De la science au business (Seuil, 2012), du biologiste moléculaire et directeur de recherches
émérite au CNRS Bertrand Jordan, est instructive.
Il présente en effet plusieurs avantages. Tout d’abord, eu égard à la polémique contre la
psychanalyse, il n’est pas négligeable de pouvoir se référer à un biologiste, tel Bertrand Jordan,
qui rejette le recours à la psychanalyse dans la prise en charge des personnes autistes. Cela
permet d’éviter de le soupçonner de construire un discours sur le plan de la génétique qui ait
pour fin de soutenir les approches psychanalytiques.
Ensuite, Bertrand Jordan est au fait des recherches génétiques concernant l’autisme, à la fois sur
le plan scientifique mais également sur le plan de l’économie des biotechnologies, et plus
particulièrement de la médecine génomique, en tant que consultant dans le domaine. De plus, il
exerce un œil critique sur les recherches en cours, et sur les effets d’annonce de start-up
biotechnologiques à des fins de levées de fonds pour financer leurs travaux, avec l’objectif de
mettre sur le marché des tests génétiques pour l’autisme. Enfin, tout en s’adressant à un public
non averti, son livre permet d’analyser comment se construit un discours scientifique sur la
question de l’autisme.
La vérité scientifique : des faits indiscutables ou une construction par le discours ?
Ce dernier point est fondamental, car il s’agit de rappeler que la vérité scientifique est une
construction discursive, qui peut être analysée en tant que telle dans ses procédés rhétoriques et
argumentatifs. Ainsi, l’affirmation selon laquelle il est scientifiquement prouvé que l’autisme, c’est
génétique, procède d’une construction de vérité par le discours, et non, comme cela pourrait le
sembler vu l’usage qu’en font certains, d’une vérité indiscutable établie par des faits bruts.
Une vérité qui se prétend indiscutable n’est pas une vérité scientifique, mais religieuse, dans la
mesure où l’une des caractéristiques de la vérité scientifique est précisément de pouvoir être
discutée, et discutée sur son mode de production à partir de critères de rationalité, tandis qu’une
vérité religieuse se prétend indiscutable parce qu’elle est supposée ne pas procéder d’une
production discursive comme construction de l’esprit humain, mais de la parole divine dans un
acte de révélation.
Dans son livre, Bertrand Jordan commence par dire que le syndrome autistique a été et est
encore la cible de dérives psychanalytiques, qui imputent l’autisme à l’environnement familial,
dans l’ignorance de la composante génétique de celui-ci. Dans son argumentation, l’ignorance de
cette composante est la raison qui permet de voir dans les approches d’inspiration
psychanalytique une dérive. Ce qui justifie d’invalider ces approches est donc l’établissement de
la dimension génétique de l’autisme. Or, le biologiste dit immédiatement que la recherche en la
matière est jusqu’alors « plus que décevante ».
Cela ne l’empêche pourtant pas d’affirmer la « forte influence génétique » dans l’autisme.
Comment peut-il tenir ce propos apparemment contradictoire ? A plusieurs reprises il affirme la
présence de cette composante génétique. L’argument sur lequel repose cette affirmation est
chaque fois le même : la concordance très élevée entre vrais jumeaux, comprise entre 60 et 90%
selon les études. Qu’est-ce à dire ?