d’intérêt de l’enfant, s’inscrit dans le débat entre « les familialistes défenseurs de la place de la famille, et les individualistes qui pensent que l’intérêt de l’enfant peut être distinct de ceux de sa famille »35, et en ce sens la loi du 5 mars 2007 ne se positionne ni pour les uns, ni pour les autres. Les premiers verront dans les dispositifs novateurs de nouvelles possibilités de maintenir les liens entre l’enfant et sa famille, les seconds se référeront à l’intérêt de l’enfant. Cette notion d’intérêt de l’enfant est exposée dans la loi du 5 mars 2007, et dans le nouvel article L.112-4 du CASF en ses termes « l’intérêt de l’enfant, la prise en compte de ses besoins et le respect de ses droits doivent guider toute décision le concernant et constituent les principes fondamentaux sur lesquels doit reposer notre dispositif ». Elle se révèle donc 34 BAS Philippe, Op.cit. BORGETTO Michel et LAFORE Robert, 2006, « Droit de l’aide et de l’action sociale », Montchrestien, Précis Domat, page 270. 35 17 être un élément déterminant dans toutes les décisions, actions, interventions qui seront menées le concernant, et diverses dispositions renforcent la prise en compte des droits de l’enfant : la recherche du lieu d’accueil dans son intérêt, et afin de faciliter l’exercice du droit de visite et d’hébergement par les parents, l’anonymat du lieu d’accueil si l’intérêt de l’enfant le nécessite … La lecture de ce bref rappel historique de la protection de l’enfance en France, et de son évolution, nous permet d’affirmer le caractère contradictoire de ce dispositif qui tente de concilier des intérêts opposés et notamment l’intérêt de l’enfant avec les droits des parents. La loi de mars 2007 souligne la nécessité de privilégier la prévention, et pose, sans le nommer, le principe de subsidiarité entre la mesure administrative et la mesure judiciaire. Du partage des compétences au principe de subsidiarité : Durant les trente dernières années ce système de protection reposait sur le partage des compétences administrative et judiciaire basé sur le critère de danger, celui constaté relevant de la justice, le risque de danger du département. A travers la réforme de la protection de l’enfance, le législateur subordonne toute intervention judiciaire à une évaluation, voire à une intervention administrative. La loi de mars 2007 vient préciser la ligne de partage entre judiciaire et administratif. L’article L.226-4 du Code de l’action sociale et des familles, précise que le président du conseil général avise sans délai le procureur de la République, lorsqu’un mineur est en danger au sens de l’article 375 du Code civil et : - « Qu’il a déjà fait l’objet d’une ou plusieurs actions d’aide à domicile, d’accueil de jour et de placement administratif de l’enfant au titre de l’accueil provisoire et que celles-ci n’ont pas permis de remédier à la situation - Que bien que n’ayant fait l’objet d’aucune des actions mentionnées ci-dessus, celles-ci ne peuvent être mises en place en raison du refus de la famille d’accepter l’intervention du service de l’aide sociale à l’enfance ou de l’impossibilité dans laquelle elle se trouve de collaborer avec ce service. » 36 36 Code de l’action sociale et des familles. 18 Le président du Conseil Général interpelle également sans délai le procureur de la République lorsqu’il est impossible d’évaluer la situation. Le président de la République a initié l’organisation le 16 février 2010 des états généraux de l’enfance pour réfléchir et proposer un plan d'action quant aux moyens de renforcer la protection de l'enfance fragilisée en France. Cette initiative a réaffirmé l’approche coercitive par l’Etat de la protection de l’enfance qui a fixé comme objectif principal à ces états généraux de l’enfance «d’améliorer la transmission de l’information préoccupante, prévue par la loi du 5 mars 2007, pour éviter que le nomadisme de certaines familles ne leur permette d’échapper au contrôle et à la surveillance des services sociaux»37. Face à cette orientation trois organisations professionnelles ont boycotté ces états généraux opposées à l’objectif fixé par le chef de l’Etat. L’articulation du système français de protection de l’enfance autour d’interventions administratives et judiciaires, implique une complémentarité dans leurs missions, qui différent quant aux moyens et au cadre juridique dans lequel elles s’inscrivent. La protection judiciaire vient la plupart du temps compléter ou prendre le relais de la protection administrative, lorsque les mesures de soutien mises en œuvre ne suffisent plus et que le consentement de la famille fait défaut. Dans ce travail de recherche, nous allons donc interroger les changements induits par la réforme de mars 2007, sur ce système binaire qu’est la protection de l’enfance, et notamment dans les relations partenariales. Pour compléter notre approche, nous entendons à présent aborder un nouvel angle de réflexion, qui nous permettra d’appréhender le cadre d’intervention de la protection de l’enfance, et comprendre les logiques propres à chacun des acteurs qui la mettent en œuvre. 37 Communiqué de l’Elysée, 20 novembre 2009. 19 Chapitre II : Les acteurs administratifs de la protection de l’enfance « La protection de l’enfance désigne un ensemble de règles et d’institutions qui ont pour objet de prévenir les dangers auxquels un mineur peut être exposé »38. Il nous est donc apparu nécessaire de préalablement présenter et définir les pratiques professionnelles des différents acteurs qui contribuent à ce dispositif. Après une déclinaison générale, nous nous centrerons sur le territoire où sera mené le travail de recherche : le Nord et plus particulièrement le valenciennois. La protection de l’enfance met donc en synergie quatre principaux acteurs : le Conseil Général, la justice, les services habilités au titre de la protection de l’enfance judiciaire et les bénéficiaires. II.1. Le Conseil Général comme acteur de l’accompagnement administratif L’objectif général de la protection de l’enfance assigné aux services de l’aide sociale à l’enfance du Conseil Général est d’apporter à chaque enfant en difficulté ou en danger la prestation la mieux adaptée à sa situation. L’aide sociale à l’enfance, désigne en France, une politique sociale menée dans le cadre de l’action sociale, définie par l’article L 221-1 du Code de l’action sociale et des familles. Elle s’inscrit dans le dispositif général de l’aide sociale destinée aux personnes qui ne peuvent faire face à leurs besoins à cause de leur handicap, de leur âge ou de leurs difficultés économiques ou sociales. Ce terme désigne aussi le service proprement dit qui, dans tel ou tel conseil général, met en œuvre cette politique. « L’ASE assume la responsabilité de la mise en œuvre d’une protection administrative de l’enfance, […] articulée avec la protection maternelle infantile et l’action sociale […] elle est prestataire de services pour le compte de la justice »39 Depuis les lois de décentralisation, relatives à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l’Etat (lois des 7 janvier et 22 juillet 1983 entrées en application le 1er janvier 1984) l’ensemble des services de l’aide sociale est placé sous la 38 39 Cour des comptes, Op.cit, page 1. ROSENCZVEIG Jean Pierre, Op.cit, page 293. 20 responsabilité des départements, et plus précisément des présidents des Conseils Généraux, à l’exception de certaines prestations bien définies qui restent de la compétence de l’état. L’organisation et la mise en œuvre de la politique de protection de l’enfance, mission d’intérêt général et d’ordre public, revient à chaque département. Chacun organise le service, attribue les prestations dont il fixe les tarifs et s’appuie sur un dispositif d’établissements et de services, publics ou privés habilités, dont le financement est approuvé chaque année lors du vote du budget et dont l’activité est contrôlée par les services du Conseil Général. Pour ce faire, les pouvoirs publics disposent d’outils pour orienter, faire évoluer l’offre de prise en charge et l’adapter aux besoins : les schémas départementaux. Le schéma départemental de l’enfance est un document qui permet de préciser les orientations quinquennales de l’action sociale en faveur de l’enfance, de la famille et de l’adolescence. «Les schémas départementaux doivent apprécier la nature, le niveau et l’évolution des besoins sociaux de la population et dresser le bilan quantitatif et qualitatif de l’offre sociale et médico sociale existante »40. Ils ont pour objet de déterminer les possibles évolutions de cette offre, et influer notamment sur la création, la transformation ou la suppression d’établissements ou de services. II.2. Les missions de l’aide sociale à l’enfance : La mission essentielle de l’aide sociale à l’enfance est de venir en aide aux enfants et à leurs familles par des actions de prévention individuelle ou collective, de protection et de lutte contre la maltraitance. Ses missions sont clairement définies par l’article L221-1 du CASF : - « Apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique aux mineurs, à leur famille, aux mineurs émancipés et aux majeurs âgés de moins de 21 ans confrontés à des difficultés sociales susceptibles de compromettre gravement leur équilibre ; 40 Code de l’action sociale et des familles – Article L 312-4. 21 - Organiser, dans les lieux où se manifestent des risques d’inadaptation sociale, des actions collectives visant à prévenir la marginalisation et à faciliter l’insertion ou la promotion sociale des jeunes et des familles, notamment des actions dites de prévention spécialisée auprès des jeunes et des familles en difficulté ou en rupture avec leur milieu ; - Mener, en urgence des actions de protection en faveur des mineurs en difficulté ; - Pourvoir à l’ensemble des besoins des mineurs confiés au service et veiller à leur orientation, en collaboration avec leur famille ou leur représentant légal ; - Mener notamment à l’occasion de l’ensemble de ces interventions, des actions de prévention des mauvais traitements à l’égard des mineurs et organiser le recueil des informations relatives aux mineurs maltraités et à la protection de ceux-ci ».41 Le service propose alors des interventions adaptées à chaque situation, qui peuvent prendre différentes formes : - Des aides financières qui sont versées sous forme d’allocations mensuelles, ou de secours d’urgence…), « les liens entre les aides financières et l’objectif de la protection de l’enfance est ainsi ténu, si le soutien qu’elles apportent aux familles contribue à améliorer la situation des enfants, l’aide est rarement doublée d’un soutien éducatif au profit de la famille »42. - Des aides éducatives exercées par le biais d’interventions à domicile. Ces actions éducatives à domicile sont mises en place à la demande ou en accord avec les parents. Elles se déclinent par des rencontres régulières dans le milieu familial avec des travailleurs sociaux (éducateur, assistante sociale, psychologue). Elles ont pour but d’apporter un soutien éducatif, psychologique aux mineurs, et à leur famille. Ces professionnels ont également pour mission de soutenir les parents dans l’exercice de leur autorité parentale. « L’intervention à domicile contribue à maintenir l’enfant dans sa famille en lui assurant les conditions nécessaires à son développement et à sa sécurité, tout en aidant ses parents à surmonter 41 42 Code de l’action sociale et des familles, Article L 221-1. Cour des comptes, Op.cit, page 69. 22 leurs difficultés […] Elles s’inscrivent dans une relation d’aide en recherchant l’adhésion de la famille même lorsque celle-ci n’adhère pas d’emblée aux actions proposées ou à la mesure mise en place »43 Des mesures de placement par le biais notamment des accueils provisoires à la demande ou avec l’accord des parents La loi du 5 mars 2007 a transféré la responsabilité de l’aide sociale à l’enfance aux Conseils Généraux, avec trois objectifs prioritaires : - renforcer la prévention, notamment en tentant de détecter le plus précocement possible les situations à risques. Cela se traduit par des actions d’appui aux parents, le suivi médical des enfants. - améliorer le dispositif d’alerte et de signalement, notamment en les réorganisant. - rénover, diversifier et améliorer les modes d’intervention, et de prises en charge des enfants et de leur famille (Projet pour l’enfant, assouplissement des modes de prise en charge selon les besoins de l’enfant,…). - rénover et diversifier les modes d’interventions, et de prises en charge des enfants et de leur famille (Projet pour l’enfant, placement en établissement, familles d’accueil…). Cette loi a également pour objectif de recourir de manière moins systématique à l’intervention judiciaire. II.3. Le dispositif de protection de l’enfance du Conseil Général : Chaque département décline sur son territoire son organisation, concernant ce dispositif. Il est toutefois possible d’y repérer des similitudes, à savoir quatre services qui interviennent sur un même territoire. 43 Ministère de la santé et des solidarités, Février 2008, « Guide pratique protection enfance : intervenir à domicile pour la protection de l’enfant », page 23. 23 - Le service social départemental ou service départemental d’action sociale : Sa nomination change d’un département à un autre, et il a la charge de mettre en place la politique d’aide à la famille du département. Celui-ci est constitué d’assistantes sociales, qui assurent des permanences dans lesquelles elles reçoivent des familles qui présentent des difficultés (problèmes de logement, financiers, de couverture sociale …). L’assistante sociale accueille, informe et oriente les personnes reçues. Elle facilite l’accès aux droits des personnes, peut assurer un suivi social avec l’accord de la famille. Elle intervient également dans le cadre de la protection de l’enfance, puisqu’elle évalue les situations d’enfants en danger et leurs conséquences sur l’évolution du mineur. Cette professionnelle mesure également les capacités de changement de la famille, et propose des aides selon la situation (intervention d’une TISF, d’une conseillère en économie sociale et familiale, mise en place d’un suivi social…). Si la situation qu’elle rencontre est grave, elle en informe l’autorité judiciaire, via sa hiérarchie. - Le service de la protection maternelle infantile : Il est chargé d’organiser les actions préventives concernant la petite enfance (0 à 6 ans), et le suivi des femmes enceintes. Il met en place des consultations médicales (bilan de santé systématique pour les enfants en maternelle, entretien du quatrième mois de grossesse,…) et conseille les parents dans la prise en charge d’un nouveau né. Il donne également son accord pour les agréments des assistantes maternelles. Il est composé d’un médecin responsable du service, de puéricultrices, d’infirmières, éventuellement de sage-femmes et de psychologue. Dans le cadre de la protection de l’enfance, il est fréquent que la PMI accompagne l’assistante sociale du SSD pour faire l’évaluation d’une situation d’un mineur en danger. - Le service de l’aide sociale à l’enfance : Il doit apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique aux enfants et à leurs familles, confrontées à des difficultés sociales susceptibles de compromettre gravement leur équilibre. Ce service est composé d’assistantes sociales, d’éducateurs spécialisés, de psychologues. Il 24 intervient en octroyant des aides financières (allocations mensuelles, secours d’urgence,..), en mettant en place des accueils provisoires pour les enfants à la demande ou avec l’accord de leur parent, en mettant en place des aides éducatives par le biais de rencontres régulières des enfants et de leurs parents avec un professionnel. A travers celles-ci, il s’agit d’exercer une action préventive pour éviter une dégradation de la situation et un éloignement de l’enfant de son milieu familial. L’ASE effectue également le recrutement et le suivi des assistants familiaux chez lesquels les mineurs sont placés. C’est à leur initiative que les situations d’enfants en danger sont le plus souvent transmises à la justice. Depuis la loi du 10 juillet 1989 (N°89-487) relative à la prévention des mauvais traitements à l’égard des mineurs et à la protection de l’enfance, l’obligation du signalement est posée : « Le président du Conseil Général met en place, après concertation avec le représentant de l’Etat, un dispositif permettant de recueillir en permanence les informations relatives aux mineurs maltraités et de répondre aux situations d’urgence, selon les modalités définies en liaison avec l’autorité judiciaire et les services de l’état dans le département. Ainsi l’ensemble des services et établissements publiques et privés susceptibles de connaître des situations de mineurs maltraités participent à cette coordination. Le président du conseil général peut, dans les mêmes conditions, requérir la collaboration des professionnels et des associations concourant à la protection de l’enfant et de la famille ».44 Les services du Conseil Général interviennent donc le plus souvent en amont de l’intervention judiciaire, pour autant ces différentes missions et la loi précédemment citée impliquent un renforcement de l’articulation entre les services judiciaires et les services sociaux du Conseil Général. - Le service de prévention Santé : Il est composé d’une équipe médicale et médico-sociale qui propose : • Les consultations de prévention : vaccinations, accompagnement vers l'arrêt du tabac, conseils de prévention pour mieux protéger sa santé au quotidien ; • Le dépistage et la prévention de la tuberculose au sein des Centres de lutte anti-tuberculose ; 44 Loi du 10 juillet 1989, N°89-487. 25 • Le dépistage et la prévention des infections sexuellement transmissibles et du VIH au sein des Centres d'information, de dépistage et de diagnostic des IST et des consultations de dépistage anonyme et gratuit du VIH. Chapitre III : la Justice, l’intervention de l’Etat dans la protection de l’enfance La justice est un attribut essentiel de la souveraineté de l’état, elle a pour mission fondamentale de veiller au respect des lois en garantissant les droits de chacun. Dans le cadre de la protection de l’enfance, l’autorité judiciaire, et plus particulièrement le juge des enfants, dispose de pouvoirs importants dans les différentes phases de la procédure (instruction, décision et exécution des mesures) qui lui permettent d’apprécier les éléments qui caractérisent l’état de danger de l’enfant. L’article 64 de la constitution, lui garantit en tant que magistrat son indépendance. Ce magistrat se doit de rechercher un équilibre entre la protection de l’enfant et les droits rattachés à l’autorité parentale dont il vient provisoirement limiter l’exercice. L’autorité parentale étant définie dans le code civil comme « un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant »45. Sur les 181 tribunaux de grande instance existant sur le territoire français, seuls 30 ne possèdent pas de tribunaux pour enfants. Dans de nombreux départements, il y a donc plusieurs TPE et inversement il se peut qu’un TPE intervienne sur plusieurs départements. La réforme de la carte judiciaire, initiée par le gouvernement en février 2008, programmée sur trois ans a pour objectif de renforcer la qualité et l’efficacité de la justice en regroupant les structures. Mais également permettre de mutualiser les moyens, rationaliser les fonctionnements et optimiser les coûts. 45 Code civil, article 371.1 Alinéa 2. 26 III.1. Cadre de l’intervention judiciaire : Dans le cas de situations familiales où l’enfant est repéré en danger, le juge des enfants peut intervenir, comme le prévoit l’ordonnance N°58-1301 du 23 décembre 1958 relative à l’enfance en danger, au titre de l’assistance éducative. Il peut ainsi ordonner des mesures : - « si la santé, la sécurité et la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation, ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, des mesures d’assistance éducative peuvent être ordonnées par la justice à la requête des père et mère conjointement ou l’un d’eux, du gardien ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public. Le juge peut se saisir d’office à titre exceptionnel» (article 375 du Code civil). - « Chaque fois qu’il est possible, le mineur doit être maintenu dans son milieu actuel. Dans ce cas le juge désigne, soit une personne qualifiée, soit un service d’observation, d’éducation ou de rééducation en milieu ouvert en lui donnant mission d’apporter aide et conseils à la famille afin de surmonter les difficultés matérielles ou morales qu’elle rencontre » (article 375.2 du Code civil). - « les père et mère dont l’enfant a donné lieu à une mesure d’assistance éducative conservent sur lui leur autorité parentale et en exercent tous les attributs qui ne sont pas inconciliables avec l’application de la mesure» (article 375.7 du Code civil) 46 - La réforme de l’Assistance Educative (Décret du 15 mars 2002 modifiant le Code de procédure civile et relatif à l’assistance éducative) affirme la reconnaissance du droit des personnes et le principe d’accès aux pièces de leurs dossiers (Administratifs, sociaux, médicaux, judiciaires en assistance éducative). Elle renforce le principe du contradictoire et vise à garantir tout au long de la procédure les droits des personnes. III.2. Modalités de l’intervention judiciaire Lorsque le procureur de la République reçoit une information concernant la situation d’un enfant en danger, celui-ci la transmet au juge des enfants. Le magistrat a alors la possibilité de s’appuyer sur les éléments transmis par le procureur de la République, ou de solliciter un 46 Code civil, articles 375 et suivants. 27 recueil de renseignements socio éducatifs auprès d’une unité éducative auprès du tribunal afin de recueillir davantage d’éléments sur la situation de danger auquel est confronté le mineur. Dans un second temps, le juge des enfants convoque la famille en audience, ce qui lui permet d’entendre la famille dans le cadre d’un débat contradictoire. Ce principe est important, puisqu’il évite que la décision du magistrat soit unilatérale, en permettant aux personnes de s’expliquer, de donner leur version des faits qui leurs sont reprochés. A l’issue, de cet échange, le magistrat prendra sa décision qu’il a la possibilité de graduer selon le caractère du danger. Au cours de cette audience il se doit rechercher l’adhésion de la famille à la mesure ordonnée : « Le juge des enfants est compétent, à charge d’appel, pour tout ce qui concerne l’assistance éducative. Il doit toujours s’efforcer de recueillir l’adhésion de la famille à la mesure envisagée »47. Le juge des enfants rédige alors une ordonnance, ou un jugement pour une durée pouvant aller jusqu'à deux ans, éventuellement renouvelable, et charge un service habilité pour exercer la mesure. Ces mesures seront revues par le magistrat le plus souvent tous les ans, et au maximum dans un délais de deux ans. III. 3. L’exercice des différentes mesures ordonnées par le juge des enfants : Différentes mesures sont exercées par des services le plus souvent gérés par des associations de type loi 1901, habilitées par le ministère de la justice pour exercer leurs missions à partir d’une décision du juge des enfants qui s’appuie sur l’appréciation d’une situation de danger pour un mineur dans le cadre de l’article 375 du Code civil. Lorsqu’il se saisit, le juge des enfants audience la famille afin de lui signifier les éléments de danger et entendre sa version de la situation familiale, ce sont ces éléments de danger qui fondent les motifs de l’intervention du service, et seront notifiés dans les attendus du jugement. Celui-ci sera transmis au service qui se verra confier la mesure ordonnée par le magistrat. Le juge des enfants peut prendre plusieurs décisions : - 47 un non lieu à intervention si les éléments de danger ne sont pas confirmés ; Code civil, Article 375.1. 28 - une mesure permettant d’investiguer la situation familiale : une mesure judiciaire d’investigation éducative dont l’objectif est d'aider le juge des enfants à prendre une décision au sujet du ou des jeunes concernés, c'est un moyen d'investigation, de prospection, que se donne le magistrat pour évaluer une situation dans le cadre de procédures civiles ou pénales. - une mesure d’aide à la gestion du budget familial, qui vise à aider les parents à comprendre les besoins élémentaires de leurs enfants. Elle a à la fois une mission pédagogique, puisqu’elle apporte une aide à la famille dans la gestion de son budget et garantit l’utilisation des prestations familiales pour les besoins des enfants. - une mesure de placement si la situation de danger dans laquelle évolue l’enfant le nécessite. - une mesure d’assistance éducative en milieu ouvert afin d’apporter aide et conseil à la famille Dans ce travail, nous allons nous intéresser plus particulièrement à la mesure d’assistance éducative, puisqu’elle représente environ 80% de l’activité de notre terrain d’étude48, et illustre bien l’articulation entre services administratifs et habilités. La mesure d'Action Educative en Milieu Ouvert (AEMO), peut être ordonnée par le juge des enfants dans le cas de situations familiales où l’enfant est repéré en danger, au titre de l’assistance éducative. Les principes de la mesure d’AEMO : Cette mesure concourt à la protection de l'enfance et de l'adolescence en danger et consiste en des interventions éducatives qui s'appliquent à des situations de danger, mais vise à maintenir chaque fois qu'il est possible le mineur dans sa famille. L'objectif étant de rechercher une évolution du groupe familial pour diminuer les difficultés de l'enfant, et de se centrer sur les potentialités de l'enfant à vivre ces difficultés. A défaut de réelles modifications dans le fonctionnement familial une séparation peut être envisagée. Cette intervention, financée par le conseil général, s’inscrit dans un temps donné fixé par le magistrat, et a pour visée une mission éducative à l’intérieur d’un cadre judiciaire. 