Du refus de soins du patient - chu

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Kinesither Rev 2014;14(152–153):36–37
Pratique / Kiné et droit
Du refus de soins du patient
Refusal of patient care
Patrick Béguin
137, chemin de la Rouve, 83500 La Seyne-sur-Mer, France
N
ous avons évoqué dans un article
précédent le « consentement libre
et éclairé » codifié par la Loi Kouchner (Loi du 4 mars 2002 no 2002-303 relative
aux droits des malades et à la qualité du
système de santé) parue au Journal Officiel
du 5 mars 2002.
Il est une notion corollaire à ce consentement
libre et éclairé : c'est le refus de soins puisque
le consentement peut à tout moment être
retiré.
Bien évidemment nous n'aborderons ici que
du refus de soins de la part du patient, celui du
professionnel de santé répondant à des problématiques juridiques très différentes qui
feront l'objet d'un prochain article.
En effet, considérant qu'un patient ayant son
libre arbitre a compris les soins qui vont lui être
administrés, ce patient peut, à tout moment,
refuser ces soins (article L. 1111-4 du Code de
la santé publique).
A-t-il besoin de justifier son refus de soins ?
Existe-t-il des différences si les soins ont
lieu dans le cadre de la médecine de ville
ou de l'hospitalisation, qu'elle soit privée ou
publique ? Comment concilier ce refus de soins
avec l'obligation de soin dévolue au professionnel de santé ? Qu'en est-il en cas d'urgence ?
Ce refus de soins peut-il être exprimé par une
autre personne ?
Nous n'aborderons pas ici le cas particulier de
la fin de vie et le refus de l'acharnement thérapeutique qui est un refus de soin particulier,
codifié par la loi dite « Léonetti » qui, en 2005,
a rajouté des articles spécifiques au Code de
la santé publique, même si l'affaire Lambert,
nous montre qu'il persiste encore des problèmes de délégation de ce refus de soins, en
particulier si les directives anticipées ne sont
pas régulièrement remplies. Ce cas particulier
fera aussi l'objet d'une chronique particulière.
QU'ELLE EST L'EXPRESSION DU
REFUS DE SOINS ?
Le refus de soins est impératif et il peut être
exprimé par tout moyen sur tout ou partie
des soins. Ainsi, un patient peut accepter
globalement la séance de masso-kinésithérapie mais refuser une séquence de cette
séance, qui peut être particulièrement douloureuse ou gênante. Face à ce refus exprimé
oralement ou par tout autre moyen si le
malade est aphasique (écrit, cris, dérobement,
tentative de fuite. . .), le masseur-kinésithérapeute doit reformuler sa demande de consentement sur ce point précis de la séance et
l'obtenir avant de continuer, sinon il « saute »
cette séquence de soins.
Ce refus peut aussi être exprimé par la personne gestionnaire de la tutelle pour un
majeur protégé ou peut être aussi délégué
à la personne de confiance, telle que définie
à l'article L. 1111-6 du Code de la santé
publique. Il peut bien sûr être aussi exprimé
par les personnes détentrices de l'autorité
parentale pour les mineurs. Il faut faire attention en cas de divorce si l'autorité parentale
n'est pas partagée, ou s'il s'agit du beau-père
ou de la belle-mère, leur statut n'étant toujours
pas défini.
Puisque le refus de soins est un droit déterminé par un article législatif du Code de la
santé publique, il couvre absolument toutes
les situations que ce soit en exercice libéral ou
salarié, autant en soins de ville qu'au sein d'un
établissement privé ou public.
Mots clés
Arrêt Mercier
Article L. 1111-4 du Code
de la santé publique
Loi Kouchner
Obligation de surveillance
renforcée
Omission de porter
secours
Keywords
Mercier case
Article L. 1111-4 of the
Code of public health
Act Kouchner
Obligation of enhanced
surveillance
Failure to rescue
QU'EN EST-IL DE L'OPPOSITION DE
CE REFUS DE SOINS FACE
À L'OBLIGATION DE SOINS
DÉVOLUE AU PROFESSIONNEL DE
SANTÉ ?
A priori le refus de soins de la part du patient
exonère le professionnel de santé de sa responsabilité mais la Cour de Cassation (Cass.
Civ. 1re, 6 octobre 2011, no 10-21212) a déterminé une obligation de surveillance renforcée.
La négligence du patient qui ne va pas faire
des examens complémentaires et développe
des complications d'une maladie chronique,
n'affranchit pas le médecin traitant de sa
responsabilité. Cette négligence connue du
médecin l'oblige à une obligation de surveillance renforcée qui, dans le cadre de la
Adresse e-mail :
[email protected]
http://dx.doi.org/10.1016/j.kine.2014.06.012
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continuité des soins, l'oblige ainsi à revoir son patient en
urgence même si son cabinet est plein. Sinon, il doit l'adresser
avec insistance chez un spécialiste ou un confrère si le retard
de soin est préjudiciable au patient.
Nous voyons donc que la jurisprudence privilégie l'obligation
de soins face à la négligence d'un patient qui donc, de fait,
n'est pas un refus de soins caractérisé et clairement exprimé
par le patient.
