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nuance la divergence de ces deux perspectives qui, d’après lui, dépendent des innovations technologiques dans le 
domaine de la circulation, l’information.  
   Le problème est de savoir si, en systématisant l’interprétation de la réalité contemporaine, les théories du 
consensus et de la postmodernité réussissent vraiment à rendre compte de ses aspects inédits. Comment penser 
ensemble l’unité de la planète et la diversité des mondes qui la constituent ? 
 
II. Consensus et postmodernité : l’épreuve de la contemporanéité 
 
   Le terme « consensus » est un terme du langage politique français et est apparu au moment où on a eu le 
sentiment que sur un certain nombre de questions importantes il n’y avait pas de divergences entre les positions de 
droite et de gauche. Mais ambiguïté et risques de ce terme engendrent pour certains l’apparition d’une nouvelle 
langue de bois ou le risque de consécration de l’ordre établi (Emmanuel Terray dans la revue Le Genre humain).  
Pour de nombreux historiens il est révélateur de la fin de l’histoire, ou, au moins, la fin de l’exceptionnalité française, 
expression elle aussi politique.   
   Selon François Furet, Jacques Julliard et Pierre Rosanvallon, l’exceptionnalité française aurait disparu lorsque le lien 
entre économie de marché et démocratie représentative a fait l’objet d’un consensus. 
   Marcel Gauchet, ayant contribué aux Lieux de mémoire de Pierre Nora, va plus loin. Selon lui, les notions de droite 
et de gauche sont des « notions-mémoires » : en 1815 la droite est associée à l’Ancien Régime et la gauche à la 
Révolution, en 1900 à la Foi et aux Lumières, en 1935 au fascisme et au socialisme. L’opposition droite/gauche 
correspondait à l’affrontement entre des enjeux fondamentaux qui se voulait universaliste. Aujourd’hui, après que la 
France ait connu le processus de stabilisation générale des démocraties,  elle représente plus la nécessaire 
coexistence des contraires. Marcel Gauchet nuance toutefois ses propos : il croit à une résurgence du clivage 
gauche/droite mais on serait passée d’une opposition de conception à une opposition de gestion : le clivage 
recouvre désormais l’opposition entre pouvoir privé et puissance publique.  
   M. Augé critique cette analyse des transformations du monde moderne qui se focalise sur l’évolution des idées 
politiques en négligeant l’épaisseur et la diversité du social. De plus, il considère que l’idée d’un nouveau 
« consensus » n’est pas inédite et qu’il a existé pendant la IIIème et la IVème République qui reposaient toutes deux 
sur la coexistence et l’alternance des contraires. Il faut toutefois reconnaître à cette analyse l’existence, dans la 
pensée française, depuis la Révolution, de prétentions universelles  ancrées dans une réalité locale particulière.   
 
   Dans La condition postmoderne, Lyotard définit la modernité comme le moment de la ruine des récits fondateurs, 
de la distinction radicale entre raison et mythes. Mais en substituant des idéaux universalistes aux récits 
particularistes, la raison a elle-même recours à ses propres mythes : les grands récits eschatologiques qui annoncent 
l’émancipation de l’homme. La postmodernité délégitime ensuite ces récits. La science et les techniques se 
développent sans justification morale. Dans Le Différend, Lyotard analyse l’ambiguïté de la Révolution française qui 
tient au fait qu’une communauté particulière -le peuple français- parle au nom du genre humain. Il se constitue alors 
un différend (dans le sens où une même proposition est jugée contradictoirement de deux points de vue 
inconciliables) : vue de France, la politique révolutionnaire est celle de la liberté mais vue des gouvernements 
étrangers elle est la politique de puissance d’un peuple conquérant.  
   L’apparition du « consensus », la « fin de l’exceptionnalité française », la relégation de l’opposition droite/gauche 
au statut de « notion-mémoire » marque la fin d’un « différend » : les démocraties du monde parlent aujourd’hui 
d’une même voix. Mais lorsqu’il analyse la condition postmoderne, Lyotard n’évoque ni une immaîtrisable diversité 
ni une idée de fin ou de retour, elle se caractérise en fait par une nouvelle modalité du social qui laisse du jeu à 
l’initiative individuelle. Mais elle n’est pas la société et ne peut être ainsi le seul objet d’une analyse anthropologique 
ou historique. M. Augé évoque le risque, lorsqu’on se focalise sur un aspect du réel, de glisser du point de vue 
descriptif (propre aux sciences sociales) à un point de vue normatif (celui de la philosophie). Le danger concerne par 
exemple la notion d’exceptionnalité française dont F. Furet, J. Julliard et P. Rosanvallon affirment qu’elle aurait 
disparu lorsque le lien entre économie de marché et démocratie représentative a fait l’objet d’un consensus, pour 
autant on ne peut généraliser cette disparition à tous les pays. 
 
   Pour approfondir la notion de consensus, M. Augé livre l’analyse de Vincent Descombes recourant au concept 
wébérien de « désenchantement du monde ». Celui-ci affecte les rapports des hommes entre eux avant d’affecter 
celui des hommes à la nature. L’enchantement premier est lié à un système d’interprétation, celui du malheur lié à 
une définition du soi comme indissociable de son environnement matériel et social. V. Descombes s’appuie sur