48 Le service de référence pour notre recherche exerçant pour environ 20% d’autres mesures telles la mesure judiciaire d’investigation éducative, la mesure judiciaire d’aide à la gestion du budget familial, la réparation pénale. 29 Les paradoxes de la mesure d’AEMO : La difficulté majeure rencontrée dans l’exercice de la mesure repose en premier lieu sur l’obligation, la contrainte imposée par le cadre judiciaire de cette intervention, dans une ‘démarche initiale d’aide visant à restaurer les fonctions parentales. Cette intervention s’inscrit donc dans une dynamique d’aide, de soutien, de compréhension mais aussi de contrôle, de vérification qu’il faut concilier avec comme objectif premier la protection de l’enfant. Une autre difficulté repose sur l’objectivation de l’intervention du travailleur social auprès de la famille, qui se fait le plus souvent seul, et notamment des indicateurs recueillis qui permettent d’évaluer le danger, et les effets du travail mené. Bien qu’elle s’inscrive dans un cadre autoritaire, contraint, cette mission relève d’une logique éducative, qui a pour but, à partir de la reconnaissance et de la promotion des potentiels individuels, et d’un travail sur les relations intra familiales, de favoriser une évolution positive de cette situation de danger pour le mineur, voire de la résorber. La mesure d’AEMO comporte donc deux volets : une part de contrôle, l’intervention judiciaire venant signifier une défaillance au niveau de la fonction parentale. Une dimension d’aide, qui consiste à favoriser l’émergence des compétences des personnes, ainsi qu’une plus grande possibilité d’expression et un meilleur usage de leurs ressources. « De cette relation entre le travailleur social et la famille, un processus de changement peut émerger pour aboutir à la constitution de règles communes et à l’intégration des rôles parentaux. Les objectifs fixés et les moyens pour y parvenir, tout en se référant au cadre judiciaire et aux attendus du magistrat, grâce à une aide et un accompagnement permettent à la famille de diminuer le décalage entre les règles socialement posées et les règles intra familiales ».49 Les modalités d’intervention en AEMO Afin d’y parvenir les moyens d’intervention du travailleur social reposent sur : des entretiens individuels ou collectifs avec l’enfant et/ou sa famille dans le cadre de visites à domicile, de rencontres au service, où à l’extérieur ; des accompagnements, des démarches (milieu scolaire, logement….) ; des sorties éducatives, des activités avec l’enfant et/ou sa famille qui favorisent des observations plus rapprochées, et ainsi une analyse plus approfondie ; des bilans psychologiques, des contacts et un travail avec les partenaires (aide sociale enfance, 49 Projet pédagogique AEMO-ADSSEAD. 30 PMI, écoles,…) ; mais également des temps de réflexion et d’analyse sur la situation familiale en équipe pluridisciplinaire. Un acteur essentiel dans ce dispositif de la protection de l’enfance, et probablement le plus important, demeure donc le bénéficiaire. De sa posture face à l’intervention éducative va se décliner l’intervention menée. Face à cette intervention imposée par le magistrat, la famille adopte des stratégies, des mécanismes de défense qui seront déterminants pour le travail éducatif qui va être mené. L’attitude d’opposition à l’intervention, le déni des difficultés, l’adhésion apparente, sont parfois des réponses apportées par les familles à l’intervention judiciaire. Pour autant, l’intervention éducative n’a pas pour unique objectif d’amener un changement dans la situation familiale, elle peut par son impact et l’intervention d’un tiers dans la famille, canaliser le danger encouru par le mineur. Cette première partie, retrace l’évolution de la protection de l’enfance, et présente ses deux opérateurs : l’autorité administrative et l’autorité judiciaire. Nous pouvons observer que la loi du 5 mars 2007, en posant le principe de subsidiarité, vient réaffirmer, à travers la mesure d’assistance éducative, l’incohérence parentale. En effet, en s’appuyant sur la non collaboration de la famille à l’aide proposée par le Conseil Général, comme élément déterminant l’instauration d’une mesure judiciaire, la loi vient renforcer l’aspect contraint de la mesure. Le passage à l’accompagnement judiciaire vient donc sanctionner la défaillance parentale. Pour autant, cette intervention judiciaire se doit de favoriser la réinscription des bénéficiaires dans des dispositifs de droits communs. A ce titre, protection administrative et judiciaire sont amenées à collaborer. Ce qui vient de fait interroger ce principe de subsidiarité, notamment lorsque l’intervention judicaire recourt à certains dispositifs administratifs comme l’accueil provisoire. Comment, dans ce cadre judiciaire, la protection administrative s’inscrit t’elle ? Comment les bénéficiaires parviennent t’ils à différencier ces deux modalités d’intervention ? 31 PARTIE II : CADRE EXPLORATOIRE ET CONCEPTUEL Nous avons pu mettre en exergue que les deux acteurs chargés de mettre en œuvre la protection de l’enfance, bien qu’ils aient des champs d‘intervention différents, jouent leur rôle simultanément dans ce dispositif de protection. Celui-ci revêt différentes formes, il peut être tout à la fois subsidiaire, complémentaire ou conjoint. Si le département reste la pièce centrale de ce dispositif, celui-ci est en interdépendance, en interrelations avec d’autres acteurs, et nous avons pu observer que ceci était parfois source de dysfonctionnements entre l’intervention administrative et l’intervention judiciaire. Face à ce constat, notre questionnement de départ était le suivant : en quoi la loi de 2007 et le principe de subsidiarité ont induit un changement dans les pratiques partenariales et les représentations des différents acteurs de la protection de l’enfance ? Si ce principe de subsidiarité affirmé par cette loi s’applique de l’intervention administrative à l’intervention judiciaire, en ce sens qu’elle détermine le passage de l’une à l’autre, elle se décline également de l’intervention judiciaire à l’administrative puisqu’elle y recourt pour certains dispositifs, tel l’accueil provisoire, permettant ainsi d’éviter parfois la judiciarisation des interventions. Notre travail s’est donc progressivement axé sur les dispositifs régis par les services du Conseil Général qui peuvent être initiés par les services habilités, où être mis en œuvre en parallèle de l’intervention judiciaire. Ils viennent questionner l’articulation entre ces deux services, mais surtout la mise en acte du principe de subsidiarité. En nous appuyant sur des observations issues du terrain professionnel, nous avons observé et catégorisé trois formes de travail entre les acteurs administratif et judiciaire : - La complémentarité, se traduit par le fait que les services du Conseil Général restent compétents en termes d’accompagnement social en plus de la mesure judiciaire (services PMI, demandes d’aides financières, …) garantissant aux bénéficiaires des mesures judiciaires l’accès aux dispositifs de droits communs. 32 - L’intervention conjointe se décline notamment dans le cadre de certains dispositifs tels l’accueil provisoire, le traitement des informations préoccupantes50. Pour autant les rôles de chacun ne sont pas parfaitement répartis, et ce en dépit de la volonté du législateur exprimée à travers la loi de mars 2007. - La subsidiarité qui marque le passage de l’intervention administrative à l’intervention judiciaire, quand l’accompagnement administratif n’est pas suffisant, ou ne peut se mettre en place. Mais également, de l’autorité judiciaire à l’autorité administrative, lorsque la situation s’améliore significativement et permet un passage de relais au Conseil Général. Ou lorsque recours il y a dans l’intervention judiciaire à une démarche de protection administrative comme lors de l’accueil provisoire. C’est dans ce contexte là qu’il nous est apparu opportun de questionner la perception par les protagonistes, mettant en œuvre la protection de l’enfance, leur articulation. Chapitre I : Exploration stratégique de la protection de l’enfance Dans une phase exploratoire, en nous appuyant sur l’analyse stratégique, nous allons essayer d’avoir une approche inverse de celle des théories des organisations classiques, qui partent du postulat que l’organisation forme et conditionne les individus. Ce modèle d’analyse organisationnelle qu’est l’analyse stratégique, développé par CROZIER et FRIEDBERG51, suppose qu’il est impossible de considérer que le jeu des acteurs n’est déterminé que par la cohérence du système ou par les contraintes liées à l’environnement. Ce modèle s’articule autour de la compréhension des relations entre acteurs interdépendants. Comme nous avons pu le constater, de nombreux protocoles, et schémas d’intervention existent entre la protection administrative et la protection judiciaire, pour autant sur le terrain l’articulation demeure difficile. Comme l’énonce l’analyse stratégique, dans cette articulation les individus se créent et exploitent des espaces de libertés. 50 Eléments susceptibles de laisser craindre qu’un mineur se trouve en situation de danger, et qui dans le cadre des cellules opérationnelles départementales, sont recueillies, traitées et évaluées. 51 CROZIER Michel et FRIEDBERG Erhard, 1977, « L’acteur et le système », Paris, Editions du seuil. 33 A travers cette approche, l’organisation apparaît comme une construction sociale, qui résulte des actions des individus. Ces derniers utilisent l’espace de « jeu » entre les contraintes, et c’est cette zone d’incertitude qui permet à l’acteur de prendre des initiatives et de suivre ses préceptes. C’est le point clef qui permettra une interprétation des relations entre les acteurs. L’analyse stratégique devrait nous permettre une conceptualisation de certaines actions collectives mises en œuvre entre les deux entités administrative et judiciaire, mais aussi de mieux appréhender les changements apportés par la réforme de mars 2007, et notamment la subsidiarité administrative/judiciaire. Afin de mener cette analyse, nous nous sommes appuyés sur les enjeux énoncés par la réforme de la protection de l’enfance, et les changements qui en ont découlé. Pour appréhender cet aspect, nous avons eu recours, dans le cadre d’une phase exploratoire, à des entretiens semi directifs avec 2 responsables d’UTPAS et 4 travailleurs sociaux respectivement d’UTPAS et de services habilités judiciaires. « Ce type d’entretien, est une technique qualitative de recueil d’informations permettant de centrer le discours des personnes interrogées autour de thèmes définis »52. Il laisse ainsi à la personne interviewée la possibilité de développer et orienter son propos, tout en intégrant les thèmes définis préalablement par celui qui mène l’entretien. Nous nous sommes également appuyés sur des observations extraites de notre pratique dans ce secteur, et des documents existants. Ces entretiens ont unanimement confirmé que « la loi 2007 a bousculé les équipes et y a succédé une période de flottement » (propos d’une responsable d’UTPAS). L’objectif de ces échanges était de déterminer les fondements de l’intervention administrative et judiciaire, les éventuels changements apportés par la réforme de la protection de l’enfance et les difficultés rencontrées dans l’articulation entre les deux acteurs. 52 Fiche technique Euréval, “réaliser un entretien semi directif”, 2010. 34 I.1. Des champs d’intervention mal définis Dans le cadre de notre pratique professionnelle certains protocoles, schémas d’articulation sont mis en œuvre afin de déterminer « qui fait quoi ». Nous nous appuierons dans la partie suivante sur les modalités de mise en œuvre des accueils provisoires. Toutefois ces protocoles et schémas définissent des modalités d’autres dispositifs comme par exemple les allocations mensuelles. Ces outils sont le fruit d’une réflexion, d’une collaboration entre les équipes d’encadrements administratifs et judiciaires, sur un territoire donné. Celui de notre recherche sera consacré au valenciennois. Malgré la rédaction de ces documents, la mise en pratique de ces procédures peut être variable selon les cadres des deux entités (administrative/judiciaire), les personnes qui constituent les équipes. Sur ce point on retrouve la zone d’incertitude propre à chacun des acteurs, des protocoles existent mais dans leur déclinaison chaque acteur conserve une certaine liberté d’agir ou pas. A titre d’exemple, dans le cadre des accueils provisoire le protocole prévoit : - « l’accord et le rapport social (ou le refus motivé) du Pôle Enfance Famille (DTPAS) sont transmis au service d’AEMO et à l’UTPAS pour mise en œuvre »53 Dans la réalité l’accord de la DTPAS est souvent conditionné à un contact préalable des services judiciaires avec l’UTPAS afin de vérifier les conditions de faisabilité de cet accueil, et c’est ce contact qui détermine le plus souvent l’accord ou non accord du PEF à la mise en place de celui-ci. A travers cette illustration on retrouve donc le caractère décisionnel dont dispose le PEF d’accorder ou non la mise en place de l’accueil, mais également les limites de son autonomie dans sa mise en œuvre, puisqu’il conditionne l’accord aux places disponibles. Cette logique administrative est compréhensible puisqu’elle tient compte de l’offre de places disponibles, et tente de les adapter à la demande. Pour autant, le regard judiciaire est tout autre puisque perçu par les acteurs comme un frein à la mise en œuvre de leur projet de travail. 53 Schéma d’intervention de coordination entre les services AEMO et les services du département. 35 - « si accueil en établissement : se mettre d’accord puis le service AEMO envoie un écrit »54 Là aussi dans la pratique, l’énoncé se mettre d’accord est, d’après les travailleurs sociaux exerçant dans le champ judiciaire, parfois interprété et s’apparente davantage à une injonction formulée par les services administratifs : « vous contactez les établissements, vous faites la démarche » (TS ASE)55. Cette impulsion du partenariat vient donc interroger, voire renforcer les représentations existant entre les personnels des services de la protection administrative, et ceux des services judiciaires. Sur ce point également le sentiment d’être respectivement évalué par l’autre sur le travail effectué est très présent. I.1.1. Une confusion dans les domaines d’intervention administratif/judiciaire A travers les échanges avec les travailleurs sociaux, il est fréquent que soit évoqué ce manque de clarté sur le champ d’intervention, les attributions, les territoires de compétences de chacun, qui se traduit par le sentiment que le collègue intervenant dans le champ administratif (ou judiciaire) «n’a pas fait son travail» (TS AEMO et ASE), ou que la tâche qu’il doit accomplir ne lui revient pas. L’exemple le plus cité pour illustrer cette réflexion est l’Accueil Provisoire. En effet, lorsque dans le cadre d’une mesure judiciaire un accueil de ce type est envisagé, l’accord relève de l’autorité administrative (DTPAS). Quand celui-ci est obtenu, le travailleur social du champ judiciaire interpelle l’UTPAS pour la mise en œuvre, quand une famille d’accueil est recherchée, la recherche de celle-ci est effectuée par l’UTPAS. A défaut quand le lieu d’hébergement envisagé est un établissement, c’est le plus souvent le travailleur social du champ judiciaire qui initie les contacts avec les différentes structures à la recherche d’une place disponible. Si ces modalités sont définies dans un protocole, validé par les deux entités, la mise en œuvre de celui-ci est toute relative «si accueil en établissement, se mettre d’accord entre l’UTPAS et le service AEMO, puis le service d’AEMO envoie un écrit»56. 54 Schéma d’intervention de coordination entre les services AEMO et les services du département. Nous utiliserons tout au long de cette partie des propos issus des entretiens que nous avons menés avec les différents acteurs, pour illustrer notre questionnement. Nous les référencerons de la façon suivante TS ASE : travailleur social aide sociale enfance, TS AEMO : travailleur social service habilité, RUTPAS : responsable UTPAS. 56 Ibid. 55 36 Ce dispositif d’accueil provisoire est également questionné, par les personnes interviewées qu’elles soient du secteur administratif ou judiciaire, dans la place occupée par chacun dans celui-ci, et notamment concernant le lien entre le lieu d’accueil, l’ASE, et le service habilité : « Les assistantes familiales nous demandent (aux travailleurs sociaux du service habilité) parfois quoi faire, alors qu’elles sont salariées du Conseil Général» (TS AEMO), « Normalement, le travailleur social en AEMO n’intervient pas au domicile de l’assistante familiale, c’est la place du référent » (TS ASE). Le paradoxe ici soulevé est que cette prestation, laquelle ne relève pas du champ judiciaire, est parfois mise en œuvre par celui-ci, comme par exemple dans la recherche de structures d’accueil. Cela pose aussi la question de la confusion induite chez les bénéficiaires entre l’intervention administrative et judiciaire. I.1.2. Des interventions complémentaires Développer une intervention en amont du danger, a nécessité un recentrage des interventions des services départementaux sur ce versant préventif avec l’objectif de détecter le plus précocement possible les situations à risques. Cela a nécessité parfois une réorganisation des services et notamment du rôle et des missions de la PMI (suivi des femmes enceintes, prévention périnatale, …), une clarification des missions de chacun, et une articulation entre le SSD, la PMI et l’ASE… Mais également un travail d’information tant vis-à-vis des équipes des UTPAS, que des acteurs de la prévention (centres sociaux, club de prévention, …) afin de favoriser la complémentarité, des différents acteurs qui participent à la protection de l’enfance. Face à ce développement de la prévention, il est proposé à la famille, dans le cadre administratif de nombreuses solutions pour faire évoluer sa situation, parfois même alors que le travailleur social n’est pas convaincu de l’adhésion réelle de la famille « pour autant il fallait le proposer » (RUTPAS). C’est ainsi que parfois des solutions d’accueil provisoire sont proposées comme réponse aux difficultés familiales rencontrées, et ce alors que parfois la situation ne relève pas de ce dispositif, ou même que « la famille n’est pas en demande» (RUTPAS). Dans le cadre judiciaire, le travailleur social peut être amené à recourir à l’intervention administrative (lors de la prise en charge du dossier pour coordonner l’intervention du SSD; 37 lors de la mise en place d’un accueil provisoire s’il est nécessaire de mettre l’enfant en sécurité un temps donné, si un seul enfant de la fratrie est concerné par la mesure judiciaire). Ce qui nécessite un réel travail de coopération, d’articulation entre ces différents services. Il ressort d’une étude, que nous avons menée, en nous appuyant sur le rapport d’activité57 d’un service habilité, que pour 1208 enfants accompagnés au titre d’une mesure d’assistance éducative, la tranche d’âge des moins de 6 ans représente 294 enfants (soit 24,38% des mineurs suivis). L’intervention des services PMI est repérée pour 108 mineurs. Cette complémentarité permet à la fois un regard croisé sur les situations accompagnées, nécessitant un partage de compétence, mais entraîne aussi parfois un chevauchement des compétences de chacun. En exemple, pour une situation familiale, accompagnée dans laquelle se trouve des nourrissons, l’intervention judiciaire sera complétée par l’évaluation plus pointue de la PMI quant au développement et à la prise en charge de l’enfant. Les compétences des uns et des autres étant alors partagées, pour autant elles peuvent aussi se chevaucher notamment si un élément de danger est pointé celui-ci relevant à la fois du judiciaire et de l’administratif. Cette complémentarité administrative/judiciaire permet de proposer aux bénéficiaires une offre de réponses diversifiée dans les modes d’intervention auprès des enfants et des parents, afin de tenter d’éviter que les difficultés qu’ils rencontrent ne s’accentuent, et ainsi endiguer le recours à l’intervention judiciaire source de nombreuses représentations pour les bénéficiaires et notamment celle du placement de leur enfant. Par ailleurs, La mise en œuvre du renforcement de la prévention permet aussi de davantage responsabiliser les parents en favorisant au maximum leur participation en amont de l’intervention judiciaire. I.2. Un processus évaluatif : « un sentiment d’être évalué » : Il est aussi fait état d’un fort ressenti de devoir « rendre des comptes » (RUTPAS). Cette impression de devoir justifier de son travail se situe à deux niveaux : le premier vis-à-vis de l’employeur, qui repose sur le sentiment qu’à travers cette démarche, celui-ci exerce un contrôle du travail mené par son salarié. Le second, vis-à-vis de l’autorité judiciaire qui 57 Rapport d’activité ADSSEAD 2011. 38 s’exprime par l’opposition des professionnels à ce que l’autorité administrative rende compte de son action à l’autorité judiciaire : «Cela n’est pas normal que le département rende compte au juge des enfants» (TS ASE), « Notre employeur, c’est le département du Nord, pas le juge des enfants » (TS ASE). Cette nécessité de devoir justifier de leur intervention pouvait également renvoyer aux travailleurs sociaux des UTPAS, un sentiment de ne pas avoir su faire, de ne pas savoir faire, de n’être pas reconnus. Sur ce point, le sentiment de rivalité entre les deux dispositifs administratif/judiciaire est récurrent dans les propos de chacun « on se demande bien ce qu’a fait le secteur, et pourquoi le placement a été levé !» (TS AEMO). Ce sentiment se retrouve également, lorsque les acteurs judiciaires recourent aux services administratifs. C’est par exemple le cas, lors de la préparation d’un placement judiciaire ou administratif, lors de celle-ci le travailleur social du secteur habilité prend contact avec les services administratifs afin d’aborder la situation pour laquelle un éloignement est envisagé. Lorsque ces temps d’échanges sont abordés avec les travailleurs sociaux du champ judiciaire, ils ont également le sentiment de devoir rendre compte de leur intervention aux services administratifs « on a l’impression de devoir justifier de ce que l’on a fait avant de demander le placement » (TS AEMO) ; « quand on va en commission enfance c’est parfois comme si on était au tribunal » (TS AEMO)… Ainsi nombre de travailleurs sociaux du champ judicaire reviennent d’une synthèse pour la mise en place ou un renouvellement d’accueil provisoire, avec le sentiment d’avoir du justifier de leur position, ou que leur travail a été évalué au cours de la rencontre à travers les questions qui leurs sont posées « Vous avez fait quoi ? pourquoi ? » (TS AEMO). A l’inverse ce sentiment est également perçu par les acteurs administratifs qui lors d’une synthèse, pour la prise en charge d’une nouvelle mesure d’AEMO peuvent avoir le sentiment de devoir rendre des comptes sur les actions, l’évaluation qu’ils ont mené préalablement à l’instauration de ladite mesure. 39 I.3. Subsidiarité et pratiques professionnelles : I.3.1. Le principe de subsidiarité : vecteur de changement des pratiques : Le principe de subsidiarité, posé par la loi du 5 mars 2007, qui énonce que l’intervention judiciaire ne peut être ordonnée que lorsque l’intervention administrative n’a pu aider et mobiliser la famille, afin de solutionner les difficultés qu’elle rencontre, est venu modifier les pratiques des acteurs mettant en œuvre la protection de l’enfance (administratif et judiciaire), mais également de certains magistrats. Pour les acteurs administratifs, la clarification des missions a recentré leur intervention vers les actions de prévention, mais également la formalisation des actions mises en œuvre auprès des bénéficiaires, afin de pouvoir évaluer leur collaboration « mesurer et noter la non adhésion de la famille était la demande du pôle enfance famille » (RUTPAS). Face à ce dernier point, il est évoqué un changement important dans les pratiques professionnelles reposant notamment sur la difficulté pour les équipes à préciser, à mettre en mots leurs modalités d’intervention. A travers ce rendu compte des interventions menées, s’exerce également un contrôle des zones d’incertitudes du travailleur social, qui vient réduire sa marge d’autonomie dans son intervention éducative, puisqu’il doit impérativement s’appuyer sur la collaboration de la famille. Pour autant, cette évaluation de la collaboration de la famille s’est très vite heurtée «à l’adhésion réelle des familles par rapport à des objectifs de travail » (RUTPAS). Pour les acteurs judiciaires (service habilité et magistrats), certains changements sont également observés. En effet, lorsqu’un accord de la famille est verbalisé à une demande de protection d’un mineur par le biais d’un placement judicaire, préalablement à une audience ou lors de celle ci, le magistrat privilégie souvent la mise en place d’un accueil administratif avant de se prononcer. Celui-ci ne se saisissant alors que si ce principe de subsidiarité via l’accueil provisoire a été mis en œuvre, et refusé ou mis en échec par les parents. Cette subsidiarité est d’ailleurs reprise dans les jugements rendus « Attendus que les parents ont mis en échec l’accueil de leur fils …ordonnons le placement du mineur »58. 58 Jugement du Tribunal pour enfants de Valenciennes du 14 juin 2012. 