détriment du dessin sur lequel se basait la réclame. Le texte perd de son importance au
bénéfice de l'impact visuel. L'entre-deux-guerres marque également la naissance des
agences de publicité. La diffusion massive de la presse illustrée et des supports publicitaires
induit une circulation accrue des images.9 L'utilisation nouvelle de la photographie se justifie
par sa plasticité – notamment la possibilité de réaliser des images en
grand format -, son fort potentiel créatif et son coût compétitif. La rapidité des surfaces
sensibles, la maniabilité des appareils tels que le Leica ou le Rolleiflex et l'utilisation de
l'héliogravure encouragent à leur tour la diffusion des images photographiques.10 Désormais
les messages diffusés dans l'espace urbain privilégient la clarté, l'objectivité et la précision
au service de la surprise, du contraste et de la persuasion. En effet, le spectateur est
désormais une cible mobile, exigeante et volatile qu'il faut sans cesse convaincre. Refusant
l'anecdote, la photographie scientifique et commerciale, dont s'inspire son homologue
artistique, rend sa liberté à l'objet. Le regard qu'elle porte sur le réel permet à Fernand Léger
de voir autrement l'anatomie des formes et donne ainsi corps - par cette investigation
systématique de l'oeil - à une tendance réaliste voire sur-naturaliste prônée par son ami
Apollinaire. Dès 1913, ce dernier encourage en effet la célébration du lyrisme moderne tel
que mis en oeuvre par la publicité.11
Théorisée dès 1925 par Lázsló Moholy-Nagy dans son ouvrage Peinture, photographie, film
et analysée dans l’essai prémonitoire Petite histoire de la photographie (1931) de Walter
Benjamin, l'esthétique de la Nouvelle Vision prône le décloisonnement des pratiques afin
d’élargir la perception visuelle et de regarder le quotidien urbain en promeneur éclairé. Cette
nouvelle mobilité du regard est permise par la prothèse visuelle que constitue l'appareil
photographique et cinématographique. Accompagnée par la publication des deux manifestes
Foto-Auge [Oeil et photo] de Franz Roh et Jan Tschichold et Es kommt der neue Fotograf !
[Voici venir le nouveau photographe] de Werner Gräff, la célèbre exposition Film und Foto
(« Fifo ») est organisée par le Deutscher Werkbund à Stuttgart en 1929. Refusant la vision
pictorialiste née à la fin du siècle dernier, elle promeut la photographie comme un art
autonome, distinct de la peinture. Elle identifie par ailleurs les pratiques de l'image mises en
oeuvre par les pionniers de l'époque (géométrisation, objectivité, netteté) et dévoile les
différentes sensibilités de la recherche artistique oscillant entre Nouvelle Objectivité,
Nouvelle Vision et Straight Photography.12 Comme l'explique Waldemar George,
« l'avènement de la conscience photographique est un phénomène d'après-guerre. La
découverte de la photographie coïncide avec le centenaire de l'invention de Nièpce (..). Il a
fallu un siècle pour que les hommes saisissent la véritable portée d'un art ravalé au niveau
d'une industrie vulgaire, sinon par le public, du moins par les élites. »13
9 Sur le travail de commande et les agences de publicité, voir Françoise Denoyelle, La lumière de Paris. Les usages de la
photographie 1919-1939, thèse pour le doctorat, Sorbonne Paris III, 1991, vol. II, p. 754-790.
10 Christian Bouqueret, Des années folles aux années noires. La nouvelle photographie en France 1920-1940, Paris,
Marval,
1997.
11 Guillaume Apollinaire, « Zone », Alcools, Paris, Mercure de France, 1913, p. 4. Cité par Amélie Gastaut dir., La
photographie publicitaire en France. De Man Ray à Jean-Paul Goude , Paris, cat. exp., Les Arts décoratifs, 2006,
p. 11.
12 Selon Herbert Molderings, « précision de la surface contre transparence, ainsi pourrait-on définir l'opposition formelle
entre la Straight Photography d'un Walker Evans, la nouvelle objectivité d'un Renger-Patzsch et la nouvelle vision
de
Lászlo Moholy-Nagy, bien que finalement, ils se réclament tous de l'esthétique de la photographie scientifique » in
« Le
combat moderniste. Nouvelle vision et nouvelle objectivité 1919-1945 », Collections photographiques, Paris,
Centre
Pompidou, 2007, p. 97.
13 Waldemar George, « Photographie vision du monde », Arts et métiers graphiques, n°6, numéro spécial consacré à la
photographie, 15 mars 1930, p. 134.