Autrement dit Forum&débats mercredi 30 janvier 2013 Forum Gaël Giraud, jésuite, chercheur au CNRS et au Ceras, Jean Merckaert, rédacteur en chef de la revue « Projet », Marie-Laure Payen, présidente d’Éthique et investissement, Bernard Pinaud, délégué général du CCFD-Terre solidaire, Cécile Renouard, religieuse de l’Assomption, chercheuse à l’Essec, Bernard Thibaud, secrétaire général du Secours catholique, Denis ViÉnot, secrétaire général de Justice et Paix-France Scission bancaire : l’Europe mieux que la France ? L e projet de loi Moscovici renonce à séparer banques commerciales et banques de marché. Le 19 décembre 2012, dans La Croix, nous appelions François Hollande à ne pas trahir sa promesse de campagne. La réponse est venue de Pierre de Lauzun, délégué général de l’Association française des marchés et membre actif des Entrepreneurs et dirigeants chrétiens (1). Nous nous réjouissons que celui qui est aussi directeur général de la Fédération française des banques se livre à la discussion. Le chef de l’État veut faire du dialogue social la marque de fabrique de sa législature. Mais où a lieu le grand débat national sur la finance ? Pourquoi seuls les opposants à la scission bancaire font-ils, à ce jour, l’objet d’auditions publiques au Parlement ? Le contraste est frappant avec le Royaume-Uni, où le rapport Vickers donne lieu à un véritable débat public autour de la séparation bancaire. La régulation financière serait-elle trop sérieuse, en France, pour être discutée hors des cercles d’initiés ? Devrions-nous nous contenter de dénoncer les conséquences dramatiques des désordres financiers sur l’économie réelle, au Nord comme au Sud ? Sachant gré à La Croix de permettre le débat, venons-en au fond. À commencer par nos points d’accord. « Les activités de marché sont indispensables au fonction- nement d’une économie », écrit M. de Lauzun : voilà pourquoi nous ne proposons ni la suppression des banques de marché ni celle des Bourses ! Que la réforme des marchés financiers depuis 2008 soit « bien en deçà du nécessaire » ne souffre pas, non plus, de contestation. En revanche, pourquoi refuser toute garantie aux activités de banque de dépôts et de prêts (2) ? Les effets domino d’une grande banque de commerce seraient incontrô- Le projet actuel, présenté sans consultation préalable, entérinant un quasi statu quo dans la structure des banques, risque d’empêcher l’adoption au niveau européen de mesures plus ambitieuses à l’étude. lables. Dexia a déjà coûté 12 milliards d’euros aux Français ! Qu’en serait-il d’un mastodonte comme BNP Paribas, qui compte à son bilan 2 000 milliards d’euros d’actifs… l’équivalent du PIB français ? Le krach serait comparable à celui de 2008. Les premières victimes en sont toujours les précaires et les chômeurs. C’est pour eux qu’il importe de scinder les banques. Afin que l’éventuelle faillite des banques de marché, devenues plus petites, ne mette plus en péril l’ensemble de l’économie mondiale ! M. de Lauzun alerte sur les risques afférents au crédit. Avec raison quand celui-ci finance l’acquisition d’actifs (immobilier). Mais pourquoi, alors, le lobby bancaire français a-t-il demandé et obtenu début janvier un assouplissement des règles de Bâle III – qui devaient justement obliger les banques à plus de prudence dans leurs prêts ? De là à toujours juger le crédit plus dangereux que les activités de marché, même quand il finance le fonctionnement de l’économie, l’histoire économique ne plaide guère en ce sens. Le crédit existe depuis plusieurs millénaires ; les marchés actuels, depuis une génération. Entre la loi de séparation bancaire aux États-Unis (1933) et le début de la déréglementation des marchés financiers des années 1980, le monde développé n’a connu aucune crise bancaire ou financière majeure. Depuis lors, nous connaissons en moyenne – pays riches et émergents cumulés – un krach financier tous les quatre ans. Et quand les crédits immobiliers deviennent extravagants – que l’on songe aux subprimes –, n’est-ce pas aussi parce que le risque de défaut est évacué, par la titrisation, sur les marchés financiers ? Que ces derniers soient opinion Alfred Grosser 30 janvier 1933 : Hitler au pouvoir L 25 ’histoire allemande de 1933 à 1945 a été résumée par une caricature publiée en 1973 par la Frankfurter Allgemeine Zeitung : le 30 janvier 1933, les S.A. (Sturmabteilungen-Sections d’assaut) du Parti national-socialiste et les HJ, les Jeunesses Hitlériennes, défilent en chantant sous la Porte de Brandebourg. En queue de cortège, l’Armée rouge entre à son tour sous le glorieux monument. Le NSDAP (Parti ouvrier national-socialiste allemand) avait pourtant reculé aux élections du 6 novembre 1932, après la dissolution du Reichstag élu le 31 juillet 1932 où le parti était monté jusqu’à 37,3 %. Mais Franz von Papen et ses amis industriels avaient convaincu le président de la République, le vieux maréchal von Hindenburg, de révoquer le général von Schleicher qui lui avait succédé le 2 décembre et esquissé une ouverture vers la Gauche. Puis, malgré ses réticences, de