40 Ainsi, lorsque dans le cadre d’une intervention judiciaire en assistance éducative, une demande d’éloignement du mineur est sollicitée par le service en charge de la mesure au titre de la protection de l’enfance en danger, si la famille est en accord avec cette proposition d’éloignement, il se peut que le magistrat privilégie la mise en place d’un accueil provisoire plutôt qu’un placement judiciaire. Ce principe influe également sur l’auto saisine du magistrat, par exemple lorsque dans une fratrie bénéficiant d’une mesure d’AEMO, un enfant n’est pas concerné par la mesure, et que les éléments de danger le concerne, il est fréquent que le magistrat renvoie vers le service social pour évaluation avant de se saisir. I.3.2. Une zone d’incertitude : la double évaluation Dans certaines situations, services administratifs et judiciaires peuvent être amenés à procéder à une évaluation dans la même famille. C’est le cas par exemple du traitement des informations préoccupantes, des accueils provisoires, des interventions quand un seul enfant d’une fratrie fait l’objet d’une mesure judiciaire. Il peut arriver dans ce cas que celles-ci divergent, ce qui peut parfois créer des incompréhensions, tensions, des enjeux entre les deux acteurs. « Le juge des enfants avait confié une mesure d’AEMO pour des enfants d’un premier lit d’une famille à une association habilitée, les services du département ont signalé la situation des enfants d’un second lit de cette même famille pour des faits très inquiétants parvenus par le biais d’une information préoccupante (maltraitances graves et violences physiques sur les enfants). L’évaluation du service social mettra en évidence des carences éducatives, et des interrogations quant à de la maltraitance psychologique paternelle). Si le service habilité en charge des premiers enfants notait des carences et dysfonctionnements, il attestait des compétences parentales, notamment du père. Face à ces deux évaluations quelque peu divergentes, le magistrat a ordonné une mesure d’AEMO, pour les enfants signalés par le SSD, et l’a confiée à un service habilité différent ».59 59 Dossier en AEMO famille D - février 2012 - TGI de Valenciennes. 41 Lorsque les modalités d’évaluation sont conjointes, comme par exemple dans le cadre du traitement d’une information préoccupante, ou un accueil provisoire, les modalités d’évaluation nécessitent une articulation entre les services administratifs et judiciaires. Dans cette évaluation, c’est le partage des observations menées par chaque service qui se confrontent afin de construire un projet commun dans l’intérêt de l’enfant et sa famille. Cette analyse permet de mettre en évidence que malgré la mise en place de nombreux protocoles l’articulation entre la protection administrative et la protection judiciaire demeure difficile. La loi du 5 mars 2007, qui pose le principe de subsidiarité, et prévoit la suppléance de l’un à l’autre vient interroger les pratiques. Par ailleurs, elle renforce la multiplication des actions communes ou complémentaires, entraîne des incompréhensions, des climats de tensions, des occasions de conflits, des difficultés d’organisation nombreuses. A la lecture de ces difficultés, nous avons pu identifier plusieurs réponses qui permettent de déterminer, d’expliquer l’origine du manque d’articulation entre administratif et judiciaire : - l’absence de définition claire des prérogatives de chacun s’est complexifiée avec la loi de mars 2007 venu modifier le dispositif de protection de l’enfance, et poser le principe de subsidiarité. - une méconnaissance respective des missions de l’autre, parfois source de confusions. - les représentations des différents acteurs sur l’institution, les missions et le travail de l’autre. - le manque de cohérence entre les protocoles, schémas élaborés et leur mise en œuvre, leur déclinaison sur le terrain. - Des zones de brouillage, des incompréhensions, dans la déclinaison de certains dispositifs comme l’accueil provisoire. - les logiques des différents acteurs : celle du Conseil Général qui se doit de garantir un moindre recours au judiciaire, celle des associations habilitées lesquelles, au delà des convictions qu’elles défendent pour la protection de l’enfance, voient leur activité diminuer. Mais surtout des situations «beaucoup plus dégradées» (RUTPAS). 42 A travers cette phase exploratoire destinée à interroger l’articulation entre les acteurs de la protection de l’enfance, un dispositif y contribuant a été fréquemment cité pour venir l’illustrer. La référence à l’accueil provisoire est apparue omniprésente dans les propos des professionnels des deux secteurs administratifs et judiciaires. Notamment dans le questionnement généré par le paradoxe de cette mesure administrative qui s’inscrit dans le cadre judiciaire, mais aussi dans sa mise en œuvre concrète, son déroulement, et les incompréhensions, difficultés qui y sont liées. Fort de ce questionnement, il nous est apparu intéressant de l’utiliser comme référence sur notre terrain d’étude afin d’appréhender l’articulation entre protection administrative et judiciaire. L’accueil provisoire vient soulever le paradoxe de la mise en œuvre de la notion de subsidiarité, dans un dispositif administratif, qui vient s’inscrire dans une intervention judiciaire. Chapitre II. Le principe de subsidiarité Comme nous l’avons décliné dans la première partie de notre recherche, ce principe de subsidiarité est apparu comme une réponse à la recrudescence de la judiciarisation constatée au début des années 2000, à travers certains rapports.60 II.1. Définir le principe de subsidiarité L’origine du mot subsidiarité vient du latin subsidiarii : troupe de réserve, subsidium : réserve/recours/appuis. Il décrit bien ce double mouvement, qui se caractérise par la non intervention (subsidiarité) et l’intervention (suppléance). Ce principe est avant tout une maxime politique et sociale, qui alloue la responsabilité d’une action publique, si elle est nécessaire, à la plus petite entité capable de résoudre le problème d’elle-même. Il est associé au principe de suppléance, qui adjoint que quand les problèmes 60 Rapport NAVES-CATHALA, juin 2000 - Rapport ROMEO, Octobre 2001. 43 excédent le potentiel d’une petite entité, le niveau supérieur se doit de la soutenir, dans les limites du principe de subsidiarité. Il trouve son origine dans le droit canonique et la doctrine sociale de l’église catholique, et notamment la pensée de Thomas D’AQUIN. Ce principe, dénommé aussi « principe d’aide », précise que c’est une erreur morale et de charité, de laisser faire par un niveau social élevé ce qui peut être fait par un plus bas, car il priverait ce dernier de ce qu’il peut faire. Ce principe apparaît ensuite dans le droit communautaire, et notamment à travers le traité de Maastricht, qui pose que les décisions prises dans l’union européenne doivent l’être au niveau le plus pertinent et le plus prés des citoyens. L’idée de ce principe est donc de ne pas faire exécuter par un niveau plus élevé ce qui peut l’être à un niveau plus faible avec efficacité. Ce principe a fait son apparition dans le cadre de la protection de l’enfance avec la loi du 5 mars 2007, quand le législateur a souhaité clarifier les relations entre l’autorité administrative et l’autorité judiciaire. II.2. La subsidiarité dans la protection de l’enfance Le principe de subsidiarité n’apparaît pas dans le texte de la réforme de la protection de l’enfance de manière explicite. Pour autant, ce texte prévoit d’asseoir l’intervention de l’autorité judiciaire en matière de protection de l’enfance sur ce principe, avec la volonté que l’intervention judiciaire ne soit saisie que des situations qui relèvent de sa compétence. Cela signifie, et se traduit dans la pratique, par le fait qu’une situation ne doit faire l’objet d’un signalement au procureur de la République, et d’une mesure d’assistance éducative ordonnée par le juge des enfants que si l’intervention administrative (Conseil Général) ne suffit pas à résorber la situation de danger ou de risque de danger. Ainsi, il sera privilégié autant que possible une démarche de protection menée par le Conseil Général, et approuvée par les parents, sans intervention de juge des enfants. Toute action sociale doit être tentée, et évaluée avant qu’il soit envisagé de recourir à la protection 44 judicaire. A travers ce principe, la protection sociale ou administrative doit être mobilisée en priorité, sauf si elle parait d’emblée inadaptée. Si ce principe est à l’initiative du passage de l’intervention administrative à l’intervention judiciaire, il peut l’être aussi du passage du judicaire à l’administratif. Ainsi si dans une situation ou intervient une mesure judiciaire, celle-ci semble s’améliorer significativement, le juge des enfants doit passer le relais à la protection administrative. La loi du 5 mars 2007, en s’appuyant sur cette notion de subsidiarité, vient affirmer que chaque fois que les parents sont d’accords pour accéder à l’aide qui leur est proposée, la situation relève de la protection administrative, y compris lorsque le mineur est en danger, au sens des articles 375 du Code civil. L’intervention judiciaire ne sera sollicitée que si celle-ci est nécessaire pour contraindre les parents à accepter l’intervention des professionnels de la protection de l’enfance. Le principe de subsidiarité vient donc poser le distinguo entre les deux modes de protection (administrative/judiciaire), que le juge peut contraindre les parents à accepter le choix qui apparaît le meilleur pour l’enfant, quand ceux-ci ne sont pas d’accord pour collaborer avec l’aide sociale à l’enfance. Pour autant dans la pratique, ce principe est complexe à mettre en œuvre, puisque dés qu’il y a collaboration, l’intervention administrative pourrait reprendre sa place. Ainsi l’intervention judiciaire suppléerait, à l’intervention administrative, en l’absence de collaboration de la famille et inversement, lorsque la collaboration est effective. Par ailleurs, entre l’intervention judiciaire et administrative, nous observons dans le cadre de notre pratique davantage une complémentarité à intervenir. De nombreux dispositifs, tel l’accueil provisoire viennent interroger, remettre en question, ce principe, puisqu’à travers celui-ci, il peut y avoir confusion. En effet l’accueil provisoire est un dispositif qui permet, à la demande des parents un accueil de l’enfant hors de la cellule familiale, dans ce cadre l’intervention est administrative, puisqu’il y a demande, accord, collaboration, de la famille à l’intervention proposée. Paradoxalement ce dispositif peut être initié dans le cadre d’une intervention judiciaire, et être proposé à la famille afin de palier une difficulté rencontrée. Mettant ainsi à mal le principe de subsidiarité énoncé par la loi du 5 45 mars 2007, puisque du fait de l’adhésion de la famille à l’aide administrative proposée ce principe de suppléance pourrait s’appliquer. II.3. Le principe de subsidiarité et l’accueil provisoire : Le principe de subsidiarité est venu modifier les pratiques d’intervention sociale et accentuer le recours au dispositif d’accueil provisoire, du fait notamment de la nécessité de mettre en œuvre toute action susceptible d’éviter le recours à l’intervention judiciaire, y compris lors de situations de danger. Dés lors dans la pratique, la proposition de ce dispositif d’accueil provisoire s’est avérée être une réponse aux difficultés familiales, à la fois dans le cadre administratif, mais aussi dans le cadre judiciaire. Ainsi lorsque la situation familiale le nécessite, un éloignement du mineur est proposé à la famille. Cette recrudescence de recours, dans le cadre judiciaire, à ce dispositif vient soulever un paradoxe puisque dans un cadre contraint, on recourt à un dispositif nécessitant l’accord, l’adhésion de la famille, dans lequel la famille doit être instigatrice et conserver ses droits. Par ailleurs, lorsque recours à ce dispositif il y a dans le cadre judiciaire, se pose également la question du maintien de l’intervention judiciaire, puisque la aussi la subsidiarité devrait s’appliquer. Il nous est donc apparu pertinent de venir interroger comment, dans ce dispositif, le caractère administratif de la prestation, à savoir la demande, l’adhésion de la famille, existent et comment les favoriser. Comment laisser lors de la mise en place de l’accueil provisoire, et tout au long de celui-ci le principe de subsidiarité énoncé par la loi, se mettre en œuvre ? Notamment quand ce projet d’accueil est initié par le cadre judiciaire, et que ce dernier poursuit parallèlement son intervention. Si l’utilisation de la terminologie « subsidiarité » est relativement récente en travail social. Cette notion y est toutefois fréquemment mise en œuvre dans le sens ou une action sociale, un dispositif peut se suppléer à un autre. Cette logique de suppléance qui se met en œuvre, avec la loi du 5 mars 2007, dans le cadre de la protection de l’enfance, implique cependant une articulation, une concertation entre les opérateurs de ce dispositif, et vient interroger le partenariat et sa mise en synergie. 46 Chapitre III : Du partenariat à la coopération Nous nous sommes donc intéressés au travail, à l’articulation entre professionnels du secteur administratif et du secteur judiciaire. La terminologie utilisée pour évoquer ce mode de travail ensemble est nombreuse : partenariat, réseau, collaboration, coopération … Pour autant notre préoccupation à travers ces différentes formulations, sera de clarifier l’objet de notre recherche que nous définirons comme « … des collaborations entre professionnels d’institutions ou de services différents, qu’elles soient à l’initiative des professionnels ou de leur hiérarchie, qu’elles soient informelles ou formalisées. Pour éviter les malentendus j’utiliserai une expression peu connue, inspirée par le livre de Fabrice DHUME (2001), […] le travail-ensemble interinstitutionnel ».61 A travers nos différentes expériences et lectures, nous avons pu identifier différentes formes de travail en commun : le partenariat, le réseau, la coordination, la coopération… de nombreux termes sont utilisés et viennent complexifier cette définition du travail ensemble. Si le sujet de notre recherche est axé sur la compréhension de l’articulation entre la protection administrative et judiciaire, il nous est apparu opportun de définir ces différents termes. III.1. Partenariat et réseau Le travail en partenariat s’est développé à partir des lois de décentralisation, étant donné la complexité des situations rencontrées par les travailleurs sociaux, mais également des dispositifs d’action sociale qui recourent à de nombreux acteurs. C’est aujourd’hui un principe d’action nécessaire qui favorise la mise en œuvre des politiques publiques. Il se définit de manière officielle comme la «coopération entre des personnes ou des institutions généralement différentes par leur nature et leurs activités. L’apport de contributions mutuelles différentes (financement, personnel, ..) permet de réaliser un projet commun»62. 61 LYET Philippe, 2012, «L’institution incertaine du partenariat », L’harmattan, logiques sociales, Page 194. 62 Commission de terminologie et de néologie du domaine social, Bulletin Officiel, Solidarité-Santé, vocabulaire du domaine social, Ministère de l’emploi et de la solidarité, n° 2002/1 bis, fascicule spécial. 47 Le partenariat repose donc sur « les notions de valeurs partagées qui sont traduites de manière formelle par des chartres, ou, dans une forme plus élaborée, sur la notion d’opérationnalité, traduite par des conventions. Ce partenariat opératoire peut être spontané ou imposé par un dispositif légal ou une commande relevant des politiques publiques»63. Il est possible de distinguer le partenariat existant entre des organismes publics avec d’autres organismes publics, qui le plus souvent est une coopération volontaire. Du partenariat public avec des organismes privés, qui ne peut s’apparenter à de la sous traitance. Le partenariat fait essentiellement référence aux acteurs, à leur statut, à leurs fonctions, et n’implique pas forcément le réseau. Pour aborder la notion de réseau, nous la limiterons dans notre étude au réseau professionnel. Dans ce cadre, celui-ci met en relation des acteurs de différentes fonctions et disciplines. « Un réseau est un ensemble organisé de plusieurs personnes physiques ou morales, …, dispersées dans une zone territoriale donnée, de compétences différentes et complémentaires qui agissent pour un objectif commun, selon des normes et des valeurs partagées, sur la base d’une coopération volontaire pour améliorer la prise en charge d’une communauté » 64 . Il peut ainsi prendre deux formes : - Le réseau spontané informel, qui se définit « par la réciprocité des échanges entre les acteurs reconnaissent partager des valeurs communes afin de permettre une plus grande cohérence dans leur intervention relative aux mêmes usagers »65. Ce mode de travail implique un engagement personnel des acteurs. - Le réseau professionnel formel, qui est la résultante « d’une organisation transversale des institutions et délivre aux professionnels qui y participent la délégation formelle nécessaire »66. Ce type de travail repose sur un projet commun. Il n’existe pas d’organisation humaine sans réseau, ce dernier fait davantage intervenir la relation à l’espace, le territoire et au temps : « Le réseau est un système biologique qui nait, qui grandit, qui vit, qui meurt au contraire des structures hiérarchiques, qui constituent une sorte de système minéral (…) l’organisation réseau se distingue par sa forme changeante, 63 Synthèse de l’intervention de DUMONT Régis à l’occasion du 60éme anniversaire de l’ARSEA, 2006. SIMONDI Evelyne, 2010, « Du partenariat au travail en réseau : un changement de regard du travail social », extrait en lien sur le site Réseau Eval. 65 DUMONT Régis, Op.cit. 66 DUMONT Régis, Op.cit. 64 48 entre formel et informel mais aussi par l’absence de sommet stratégique et l’absence de ligne hiérarchique »67. Si l’on se réfère aux deux acteurs principaux de la protection de l’enfance, le Conseil Général et les services judiciaires, la dimension du partenariat prend tout son sens entre ces deux entités. Ce partenariat est en reconstruction du fait notamment des modifications apportées par la loi de 2007, et notamment des changements de pratiques, induits par le recours aux dispositifs administratifs préalablement à l’intervention judiciaire. Les conventionnements existants (protocoles, …) définissent le cadre d’action, les méthodes, les moyens, et le partenariat devrait à terme s’améliorer et permettre qu’il n’y ait pas de confusion dans les compétences de chacun. La notion de réseau y est présente, du fait notamment de l’objectif commun, et de la coopération volontaire induite par certains liens existants entre ces deux entités. Les personnes des deux champs se connaissent, et ont des habitudes de travail. Certaines relations interpersonnelles favorisent parfois le travailler ensemble. Pour autant, nous avons pu observer que, malgré l’existence de divers documents définissant l’articulation entre l’intervention administrative et judiciaire, celle-ci demeurait complexe, et mise en actes de manières différentes, d’un territoire à un autre, d’un professionnel à un autre. Les notions de partenariat et réseau s’appuient donc sur une dynamique d’acteurs qui entretiennent des relations privilégiées. « Ce qui distingue la problématique actuelle du partenariat dans le secteur social de celle plus ancienne du réseau, c’est la prise en compte des hiérarchies organisationnelles, sous une forme ou une autre, pour garantir les actions développées »68. Dans le cas de notre sujet d’étude, le partenariat est renforcé par le contexte de l’intervention, et plus particulièrement le cadre législatif, à travers la loi du 5 mars 2007. Dans ce cadre réglementaire, les hiérarchies organisationnelles s’attèlent à sa mise en œuvre puisque c’est un des principaux objectifs de cette loi que de faciliter le décloisonnement des institutions, l’articulation et la cohérence des interventions. 67 DUMOULIN Philippe, DUMONT Régis, BROSS Nicole, MASCLET Georges, 2006, « Travailler en réseau, méthodes et pratiques en intervention sociale », Dunod, Paris , page 30. 68 LYET Philippe, Op.cit, page 74. 49 Nous nous sommes également intéressés aux limites et difficultés rencontrées dans le cadre de la mise en œuvre de partenariat. Fabrice DHUME69, dans ses travaux sur le partenariat rappelle que ce travail destiné à essayer de faire mieux, en faisant de manière différente ne va pas de soi, et il a ainsi pu constater un écart important entre le discours et la pratique. Mettre en œuvre un partenariat suppose que des conditions soient rassemblées, « Pour travailler efficacement ensemble, il faut se connaître, autrement dit savoir ce que l’on peut attendre de tel ou tel partenaire : souvent les attentes démesurées que l’on a envers l’autre et la tendance ordinaire à instrumentaliser celui-ci à partir précisément de nos attentes, constituent un obstacle majeur au partenariat »70. Ce constat lié à la méconnaissance des attributions, des prérogatives de l’autre se retrouve chez les acteurs de la protection de l’enfance. La connaissance de l’autre nécessite de recueillir des éléments objectifs sur sa réalité, pour cela il est nécessaire de le rencontrer, d’échanger avec lui. Le travail ensemble interinstitutionnel s’est donc fortement développé depuis une trentaine d’années dans l’action sociale, la multiplication des institutions et des problématiques est à l’origine de zones de recoupement entre les différentes interventions. Par ailleurs l’intervention sociale a vu se développer des actions transversales qui nécessitent la mobilisation de ressources présentes dans différentes institutions. III.2. De la coordination à la coopération La coordination repose sur une organisation élaborée, une concertation, un but commun. C’est un « Agencement d’actions dans le dessein de rationnaliser et de rendre cohérent. Mode de régulation, elle met en œuvre des objectifs et des conditions étroitement dépendantes du contexte dans lequel elle est envisagée. Elle est un des mots clés de l’action sociale, dispositif institutionnel souffrant de dysfonctionnement et nécessitant une mise en ordre. La 69 DHUME Fabrice, chercheur en sciences sociales à l’Institut Social et Coopératif de Recherche Appliquée, à l’université Paul VALERY Montpellier. 70 CALVET Maxime et VALENTIN jean jacques, 2010, « Le partenariat…articulation ou coordination entre les professionnels ? Un exemple : le DERPAD », Vie sociale N°1/2010. 50 coordination concerne particulièrement deux champs : celui de l’action sociale polyvalente et celui de la vieillesse »71 Pour autant pour être efficiente « cette coordination implique au départ un travail de concertation entre les sommets stratégiques de chaque organisation pour permettre la lisibilité (et donc la formalisation) et l’implication des professionnels de première ligne pour éviter les attitudes défensives liées au fait qu’on leur demande d’appliquer de nouveaux modes d’intervention ».72 Dans le cadre du dispositif de protection de l’enfance, il est possible d’observer cette forme de coordination, et notamment ce travail de départ de concertation entre les sommets stratégiques qui se traduisent par les protocoles que nous étudierons par la suite dans notre travail. La collaboration et la coopération impliquent une interdépendance plus ou moins grande, mais indispensable entre les professionnels, celle-ci pouvant déboucher sur des accords plus ou moins formels. « La coopération, c’est à la fois une façon de penser le rapport entre les personnes et un projet, avec sa méthode et ses manières de le réaliser. C’est dans l’espace temps du projet coopératif que se négocient, s’entrecroisent, se conjuguent ou se déchirent parfois l’intérêt individuel et l’intérêt collectif »73. François DUPUY oppose « la coopération qui suppose un contact direct entre les personnes, une négociation en face à face, avec donc un caractère de simultanéité, à la coordination par les règles, ayant un caractère bureaucratique, et qui apparaît moins coûteuse en énergie car ne nécessitant pas ces contacts directs ».74 Même s’il peut être parfois difficile de séparer les figures de la coopération et de la coordination, nous avons toutefois fait le choix de nous intéresser à la coopération, car celle peut être regardée sous deux axes : « un niveau relativement macro, celui de l’organisation, où l’on cherchera à analyser des formes organisationnelles qui favoriseront cette 71 VEYSSET-PUIJALON Bernadette, 2006, « Nouveau dictionnaire critique d’action sociale », Edition Bayard, page 146-147. 72 DUMOULIN Philippe, DUMONT Régis, BROSS Nicole, MASCLET Georges, Op cité, page 13. 73 DUTOIT Martin, 2010, « Une autre idée de la coopération : l’exemple des groupe d’entraide mutuelle », vie sociale N°1/2010, page 167. 74 DUPUY François in RAULET-CROSET Nathalie, Article “la coopération au travail”– Encyclopédie des ressources humaines, Editions José Allouche, 2003, Vuibert, page 5. 51 coopération, soit au niveau plus restreint d’une micro situation ou l’on peut analyser plus finement l’effort de coopération et les différents éléments mobilisés par les acteurs amenés à coopérer »75. Cette déclinaison théorique, des formes de collaborations, de travail ensemble interinstitutionnel, que l’on peut observer entre les professionnels des champs administratif et judiciaire, nous a permis de constater que celles-ci sont définies de nombreuses façons. Nous avons fait le choix de nous appuyer plus particulièrement sur le concept de coopération, qui peut être étudié sous deux angles : l’aspect organisationnel et le jeu des acteurs. Ce choix s’est avéré d’autant plus pertinent que dans le champ de la protection de l’enfance, depuis la loi du 5 mars 2007, cette coopération est énoncée, imposée par le législateur, et associée au principe de subsidiarité qui prévoit la suppléance du judiciaire à l’administratif. Cette obligation se traduit d’ailleurs dans la pratique par des protocoles, des schémas d’interventions destinés à la faciliter, qui sont le plus souvent initiés par les sommets stratégiques. Ces outils peinent toutefois à garantir l’opérationnalité de cette coopération, et viennent aussi interroger leur mise en œuvre par les acteurs. Dans cette première partie de notre travail, nous avons interrogé le dispositif de protection de l’enfance, son évolution, et les modifications apportées par la loi du 5 mars 2007, concernant l’articulation entre protection administrative et judicaire. A travers la notion de subsidiarité, le législateur énonce la suppléance d’un système de protection (administratif/judiciaire) à l’autre en se reposant sur la collaboration ou non des bénéficiaires. Nous avons ainsi défini les notions de subsidiarité et de coopération, et avons observé que le cadre judiciaire recourt fréquemment à l’intervention administrative et ses dispositifs. Certains dispositifs comme l’accueil provisoire, que nous développerons dans la partie suivante, sont souvent initiés dans l’intervention judiciaire menée auprès des familles bénéficiant d’une mesure d’AEMO. 75 RAULET-CROSET Nathalie, Op.cit, page2. 