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distance le passé d’une manière trop artificielle pour que le lieu soit véritablement ressenti
comme historique, notamment avec une profusion d’écriteaux prescrivant comment consommer
tel monument ou panorama. Elles font des habitants du lieu des « spectateurs d’eux-mêmes, des
touristes de l’intime » (p. 72). Par ailleurs, dans un cadre urbain — et c’est surtout de cela dont il
est question —, la temporalité est un facteur très important. À certaines heures ou certains jours,
des espaces et des monuments deviennent davantage des lieux anthropologiques, avec un rapport
plus authentique à l’histoire et à la communauté, mais sont laissés vacants et deviennent des non-
lieux le reste du temps. En fait, ce qui est lieu ou non-lieu n’est pas seulement soit l’un, soit
l’autre, mais se situe dans un « continuum » entre des « polarités fuyantes » (p. 101).
Avant de présenter ses hypothèses sur la surmodernité, Augé justifie sa démarche en se situant
dans le débat épistémologique sur le proche et le lointain. Il reprend les arguments des
anthropologues qui considèrent possible et pertinent de faire de l’ethnologie ou de
l’anthropologie de nos propres sociétés. Sa principale source est d’ailleurs L’invention du
quotidien de l’anthropologue iconoclaste Michel de Certeau, dont les réflexions sur les lieux et
l’espace semblent aussi très intéressantes pour la géopoétique. Augé récuse la division binaire
entre un « nous » soi-disant connu et un « eux » soi-disant radicalement étranger et exotique,
notamment parce que certaines formes de vie sociale — institutionnelles, corporatives,
médiatiques ou de divertissement — tendent à se mondialiser de plus en plus partout. A fortiori,
il dénonce le fantasme ethnologique qui tend à exagérer la force du caractère de « lieu
anthropologique » dans les sociétés indigènes d’Afrique, d’Asie ou d’Océanie, alors que la
relation communautaire et le contact avec l’histoire passée ne répondent pas toujours à cette
image. Aussi, Augé concède que l’anthropologie a toujours pour objet l’altérité, mais que celle-ci
peut être un « autre intime », c’est-à-dire interne à chaque individu. Il ne faut donc pas négliger le
fait que le lieu ou le non-lieu l’est à cause de perceptions et d’usages, parfois avec une part de
mythe, d’une majorité de personnes ou des instances de pouvoir, mais qu’il peut y avoir des
divergences d’interprétation du lieu chez un certain nombre d’individus.
Citations importantes
« De l’excès d’espace nous pourrions dire d’abord, là encore un peu paradoxalement, qu’il est
corrélatif du rétrécissement de la planète : de cette mise à distance de nous-même à laquelle
correspondent les performances des cosmonautes et la ronde des satellites. En un sens, nos
premiers pas dans l’espace réduisent le nôtre à un point infime dont les photos prises par satellite
nous donnent l’exacte mesure. Mais le monde, dans le même temps, s’ouvre à nous. » (p. 44)
« Dans l’intimité de nos demeures, enfin, des images de toutes sortes, relayées par les satellites,
captées par les antennes qui hérissent les toits du plus reculé de nos villages, peuvent nous donner
une vision instantanée et parfois simultanée d’un événement en train de se produire à l’autre bout
de la planète. Nous pressentons bien sûr les effets pervers ou les distorsions possibles d’une
information dont les images sont ainsi sélectionnées : non seulement elles peuvent être, comme
on dit, manipulées, mais l’image (qui n’est une parmi des milliers d’autres possibles) exerce une
influence, possède une puissance qui excède de loin l’information objective dont elle est
porteuse. En outre, il faut bien constater que se mêlent quotidiennement sur les écrans de la
planète les images de l’information, celles de la publicité et celles de la fiction, dont ni le