L'obligation de soins du médecin est jurisprudentielle. Elle
découle du fameux arrêt Mercier de la Cour de Cassation
du 20 mai 1936 : « L'obligation de soins découlant du contrat
médical et mise à la charge du médecin est une obligation de
moyens ; le médecin ne pouvant s'engager à guérir, il
s'engage seulement à donner des soins non pas quelconque
mais consciencieux, attentifs et conformes aux données
acquises de la science ». Cette obligation de soins est reprise
réglementairement par l'article R. 4127-9 du Code de la santé
publique (qui correspond à l'article 9 du Code de déontologie
médicale) : « Tout médecin qui se trouve en présence d'un
malade ou d'un blessé en péril ou, informé qu'un malade ou un
blessé est en péril, doit lui porter assistance ou s'assurer qu'il
reçoit les soins nécessaires. » Cette obligation est reprise
pratiquement sous les mêmes termes par notre propre Code
de déontologie s'appliquant aux masseurs-kinésithérapeutes.
C'est l'article R. 4321-60 du Code de la santé publique : « Le
masseur-kinésithérapeute qui se trouve en présence d'un
malade ou d'un blessé en péril ou, informé qu'un malade ou
un blessé est en péril, lui porte assistance ou s'assure qu'il
reçoit les soins nécessaires. »
Nous avons vu que lorsque le patient ou les personnes dépositaires du refus de soins sont en mesure d'exprimer le refus
soin au professionnel de santé soumis à son devoir d'assistance, il s'impose à celui-ci. Il doit alors informer le patient des
conséquences de son refus, des bénignes au plus graves.
L'article R. 4127-36 du Code de la santé publique nous dit
que : « Le consentement de la personne examinée ou soignée
doit être recherché dans tous les cas. Lorsque le malade, en
état d'exprimer sa volonté, refuse les investigations ou le
traitement proposés, le médecin doit respecter ce refus après
avoir informé le malade de ses conséquences. » Face au
refus, le médecin doit faire l'analyse du choix du patient. Il
va donc devoir tout mettre en œuvre pour convaincre le patient
de consentir. Ainsi, le praticien assisté de son équipe va opérer
notamment une reformulation de son information initiale. Mais
si le patient persiste à refuser les soins, le médecin devra
s'abstenir de les pratiquer. Il en est de même pour le masseurkinésithérapeute.
QU'EN EST-IL EN CAS D'URGENCE ?
En cas d'urgence absolue, ce qui ne concerne que très rarement le masseur-kinésithérapeute dans l'exercice de son art,
le problème s'exprime différemment.
Le devoir d'assistance aux malades, dont la violation est
sanctionnée pénalement (art. 223-6 du Code pénal : omission
de porter secours), impose à tout professionnel de santé d'agir
dans les plus brefs délais et le dispense d'obtenir le consentement des représentants légaux (art. 1111-4 du Code de la
santé publique).
Pratique / Kiné et droit
Si le refus de soins d'un mineur est exprimé par les titulaires de
l'autorité parentale, en cas d'urgence, c'est-à-dire que le refus
risque d'entraîner des conséquences graves pour la santé ou
l'intégrité corporelle du mineur, le médecin lui délivre les soins
indispensables. Il signe le formulaire d'autorisation d'hospitalisation et le joint au dossier médical.
Si le représentant légal refuse des soins urgents, cela peut
s'apparenter à des sévices pouvant être signalés au procureur
de la République (art. 226-14 du Code pénal). Un formulaire
de signalement est annexé à la procédure. Le médecin doit
informer, dès que possible, le directeur d'établissement ou le
directeur de garde (ou son représentant, le cadre de santé), de
sa décision.
S'il l'estime nécessaire, le médecin pourra adresser le patient
à une assistante sociale afin qu'un rapport médico-social
puisse être joint au signalement.
Pour le cas des refus de soins d'un majeur sous tutelle par le
tuteur, la procédure est identique.
Toutes ces dispositions sont reprises par deux articles de notre
Code de déontologie.
L'article R. 4321-84 nous dit : « Le consentement de la personne examinée ou soignée est recherché dans tous les cas.
Lorsque le patient, en état d'exprimer sa volonté, refuse le
traitement proposé, le masseur-kinésithérapeute respecte ce
refus après avoir informé le patient de ses conséquences et,
avec l'accord de ce dernier, le médecin prescripteur.
Si le patient est hors d'état d'exprimer sa volonté, le masseurkinésithérapeute ne peut intervenir sans que la personne de
confiance désignée ou ses proches aient été prévenus et
informés, sauf urgence ou impossibilité. Le masseur-kinésithérapeute, appelé à donner des soins à un mineur ou à un
majeur protégé, s'efforce de prévenir ses parents ou son
représentant légal et d'obtenir leur consentement. En cas
d'urgence, même si ceux-ci ne peuvent être joints, le masseur-kinésithérapeute donne les soins nécessaires. Si l'avis
de l'intéressé peut être recueilli, le masseur-kinésithérapeute
en tient compte dans toute la mesure du possible. »
Quant à l'article R. 4321-90 il dispose que : « Lorsqu'un masseur-kinésithérapeute discerne qu'une personne à laquelle il
est appelé à donner des soins est victime de sévices ou de
privations, il doit mettre en œuvre les moyens les plus adéquats pour la protéger en faisant preuve de prudence et de
circonspection. S'il s'agit d'un mineur de quinze ans ou d'une
personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de
son âge ou de son état physique ou psychique, sauf circonstances particulières qu'il apprécie en conscience, il alerte les
autorités judiciaires, médicales ou administratives. »
Finalement, nous voyons bien que la hiérarchie des normes
qui donne une valeur normative plus importante à un article
législatif qu'à un article réglementaire, privilégie le consentement éclairé et son corollaire le refus de soins du patient
par rapport à l'obligation de soin, sauf bien évidemment en
cas d'urgence absolue. Le refus de soins de la part du patient
est donc bien impératif. Il s'impose au professionnel de
santé.
Déclaration d'intérêts
L'auteur déclare ne pas avoir de conflits d'intérêts en relation avec cet
article.
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