52 Nous nous sommes donc intéressés à cette forme d’articulation, qui au-delà d’un aspect économique, puisqu’elle occasionne un coût financier supplémentaire en cumulant les interventions administrative et judicaire, ne permet pas toujours à cette subsidiarité d’exister via le passage de l’intervention judiciaire à l’intervention administrative. D’autant que paradoxalement, les cadres et modalités d’intervention de l’un et de l’autre différent : dispositif de droit commun et accord des bénéficiaires pour l’aide administrative, dispositif de droit civil et contrainte qui s’impose à la famille pour l’aide judiciaire. Si ces deux organisations sont régies par le principe de subsidiarité, elles sont pourtant amenées à coopérer dans certains dispositifs, tel l’accueil provisoire. Nous formulons l’hypothèse que, pour être identifiée par les acteurs professionnels, cette coopération s’est appuyée sur des indicateurs opérationnels et repérables pour les bénéficiaires. Pour poursuivre et concrétiser notre réflexion, nous allons nous attacher à nous référer à un territoire donné, et un dispositif qui est l’accueil provisoire, afin de questionner comment se décline cette coopération et se met en action ce principe de subsidiarité. 53 PARTIE III : Territoire et Dispositif Chapitre I : le terrain d’étude « Fin 2009, 3,3 millions de prestations d’aide sociale ont été versées par les départements de France métropolitaine, au titre de l’aide aux personnes âgées, aux personnes handicapées, à l’enfance ou de l’insertion... 289 000 mesures de l’aide sociale à l’enfance concernent les moins de 21 ans »76. Comme nous avons pu l’expliciter dans la partie concernant l’évolution de la protection de l’enfance, les bénéficiaires de ce dispositif sont avant tout des acteurs de droits, comme l’affirme la loi 2002. Dans le cadre des mesures administratives, le bénéficiaire adopte, le plus souvent, une attitude de coopération à l’intervention proposée, puisque celleci est mise en place parce qu’il y est favorable. Ce n’est en effet que dans le cadre de son opposition à cette intervention que la justice sera saisie. Il est cependant possible, que cette coopération soit « superficielle », le bénéficiaire ayant conscience qu’à défaut de son implication à l’intervention administrative proposée, l’enjeu majeur demeure être la perspective d’un éloignement judicaire de l’enfant. Dans cette étude, nous allons nous référer au département du Nord et plus particulièrement au territoire avoisinant Valenciennes. I.1. Le département du Nord et son secteur d’action sociale Le Nord est le département le plus peuplé de France puisqu’il compte 2,6 millions d’habitants. Pour huit directions territoriales de prévention et d’action sociale, chargée de mettre en œuvre les politiques sociales et médico sociales initiées par le conseil général du Nord. Chacune est sous la responsabilité d’un directeur territorial, qui mobilise autour de lui la DTPAS et les UTPAS qui y sont rattachées. 76 Etudes et résultats N° 742 - Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques octobre 2010. 54 Les Directions territoriales de prévention et d’actions sociales sont organisées autour de quatre pôles : - le pôle lutte contre les exclusions et la promotion de la santé, qui a pour compétence le logement, l’insertion (Revenu solidarité active, centres sociaux,…), la santé et les actions développées par le service social départemental (insertion sociale et accompagnement). - le pôle enfance famille chargé d’animé et coordonner toutes les actions de l’aide sociale à l’enfance, le dispositif d’accueil et d’orientation des mineurs isolés étrangers, la prévention spécialisée, les actions de prévention jeunesse et l’instruction des dossiers accueil petite enfance. - Le pôle personnes âgées personnes handicapées qui mobilise tous les acteurs concernés par ces problématiques. - Le médecin, adjoint technique PMI/santé qui a en charge la santé des enfants, des futures mères et les actions de planification. I.2. Le valenciennois : notre terrain d’étude Le valenciennois regroupe plus de 35 communes, soit environ 192000 habitants. La DTPAS du valenciennois rassemble sept UTPAS qui interviennent sur 82 communes et un Service de Prévention Santé qui intervient sur l’ensemble des Communes de la DTPAS. Au niveau judiciaire, quatre cabinets de juge des enfants se partagent le territoire de Valenciennes, pour un nombre de mineurs suivis en assistance éducative (au 31 décembre 2009) de 2860. Sur ce même territoire, les associations habilitées pour exercer des mesures judicaires de protection de l’enfance sont au nombre de deux et sont toutes les deux associatives : l’AGSS de l’UDAF, et l’ADSSEAD. L'A.D.S.S.E.A.D est une association privée, de type loi 1901, déclarée à la Préfecture le 2 Mars 1955. Elle a pour but de promouvoir et développer des actions et gérer des services visant à aider des enfants, des adolescents, et des familles en difficulté notamment 55 lorsqu’elles sont concernées par une mesure judiciaire, éducative ou sociale. Elle est habilitée par le ministère de la Justice pour exercer trois types de mesures de protection de l'enfance (Assistance éducative en milieu ouvert, mesure judiciaire d’aide à la gestion du budget familial (ancienne tutelle aux prestations sociales), mesure judiciaire d’investigation éducative (ancienne enquête sociale et investigation orientation éducative). L'A.D.S.S.E.A.D. est implantée géographiquement sur 10 arrondissements judiciaires : Lille (5 services), Dunkerque, Hazebrouck, Douai, Cambrai, Maubeuge et Valenciennes. Le service de Valenciennes sur lequel repose notre étude se compose de trois services, organisés géographiquement sur les secteurs Nord et Sud de Valenciennes. Sous la responsabilité d’un directeur, ces trois services sont composés d’un chef de service éducatif, un psychologue et environ 10 à 13 travailleurs sociaux (éducateurs spécialisés, assistants sociaux). Les différents acteurs et dispositifs de la protection de l’enfance que nous venons de décliner ont des cadres d’intervention et des pratiques différentes, sur un territoire donné. La réforme de la protection de l’enfance de mars 2007 a amené dans ce dispositif de nouvelles règles, de nouvelles formes de collaboration, de coopération entre les acteurs que nous allons analyser Dans le cadre des mesures judiciaires, d’autant plus depuis la réforme de la protection de l’enfance de mars 2007, le bénéficiaire se voit contraint d’accéder à l’intervention qui lui est proposée. Si la famille verbalise, le plus souvent dans le cadre de l’audience devant le juge des enfants, son adhésion à la mesure éducative proposée, celle-ci résulte le plus souvent des attributions afférentes au juge des enfants qui se doit de rechercher l’adhésion des parents à la mesure ordonnée. Il est donc possible d’interroger cette adhésion, puisqu’en l’absence de celle-ci, la perspective d’un éloignement des enfants reste omniprésente, et influence probablement l’adhésion parentale. I.3. Protection de l’enfance et suppléance Dans le cadre de notre pratique professionnelle, nous avons eu l’opportunité de participer au travail mené dans le cadre de l’observatoire de l’AEMO judiciaire du département du Nord. Cette instance constituée des trois opérateurs intervenant sur ce territoire dans le cadre des 56 mesures d’AEMO (l’ADSSEAD, l’AGSS de l’UDAF et le SEPIA de l’EPDSAE) produit un certain nombre de données statistiques visant à avoir une meilleure connaissance des bénéficiaires de ces mesures. Concernant les mesures d’AEMO77, l’enfant vit principalement chez sa mère (31% des enfants suivis), puis chez ses parents (29%). Les familles monoparentales représentent 37% des situations, et les familles recomposées 19%. Toutefois, 14% des enfants bénéficiant d’une mesure d’AEMO ne vivent avec aucun de leurs parents. Les problématiques dominantes78 des situations familiales pour lesquelles nous intervenons sont : carences éducatives 70% conflits conjugaux, séparations conflictuelles 23% troubles du comportement de l’enfant 17% situations de précarité 15% conflits parent/enfant 13% conduites addictives (alcool, stupéfiants, ..) 11% violences intra familiale 10% pathologies mentales d’un ou des parents 8% maltraitances psychologiques 7% isolement social 6% maltraitance physique 4% actes de délinquance 3% maltraitances sexuelles 2% Concernant l’ADDSEAD de Valenciennes, 1208 enfants ont été suivis dans le cadre d’une mesure d’assistance éducative en 2010, soit 638 familles. Parmi ceux-ci 543 sont des filles, 665 des garçons. Ils se répartissent dans les tranches d’âges suivantes : 24,38% ont moins de 6 ans ; 16,97% 6 à 10 ans ; 16,67% 10 à 13 ans ; 20,99% 13 à 16 ans ; 15,74% 16 à 18 ans ; 77 78 Observatoire de l’AEMO judiciaire - Département du Nord (Etude portant sur 9353 mineurs) 2008. Ibid. 57 5,25% sont majeurs. A ce jour ces derniers ne peuvent plus faire l’objet d’un accompagnement éducatif, ceux-ci n’étant plus financés. En nous appuyant sur les travaux menés par l’observatoire, nous avons pu mesurer l’importance de l’articulation entre services habilités et services départementaux, celle-ci a lieu dans plus de 54% des situations accompagnées en assistance éducative. Il faut entendre par articulation qu’il y a eu des contacts, des échanges entre les deux services au démarrage de la mesure, ou au cours de celle-ci afin d’échanger sur la situation familiale et se coordonner dans les interventions menées. Nous nous sommes également intéressés aux données chiffrées concernant les suppléances parentales, lorsque les parents se trouvent en difficultés avec leurs enfants. L’échantillon de référence utilisé par l’observatoire de l’AEMO judiciaire est constitué de 9336 enfants et concerne l’année 2011. Nous pouvons décliner quatre types de suppléances, celles qui reposent sur les contributions financières qui peuvent être sollicitées auprès du Conseil Général pour pallier une difficulté conjoncturelle (facture de cantine, loisirs, fourniture en énergie,…). Puis nous trouvons, les suppléances ayant un caractère davantage éducatif comme l’intervention au domicile de la famille, en termes d’accompagnement, de soutien dans les actes de la vie quotidienne (TISF, aide ménagère, loisirs, …). Certaines suppléances sont exercées par des structures spécialisées (CAMSP, IMP, SESSAD, CLSH, Crèches …). Et d’autres, qui via l’éloignement du mineur viennent suppléer les difficultés parentales (placement, accueil provisoire, internat scolaire, …). Les suppléances, visant à soutenir la parentalité via une intervention à domicile, représentent 16% et reposent majoritairement sur l’intervention d’une TISF. Les contributions financières représentent 26%, dont 13% pour les loisirs. Dans le cas des suppléances par des structures spécialisées, nous pouvons retenir entre autre les CLSH 16% ; les CMP et CAMSP 18% ; l’accompagnement thérapeutique libéral représente 25%. 58 Pour les suppléances via l’éloignement du mineur, le placement judiciaire représente 11% : les enfants confiés à l’ASE 4%, les placements directs 3%, le placement en qualité de tiers digne de confiance 4%.79 Nous pouvons observer d’autres formes de suppléances liées à l’accueil de l’enfant hors de sa cellule familiale dans un cadre non judicaire, c’est par exemple le cas des internats scolaires et spécialisés 6% (4% en internat scolaire, 2% en internat spécialisé) et des accueils provisoires 3%. A travers ces données chiffrées, nous pouvons constater que l’accueil provisoire concerne un nombre non négligeable de mineurs bénéficiant d’une mesure de protection de l’enfance judiciaire (environ 280 mineurs sur les 9936 concernés par une mesure judiciaire)80. Ce nombre d’accueil provisoire vient également soulever la question du coût financier de ces deux mesures (accueil provisoire et mesure d’assistance éducative) toutes deux financées par le Conseil Général, et de la maîtrise du budget de l’action sociale dans le département du Nord. Afin d’étudier l’articulation entre les services du Conseil Général et les services habilités, il nous paraissait intéressant d’illustrer notre propos en nous appuyant sur un dispositif mettant en synergie les deux acteurs. Il nous est apparu difficile, étant donné la multitude de dispositifs existants de tous les étudier. Cette approche aurait dépassé le cadre de notre travail de recherche, et aurait été fastidieuse. Nous avons donc fait le choix de nous intéresser à un seul dispositif, afin d’en apporter une lecture sous différents angles (législatif, organisationnel, …), en y incluant les deux dimensions (administrative, judiciaire). Nous avons opté pour l’accueil provisoire, car celui relève d’une compétence des services départementaux et peut être initié par le cadre judiciaire. Par initié, nous entendrons que celuici peut être une aide proposée, dans le cadre d’une intervention judiciaire, aux parents qui bénéficient de ces mesures, pour faire face aux difficultés qu’ils rencontrent à un moment donné. 79 80 Observatoire de l’AEMO judiciaire - Département du Nord (Etude portant sur 9336 mineurs) 2011. Observatoire de l’AEMO judiciaire, Op.cit. 59 D’autre part celui-ci fut fréquemment cité dans notre phase exploratoire, comme exemple illustrant l’articulation administrative/judiciaire. Il présente la particularité d’être, comme le placement judiciaire, une prérogative permettant l’éloignement du mineur de son milieu familial, avec toutefois deux cadres différents et la nécessité de différencier ces deux modes d’éloignement. Chapitre II : Accueil provisoire et dispositif méthodologique Plusieurs types d’accueil administratif existent : l’accueil provisoire, l’accueil modulable, l’accueil en urgence, et l’accueil 72 heures. Le premier est un placement à temps complet de l’enfant hors de sa cellule familiale, le second, un accueil à temps partiel de l’enfant dans sa famille. L’enfant partage alors son temps de vie entre des séquences réparties entre sa famille et son lieu d’accueil. Concernant l’accueil en urgence, celui-ci peut être mis en place quand le représentant légal du mineur est dans l’impossibilité de donner son accord. Dans ce cas l’enfant est accueilli provisoirement et le procureur de la République en est avisé. Un délai de cinq jours permet aux parents de se manifester et de donner leur accord avant que le procureur de la République soit de nouveau saisi. Concernant l’accueil 72 heures, celui-ci peut être initié lorsque l’enfant a fugué du domicile familial, est en danger immédiat ou s’il existe une suspicion de danger. Celui-ci permet à l’adolescent de faire le point sur sa situation, les représentants de l’autorité parentale en étant informé. A travers ce travail nous n’avons pas fait de distinguo entre les deux premiers modèles d’accueil, puisqu’ils peuvent être tout deux sollicités par la mesure judiciaire. Ils correspondent l’un et l’autre à une réponse possible venant en soutien de la mesure éducative, et illustrent tout deux l’articulation entre administratif et judiciaire. Toutefois nous nous centrerons de manière générale sur l’accueil provisoire qui est celui le plus fréquemment mis en œuvre. Dans cette articulation, la complexité réside dans le fait que si ce dispositif est une aide supplémentaire qui vient compléter, étayer, l’intervention judiciaire. Celui-ci doit être une 60 demande des détenteurs de l’autorité parentale, qui sera mise en œuvre par les services du Conseil Général. Un autre déterminant de notre choix concernant ce dispositif est que l’accueil provisoire nécessite une articulation entre l’intervention administrative et l’intervention judiciaire, à la fois en amont, notamment lors de la mise en place de celui-ci, mais également en aval du dispositif. En effet, il implique aussi une collaboration tout au long du déroulement de l’accueil, afin de déterminer les prérogatives de chacun, mais également à son échéance afin d’en déterminer les orientations (arrêt ou renouvellement). L’accueil provisoire présente le paradoxe d’être une aide qui peut venir s’imbriquer dans une intervention judiciaire. A travers cette intervention, le principe de subsidiarité est mis en œuvre, puisqu’il permet de ne pas recourir à l’intervention judiciaire, notamment par le biais d’un placement judiciaire, en proposant à la famille en difficultés une alternative d’accueil de l’enfant avec leur accord. Pour autant ce dispositif peut paradoxalement être mis en œuvre dans le cadre d’une intervention judiciaire. Dans ce contexte, Il se doit tout à la fois de respecter les principes de droit commun, et notamment que cette aide soit demandée par les détenteurs de l’autorité parentale, tout en étant insufflée par la mesure judiciaire, avec toutes les contraintes, les obligations qu’elle induit. Et notamment pour les familles accompagnées dans le cadre judiciaire les représentations des répercussions qui pourraient en découler si elles n’accèdent pas aux demandes des travailleurs sociaux qui les accompagnent : «mes enfants seront placés si je ne fais pas ce que l’éducateur me dit » (propos d’une famille bénéficiant d’un AP). II.1. Définir l’accueil provisoire : II.1.1. Les principes fondateurs de l’accueil provisoire Une des missions du service de l’aide à l’enfance est d’apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique aux mineurs et à leur famille, confrontés à des difficultés. Ainsi, l’article L222-5 du Code de l’action sociale et des familles, permet que soient pris en charge sur décision du Président du Conseil Général « les mineurs qui ne peuvent demeurer provisoirement dans leur milieu de vie habituel, et dont la situation requiert un accueil à temps complet ou partiel modulable selon leurs besoins ainsi que les mineurs rencontrant des 61 difficultés particulières nécessitant un accueil spécialisé, familial ou dans un établissement spécialisé ou un service ».81 C’est donc une mesure de protection, qui vise la mise à distance du mineur de son milieu familial pour un temps donné, pour apporter : - un soutien au développement de l’enfant dans les meilleures conditions - une aide aux familles en difficulté dans l’exercice de leurs fonctions parentales (soins, éducation, …) Ce dispositif d’accueil est de deux types, il permet aux familles de faire face à des difficultés conjoncturelles, c'est-à-dire des fragilités que la famille peut rencontrer et qui sont dues à une situation essentiellement conjoncturelle (hospitalisation, accouchement, maladie,…) conjuguées avec une problématique d’isolement (absence de relais familiaux, …). Il permet aussi de répondre à des difficultés structurelles, quand « l’environnement familial n’offre pas au mineur le cadre éducatif ou de soins suffisant pour garantir son évolution au regard des capacités, compétences et aptitudes de chacun ».82L’éloignement participe alors à la prévention de l’aggravation de la situation et permet un travail d’évaluation et de reconstruction des relations intrafamiliales. Ainsi quand une famille rencontre ce type de difficultés, elle peut se présenter à l’UTPAS afin de solliciter la mise en place de ce type d’accueil. Dans ce cadre elle établira avec les services du Conseil Général une demande de prestations d’aide sociale à l’enfance qui fera l’objet d’une évaluation, quant à sa pertinence et sa faisabilité par la DTPAS pour accord ou non. II.1.2. L’accueil Provisoire dans le cadre judiciaire : Les familles bénéficiant d’une mesure d’AEMO peuvent elle aussi être amenées à solliciter ce type de prestation de leur propre initiative, mais le plus souvent ces demandes émanent d’une proposition du travailleur social en charge de la mesure judiciaire pour répondre à une difficulté rencontrées par la famille à un moment donné. Dans ce cas, les services habilités recueillent dans un premier temps l’accord verbal de la famille à cette proposition d’aide. 81 Code de l’action sociale et des familles Article L222-5. Conseil Général du Nord, 2010, « Les missions de protection de l’enfance : les enfants et les jeunes majeurs accueillis au service de l’ASE». 82 62 Face à cette intervention proposée par le service habilité, la famille peut avoir le sentiment d’être parfois contrainte à accepter cet éloignement, par crainte d’un placement judiciaire. Pour autant le Code de l’action sociale prévoit que cet accueil ne peut se mettre en œuvre que si la famille est en demande de cette solution d’éloignement. Il est donc important que dans le cadre de la mise en œuvre de cet accueil sur proposition du service habilité la demande de la famille soit effective. La mise en œuvre de l’accueil provisoire, dans le cadre judiciaire, nécessite parfois la confrontation de plusieurs logiques : en premier lieu, celle du magistrat qui applique le principe énoncé par la loi de mars 2007 « qui indique que si la famille est d’accord, c’est le Conseil Général qui intervient, quelle que soit la gravité de la situation. On ne va devant le juge que si la famille n’est pas d’accord ou si l’on ne parvient pas à intervenir »83 celle du travailleur social dans le cadre judiciaire, qui met en application la décision rendue par le juge des enfants, et qui ne peut en aucun cas s’y substituer, ou exprimer son désaccord, même s’il pense que cette décision est peut être inappropriée. Le juge des enfants étant l’ordonnateur des mesures d’assistance éducative il a entre autre une influence directe sur la pérennité de l’activité du service. celle de la DTPAS et l’UTPAS qui sont sollicitées pour mettre en place cet accueil provisoire alors que parfois elles estiment que cette situation familiale ne relève pas de ce dispositif, notamment parce que celui-ci est perçu comme « une alternative au placement judiciaire » (propos d’une responsable d’UTPAS), et que la collaboration de la famille au travail proposé dans le cadre de l’intervention sociale est très relative. Ainsi « quand cette perspective d’accueil provisoire est initiée par le juge des enfants, on introduit du coercitif dans une démarche qui repose avant tout sur un consensus, un accord, une demande » ( propos d’une responsable d’UTPAS). Pour autant, lorsque la demande est examinée, par la DTPAS, il est peu fréquent qu’elle fasse l’objet d’un refus, elle se trouve davantage confrontée à un manque de places disponibles. 83 BELLON Laurence, Juge des enfants Lille, ASH N°2715 du 24 juin 2011, page 40. 63 Cela vient donc mettre en lumière que ce dispositif se trouve au centre de trois logiques qui viennent parfois déroger à son principe même qui repose sur la demande du bénéficiaire, l’acceptation par celui-ci de l’aide proposée. Mais également que le principe de subsidiarité ne peut de manière systématique être appliqué. II.2. Dispositif méthodologique Nous allons donc plus particulièrement nous intéresser, à travers notre travail aux accueils provisoires mis en œuvre, alors que les enfants font l’objet d’une mesure judiciaire. Afin de préciser le dispositif d’accueil provisoire qui est notre sujet d’étude, nous avons opté pour l’utilisation de deux modes d’investigations : l’étude et l’analyse des documents existants concernant ce dispositif, et les entretiens avec certains acteurs de la protection de l’enfance le mettant en œuvre ou en bénéficiant. A travers ces deux méthodes de recherche, il nous paraissait important de nous intéresser au cadre réglementaire et documents écrits relatifs à ce dispositif afin de les comparer à la pratique professionnelle. Ces deux modes d’investigations nous permettront ainsi d’avoir une vision plus précise, et complète de l’accueil provisoire, afin d’étudier la manière dont celui-ci s’inscrit dans les deux organisations administrative et judiciaire, et comment celles-ci coopèrent dans ce cadre-là. II.2.1 Etude et analyse des supports écrits : Nous avons donc procédé dans un premier temps à une recherche et lecture des textes fondateurs, de référence de l’accueil provisoire (articles du Code de l’action sociale et des familles) et protocoles d’articulation entre administratif et judiciaire qui existent. Cette première approche nous permettra d’appréhender le cadre de mise en œuvre de ce dispositif, d’en comprendre les prérogatives et de préciser le contexte dans lequel il peut parfois s’imbriquer dans la protection judiciaire. Nous nous sommes intéressés, dans un second temps aux de prestations d’aide sociale à l’enfance rédigées par les bénéficiaires, pour officialiser leur demande d’accueil provisoire, afin de sérier leurs attentes, et analyser leur contenu des demandes. 