nommer Hitler chancelier, ce « caporal bohémien » qu’il avait défait à la présidentielle du 10 avril précédent. On lui expliquait qu’on « dompterait » facilement ce démagogue et que le vrai pouvoir serait entre les mains des puissants de l’économie et de la société, en particulier d’Alfred Hugenberg, grand magnat de presse et chef du Parti national allemand, allié des nationaux-socialistes. Hitler eut l’habileté d’entrer dans leur jeu. Dans le cabinet Hitler, présenté dès le 30 janvier, Hugenberg était ministre de l’économie, les ministres des affaires étrangères, des finances, de la justice étaient ceux du gouvernement von Papen, lui-même devenant vice-chancelier. Hermann Goering, ministre sans portefeuille, était le seul national-socialiste au milieu de tous ceux qui croyaient que quiconque tient l’économie tient le politique. Or Joseph Goebbels, nommé ministre de la propagande le 11 mars, prouvera que sa formule était plus proche de la réalité : qui tient la presse et la police est détenteur du vrai pouvoir. Göring, par ailleurs ministre de l’intérieur de Prusse, ordonne à la police de ne jamais intervenir contre les SA, si ceux-ci brutalisaient, frappaient, arrêtaient des citoyens critiques ou des opposants connus comme socialistes ou communistes. Les SA purent librement, en Prusse comme dans les autres régions, prendre possession de la rue. Le chancelier Hitler décida la dissolution du Reichstag. Les nouvelles élections furent fixées au 5 mars. La campagne fut d’autant plus violente qu’on put attribuer aux communistes l’incendie du Reichstag du 27 février. Dès le 28 était promulguée une ordonnance « pour la protection du peuple et de l’État » supprimant les libertés constitutionnelles et appliquées des mesures contre les dirigeants et les cadres communistes. Pourtant les élections ne donnèrent pas, malgré interdits et terreur, les résultats escomptés. 12,3 % des suffrages allèrent encore au Parti communiste, 18,5 % au Parti social-démocrate, le Zentrum, le centre catholique restant, avec 11,2 % aux environs de son étiage habituel. Le DNVP, le parti de Hugenberg, obtint 8 % et le NSDAP 43, 9 %. J’ai toujours commenté ce dernier chiffre de façon différente en Allemagne et en France. En Allemagne, je souligne l’énormité des électeurs allemands qui ont voté Hitler. En France, il faut continuer à montrer que, malgré les limites réelles imposées à la liberté du vote, Adolf Hitler n’a pas obtenu la majorité absolue. Il lui fallait pour l’obtenir le soutien de la droite bourgeoise la plus nationaliste. Les illusions de Hugenberg furent de courte durée. Dès juin, il était contraint de violemment inefficaces, c’est l’un des constats les plus fermement établis de l’analyse économique. N’est-ce pas en réduisant autant que possible le cordon qui relie le crédit bancaire aux marchés que nous pourrons sécuriser l’avenir de l’économie européenne ? « La question ne peut être posée au seul niveau français », selon M. de Lauzun. À entendre M. Hollande, nous osions croire que la France pouvait montrer l’exemple. Le projet actuel, présenté sans consultation préalable, entérinant un quasi statu quo dans la structure des banques, risque au contraire d’empêcher l’adoption au niveau européen de mesures plus ambitieuses à l’étude. Le préam­bule de la loi donne même faussement l’impression de réguler des activités nocives (comme la spéculation sur les marchés dérivés agricoles), sans que rien dans la loi ne permette concrètement de les interdire ni de les séparer. En apportant de substantiels amendements, les parlementaires peuvent encore sauvegarder l’esprit de la promesse présidentielle. Préféreront-ils s’en remettre à l’espoir de décisions plus courageuses à l’échelon européen ? (1) La Croix du 8 janvier. Une version plus longue de son texte est publiée sur son blog www.pierredelauzun.com. (2) Une garantie juridique partielle existe pour les dépôts et une garantie implicite la prolonge. France 50 a n s Allemagne démissionner. Son parti était dissous le surlendemain. À ce moment, la loi sur la mise au pas des États-régions était votée, le boycottage des magasins juifs décrété, la loi sur la fonction publique, permettant la purge politique et antisémite, les dirigeants syndicalistes sont arrêtés, le SPD interdit. Le 5 juillet 1933, ce sera la fin du Zentrum, le 14 l’interdiction de créer des partis, le 20 le Concordat signé à Rome par von Papen et le cardinal Pacelli. Tout cela aura été « lé- Adolf Hitler galement » possible par le n’a pas obtenu vote du Reichstag, le 23 mars, la majorité d’une loi constitutionnelle permettant au gouvernement asbsolue. de légiférer directement, les lois n’ayant de surcroît plus à être conformes à la Constitution. Le Zentrum vota oui, donnant ainsi la majorité des deux tiers requise. Seuls les sociaux-démocrates présents (une partie étaient en prison) votèrent contre. Les communistes étaient absents, leur parti étant déjà interdit. Nous pourrons nous interroger ultérieurement sur la possible comparaison avec le vote du Parlement français, à Vichy, en juillet 1940.