64 Les textes réglementant le dispositif et les protocoles d’articulation : A partir de ces documents, nous avons élaboré un tableau permettant d’identifier les grands principes de l’accueil provisoire, afin de les mettre en lien, avec les questionnements qui en découlent dans la pratique des professionnels. Cette première étape nous a aussi permis de définir avec précision le cadre législatif de notre étude, et de le mettre en lien avec le processus de mise en œuvre d’un accueil provisoire conjoint à une mesure judiciaire. Nous nous sommes ensuite attardés sur les protocoles existant entre les services administratifs et judiciaires, afin d’appréhender la formalisation de cette articulation. Nous avons choisi de nous arrêter sur les protocoles en vigueur sur le département du Nord, en nous appuyant sur les arrondissements judiciaires suivants : Lille, Dunkerque/Hazebrouck, Douai/Cambrai, Avesnes/Maubeuge. Après avoir démarché, afin de répertorier et recueillir les écrits relatifs aux protocoles d’articulation sur ces différents territoires, nous en avons effectué une lecture attentive, notamment ceux ayant trait au dispositif d’accueil provisoire. Cet échantillon nous permettra, de faire une comparaison, des différents outils utilisés pour définir cette articulation. A travers ces différentes lectures et analyses, nous avons pour objectif de repérer les différents temps de l’accueil provisoire, ses différentes modalités de mise en œuvre et d’articulation entre administratif et judiciaire. Cela nous permettra de mesurer s’il se décline à l’identique sur le département, d’en percevoir les similitudes, les divergences et les manques. Les demandes de prestations d’aide sociale à l’enfance : L’accueil provisoire étant attribué à partir de la demande de la famille, ou avec son accord, il nous est apparu pertinent d’étudier les demandes de prestations élaborées par les détenteurs de l’autorité parentale. Nous nous sommes donc intéressés au contenu de ces demandes, cette démarche nous permettant de poursuivre notre questionnement sur l’inscription de ce dispositif administratif dans le cadre judiciaire. Nous avons particulièrement étudié la formalisation de la demande des bénéficiaires, et les attentes formulées dans ce document. Dans l’objectif premier de définir le caractère provisoire 65 de cet accueil, et ce qui était à l’origine de sa mise en place. Nous avons également porté intérêt au contenu des demandes afin de mesurer si ces documents écrits, à l’origine de l’accueil, reflétaient une réelle demande des parents, et si le cadre administratif de cette intervention était compris et mis en œuvre tel qu’il est défini par son cadre réglementaire (textes et protocoles). A cet effet, nous avons pris pour terrain d’étude un service prenant en charge annuellement 387 mineurs. Nous avons dans un premier temps répertorié les demandes d’accueil sollicitées sur une période de deux ans (2011 et 2012), soit vingt demandes. Nous avons choisi cette amplitude de deux ans car elle nous permettait d’avoir un échantillon de demandes plus important. Nous avons recherché et étudié les demandes écrites de prestations d’aide sociale à l’enfance rédigées par les familles sollicitant un accueil administratif. Nous avons ensuite procédé à une lecture attentive de celles-ci, et notamment concernant le motif de la demande. Nous avons catégorisé leur contenu, selon plusieurs items : la durée de l’accueil, la formulation et les motivations de la demande, les choix du lieu d’accueil. Nous avons prêté une attention toute particulière à la demande formulée par la famille, afin d’en analyser son contenu et mesurer la manière dont cette demande avait été exprimée, comprise et prise en compte. Après avoir étudié et précisé le cadre ce dispositif d’accueil provisoire et les demandes qui en sont à l’origine, il nous est paru pertinent de nous intéresser à son caractère opérationnel, à travers sa mise en pratique et notamment l’articulation des acteurs le mettant en œuvre. II.2.2 D’une démarche de type ethnographique aux entretiens En direction des services habilités et administratifs En nous référant au concept de situation (d’accueil provisoire) nous tenterons d’avoir une démarche compréhensive de ce dispositif, afin d’en saisir les modes de coopération. Nous nous appuierons sur une démarche de type ethnographique, qui nous permettra à partir du discours des acteurs administratifs et judiciaire, d’observations dans cinq dossiers en assistance éducative, de mieux appréhender la pratique de l’accueil provisoire, et notamment les biais de ce dispositif. 66 « L’ethnographie ne juge pas, ne condamne pas au nom d’un point de vue supérieur, elle cherche avant tout à comprendre en rapprochant le lointain, en rendant familier l’étranger »84. A partir de l’observation participante, nous tenterons de décrire les interactions repérées, à travers une prise en considération des acteurs dans leur contexte, dans des situations de travail, afin d’apporter une analyse réflexive. L’entretien est un outil adapté au recueil des représentations professionnelles qui nous permettra de venir compléter ou expliciter nos observations. Nous parviendrons ainsi à répertorier et catégoriser des difficultés repérées dans la mise en œuvre des accueils provisoires. Afin de faciliter ce travail de repérage, nous inscrirons notre travail dans la temporalité de l’accueil provisoire. Au cours de cette étape, nous avons observé, échangé sur un certain nombre de situation que nous avons retranscrite, et analysé, tout en essayant de maintenir une distance du fait de nos propres représentations et de notre implication professionnelle dans le champ de la protection de l’enfance. Ces différentes étapes nous permettront d’avoir une vision complète du dispositif d’accueil provisoire : des textes le régissant, à la demande et sa mise en pratique, que nous clôturerons par le recueil de la perception des bénéficiaires. En direction des bénéficiaires Concernant les bénéficiaires des dispositifs d’accueil provisoire, il nous est apparu intéressant de recueillir également leurs perceptions, leur compréhension de ce dispositif. Dans cet objectif, nous avons opté pour l’entretien semi directif, qui nous permettra, à partir de l’expression de leur ressenti d’analyser le sens que les bénéficiaires ont donné à celui-ci, et comment ils ont ou non différencié ce dispositif administratif de l’intervention judiciaire, comment ils ont vécu cette coopération et s’y sont repérés. 84 BEAUD Stéphane et WEBER Florence, 1998, «Guide de l’enquête de terrain», Guildes repères, Paris, la découverte. 67 L’entretien nous permettra de recueillir un discours qui contient une dimension d’objectivation, à travers la description d’une expérience, mais informe également du système de valeurs et de pensées de la personne interrogée, « Ainsi s’instaure un véritable échange au cours duquel l’interlocuteur du chercheur exprime ses perceptions d’un événement ou d’une situation, ses interprétations ou ses expériences, tandis que, par ses questions ouvertes et ses réactions, le chercheur facilite cette expression, évite qu’elle s’éloigne des objectifs de la recherche et permet à son vis-à-vis d’accéder à un degré maximum d’authenticité et de profondeur »85 Nous avons élaboré un guide d’entretien, qui nous a permis d’énoncer la consigne générale qui devait permettre de définir le thème attendu du discours : l’accueil provisoire. Puis nous avons construit des questions autour du dispositif concerné en termes d’attentes, de difficultés, de désaccords éventuels, de repérage des acteurs le mettant en œuvre. Nous avons, dans un second temps, retranscrit les deux entretiens, et avons repéré dans chacun les insatisfactions, difficultés rencontrées, manques et améliorations à y apporter. Puis nous avons essayé d’objectiver les discours en tenant compte des effets induits par le cadre judiciaire, « la recherche de l’objectivité mobilise la passion de connaître, la dévorante curiosité devant le mystère des choses et du monde, l’enthousiasme, c'est-à-dire des pulsions subjectives »86. II.3 Analyse critique du dispositif d’accueil provisoire En nous appuyant sur les outils énoncés dans la partie méthodologique, nous allons mener une analyse critique du dispositif d’accueil provisoire. Nous nous appuierons pour cela sur les indicateurs opérationnels de sa mise en œuvre afin d’en repérer les effets tant dans la coopération entre les acteurs professionnels, que pour les bénéficiaires de ce dispositif, mais également d’en préciser les biais et dérives. 85 QUIVY Raymond et VAN CAMPENHOUDT, «manuel de recherche en sciences sociales», Paris, Dunod 1998, page 184. 86 MORIN Edgar, «la méthode – tome 2.la vie de la vie», Paris, Seuil 1980, page 296. 68 Comme énoncé précédemment, nous émettrons l’hypothèse que les notions de subsidiarité et de coopération entre judiciaire et administratif ne peuvent exister et prendre sens que si les champs d’interventions et les prérogatives des deux organisations sont clairement définis et signifiés. II.3.1. L’accueil provisoire et le Code de l’action sociale et des familles : L’admission du mineur dans le cadre de l’accueil provisoire est prise avec l’accord écrit des représentants légaux, sans que cela ne remette en cause l’autorité parentale « aucune décision sur le principe ou les modalités de l’admission dans le service de l’aide sociale à l’enfance ne peut être prise sans l’accord écrit des représentants légaux ou du représentant légal du mineur ou du bénéficiaire lui-même s’il est mineur émancipé »87. Dans la pratique, un premier contact se met en place à l’initiative du service habilité avec l’UTPAS, à laquelle est rattachée territorialement la famille, afin d’informer les services de l’ASE de cette demande d’accueil, et déterminer qui va formaliser la demande par écrit. Cette étape permet une concertation UTPAS/service habilité afin de définir les modalités de signature par les détenteurs de l’autorité parentale de la demande de prestations : soit le travailleur social en charge de la mesure judicaire s’occupe de faire signer la demande par la famille, soit cette dernière se présente en UTPAS pour signature. Il est toutefois préférable que la place du Conseil Général soit affirmée lors de la mise en œuvre de ce dispositif et que la demande soit signée par les détenteurs de l’autorité parentale à l’UTPAS. Dans d’autres départements que le Nord, les parents ou les représentants légaux sont systématiquement reçus par un cadre chargé de la protection de l’enfance du service de l’aide sociale à l’enfance pour la formalisation et la signature de la demande d’admission. La demande d’accueil provisoire est ensuite transmise à la DTPAS pour évaluation et accord ou non. Dans l’affirmative, il revient ensuite à l’UTPAS de la mettre en œuvre. Un rapport social rédigé par le service habilité est transmis à l’UTPAS accompagné d’un contact téléphonique avec les services de l’ASE afin de préparer cet accueil. De manière exceptionnelle pour les situations complexes, la situation peut faire l’objet d’une présentation 87 Code de l’action sociale et des familles - Article L223-2. 69 préalable par le service habilité en commission d’évaluation organisée par l’UTPAS afin de déterminer de l’orientation la plus appropriée à la problématique familiale. Lors de la concrétisation de l’accueil, le plus souvent, la famille accompagne l’enfant sur son lieu d’accueil, ou lorsqu’il s’agit d’assistants familiaux à l’UTPAS. La durée maximale de l’accueil est de un an, avec possibilité de renouvellement. Par ailleurs l’aide sociale à l’enfance « élabore au moins une fois par an un rapport, établi après une évaluation pluridisciplinaire, sur la situation de tout enfant accueilli… »88. Le code de l’action sociale prévoit que le contenu de ce rapport et ses conclusions soient restituées à la famille, ou à toute autre personne exerçant l’autorité parentale, et le mineur selon son âge. Un réfèrent ASE (travailleur social de ce service) est nommé, selon les territoires, afin d’être l’interlocuteur de la famille ayant sollicité un accueil provisoire. Il accompagne le parcours de placement de l’enfant, et travaille les difficultés qui sont à l’origine de cet accueil avec les parents pour y trouver avec eux des solutions. Il lui revient aussi d’être « le relais » entre le lieu d’accueil, et les parents, d’informer la famille du déroulement de l’accueil, d’élaborer les calendriers de rencontres. La place de ce réfèrent, dans le cadre d’un accueil provisoire mis en œuvre, alors qu’une mesure judiciaire est déjà prononcée, nécessite de fait une répartition des attributions de chacun, une coordination entre les acteurs, et des échanges sur le déroulement de cet accueil. Des voies de recours permettent aux détenteurs de l’autorité parentale d’interférer sur le dispositif et d’y mettre un terme : « la possibilité en cas de désaccord, d’intervenir selon la législation en vigueur pour en arrêter l’exécution (loi du 11 juillet 1979, n° 79587 »89. Cellesci sont précisées sur le document « demande de prestations d’aide sociale à l’enfance » du Conseil Général du Nord signé par la famille. En nous appuyant sur le processus de mise en œuvre d’un accueil provisoire conjoint à une mesure judicaire, que nous venons de brièvement présenter, nous avons essayé à travers le graphique suivant de le mettre en lien avec les textes régissant l’accueil provisoire inscrits dans le Code de l’action sociale et des familles. 88 89 Code de l’action sociale et des familles-Article L223-5. Ibid. Article L.222-2. 70 Déroulement de l’accueil provisoire Le maître d’œuvre : Le Conseil Général Le bénéficiaire : La famille Le service à l’initiative de la demande : Le service habilité « L’aide à domicile est attribuée sur sa demande, ou avec son accord à la mère, au père où à défaut à la personne qui assure la charge effective de l’enfant lorsque la santé de celui-ci, sa sécurité ou son éducation l’exige… » Art L 222.2 du CASF. AVANT : - Recueil et rédaction de la demande Art L223-2 CASF : « aucune décision …ne peut être prise sans l’accord écrit des représentants légaux.. ». Cela vient interroger Comment le Conseil les conditions de Général est t’il représenté l’obtention de l’accord et perçu/présenté a la de la famille et son famille bénéficiaire de contenu ? l’accueil provisoire lors de La famille a-t-elle l’élaboration de la rédigé la motivation de demande ? la demande ? A-t-elle été informée de ses droits ? Modalités de recueil de la demande de la famille par le service judiciaire ? Prise en compte de la famille et sa demande Le recueil de l’accord est effectué par le service habilité - Instruction de la demande et recherche du lieu d’accueil Art L 223-2 CASF : « Pour toutes les Cela pose la question décisions relatives au de la consultation de la lieu et modes de famille dans le choix placement des du lieu accueil ? enfants…l’accord des représentants légaux est réputé acquis si celui-ci n’a pas fait connaître son opposition dans un Si recours délai de quatre semaines… » 71 - Accord DTPAS - Transmission de accord à l’UTPAS pour recherche lieu accueil - Mise en œuvre de l’accueil (organisation pour recherche d’un lieu accueil) Articulation et Concertation recherche lieu accueil PENDANT : l’articulation, évaluation et rapport de fin de prestation Article L223-5 CASF : « Le service élabore au moins une fois par an un rapport, établi après une évaluation pluridisciplinaire, sur la situation de tout enfant accueilli… ». Cela vient interroger comment et quand la famille est t’elle associée et informée des conclusions de cette évaluation ? Référent de l’accueil provisoire - Articulation AEMO/Conseil Général Articulation AEMO/Conseil Général dans perspective de l’évaluation de l’accueil et orientation Articulation/ déroulement projet Article L 223-5 CASF : « Le contenu et les conclusions de ce rapport sont portés à la connaissance du père, de la mère… » Rencontre avec la famille à UTPAS Elaborer fiche relais FIN ACCUEIL : - Article L 222-5 CASF : « les mineurs qui ne peuvent demeurer provisoirement dans leur milieu de vie habituel et dont la situation requiert un accueil à temps complet ou partiel … » Cela vient interroger comment est évalué le caractère provisoire de l’accueil ? Comment est recueilli l’avis de la famille ? Bilan de fin d’accueil ? - Articulation si renouvellement ? - Modalités d’évaluation du caractère provisoire ? par qui ? Synthèse 1 mois avant échéance Les flèches employées permettent de repérer les temps d’articulation nécessaires entre les acteurs. Le graphique ci dessus permet d’illustrer un certain nombre de questionnements quant à la place, les prérogatives des trois acteurs (bénéficiaire, judiciaire, administratif) dans la mise en œuvre de l’accueil provisoire, et l’articulation mise en place entre les différents acteurs. 72 A partir de ce premier état des lieux, nous nous sommes attachés à étudier les protocoles et schémas d’articulation mis en place par l’intervention administrative et judiciaire afin d’appréhender de quelles manières ils clarifiaient, définissaient cette coopération. II.3.2. L’accueil provisoire : un dispositif protocolaire Nous avons donc procédé à la lecture des protocoles d’articulation entre services administratifs et judiciaires de 7 territoires, qui ont constitué notre échantillon. Nous les avons numérotés de 1à 7, afin de les répertorier et les analyser. Nous avons pu constater que 2 territoires n’avaient pas de protocoles (inexistant ou élaboré mais non encore validé par la DTPAS). Un des territoires possède un document établi depuis plus de huit ans (2004), soit bien avant la réforme de mars 2007. Pour les 4 autres territoires, les protocoles ont élaborés après la loi de mars 200790. En préalable, nous nous sommes intéressés à l’intitulé des documents articulant le dispositif : Tableau I : Intitulé des documents Echantillon Intitulé des documents 1 deux documents datant respectivement de novembre 2010 et mi 2011 existent : un « schéma d’intervention de coordination entre les services AEMO et les services du Département », et une « feuille de route des AP sur AEMO ». Le premier regroupe l’articulation des différents temps de l’intervention judiciaire avec les services administratifs « lors des nouvelles mesures, pendant et à la fin de la mesure » et décline les différentes prestations et leur articulation administrative/judiciaire « Prestations aide à domicile (AMASE, TISF…), frais d’internat, accueil physique enfant (judiciaire et administratif) ». Le second, davantage accès sur l’accueil provisoire, reprend chronologiquement les différentes étapes de celui-ci (Avant, pendant et après). Dans le premier document, un préambule vient repréciser « les services du Département conservent leur place auprès des familles pendant toute la durée des mesures judiciaires ». 90 ANNEXE 3/ Tableau comparatif des protocoles. 73 2 un document général regroupe les différents protocoles avec les services AEMO. Dans un chapitre bien spécifique sont évoqués « Accueil provisoire et AEMO » 3 le document élaboré s’intitule « Points de repère dans la mise en œuvre des mesures d’accueil provisoire ». Il précise que l’AP est une mesure administrative « qui doit être envisagée et mise en œuvre prioritairement au placement judiciaire y compris lorsque le danger pour l’enfant est évalué ». A ce titre il nécessite une identification des risques ou dangers encourus s’il y a maintien du mineur au domicile parental. Une évaluation de ces éléments expliquée à la famille permet ainsi d’élaborer un diagnostic, et des perspectives d’évolution « en quoi l’AP va permettre de faire évoluer la situation ? ». 4 des fiches de procédures concernant la prestation (AMASE, TISF, Colonie, Internat, accueil provisoires) ont été élaborées en septembre 2008. Elles détaillent tous les éléments constitutifs de ses demandes, et leur transmission. La trame des éléments nécessaires à l’élaboration de la demande y sont listés (composition familiale, objet de la demande, budget et participation familiale, durée, type d’hébergement souhaité). 5 un « schéma d’intervention de coordination » a été rédigé par un groupe de travail, ayant démarré fin mars 2009, rassemblant les institutions concernées, celui-ci n’a pas été validé pour le moment par la DTPAS. Il précise que « cette mesure se met en place s’il y a collaboration de la famille et même en présence d’éléments de danger ». 6 le protocole existant « organisation partenariale entre les services spécialisés chargés des mesures de protection judiciaire de l’enfance » date de septembre 2004, soit avant la loi du 5 mars 2007. Il est donc imprécis dans son écriture et détaille peu les modalités d’articulation entre administratif et judiciaire. Celui-ci est en cours de réécriture. 7 il n’existe pas de protocole précisant l’articulation concernant ce dispositif. D’après les cadres de la protection judiciaire avec lesquels nous nous sommes entretenus, « il n’y a quasiment pas d’accueil provisoire avec mesure d’AEMO, la politique du territoire était de demander au service judiciaire une main levée de la mesure d’AEMO ». Dates d’élaboration et intitulés des documents 74 Contenu des demandes Eléments d’analyse à propos du tableau I : A partir de cette première lecture, nous avons pu repérer, que presque 6 ans après la loi du 5 mars 2007, 3 territoires ne sont pas dotés d’un protocole d’articulation, pourtant nécessaire à la déclinaison du dispositif de protection de l’enfance (2 territoires n’en possèdent pas, et un est antérieur à mars 2007). Un des protocoles vient rappeler que les services du Département gardent toute leur place y compris lorsqu’il y a intervention judiciaire, rappelant ainsi que cette dernière n’altère en rien le recours aux dispositifs de droits communs auxquels peuvent prétendre les usagers. Il importe toutefois que les attributs de droit commun conservent leur spécificité et que l’articulation administrative/judiciaire inclut cette dimension, notamment concernant la demande de l’usager. Les protocoles rassemblent les différentes procédures concernant la mise en œuvre de l’accueil provisoire, avec des variantes ou des imprécisions selon les territoires. A titre d’exemple l’échantillon 3 précise le contenu de la demande « identification des risques ou danger, …élaboration diagnostic et perspectives d’évolution » alors que dans l’échantillon 4, il est fait référence de manière imprécise dans les fiches de procédures à « l’objet de la demande ». Cette première lecture nous permet aussi de constater, concernant l’accueil provisoire, que le principe de subsidiarité, sous tendu par la loi du 5 mars 2007, est repris de manière très explicite dans deux protocoles. Ainsi celui-ci doit être envisagé même s’il y a danger, dés qu’il y a accord des détenteurs de l’autorité parentale. A travers ce travail, nous avons pu repérer trois temps importants dans la mise en œuvre de l’accueil provisoire instauré lorsqu’une mesure judiciaire de protection de l’enfance est en cours : avant sa mise en place, c’est le moment de l’élaboration de la demande, de la préparation de celui-ci. Pendant, il s’agit là de toute la dimension d’articulation entre l’initiateur de le demande (le plus souvent le service habilité) et l’opérateur (les services administratifs). A la fin de l’accueil, c’est davantage ici l’évaluation de la prestation. 75 AVANT SA MISE EN PLACE : la préparation de l’accueil Dans la mise en place de ce dispositif, nous avons isolé certains temps importants repérés dans les protocoles : la demande et sa formalisation, et la recherche du lieu d’accueil. Tableau II : La demande et sa formalisation Echantillon La demande et sa formalisation 1 un préalable indispensable est posé : «L’accueil doit être préparé (sauf hospitalisation en urgence) notamment avec la PMI pour les moins de 6 ans », « Dés qu’un AP est envisagé par le service AEMO, un contact est prévu entre chefs de services pour échanges sur le projet et sa faisabilité ». La demande d’accueil des détenteurs de l’autorité parentale est une pièce indispensable à l’instruction de la demande de la famille qui doit être adressée au PEF, « Un rapport social est transmis au PEF accompagné de la demande de l’usager ». Pour autant le terme utilisé dans la feuille de route en référence à la mise en place de ce dispositif est «Le service AEMO envoie sa demande avec l’accord des parents au PEF pour décision». 2 la famille doit se rendre à l’UTPAS, auprès du médiateur administratif, afin de remplir la demande de prestation et la fiche de situation, munie d’un rapport social du travailleur social AEMO. Les objectifs de l’accueil provisoire doivent être clairement énoncés. 3 il insiste sur la signature des détenteurs de l’autorité parentale, et à défaut des justifications en l’absence d’accord de l’un d’eux. 4 il est rappelé que la demande de prestation doit être suffisamment anticipée et que « la demande doit être signée par le détenteur de l’autorité parentale », « si la demande est formulée par l’un des deux parents et que l’autre parent n’est pas présent, il y a obligation de le prévenir ». La procédure prévoit « un accompagnement de la famille à l’UTPAS pour élaboration du projet et signature de la liasse (par les détenteurs de l’autorité parentale) » par le service habilité. 76 5 le contenu du rapport social accompagnant la demande d’accueil est clairement défini autour d’items très précis, comme la présentation de la problématique familiale, les objectifs de la mesure d’AEMO,… mais aussi : « les axes de travail prévus dans le cadre de l’accueil provisoire … l’accord du ou des détenteurs de l’autorité parentale, ou des représentants légaux ».Sauf événements imprévisibles, « la demande doit s’effectuer 3 mois avant la date d’accueil envisagée ». Délais d’élaboration de la demande Contenu de la demande et formalisation Les échantillons 6 et 7 ne contiennent pas d’information sur la demande et sa formalisation. Eléments d’analyse à propos du tableau II : Si l’on exclut les accueils provisoires pour hospitalisation qui peuvent parfois difficilement être anticipés, nous pouvons repérer que la préparation est un élément majeur de ce dispositif relevé dans quatre protocoles (sur six recensés). Cette préparation devrait donc, entre autre, permettre une articulation entre services administratifs et judiciaires pour favoriser la mise en œuvre de l’accueil dans les meilleures conditions. Cependant, paradoxalement, ce dispositif doit aussi être envisagé en présence d’éléments de danger, ce qui implique parfois l’impossibilité de le préparer. Dans le cadre de la demande et sa formalisation, les pratiques divergent, si l’accord des détenteurs de l’autorité parentale est cité dans chaque protocole, son recueil peut se faire de différentes façons : par le travailleur social en charge de la mesure judiciaire ou par les services du Conseil Général. Cela pose la question de la confusion qui peut être générée auprès des bénéficiaires qui sollicitent une protection administrative, qui peut être mise en acte par la protection judiciaire. Nous avons pu constater, à travers ces documents, qu’il y avait parfois usage de deux termes différents pour nommer la formulation de l’accueil provisoire par l’usager : «la demande» ou «l’accord». La signification de ces deux termes est différente, l’un étant l’expression d’un souhait de mettre en œuvre l’accueil, l’autre pouvant davantage s’apparenter à un consentement à une proposition d’accueil. D’où la confusion parfois lorsque celui-ci est proposé par la protection judiciaire, la demande de la famille étant parfois interprétée, comprise comme la demande du service, laissant alors à l’usager qu’une prérogative d’accord. 77 La recherche du lieu d’accueil : Echantillon 2 : le travailleur social AEMO qui transmet une demande d’accueil provisoire donne également des informations sur les recherches effectuées par le service AEMO pour le placement de l’enfant. Dans ce protocole, il est précisé que la désignation d’un référent ne se fait que lorsqu’une situation pose problème, à défaut le chef de service enfance assure le soutien technique de l’assistante familiale. Le suivi éducatif est assuré par le travailleur social AEMO. Echantillon 4 : la recherche d’un lieu d’accueil se fait en lien avec le service enfance et l’AEMO. Les autres échantillons ne développent pas les modalités de recherche du lieu d’accueil. Eléments d’analyse à propos de le recherche du lieu d’accueil : Ce point pourtant essentiel concernant la recherche d’un lieu d’accueil est peu explicité dans les protocoles, il laisse donc place à une zone de flottement qui ne permet pas d’identifier clairement qui fait quoi. Il en est de même de la désignation d’un réfèrent par les services de l’aide sociale à l’enfance, si la nomination de celui-ci est le plus souvent rare voire quasi inexistante cela pose la question de la représentativité des services administratifs auprès des familles bénéficiaires, mais également de la possible subsidiarité de l’administratif au judiciaire lorsqu’il y a recours à ce dispositif dans le cadre d’une mesure d’AEMO. PENDANT Tableau III : La mise en œuvre et la contractualisation Echantillon La mise en œuvre et la contractualisation 1 ces protocoles définissent également les prérogatives de chacun, selon le lieu d’accueil de l’enfant. Pour les accueils chez les assistantes familiales : « Un contrat d’accueil doit être établi par le référent AS, …le travailleur social 78 enfance interviendra en soutien à l’assistante familiale, …Le projet pour l’enfant et la famille reste du domaine du service de l’AEMO,…Une concertation entre les deux services est nécessaire ». Pour les accueils en établissement : « le chef de service enfance assure la coordination ». Ce contrat d’accueil établi par le Conseil Général, implique donc une notion d’engagement de part et d’autre. Ces documents prévoient également l’articulation du projet d’accueil entre le service habilité et le Conseil Général de manière assez imprécise lorsque l’accord a été donné : « Réponse du PEF à la famille, à l’UTPAS, au service AEMO (dans certains cas le PEF peut recevoir la famille et service AEMO en fonction de la situation)…Si pas de rencontre PEF, comment concrètement se déroule le projet (contact UTPAS/AEMO pour organisation)». « La fin d’accueil est à fixer au début, ainsi qu’une synthèse un mois avant l’échéance ». La contractualisation de l’accueil avec le bénéficiaire est également abordée « Rencontre avec la famille à l’UTPAS (AEMO : référent+/- chef de service, la famille, le lieu d’accueil, l’ASE : chef de service, référent) et élaboration d’une fiche relais ». 2 la mise en œuvre repose sur un premier contact entre chefs de services enfance/AEMO. L’élaboration du contrat d’accueil se fait à la DTPAS, en présence de l’assistante familiale, d’un représentant de la DTPAS et du service AEMO. Toute modification de ce contrat se fait dans les mêmes conditions. 3 le document prévoit « un engagement contractualisé et formalisé avec les détenteurs de l’autorité parentale ». Il insiste sur le caractère « indispensable et obligatoire d’un document (contrat ou formulaire) qui constate ces engagements ». « les modalités de mise en œuvre de l’accueil doivent être négociées avec la famille et formalisées sur le Projet d’Action Educative». Signé par les détenteurs de l’autorité parentale (durée accueil, objectifs visés, actions à mettre en place, lieux accueil…). 5 la nomination d’un référent ASE n’est préconisée que pour les AP de plus d’un mois, des temps de synthèses entre les deux services sont envisagés. Le projet d’accueil pour l’enfant est rédigé en collaboration avec le service AEMO. Mise en œuvre de l’accueil Contractualisation de la demande 79 Les échantillons 4, 6 et 7 ne contiennent pas d’information sur la mise en œuvre de l’accueil provisoire et la contractualisation. Eléments d’analyse à propos du tableau III : La dimension contractuelle de l’accueil provisoire est clairement énoncée dans les différents protocoles, à des degrés différents certains préconisant des engagements formalisés, afin que le bénéficiaire s’engage également à entreprendre des actions pendant cet éloignement de l’enfant. Notre questionnement s’est également porté sur la trace écrite de cette contractualisation remise au bénéficiaire, qui pourrait acter ces engagements, et que nous n’avons trouvé dans aucun protocole. D’autre part cette contractualisation de la famille avec les services du Conseil Général, pourrait notamment se faire à travers le PPE91, et permettre à la protection administrative de prendre toute sa place, et ainsi suppléer l’intervention judiciaire dans le cadre de l’accueil provisoire, tout en n’omettant pas la coopération avec le service habilité qui permettrait de garantir la continuité de l’intervention éducative. A LA FIN DE L’ACCUEIL Tableau IV : L’évaluation de l’accueil Echantillon L’évaluation de l’accueil 1 un temps de synthèse est prévu à la fin de l’accueil (un mois avant échéance). 2 un bilan à mi mesure est prévu avec l’assistante familiale, le service habilité et le chef de service enfance. 5 un temps de synthèse entre le travailleur social d’AEMO et le référent ASE doit être effectué. Au terme de l’AP, une note d’évaluation de la situation du mineur est rédigée par l’intervenant AEMO, s’il n’y a pas eu nomination de référent, ou par le référent ASE, et adressée au responsable du PEF afin d’informer de la fin de l’AP. 91 L’élaboration du Projet Pour l’Enfant est rendue obligatoire par la loi du 5 mars 2007, entre les services du Département et les titulaires de l’autorité parentale, dés lors que l’enfant fait l’objet d’une décision de protection judiciaire ou administrative. Ce document précise les actions qui seront menées auprès de l’enfant et des parents - Article L223-1 du CASF. 80 Les échantillons 3, 4, 6 et 7 ne contiennent pas d’information sur l’évaluation de l’accueil92. Eléments d’analyse à propos du tableau IV : Le temps de l’évaluation de l’accueil n’est formalisé que dans 3 protocoles, il est pourtant un temps indispensable qui permet les échanges entre les différents acteurs de ce dispositif sur son déroulement, c’est aussi un temps non négligeable qui peut favoriser l’articulation entre chacun, et permet de déterminer les axes de travail à venir et notamment la demande de poursuite ou non de l’accueil provisoire. En conclusion de cette étude des protocoles, nous pouvons observer une grande disparité d’un territoire à un autre dans l’existence, la mise en œuvre et l’articulation de ce dispositif. Des secteurs où celui-ci n’existe pas ou peu, à ceux où il se décline de manière très précise en termes de procédures. D’une formalisation rigoureuse, à des espaces moins définis en termes d’objectifs, d’engagements réciproques. Autant de zones d’incertitudes qui, d’un territoire à l’autre, peuvent prendre différentes formes, et venir altérer l’inscription de ce dispositif dans le champ administratif, et notamment dans l’application du principe de subsidiarité inhérent à la protection de l’enfance. Après cette étude des indicateurs opérationnels de la mise en œuvre des accueils provisoires, nous avons poursuivi notre investigation de ce dispositif, en nous intéressant à sa mise en pratique. A travers l’étude de 20 demandes d’accueil provisoire renseignées par les bénéficiaires, et en utilisant une démarche de type ethnographique. reposant sur des observations, des échanges avec les travailleurs sociaux, que nous avons répertoriés, catégorisés et analysés autour des difficultés repérées dans la mise en œuvre des accueils provisoires. II.3.3. Etat des lieux des accueils provisoires Nous nous sommes donc intéressés aux demandes d’accueils provisoires sollicitées par un service habilité en charge annuellement de 387 mineurs, soit environ 187 familles. Notre période de référence concerne les demandes d’accueils provisoires formulées en 2011 et 92 ANNEXE 3/Tableau comparatif des protocoles. 81 2012. Nous en avons répertorié 20, ce qui concerne 34 enfants accueillis dans le cadre de ce dispositif (3 ont débutés en 2008, 6 en 2009, 15 en 2010 et 8 en 2011).93 Tableau V : Les motifs de l’accueil Accueils Provisoires Conjoncturels Hospitalisations 11 enfants Absence logement Naissance prévue 3 enfants 3 enfants Total : 17 enfants Accueils Provisoires Structurels Apaiser la situation familiale : 11 enfants - Relations parents enfants difficiles, conflictuelles : 8 enfants - Séparations parentales : 3 enfants Difficultés éducatives : 6 enfants - Scolaires : 3 enfants - Prise en charge des enfants : 3 enfants Total : 17 enfants Eléments d’analyse à propos du tableau V : Nous avons pu mettre en évidence que le nombre d’accueils provisoires conjoncturels équivaut à celui des accueils structurels. Nous nous sommes plus particulièrement intéressés aux accueils structurels, puisqu’ils s’inscrivent davantage dans la durée que les accueils conjoncturels qui répondent à une réelle demande de la famille sur un temps court. Nous les avons regroupés thématiquement et avons observés que les accueils structurels sont utilisés, pour plus de la moitié, pour répondre à une situation familiale difficile ou conflictuelle, qu’il est nécessaire d’apaiser. Pour environ 1/3 ils sont destinés à pallier à des difficultés éducatives. Tableau VI : La durée de l’accueil total durée - de 12 mois De 15 à 24 mois De 30 à 51 mois 3 mois 8 mois 9 mois 11 mois 15 mois 16 mois 18 mois 19 mois 20 mois 23 mois 24 mois 30 mois 36 mois 51 mois 1 2 3 1 1 1 1 1 1 1 2 1 2 1 7 8 La durée médiane de l’accueil provisoire est de 15 mois. La durée moyenne d’un accueil provisoire est de 19 mois 1/2. 93 ANNEXE 4/ Tableau des motivations des demandes d’accueils provisoires. 82 4 Eléments d’analyse à propos du tableau VI : En nous appuyant sur un échantillon de 20 demandes d’accueils provisoires, dont 19 ont amené à sa mise en œuvre, nous avons pu mettre en évidence que, bien que ce dispositif soit une mesure de courte durée, pour 10 d’entre eux celui-ci avait une durée de plus de 15 mois. Cinq étaient d’une durée de 24 mois et trois de 36 mois dont un avait duré 51 mois avant de se transformer en placement judiciaire. Cette première lecture nous a donc permis de questionner le caractère provisoire de ce dispositif, puisque 12 accueils dépassent la durée de 15 mois. Nous nous sommes attardés sur l’accueil provisoire qui avait duré 51 mois, celui-ci concernait les enfants de deux parents présentant une déficience légère. Dés la mise en oeuvre de l’accueil, motivé par des difficultés de couple, les carences parentales dans la prise en charge quotidienne des enfants sont observées. Progressivement devant l’impossibilité à mobiliser les parents sur ce point, l’accueil s’oriente vers un accueil de longue durée. Malgré les tentatives de travail en collaboration entre services administratifs et habilités les deux interventions sont maintenues, la perspective d’un maintien de l’accueil provisoire en l’absence d’un maintien de la mesure d’AEMO ne peut être envisagé faute d’accord de la DTPAS. A travers ce constat, nous pouvons questionner la pertinence d’un maintien de ce type d’accueil sur une si longue durée, en terme de sens, sur le caractère provisoire de l’accueil, à la fois pour les détenteurs de l’autorité parentale que pour l’enfant. Cela vient également interroger le caractère de danger justifiant le maintien de la mesure d’AEMO, en référence à la notion de subsidiarité mais, également, au coût financier de cette double intervention. Même si le sujet de notre recherche n’est pas une étude quantitative de ce type d’accompagnement, cette question de la durée de l’accueil est un paramètre qui nécessiterait réflexion. Dans le cas de ces accueils de longues durées, la question de la coopération, du principe de subsidiarité se pose à travers le passage de relais du judiciaire à l’administratif. Afin d’étudier plus amplement le dispositif d’accueil, nous avons opté pour inscrire ensuite notre travail dans une démarche de type ethnographique, davantage axée sur une démarche compréhensive. Cela nous permettra d’appréhender les modes de coopération entre administratif et judiciaire, et les difficultés rencontrées. Pour cela, nous nous appuierons sur des observations menées sur le terrain, à partir notamment de cinq dossiers en assistance 83 éducative, mais également sur le discours des acteurs. Nous utiliserons également le contenu des demandes de prestations d’aide sociale à l’enfance rédigées par les bénéficiaires 94 pour illustrer notre réflexion. Afin de mener ce travail, nous avons fait le choix de nous référer aux trois moments qui viennent ponctuer l’accueil provisoire : Avant la mise en œuvre de l’accueil (Elaboration de la demande et mise en place) Pendant le déroulement de l’accueil A échéance de l’accueil (Evaluation et perspectives) II.3.3.1. Avant la mise en œuvre de l’accueil : - Le recueil de l’accord des détenteurs de l’autorité parentale est une nécessité. «Lors de la mise en place d’un accueil provisoire, la mère de l’enfant affirme au travailleur social qui instruit sa demande « ne plus avoir de contacts avec le père de l’enfant ». Celui-ci est pourtant détenteur de l’autorité parentale et bénéficie d’un droit de visite et d’hébergement pour son fils qu’il n’exerce pas. Le service habilité bien qu’étant en possession de l’adresse du père, ne parvient à le contacter, car il ne répond ni à nos appels téléphoniques, ni aux rendez vous qui lui sont proposés y compris à son domicile. L’accueil provisoire se met malgré tout en place avec l’accord de la DTPAS. Le père de l’enfant se manifestera plus de trois semaines plus tard auprès de nos services pour récupérer son fils, il sera très difficile de lui faire comprendre que nous avions tout tenté pour le joindre».95 Cette observation démontre bien la nécessité lors de l’élaboration de la demande, de mettre tout en œuvre pour recueillir l’accord des deux parents. Dans l’exemple cité ci-dessus, l’envoie d’un courrier recommandé avec accusé de réception aurait permis de démontrer la volonté du service de recueillir l’avis paternel. 94 95 ANNEXE 4/ Tableau des motivations des demandes d’accueils provisoires. Dossier en AEMO famille H – février 2011- TGI de Valenciennes. 84 - L’avis de la famille : entre accord et demande Cette approche de ce dispositif nous a amené à nous interroger sur la demande de prestations, et notamment la terminologie utilisée «demande-accord». Si l’on se réfère au formulaire du Conseil Général, concernant la demande de prestations il est noté « L’aide à domicile est attribuée sur sa demande, ou avec son accord, à la mère, au père ou à défaut à la personne qui assure la charge effective de l’enfant lorsque la santé de celui-ci, sa sécurité son entretien ou son éducation l’exige… » 96 . Il nous parait toutefois important qu’au delà d’un simple accord la famille étaye sa demande. En nous appuyant sur l’étude des demandes d’accueil provisoire rédigées par les familles, nous avons pu observer qu’elles s’apparentaient à des accords à la proposition formulée par l’intervenant judiciaire, plutôt qu’à une réelle demande. Le contenu de celle-ci et notamment le vocable employé est très souvent inspiré, voire énoncé par le travailleur social en charge de la mesure et recopié par la famille. «… apaiser la crise familiale…», «… favoriser la relation mère-enfant», «…permettre à notre fils de se situer dans une scolarité bénéfique » «… s’ouvrir sur un autre mode éducatif »… Cela vient interroger la compréhension de la demande et des objectifs fixés dans le cadre de cet éloignement par les parents, leurs attentes et comment ils perçoivent ce dispositif.97 - Une demande qui peut être perçue comme une alternative au placement judiciaire Lorsque les parents accèdent dans le cadre d’une mesure judicaire à la mise en place d’un accueil provisoire, la question de leur libre choix peut être posée. En effet à travers cette proposition d’accueil, le plus souvent initiée par le service habilité, l’acceptation peut parfois reposer davantage sur la crainte, la menace d’un éloignement judiciaire à défaut d’accord à la proposition formulée par le service habilité. Par ailleurs certaines demandes d’accueil provisoire ne relèvent pas de ce dispositif. Notamment lorsque cette solution d’accueil est présentée comme une réponse alternative à un éventuel placement judiciaire. Parfois le juge des enfants ne recourt au placement que si l’accueil provisoire a échoué, et incite les parents à accéder à ce dispositif dans le cadre d’une audience, davantage par contrainte : «Conditionnons le maintien à domicile de G à la 96 97 Article L.222-2 du CASF. ANNEXE 4/ Tableau des motivations des demandes d’accueils. 85 signature par les parents d’un accueil provisoire devant intervenir avant le … a défaut le placement du jeune sera prononcé »98. Nous nous retrouvons donc bien dans ce cadre, en référence au principe de subsidiarité telle que la loi de mars 2007 l’énonce, en terme de suppléance d’une intervention à une autre. Même si dans ce contexte l’adhésion de la famille peut fortement être induite par l’injonction judiciaire, avec toutes les limites que cela peut induire, ce qui pose également la question du sens du placement judiciaire et du rappel à la loi. «Au cours d’une audience devant le juge des enfants, la jeune A est entendue, avec ses parents, dans la cadre d’une mesure d’AEMO dont elle bénéficie, suite à des accusations d’attouchements qu’elle a portées à l’encontre de son père. Le service habilité présent sollicite le placement de la mineure dans l’attente qu’une enquête de police soit diligentée dans l’objectif de permettre une mise à distance de son milieu familial. Au cours du débat contradictoire, le magistrat évoque la perspective d’un accueil provisoire aux parents, qui accèdent à cette proposition ».99 Le paradoxe soulevé par cette situation étant que le cadre de cet accueil provisoire permet aux parents d’y mettre un terme quand ils le souhaitent et revêt un sens différent qu’un placement judiciaire visant dans ce cas à protéger la mineure. A la fois d’un danger, mais aussi d’une transgression d’un interdit posé par la loi, suffisamment caractérisés dans cette situation par les accusations portées. Au delà de l’usage qui peut être fait de ce dispositif, parfois détourné de sa vocation première, lorsqu’il devient une alternative à un placement judiciaire, ces observations posent la question du cadre dans lequel est mis en place l’accueil et notamment ce qui peut être induit par le cadre judiciaire. Il est donc nécessaire que la proposition de mise en place de cet accueil tente de s’en détacher afin que la demande formulée par la famille ne soit induite par l’intervention judiciaire, mais se rapproche davantage du cadre « volontaire » de ce dispositif. 98 99 Jugement du Tribunal pour enfants de Valenciennes du 21 septembre 2012. Dossier en AEMO famille P – septembre 2009- TGI de Valenciennes. 86 - L’association de la famille à la mise en œuvre de l’accueil et au choix du lieu d’accueil Cette association est parfois compliquée à mettre en actes, alors qu’il est nécessaire qu’elle existe lors des différentes étapes de l’accueil (choix et rencontre des lieux d’accueil, définition des objectifs, ….). D’une part parce que c’est un dispositif de droit commun avec tous les attributs que cela lui confère, d’autre part pour favoriser l’investissement de ce dispositif par les bénéficiaires. Le manque de temps, les différences observées dans le fonctionnement des UTPAS, …sont autant d’éléments qui viennent y faire frein et ce malgré les schémas d’articulation existant. « Le couple P, sollicite par l’intermédiaire d’un service habilité, intervenant pour ses enfants dans le cadre d’une mesure d’AEMO, un accueil provisoire de ses enfants, étant donné les difficultés qu’il rencontre dans leur prise en charge (difficultés dans la pose de limites, organisation du quotidien, …). Cet accueil est accordé par la DTPAS, mais devant les craintes et angoisses perçues et exprimées par les deux parents quant à cette séparation, le service habilité convient avec l’UTPAS de la préparer afin de rassurer parents et enfants. De nombreuses questions sont soulevées par les parents concernant, les lieux où seront accueillis leurs enfants, les personnes qui vont les prendre en charge. Afin de rassurer la famille, le service habilité suggère qu’une rencontre soit organisée afin de permettre à la famille de visiter le futur lieu de vie des enfants. Devant le refus de l’UTPAS, il sera impossible de mettre en œuvre cette rencontre préalable, et le premier contact entre la famille et les assistants familiaux aura lieu à l’UTPAS »100. Si l’argument énoncé, par le chef de service ASE de cette UTPAS pour expliquer ce fonctionnement repose sur le cadre posé au démarrage de l’accueil, il est parfois difficile pour les parents d’acter et accepter la séparation sans avoir pu se rendre compte des conditions d’accueil de leur enfant, sans être rassurés, sécurisés sur l’endroit où leur enfant va être accueilli. L’accord concernant le lieu d’accueil de l’enfant est souvent fonction des places disponibles. C’est d’ailleurs, la difficulté essentielle des services du Conseil Général pour répondre aux demandes d’accueil provisoire, à la fois en termes d’effectifs, mais aussi dans un souci d’offrir, comme le prévoit la loi de mars 2007, « une prise en charge adaptée et diversifiée 100 Dossier en AEMO famille Po – septembre 2011- TGI de Valenciennes. 87 des mineurs confiés ». Lors de la demande et la concrétisation des accueils provisoires, il est peu fréquent que les parents émettent des choix d’orientation (seulement 7 demandes sur 20 font référence à un choix de lieu d’accueil), ou des réticences au lieu d’accueil présenté par l’UTPAS. Cette absence de positionnement parental est t’elle à mettre en lien avec une satisfaction à l’orientation trouvée, ou une méconnaissance de leurs droits par les usagers ? En tout état de cause, il parait plus que nécessaire que celle-ci soit questionnée, évaluée afin de pouvoir permettre à la famille l’expression de son avis et de ses choix. II.3.3.2. Pendant le déroulement de l’accueil : - La contractualisation de l’accueil : Lorsque cette proposition d’accueil est davantage perçue par les détenteurs de l’autorité parentale comme une obligation, une injonction du magistrat, il est difficile parfois qu’elle prenne sens pour la famille. Dans ce cas il est alors compliqué de contractualiser et d’élaborer des objectifs à mener avec les parents, puisque leur demande ne repose que sur la crainte d’un placement judiciaire et non sur une volonté de changement en lien avec une prise de conscience des difficultés. Lorsque nous avons questionné cette notion de contractualisation celle-ci apparait peu, notamment dans les demandes rédigées par les bénéficiaires. D’autre part aucun document écrit, reprenant les objectifs de l’accueil, n’est transmis à la famille. Celle-ci reçoit juste un accord écrit de la DTPAS précisant la durée de l’accueil du mineur accordé. - La difficulté pour la famille de se repérer dans les territoires de compétence des services administratif et judiciaire : Le cadre de l’accueil provisoire amène les parents à se retrouver confrontés à deux interlocuteurs, parmi lesquels il est parfois difficile pour eux de se repérer. Ce dispositif permet, le plus souvent, aux parents de voir ou accueillir leurs enfants quand ils le souhaitent après concertation avec les services de l’ASE. Ils se retrouvent toutefois confrontés à un double interlocuteur : le travailleur social qui les accompagne en assistance éducative, et le référent ASE. Elaborer un calendrier de rencontres parents-enfant peut parfois être compliqué, le service habilité étant la référence de la famille pour formuler sa demande, l’ASE celui du 88 travailleur social en AEMO pour l’organiser avec le lieu d’accueil. Dans la pratique la famille sollicite le service habilité pour mettre en place les temps de retour de l’enfant, et les modalités de fonctionnement (quels horaires, qui assure les conduites de l’enfant …). L’intervenant judiciaire se rapprochant dans un second temps de l’ASE, en la personne du référent, pour valider la possibilité de cette organisation notamment avec le lieu d’accueil. Nous avons pu observer que, dans ce fonctionnement, la famille pouvait parfois être l’enjeu de dysfonctionnements dans l’articulation de ces deux acteurs, notamment quant aux délais de prévenance ou imprévus de dernière minute pour l’exercice d’un droit de visite. - L’articulation entre les deux territoires de compétence : Celle-ci peut parfois poser problème, notamment du fait d’un manque de clarté dans les prérogatives de chacun, mais aussi dans les relations interpersonnelles entre les acteurs, une déclinaison différente des protocoles d’une UTPAS à une autre, de l’histoire d’un service et du fonctionnement qui en découle… Nous avions d’ailleurs perçu, lors de nos entretiens exploratoires, que certaines représentations concernant les prérogatives de l’autre étaient très ancrées et venaient parfois freiner cette articulation. Cette répartition des prérogatives entre judiciaire et administratif implique nécessairement, au-delà de la concertation et l’articulation, une définition claire des territoires de compétence de chacun. Pour autant, les observations extraites de notre expérience professionnelle et les entretiens exploratoires démontrent que cela est parfois difficile. Plusieurs exemples viennent illustrer cette difficulté : - « Une mesure d’AEMO est exercée pour la fratrie composée de deux enfants H (5ans) et S (3 ans), H adopte des comportements inquiétants (troubles alimentaires, propreté, ..) qui nécessitent une évaluation par le psychologue du service en charge de la mesure. La situation de H au domicile maternel devient de plus en plus inquiétante, et la mère parvient difficilement à gérer les comportements de sa fille, Madame ayant même parfois des réponses maltraitantes. Un accueil provisoire est donc proposé par le service habilité à la mère qui l’accepte. Celui-ci se met en place chez une assistante familiale et un réfèrent ASE est nommé. Le juge des enfants sollicite le service habilité afin qu’il poursuive l’évaluation de la situation de H sur son lieu d’accueil, afin d’observer son évolution. Le service habilité envisage donc de continuer avec le travailleur social en charge de la mesure d’AEMO et le psychologue l’évaluation des difficultés de H. Cette évaluation ne pourra se mettre en œuvre, 89 l’UTPAS via le réfèrent et le chef de service enfance n’autorisant pas que des rencontres puissent avoir lieu au domicile de l’assistante familiale, en l’absence du réfèrent ASE. Ce positionnement paraissait peu adapté avec H, qui ne connaissait pas le référent mais avait noué une relation avec le travailleur social en charge de la mesure d’AEMO ».101 - Lorsque l’intervention est possible au domicile de l’assistante familiale pour l’intervenant judiciaire, il est fréquent qu’il y ait confusion des champs d’intervention de chacun. Nous avons repéré de nombreuses interpellations d’assistants familiaux pour des problèmes d’organisation administrative relevant davantage de leur employeur via l’interlocuteur qu’est le réfèrent ASE. A l’issue de cette démarche de type ethnographique, il nous est apparu intéressant de croiser ce constat avec la perception par les intéressés de cette prestation, afin notamment de l’objectiver. II.3.4. Les bénéficiaires et le dispositif A partir d’entretiens menés auprès de familles ayant bénéficié d’un accueil provisoire dans le cadre d’une mesure d’AEMO, nous avons essayé de mesurer les ressentis et la prise en compte de la demande parentale dans ce dispositif mis en œuvre auprès de leur enfant. Nous avons démarché auprès de huit familles, choisies de façon aléatoire, ayant bénéficié d’un accueil provisoire d’un ou de plusieurs enfants, afin de recueillir leur avis sur la prestation dont elles avaient bénéficié. Nous avions pris contact par téléphone avec elle, quatre seulement ont pu être jointes (numéros de téléphone erronés), deux ont accédé à notre proposition de rencontre, pour les deux autres des messages téléphoniques ont été laissés sans rappel des intéressés. Il fut donc difficile d’entrer en contact avec des familles ayant bénéficié d’un accueil provisoire de leur enfant, d’autant que le cadre judiciaire ne favorise pas toujours l’expression de l’usager tant les représentations et résistances sont grandes. Nous avons donc favorisé une 101 Dossier en AEMO famille D - avril 2011- TGI de Valenciennes. 90 démarche volontaire de la famille, en essayant de ne pas l’inscrire dans un sentiment d’obligation vis-à-vis de l’entretien proposé. Nous ne parlerons pas d’un échantillon représentatif, car notre enquête ne concernera que quelques familles, et a davantage une visée qualitative : « en aucun cas un échantillon ne peut être considéré comme représentatif dans une démarche qualitative »102. Les discours tenus lors de ces échanges ne permettent pas une analyse approfondie, d’une part puisque l’échantillon est faible. D’autre part parce que les enjeux peuvent ne pas être dénués d’intérêt pour les familles. En effet, malgré l’étape de présentation de notre démarche de recherche, visant à rassurer les milieux familiaux lors de la présentation de notre travail, la crainte du placement de leur enfant demeure fort présente. Nous avons codifié les deux interviews que nous avons menées, et nous y référerons, dans la partie qui va suivre, de la façon suivante : Interviewés 1 (I1) et 2 (I2). Les attentes des bénéficiaires par rapport à l’accueil reposaient bien sur une solution d’hébergement pour l’enfant alors que la famille se trouvait confrontée à des difficultés. A travers ces entretiens, nous avons pu observer le caractère parfois contraint de cette disposition «Ben l’éducateur m’a dit que ce serait mieux pour mon fils, sinon le juge pourrait le placer» (I1). Ces propos peuvent confirmer la complexité de la compréhension de cette solution d’accueil administratif proposée à la famille dans le cadre de la contrainte judiciaire, mais aussi l’investissement des parents à ce dispositif dans un tel contexte. Concernant la mise en place de cet accueil provisoire, et son déroulement, les deux familles rencontrées font état d’une méconnaissance de leurs droits « Quand j’ai signé le papier, Monsieur X (l’éducateur) m’a dit que je pourrai prendre ma fille tout les week-ends, et après y m’ont fait un calendrier …je pouvais la voir qu’un week-end sur deux» (I2). Les bénéficiaires Interrogés sur les voies de recours, l’information de leurs droits comme celui de faire appel par exemple de la décision, nous avons pu en observer l’expression d’un manque 102 KAUFMANN Jean-Claude, l’entretien compréhensif, Paris, Nathan 1996, page.41. 91 d’informations : «Je ne savais pas qu’on pouvait choisir ….on m’a proposé un établissement mais je voulais que mon fils aille chez une nourrice » (I1). Lorsque nous faisons référence, lors de l’échange, à la demande de prestations d’aide sociale à l’enfance signée par la famille, et notamment l’information des droits qui figure sur ce document : «J’ai été informée de mes droits tels qu’ils sont prévus par la loi du 6 juin 1984… : que j’ai la possibilité en cas de désaccord, d’intervenir selon la législation en vigueur pour en arrêter l’instruction ou l’exécution (loi du 11 juillet 1979) …. ». Cette information ne semble pas être perçue par nos interlocuteurs : «Je ne l’ai pas vu » (I1). Audelà de la lecture du document signé, la question de la compréhension du dispositif et de ses droits par le bénéficiaire se pose, et notamment comment ces droits sont communiqués par le travailleur social instruisant la demande écrite de prestation ? Concernant la place de chacun des acteurs administratif/judiciaire, là aussi un manque de clarté dans les attributions de l’un et l’autre est constaté « C’était compliqué les visites avec mon fils car il fallait toujours que je demande à mon éducateur, qui devait contacter l’éducateur de la nourrice » (I1). Concernant les objectifs établis lors de la mise en place de l’accueil, nous avons pu remarquer que les personnes rencontrées parvenaient difficilement à définir les engagements qu’elles s’étaient fixées lors de l’accueil de leurs enfants. Ainsi il sera difficile pour chacune d’elle de nous détailler quelles démarches, actions, elle devait entreprendre pendant ce temps d’accueil pour solutionner sa situation. Chapitre III :Les préconisations A travers cette partie, nous avons pu faire le constat que le dispositif d’accueil provisoire et l’articulation qui en découle entre les services habilités et judiciaires différent d’un territoire à l’autre. La loi du 5 mars 2007 affirme la notion de subsidiarité, qui privilégie autant que possible, la protection de l’enfance proposée par le Conseil Général, à la protection judiciaire. L’étude de l’accueil provisoire que nous avons menée met en évidence que cette subsidiarité, qui prévoit la suppléance du judiciaire par l’administratif, se traduit davantage à travers ce 92 dispositif comme une coopération entre les deux organisations. Ce dispositif d’accueil provisoire permet cependant d’apporter une réponse aux difficultés familiales y compris lorsque la famille fait l’objet d’une mesure judiciaire. Cependant nous avons démontré que la mise en place de ce dispositif, conjointement à une intervention judiciaire, nécessite l’instauration d’indicateurs opérationnels, d’actes signifiants permettant de préciser cette coopération, à la fois pour les acteurs professionnels la mettant en œuvre, que pour les bénéficaires. Sur le valenciennois qui est notre territoire de référence, nous avons pu observer un certain nombre de dysfonctionnements, auxquels nous allons tenter de proposer certains aménagements. Nous avons sérié ces difficultés selon deux axes : le premier, les acteurs qui mettent en œuvre à partir de certains dispositifs, et notamment l’accueil provisoire, la subsidiarité et la coopération. Le second, les bénéficiaires qui au sein de la mise en œuvre de ce dispositif d’accueil provisoire doivent s’inscrire dans une démarche administrative, reposant sur leur demande, même si celle-ci est induite par le cadre judiciaire. III.1. Au niveau des acteurs Le rapport stratégique entre les acteurs La dynamique d’une organisation réside « … dans un rapport stratégique entre les différents acteurs, en particulier entre, d’une part, les acteurs qui contrôlent les outils et les dispositifs, qui permettent la formalisation des options et, d’autre part, les autres acteurs ».103 La complexité de l’articulation des services du Conseil Général et des services habilités se situe donc à deux niveaux. D’une part dans les rapports stratégiques existant entre les acteurs d’un même service (intra institutionnels : directeur, chef de service, travailleurs sociaux), et d’autre part, les interactions entre ces deux organisations, et entre ces deux rapports stratégiques (inter institutionnels). Pour faire évoluer le positionnement des acteurs, il est nécessaire que chacun d’entre eux trouve «…une place et un contenu d’action qui finalement leur conviennent et qui leur 103 LYET Philippe, Op.cit, page 196. 93 permettent de trouver collectivement une place convenable à leur organisation commune dans la méta-organisation dans laquelle celle-ci s’inscrit »104. Nous avons pu observer que les protocoles qui avaient été élaborés par les sommets stratégiques des deux entités (Conseil Général et services habilités) pouvaient faire l’objet d’une mise en œuvre différente d’une UTPAS à l’autre, chacun usant de ces zones d’incertitudes pour les décliner. Nous pensons que l’instigation de groupes d’échanges et d’articulation entre les sommets hiérarchiques des deux corps d’acteurs (directeurs, responsables d’UTPAS et chefs de services) pourraient permettre une meilleure connaissance de chacun, et ainsi, une avancée dans la coopération. Au-delà de cet aspect relationnel, qui pourrait favoriser la communication et faire évoluer certaines représentations, cet espace pourrait permettre d’aborder les divergences de fonctionnement afin d’en débattre, et tenter d’ remédier. « La coopération naît réellement d’un rapprochement d’acteurs et de l’intercompréhension qui en découle avant de se développer dans des dispositifs et par des procédures »105. Il nous semble évident que cette démarche ne pourra être efficiente que si elle est mise en œuvre dans un second temps au niveau des acteurs de la protection de l’enfance, à savoir les équipes éducatives, dans l’objectif de permettre à moyen et long terme une reconnaissance mutuelle entre les différents acteurs de chaque organisation. Pour être opérationelle, cette démarche doit préalablement faire l’objet d’une réflexion et d’une validation par les sommets stratégiques administratif et judiciaire. la difficulté à coordonner les territoires de compétences de chacun Il est important que les différents services et professionnels parviennent à se comprendre et s’entendre. Pour cela il est nécessaire que les acteurs dans un premier temps « se retrouvent sur des options communes (valeurs, conceptions du problème à traiter, des publics concernés, de l’action à mener…) », dans un second temps il est nécessaire qu’ils se « mettent 104 LYET Philippe, Op.cit, page 196. 94 d’accord sur des objectifs communs », et pour finir parviennent à « se mettre d’accord sur la place et le rôle de chacun et sur les interdépendances entre les différents acteurs »106 A cet effet, nous avons pensé qu’élaborer une check list où une fiche mode d’emploi à destination des travailleurs sociaux chargés de mettre en œuvre l’accueil provisoire, leur permettrait de se remémorer les incontournables de cette coopération notamment autour du dispositif d’accueil provisoire et des textes le réglementant. Ce document pourrait décliner les grandes étapes du processus de mise en œuvre d’un accueil provisoire, en s’appuyant sur les principes énoncés dans certains schémas et protocoles d’articulation entre administratif et judiciaire (en s’appuyant notamment sur la définition des domaines de compétence de chacun). Ce type de document peut s’apparenter à des protocoles qui existent sur certains territoires, mais nous avons constaté qu’au-delà de leurs existences et leurs contenus, leur déclinaison était différente parfois au sein d’un même territoire. Nous l’envisageons donc davantage détaillé, notamment sur les grandes étapes de la mise en œuvre de l’accueil, mais surtout sur le respect des droits des bénéficiaires. Nous déclinerons dans la partie suivante, les grandes lignes de cette check list ou fiche mode d’emploi, puisque celle-ci permettra tout à la fois de coordonner les territoires de compétence administratif et judiciaire, mais également de garantir la prise en compte de la demande des bénéficiaires. III.2. Au niveau des bénéficiaires Lors de la lecture et l’analyse du dispositif d’accueil provisoire initié par le cadre judiciaire que nous venons de mener, nous avons pu pointer plusieurs incohérences et manquements en ce qui concerne les relations et la place des usagers. Nous avons pu constater que le cadre judiciaire et la contrainte qui en découle peuvent parfois influer sur le principe de base de l’accueil provisoire : la demande de l’usager. Ainsi la motivation formulée ne reflète pas toujours la demande de la famille, et l’explicitation de la demande familiale n’est pas toujours formalisée. 106 LYET Philippe, Op.cit, page 197. 95 Nous avons pu observer que les demandes de prestation d’aide sociale à l’enfance reflètent rarement, les objectifs de la demande d’accueil provisoire. La contractualisation de l’accueil est souvent inexistante et reprend rarement les points suivants : Qu’est ce que cet éloignement va permettre ? Quels sont les objectifs que se fixent les différents protagonistes ? Quels sont les prérogatives et engagements de chacun (Conseil Général, service habilité, familles) au cours de celui-ci ? C’est pourquoi nous pensons que l’outil de type check list ou fiche mode d’emploi permettrait également aux travailleurs sociaux de se remémorer les étapes incontournables lors du recueil de la demande, et son contenu. Ce document servirait de trame pour remplir la demande avec la famille, autour d’un mode opératoire mis en œuvre par les professionnels qui favoriserait l’expression des demandes, et des attentes de chacun : (nous avons listé quelques incontournables qui restent toutefois à développer ou compléter, mais qui pourraient servir de trame à un échange avec les professionnels pour élaborer ce document) : Identifier et recueillir l’accord des détenteurs de l’autorité parentale. Ce point est essentiel dans la mise en œuvre de l’accueil provisoire, puisqu’à défaut l’accueil ne peut légalement être mis en place. S’assurer que l’avis des détenteurs de l’autorité parentale a été recueilli s’avère être la condition sine qua none avant la mise en place d’un AP. Susciter la demande des bénéficiaires (comment favoriser l’expression de ses attentes) lors de la rédaction de la demande de prestation. Nous avons pu constater que la demande des bénéficiaires était souvent peu détaillée, concernant leurs attentes et engagements, il nous parait donc important d’accorder une attention particulière au recueil et à la formulation de la demande afin de pouvoir dans un second temps favoriser la contractualisation avec le bénéficiaire. Cette étape passe donc par un diagnostic permettant l’identification du risque ou dangers encourus par le mineur, à l’origine de la demande d’accueil, afin de pouvoir évoquer des pistes d’évolution. 96 Formaliser la demande des bénéficiaires en termes d’ objectifs ce qui permettra de contractualiser l’accueil autour d’engagements réciproques. A cet effet, nous pourrions envisager, dans un second temps, la contractualisation de la demande d’accueil, autour d’engagements respectifs, dans un document de type projet dans lequel seraient retranscris les objectifs formulés par chacun. Ce document pourrait également préciser les modalités de mise en œuvre de l’accueil, les visites … Nous préconisons que ce document soit établi par les services du Conseil Général, en deux exemplaires afin que l’opérateur et le bénéficiaire puissent en garder une trace écrite, ce document servirait également de support lors de l’évaluation de l’accueil. Dans un souci de cohérence, nous pourrions envisager que sa rédaction soit tripartite (administratif, judiciaire, bénéficiaire). Garantir l’information et l’exercice des droits des bénéficiaires. Pour cela il nous parait nécessaire d’identifier et communiquer aux bénéficiaires les voies de recours, et les différents interlocuteurs auxquels ils peuvent avoir recours dans le cadre de l’accueil, afin de resituer le cadre administratif de la demande, et la place de chacun. Il ressort également que, bien que la famille soit à l’initiative de la demande et ait exprimé un souhait quant à l’orientation de l’enfant sur un lieu d’accueil, il n’y correspond pas toujours et ne la satisfait pas forcément. Par méconnaissance des voies de recours possibles ou appréhension d’une décision d’éloignement, notamment lorsque l’accueil est conjoint à une mesure de protection judiciaire, la famille interpelle rarement sur le choix du lieu d’accueil. Nous avons alors pensé qu’aménager aux bénéficiaires un espace leur permettant d’exprimer leur satisfaction ou non sur le dispositif mis en œuvre permettrait, outre l’expression de la parole de l’usager, telle que le prévoit la loi 2002, de recueillir lors de la mise en œuvre de l’accueil un avis sur l’orientation préconisée. Pour cela, nous pensons construire un questionnaire de satisfaction, d’évaluation de l’accueil mis en place. Au-delà de la mise en œuvre et du choix d’orientation, ce document pourrait aussi être utilisé pour recueillir l’avis de la famille sur les différentes étapes de l’accueil, son association, ses ressentis… Il nous parait nécessaire de poursuivre cette réflexion notamment sur les modalités de recueil de la parole des bénéficiaires. 97 Concernant ce point, en lien avec l’information des bénéficiaires et leurs droits, nous pourrions envisager la création d’un document spécifique, de type plaquette d’information, qui rappelerait les principes essentiels de l’accueil, les droits et les voies de recours possibles et serait remis aux bénéficiaires avant sa mise en place. Il serait opportun d’y préciser clairement qui interpeller en cas de difficultés, un peu sur le principe d’une foire aux questions : comment vont se passer les droits de visites à l’enfant, qui va organiser les relations avec le lieu d’accueil ?.. . Cette plaquette permettrait aussi de mieux renseigner les bénéficaires sur les territoires de compétences de chacun, notamment en cas d’intervention conjointe avec une mesure judiciaire107. III.3. Modalités de mise en œuvre des préconisations Avant de mettre en œuvre ces préconisations, il nous parait nécessaire de les interroger, de les amender et les valider à partir de deux étapes. La première consiste en une démarche de modélisation, et la seconde concerne les modalités d’association, de participation des équipes notamment dans l’élaboration des documents évoqués. Modélisation des préconisations : «La modélisation, ce n’est donc rien d’autre que la pensée organisée en vue d’une finalité pratique. Modèle est synonyme de théorie, mais avec une connotation pratique : un modèle, c’est une théorie orientée vers l’action qu’elle doit servir».108 Dans cette optique, nous avons envisagé de prendre contact avec un cadre de l’aide sociale à l’enfance, afin d’aborder avec lui les pistes de réflexion que nous avons suggérées. Au-delà, de cet échange, la validation de ces préconisations par les sommets stratégiques s’avérera être un incontournable. Du fait du temps qui nous était imparti pour cette recherche, nous n’avons pu avoir qu’un contact téléphonique avec un chef de service de l’ASE. Nous n’avons pu enregistrer cet 107 108 ANNEXE 6/ Plaquette de présentation du dispositif d’AP à destination des bénéficiaires. Site internet de Michel VOLLE, article du 5 mars 2004. 98 entretien, mais avons essayé d’en retranscrire le plus fidèlement possible les grandes lignes. Nous avons brièvement resituer au chef de service le contexte de notre recherche, à savoir la coopération entre les deux organisations judiciaire et administrative dans la mise en place des accueils provisoires, et lui avons présenté les propositions que nous avons développées plus haut. Concernant la mise en place de groupes d’échanges, si cette perspective est apparue intéressante pour notre interlocuteur, il n’en demeure pas moins que la question de « l’uniformisation des modalités d’intervention d’une UTPAS à une autre, d’un service à un autre a été soulevée », « qui sera garant de sa mise en application sur le territoire ? ». Cette démarche commence par ailleurs à s’envisager sur certaines UTPAS du valenciennois, mais reste pour le moment conditionnée à la volonté des responsables d’UTPAS. Il est possible de projeter que l’expérience de certaines UTPAS, et les bénéfices qui en découleront favoriseront la mise en place de ces groupes. Au-delà de ces groupes d’échanges au niveau stratégiques, la perspective d’un travail visant à développer une meilleure connaissance des équipes a été retenue, même s’il fut évoqué la difficulté à mobiliser les équipes parfois inscrites dans un fonctionnement ancien. «Une meilleure connaissance des uns et des autres, et de leurs prérogatives ne pourrait que favoriser les échanges et les rencontres, et faire tomber certaines représentations». Lorsque nous avons abordé les outils préconisés, cette démarche fut difficile à développer téléphoniquement, notamment au niveau de la check list ou fiche mode d’emploi. Si ces outils semblent : « intéressants ». Ils impliquent des temps de travail communs entre les services administratifs et judiciaires. Sur ce point également, la mobilisation des équipes fut questionnée, en terme de « comment amener le changement ? ». Pour autant l’idée d’inclure dans le recueil de la demande de prestations, la dimension d’objectifs s’est avérée être un point d’échange commun. Cette dimension d’objectif demeure être un axe de travail qualifié de positif, qui vient également «s’inscrire dans le PPE109 », comme il s’inscrit d’ailleurs dans le projet individualisé en AEMO. 109 Projet Pour l’Enfant développé page 79. 99 L’évocation du questionnaire de satisfaction, s’est avérée riche en terme d’échange avec notre interlocuteur. Ce thème venant s’inscrire dans les préoccupations de l’ASE, concernant « le recueil de la parole de l’usager ». De nombreuses questions ont été soulevées concernant, le contenu de ce questionnaire, l’accessibilité des questions en terme de compréhension par les bénéficiaires, son mode de passation… Le dernier point abordé, lors de cet échange téléphonique fut la plaquette de présentation du dispositif, cette préconisation fut caractérisée de suite comme « tout à fait pertinente pour permettre aux bénéficiaires de s’y retrouver ». Son contenu et l’objectif d’information de cette plaquette recueillirent de suite l’adhésion de notre interlocuteur. Sur ce point également la construction, la validation du document, le mode de diffusion auprès des usagers restent à débattre. Nous avons conclu notre échange sur une question plus ouverte concernant notamment la notion de subsidiarité et plus particulièrement dans le cadre de l’accueil provisoire. Notre réflexion concernant la nécessité de permettre à ce dispositif administratif initié dans un cadre judiciaire de conserver ses prérogatives de droit commun a été rejointe par celle de notre interlocuteur. Néanmoins la préoccupation majeure de celui-ci s’est avérée être la question des places d’accueil disponibles pour faire face à la demande, et son sentiment d’être davantage dans la gestion de l’urgence de trouver un lieu d’accueil. Nous avons réitéré notre questionnement concernant notamment les accueils provisoires qui parfois viennent s’inscrire dans la durée, et la possibilité, dans ce cas, d’interpeller le magistrat pour l’arrêt de l’intervention judiciaire au profit de l’intervention administrative. Sur ce point, notre interlocuteur nous suggérera de questionner le positionnement de la DTPAS. L’association des équipes à la rédaction des documents La démarche d’association des professionnels à la rédaction des documents s’avère être un incontournable afin d’en favoriser leur appropriation. Ce travail doit préalablement faire l’objet d’une réflexion en équipe de direction, afin de déterminer une stratégie de mise en œuvre, puisqu’elle implique les acteurs de deux autorités différentes (administrative et judiciaire). 100 Dans cette perspective les sommets stratégiques devront être les garants de la mise en œuvre visant à associer les équipes de part et d’autre. En nous appuyant sur notre phase exploratoire, nous percevons que cette démarche devra d’abord commencer par offrir aux professionnels des deux champs des temps de rencontre permettant de mener un travail sur leurs représentations, sur une connaissance respective. Sur ce point également, il est possible que les intentions de faire travailler ensemble les acteurs de la protection de l’enfance se confrontent à certaines résistances. Celles-ci seront préalablement à évaluer afin de définir une stratégie d’intervention, néanmoins cette mise au travail commune pourrait aussi être un facteur favorisant la coopération. 101 CONCLUSION Dans le travail que nous avons mené au cours de cette recherche, nous avons questionné le dispositif de protection de l’enfance en France à travers la loi du 5 mars 2007. Cette loi édicte que la protection de l’enfance proposée par les services administratifs, requérant l’approbation des parents, doit être privilégiée autant que possible. En ce sens, elle s’appuie sur la notion de subsidiarité qui détermine le passage de l’intervention administrative à l’intervention judiciaire; et inversement du cadre judiciaire au cadre administratif si la situation s’améliore significativement. Cette notion de subsidiarité prend tout son sens à travers la suppléance de la protection administrative par la protection judiciaire, via la saisine du juge des enfants, en cas de non collaboration de la famille à l’aide proposée. Nous avons pu observer qu’elle prend une toute autre forme de l’autorité judiciaire vers l’autorité administrative, ne favorisant pas de manière systématique la suppléance, le passage de l’une à l’autre. La réforme de la protection de l’enfance a donc développé de nouveaux modes d’articulation, de coopération entre autorité administrative et judiciaire favorisant le recours à l’intervention administrative et certains de ses dispositifs dans le cadre judiciaire pour privilégier la prévention, et la déjudiciarisation. A travers l’étude et l’analyse du dispositif qu’est l’accueil provisoire, mis en place conjointement à une mesure judiciaire, nous avons pu observer comment cette articulation, cette coopération se déclinaient. Cette investigation du dispositif d’accueil provisoire nous a permis d’observer, sur un territoire donné, certains biais dans sa mise en œuvre, parfois sources de confusion par rapport au caractère administratif de ce dispositif qui repose sur la demande de la famille. Ainsi, si des schémas d’articulation, protocoles existent, entre les deux organisations administrative et judiciaire, afin de définir cette coopération, ils sont aussi inexistants sur certains territoires, voire sont parfois mis en œuvre de manière très différente sur un même territoire. Cette difficulté à définir les territoires de compétences de chacun a des effets sur l’articulation entre les acteurs professionnels de la protection de l’enfance, mais également sur les bénéficiaires qui se retrouvent confrontés à deux types d’interlocuteurs. Nous avons aussi pu souligner que le caractère administratif de ce dispositif. Lequel de fait repose sur la 102 demande des parents et doit répondre à une situation provisoire était parfois tout autre. Des accueils provisoires qui s’inscrivent dans le temps, des contenus de demandes qui sont peu explicites et permettent difficilement de définir la demande du bénéficiaire… Autant de constats qui rendent complexes la formalisation de la demande et la contractualisation de l’accueil avec la famille, et de fait la compréhension par le bénéficiaire. Cela est parfois complexifié car la proposition de cet accueil, conjointement à une intervention judiciaire, vient fréquemment générer des craintes relatives à une décision de placement judiciaire. Il importe donc qu’à travers la mise en œuvre de cet accueil les conditions soient réunies afin d’assurer à la famille l’inscription de sa demande dans un cadre administratif, et qu’en ce sens les acteurs professionnels coopèrent plus efficacement. Nous avons ainsi pu déterminer et analyser, à partir de notre étude, certains temps, principes, processus et outils de ce dispositif, qui nécessitent de proposer des amendements afin de le resituer en tant que dispositif de droit commun. Clarifier les domaines d’intervention de chacun, resituer la demande des bénéficiaires et leurs droits sont apparus comme autant d’incontournables pour favoriser cette coopération entre autorité administrative et judiciaire, et permettre au bénéficiaire de se repérer entre les deux organisations. Cela nous a permis de poser l’hypothèse que, si la coopération des deux sphères (administrative et judiciaire) était clairement définie et signifiée aux acteurs qui la mettent en œuvre, et repérable par les bénéficiaires, cette subsidiarité entre protection administrative et judiciaire pourrait prendre sens. En proposant certains amendements favorisant l’explicitation de la demande du bénéficiaire, et sa connaissance du dispositif, nous en permettrons une clarification qui aidera à formaliser et contractualiser cet accueil. Nous nous sommes aussi intéressés à définir et préciser, à travers certains outils, les schèmes d’articulation entre l’autorité administrative et judiciaire, qui permettraient cette coopération. A la fois dans des temps d’échanges permettant une meilleure connaissance de l’un et de l’autre, mais également à travers une définition plus précise des attributions de chacun. Cette volonté de clarification de la coopération administrative/judiciaire doit s’inscrire dans la logique de permettre à chaque acteur d’évoluer dans son cadre d’intervention : l’accord, 103 l’approbation de la famille à l’aide proposée pour la protection administrative, la non collaboration et la contrainte pour la protection judiciaire. A l’issue de cette première étape qui consistait à faire des propositions d’amendements pour favoriser la coopération entre administratif et judiciaire, en nous appuyant sur le dispositif d’accueil provisoire, nous pensons qu’un deuxième temps de travail est nécessaire afin de décliner une stratégie de présentation, et de mise en acte auprès des acteurs professionnels de ces propositions. En effet notre phase exploratoire a démontré que les représentations des acteurs professionnels, les relations interpersonnelles pouvaient avoir un effet non négligeable sur la coopération, et il importe de les prendre en considération. En ce sens, nous avons amorcé une démarche de modélisation, au niveau hiérarchique, en soumettant nos propositions d’amendements à un cadre administratif. Cette première étape, a confirmé la pertinence de favoriser la place du bénéficiaire dans ce dispositif d’accueil, et la nécessité de repenser la coopération avec les services judiciaires. Les prémices de cette démarche visant à modéliser ces amendements nécessiteraient d’être poursuivis afin de définir plus précisément certaines préconisations. Un autre déterminant à prendre en compte pourrait être les résistances des acteurs au changement. Sur ce point, une stratégie doit être pensée par les sommets hiérarchiques afin de faciliter la communication de ces amendements, et favoriser la participation des équipes à leur élaboration. Elle pourrait faire l’objet d’une construction lors des temps de rencontres des sommets hiérarchiques préconisés dans notre étude, en nous appuyant sur l’idée qu’une meilleure connaissance des acteurs professionnels pourrait être une première étape déterminante pour accompagner ce changement. Nous suggérerons également étant donné la complexité de coordonner deux organisations d’instituer, après validation des sommets hiérarchiques, des instances de type comité de pilotage ayant vocation de veiller au suivi du projet et de valider les choix stratégiques. Nous pouvons penser, à plus long terme que la mise en place de l’outil permettant de recueillir l’avis des bénéficiaires permettra d’évaluer les effets des amendements proposés sur la coopération entre les acteurs professionnels. 104 BIBLIOGRAPHIE Décrets, lois et ordonnances de le République française Décret du 30 octobre 1935, relatif à la protection de l’enfance. Décret no 2002-361 du 15 mars 2002 modifiant le nouveau code de procédure civile et relatif à l'assistance éducative. Loi du 24 et 25 juillet 1989 sur la protection des enfants maltraités ou moralement abandonnés. Loi 15 novembre 1921 Loi 19-21 avril 1898 sur la répression des violences, voies de faits, actes de cruauté et attentats commis envers les enfants. 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Communiqué de l’Elysée, 20 novembre 2009. 105 Etudes et résultats N° 742 - Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques - octobre 2010 Fiche technique Euréval, réaliser un entretien semi directif, 2010. Guide pratique protection enfance : «intervenir à domicile pour la protection de l’enfant» - Ministère de la santé et des solidarités, Février 2008. Observatoire de l’AEMO judiciaire - Département du Nord (Etude portant sur 9353 mineurs effectuée en 2008 - Etude portant sur 9336 mineurs effectuée en 2011). Projet pédagogique AEMO-ADSSEAD Rapport d’activité ADSSEAD 2011 Rapport public thématique «la protection de l’enfance», Cour des comptes, octobre 2009. Rapport NAVES-CATHALA, «Accueil provisoires et placements d’enfants et d’adolescents : des décisions qui mettent à l’épreuve le système de protection de l’enfance et de la famille», Ministère de l’emploi et de la solidarité, Ministère de la justice, juin 2000. 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VEYSSET-PUIJALON Bernadette, « Nouveau sociale », Edition Bayard, 2006. 107 dictionnaire critique d’action ANNEXE 1 - Extraits du code de l’action sociale et des familles 108 109 110 111 112 ANNEXE 2- Exemple de schéma d’articulation 113 114 115 116 117 ANNEXE 3 -Tableau comparatif des protocoles TERRITOIRE 1 2 3 4 5 6 7 TERRITOIRE 1 2 3 4 5 6 7 TERRITOIRE Date élaboration des protocoles 01/2009 09/2011 09/2008 Non validé DTPAS 09/2004 Protocole Inexistant 2009/11-2010 MODALITES D’ACCUEIL Préparé « L’AP doit être préparé » Non précisé « il doit être anticipé » 3 mois avant mise en place Non précisé Protocole Inexistant « il doit être préparé » En urgence Hospitalisation parent Evénements imprévisibles Sauf hospitalisation 1 DEMANDE DE PRESTATION Rédigé par Terminologie utilisée Demande/Accord famille La famille à UTPAS Demande famille 2 3 La famille avec AEMO La famille à UTPAS Demande ou accord Non précisé 4 La famille avec AEMO Demande 5 6 7 Non précisé Protocole Inexistant La famille avec AEMO Demande Demande usager/accord des parents 118 Contenu de la demande Objectifs de l’accueil énoncés Engagements contractualisés et formalisés des détenteurs de l’autorité parentale Axes de travail prévus dans le cadre de l’accueil Contrat d’accueil TERRITOIRE 1 2 3 4 5 6 7 TERRITOIRE 1 2 3 4 5 6 7 TERRITOIRE RAPPORT SOCIAL rédigé par AEMO Objectifs accueil Rédigé par Objectifs accueil TS AEMO + Chef service (signature) Négociés et formalisés avec la famille TS AEMO + Chef service (signature) Objectifs attendus TS AEMO + Chef service (signature) Axes travail prévus pendant AP TS AEMO Non précisé Protocole Inexistant Le projet à travailler TS AEMO CONTRAT D’ACCUEIL Elaboré par Désignation référent ASE DTPAS+AEMO Non (référent +Assistante Familiale AEMO) Elaboré après 2 mois Non (référent AEMO) Sauf si situation le nécessite UTPAS + famille + Non précisé AEMO UTPAS + AEMO (PAE) Si AP plus d’un mois Non précisé Protocole Inexistant Référent ASE + AEMO Si accueil chez assistante familiale (en établissement le CSE assure la coordination) EVALUATION Elaboré par 1 2 3 4 5 6 7 Non précisé AEMO ou ASE (si référent) Non précisé Protocole Inexistant AEMO et ASE Soutien technique Assistante familiale Chef service enfance Chef service Non précisé Référent ASE Quand Bilan à mi mesure (si AP + 3 de mois) Accord AP 2 mois (sauf si formalisation et contractualisation/famille) – Pendant ces 2 mois évaluation (détermination objectifs de travail) Au terme de l’AP Un mois avant échéance AP 119 ANNEXE 4 - Tableau des motivations des demandes d’accueils provisoires MINEUR Né en : Accord Pour .. Le… MOTIVATION DE LA DEMANDE Ecrite Par Renouvellement Lieu d’accueil (DuréeAP) Jordan 1995 Nathanael 1996 Giovanni 1997 Alexandre 1996 Océane 1997 6 mois février 2010 « Nous souhaitons que notre fils Jordan soit accueilli dans un TS établissement en internat (1) afin qu’il puisse recommencer une scolarité stable (2) » RVT : - août 10 - février 11 - fin août 11 (18 mois) 3 mois février 2011 « Mme souhaite que son fils soit accueilli dans une structure TS extérieure afin d’apaiser la crise familiale qu’elle traverse avec son fils » RVT : - mai 11 - novembre 11 - fin juin 12 « Mr et Mme souhaitent un AP de leur fils dans structure de TS formation à l’interne afin de lui permettre de se situer dans une scolarité bénéfique » RVT : - avril 11 - fin juin 12 MECS formation « Mme : je sollicite l’accueil provisoire afin de favoriser : une Père aide supplémentaire, un repos de la maman, sortir du milieu Mère conflictuel et culpabilisant, s’ouvrir sur un autre mode éducatif, favoriser la relation mère enfant » « Mr : je sollicite un accueil provisoire afin de pouvoir me reposer au regard de mon état de santé cela permettra aussi d’apaiser les tensions » RVT : - avril 11 - fin juin 2011 Assistants familiaux (16 mois) 10 mois juin 2010 (24 mois) 1 mois mars 2011 (3 mois) 120 Centre apprentissages MECS Coralie 1993 Kimberley 1997 Maeva 2001 3 mois septembre 2010 Coralie 2005 2 mois septembre 2009 « je me demande à ce que mes filles soient mises en foyer Mère d’accueil pour me faire hospitaliser de nouveau pour me soigner » RVT : - décembre 10 - mai 11 Placement judiciaire MECS « je soussigné Mme B l’accueil provisoire de Coralie pour Mère une durée de 2 mois » (3) RVT : - septembre 09 - décembre 09 - mars 10 - décembre 10 - août 11 - mars 12 - fin juin 12 RVT : - juillet 11 - juillet 12 en cours Assistants familiaux RVT : - juin 11 - septembre 11 - décembre 11 - juin 12 en cours RVT : -fin 2008 - juin 09 - janvier 10 - fin juillet 11 Assistants familiaux (8 mois) (36 mois) Jason 1996 Kelly 2004 Samir 2006 Yanis 2008 Styven 2005 6 mois janvier 2011 (+ de 24 mois) 3mois mars 2011 (+ de 19 mois) 2 mois août 2008 « Jazon étant en échec scolaire et refuse toute scolarisation Mère classique nous souhaitons par conséquent qui intègre un internat qui lui donnera la possibilité d’avoir un CAP cuisine. Ce qui nous aidera également mon fils et moi dans notre relation qui parfois est difficile » « Je souhaite un AP pour mes enfants car je n’ai pas de Mère logement à partir du 31 mars » « Je souhaite un AP pour mes enfants car je me fais opérer d’une tumeur » « Extrême fatigue physique et psychologique afin de protéger Mère mon enfant d’une séparation difficile et ce le temps de retrouver un logement » (36 mois) 121 MECS formation Assistants familiaux Wendy 1996 Stessy 1994 Teddy 1998 Helena 2001 Steven 2004 « Je sollicite l’accueil provisoire de mes enfants du fait de Mère mon hospitalisation et de mes difficultés à prendre en charge au quotidien l’ensemble de mes enfants » RVT : - février 11 - fin août 11 Assistants familiaux RVT : - mars 11 - fin septembre 11 Assistants familiaux (9 mois) « je soussigné demande que ma fille puisse être accueillie en Mère AP chez une assistante maternelle pour une période de trois mois. Agée de 17 ans, je suis dans une situation difficile, je ne veux pas rester chez mes parents, je suis accueillie chez des amis, j’ai besoin de temps pour me poser pour construire mon avenir, et pour que ma fille soit en sécurité…je dois réfléchir aussi à ma future grossesse » 6 mois octobre 2009 « J’accorde (4) que ma fille Céline soit accueillie en accueil Mère provisoire car Mr P (désigné TDC) a des difficultés à prendre en charge Céline au quotidien » RVT : - octobre 11 - décembre 11 - janvier 12 - fin avril 12 RVT : - octobre 10 - juillet 11 - fin avril 12 Assistants familiaux RVT : - mars 11 - fin juin 11 Assistants familiaux 3 mois décembre 2010 (8 mois) Marie Cathy 2009 Celine 1998 Chistopher 1993 Cassandra 1999 Steevy 2000 3 mois décembre 2010 (30 mois) 2 mois juillet 2010 (9 mois) 6 mois septembre 2010 (9 mois) « Connaissant actuellement des difficultés avec nos enfants Mère nous avons sollicité un placement auprès du juge qui a refusé …préférant un éloignement d’un accueil provisoire (5). Cet éloignement permettra aux enfants ainsi qu’à nous même de reprendre du recul ». « Nous demandons le placement de Steevy étant donné que Mère nous rencontrons des difficultés dans la pose de limites envers lui » 122 MECS Julien 1997 Maysa 1999 6 mois janvier 2008 « A l’heure actuelle nous rencontrons des difficultés dans notre couple et il nous est impossible de gérer le quotidien des Mère enfants. Par ailleurs nous avons l’intention de nous séparer et Mr est à la recherche d’un logement » RVT : - janvier 11 - fin avril 12 MECS RVT: - janvier 12 - mai 12 - août 12 en cours Assistants familiaux RVT : - février 10 - juin 11 Assistants familiaux (51 mois) Mohamed 2002 Amandine 1995 Avis non favorable 3 mois septembre 2011 (+ de 15 mois) Léia 2007 3 mois novembre 2009 (20 mois) « Je demande AP pour mon fils je suis seul avec 4 jeunes Mère enfants mon fils n’accepte pas la séparation et le fait de ne plus voir son père. Il se montre violent et colérique avec moi et ses frères et sœurs du haut de ses 8 ans…il me frappe me donne des coups de poing m’insulte veut commander comme le faisait son père, je suis épuisée je suis fort inquiète car il se met en danger fugue et ses frères et sœurs ont tendance à le suivre aidez moi pour que Mohamed apprenne le respect et le règlement » « la situation avec Amandine devient insupportable elle est toujours dans l’opposition surtout avec moi (la grand-mère). La vie de tous les jours est invivable ensemble tout est prétexte à conflits. Nous essayons de faire de notre mieux, mais Amandine n’est jamais satisfaite, elle ne veut pas partir en vacances avec nous vu les difficultés importantes au quotidien nous pensons qu’une distance est nécessaire. Nous demandons l’accueil provisoire d’Amandine dans une famille d’accueil le plus rapidement possible » Grandmère (Tiers digne de confiance) « Je rencontre des difficultés avec Léia …je suis fatiguée à Mère bout de nerfs et fragilisée par un passé difficile. Léia est une enfant capricieuse autoritaire qui veut tout tout des suite beaucoup de crises et surtout la nuit » 123 Brandon 1994 Samuel 2002 Laurie 2003 Dylan 2005 3 mois juillet 2010 (11 mois) 6 mois juillet 2009 « Mme T souhaite mettre en place un AP pour son fils afin TS d’apaiser les relations mère/fils » RVT : - décembre 10 - fin juin 11 MECS « En prévision de l’accueil de note 6éme enfant nous TS souhaitons l’accueil provisoire de nos 3 enfants en famille d’accueil » RVT : - décembre 09 - juin 10 - décembre 10 - mars 11 - fin juin 11 Assistants familiaux (23 mois) Les prénoms utilisés pour ce tableau ont été rendus anonymes. (1) Choix du lieu d’accueil (2) Formulation de la demande de l’usager (vocabulaire professionnel utilisé) (3) Pas de motivation de la demande (4) Accord au lieu de demande (5) Territoires de compétence Durée AP 124 ANNEXE 5 : Trame d’entretien à destination des bénéficiaires d’accueil provisoire - Présentation de la démarche de recherche - Vos enfants ont pu bénéficier d’un accueil provisoire, pourriez vous en préciser les raisons ? - Qu’attendiez-vous de celui-ci ? (Attentes par rapport à l’accueil provisoire) - Avez-vous rencontré des difficultés dans le cadre de cet accueil provisoire ? (Difficultés dans la mise en place de l’accueil) - Avez-vous été consultés sur le lieu d’accueil de vos enfants ? - Si vous n’étiez pas d’accord sur le lieu …avez-vous fait appel de la décision ? - Avez-vous été informés de vos droits ? (Information sur le dispositif et voies de recours) - Si l’accueil n’avait pas été mis en place, comment aurait évolué votre situation familiale ? (Bénéfices de la mise en place de l’accueil) - Avez-vous eu un contact avec le référent administratif de l’accueil provisoire ? - Quel était son rôle ? (Repérage des acteurs, connaissance des prérogatives de chacun) - Vous a-t-on laissé un document écrit concernant cet accueil ? - Avez-vous été associés à une synthèse à la fin de l’AP ? (Comment est contractualisé l’accueil, comment est associée la famille ?) 125 ANNEXE 6 : Plaquette de présentation du dispositif d’AP à destination des bénéficiaires UTPAS de … La fin de la mesure ? L’accueil est prévu pour une courte durée, mais si des difficultés persistent, vous pouvez en solliciter le renouvellement au plus tard avant le mois précédent la fin de l’accueil L’accueil peut aussi prendre fin à votre initiative, il est cependant nécessaire que cette interruption soit préparée dans l’intérêt de votre enfant. Il peut aussi prendre fin à la demande de service de l’ASE, si des éléments de danger où de non manifestation de votre part avant l’échéance de la mesure, nécessitent la saisine de l’autorité judiciaire. Vos droits et l’autorité parentale ? Vous serez associés dans toutes décisions relatives à votre enfant. Le placement ne remet pas en cause l’exercice du droit d’autorité parentale que vous détenez sur vos enfants. Vous avez sollicité que votre enfant soit accueilli dans la cadre d’un : Accueil provisoire Unité Territoriale de Prévention et d’Action Sociale Adresse : Téléphone : Mail : 126 Nom de votre réfèrent ASE comme le prévoit l’article L222-5 du Code de l’Action Sociale et des Familles « sont pris en charge par le service de l’Aide Sociale à l’Enfance, sur décision du Président du Conseil Général, les mineurs qui ne peuvent provisoirement être maintenus dans leur milieu de vie habituel et dont la situation requiert un accueil à temps complet ou partiel, modulable selon leurs besoins, en particulier de stabilité affective, ainsi que les mineurs rencontrant des difficultés particulières nécessitant un accueil spécialisé, familial ou dans un établissement ou dans un service ...». L’accueil provisoire ? Comment ça marche ? Qui sommes nous ? Le service de l’Aide Sociale à l’enfance accueille les mineurs qui ne peuvent rester dans leur milieu familial. Il aide les parents, et leur permet de retrouver ou de maintenir leur fonction parentale. Il est représenté par délégation du Président du Conseil Général, par le Responsable du Pôle Enfance Famille au niveau de la Direction Territoriale de Prévention et d’Action Sociale du secteur de Valenciennes. Comment va être traitée votre demande ? Vous avez rempli une demande de prestation d’aide sociale à l’enfance afin que votre enfant soit accueilli par nos services. Votre demande sera traitée par le responsable du pôle enfance famille, qui après évaluation donnera ou non son accord. Si la réponse est favorable, celuici transmettra son accord au chef de service enfance ASE, de l’UTPAS dont vous dépendez, qui nommera un travailleur social. Comment cela va-t-il se passer ? Le travailleur social qui sera nommé, sera chargé de préparer avec vous l’accueil et d’élaborer un projet éducatif pour votre enfant. Dans la mesure du possible, il essaiera de tenir compte de vos demandes concernant le choix du lieu d’accueil de votre enfant (assistante familiale/établissement). Il vous aidera à trouver des solutions, et à préparer le retour de votre enfant au domicile familial. Si vous bénéficiez d’une mesure judiciaire (AEMO), les travailleurs sociaux AEMO et ASE se concerteront afin de vous préciser les modalités de leurs interventions respectives. Les droits de visite et d’hébergements ? Ceux-ci seront définis en concertation avec le service de l’ASE, en fonction de leurs 127 possibilités d’accueil, et de celles du lieu d’accueil de votre enfant. Combien cela va-t-il coûter ? Les frais de placement sont pris en charge pendant la durée de l’accueil par le Conseil Général. Une participation financière, tenant compte de vos ressources, sera déterminée avec vous et vous sera réclamée. « …une contribution peut être demandée à toute personne prise en charge par le service de l’Aide Sociale à l’enfance ou, si elle est mineure, à ses débiteurs d’aliments. Cette contribution est fixée par le président du Conseil Général… » Article L228-2 du Code de l’Action Sociale et des Familles. Les parents s’engagent à fournir à leurs enfants vêtements et agent de poche, et à prendre en charge les transports. Les frais médicaux restent aussi à votre charge. Nom : JONARD Prénom : MICHEL Session d’examen : mars 2013 Diplôme d’Etat d’Ingénierie Sociale (DEIS) Formation : Titre : La protection de l’enfance : entre subsidiarité et coopération Résumé : Le dispositif de protection de l’enfance en France se décline en deux volets : la protection administrative, initiée par les services de l’aide sociale à l’enfance du Conseil Général, et la protection judiciaire mise en œuvre par les associations habilitées via l’intervention du juge des enfants. La réforme de la protection de l’enfance du 5 mars 2007 pose le principe de subsidiarité, marquant ainsi le passage de la protection administrative à la protection judiciaire, non plus sur une distinction entre risque de danger et danger avéré, mais sur le fait que, si la famille collabore à l’aide proposée, il revient aux services du Conseil Général d’intervenir. Ce n’est qu’en l’absence d’adhésion de la famille à l’aide administrative que se met en place la protection judiciaire. Les champs d'intervention des deux acteurs de la protection de l'enfance étaient clairement définis et reposaient sur la caractérisation du danger. La loi du 5 mars 2007, a modifié les modes d’intervention et renforcé la nécessité de coopération entre ces deux opérateurs. Elle vient, de ce fait, favoriser le recours aux dispositifs administratifs lorsque l’enfant est à distancier de sa famille (accueils provisoires, accueils modulés, ...), et ce même dans le cadre de suivis judiciarisés comme l’assistance éducative en milieu ouvert. Il est ainsi priorisé l'adhésion, la demande des familles dans le dispositif de protection de l'enfance. Malgré ce recours aux dispositifs administratifs, dans le cadre judiciaire, la subsidiarité du judiciaire vers l’administratif reste peu mise en place, soulevant ainsi le paradoxe qui oppose intervention administrative impliquant l’adhésion de la famille et la contrainte qui s’impose via l’intervention judiciaire qu’est venue renforcer la réforme de la protection de l’enfance. L'auteur, dans sa fonction de cadre éducatif au sein d’un service de protection de l'enfance judiciaire, s'est questionné sur l’articulation entre les secteurs administratif et judiciaire confrontés à ce nouveau mode organisationnel, en s’appuyant sur un territoire donné et le dispositif qu’est l’accueil provisoire. Mots clés : Protection de l’enfance, notion de subsidiarité, coopération, accueil provisoire. Nombre de pages : Volume annexe : Centre de formation : Institut Régional du Travail Social Nord / Pas-de-Calais