Lautisme est-il réellement biologique ?
David Simard | 5 mars 2012
Des associations de parents d’enfants autistes, des
personnes autistes elles-mêmes, ainsi que des scientifiques, affirment que l’autisme est
biologique. Cette affirmation s’inscrit dans le cadre d’une joute contre la psychanalyse, accusée
de rendre responsables et coupables les parents, et plus spécialement les mères, de l’autisme de
leurs enfants.
Cette polémique rend difficilement audibles des discours argumens, notamment sur la question
de la dimension biologique de l’autisme, considérée comme acquise. Or, rien n’est si avéré en la
matière.
La génétique, « cause » de l’autisme ?
La question de savoir si l’autisme est biologique requiert de s’interroger sur ce qui est entendu
par « est ». S’agit-il de dire que la cause unique de l’autisme, ce que l’on appelle l’étiologie, est
biologique et plus spécialement génétique ? Ou bien que dans les cas d’autistes étudiés avec
l’œil du généticien, on a trouvé des marqueurs biologiques ? La nuance peut sembler subtile,
voire inexistante, elle est pourtant de taille.
En effet, identifier des marqueurs génétiques chez des personnes diagnostiquées comme
autistes ne suffit pas à établir que ces gènes sont la cause de l’autisme de ces personnes, et
encore moins la cause unique. Cela peut indiquer par exemple une prédisposition supérieure par
rapport à des personnes pour lesquelles on ne trouve pas ces marqueurs génétiques, mais dont
le déclenchement dépendra d’éléments extérieurs à ces nes, qui peuvent être des éléments
biologiques autres que génétiques, des éléments de mode de vie, des éléments d’environnement
familial.
Une synthèse sur l’état de la recherche
La question est donc celle-ci : est-il scientifiquement établi que l’autisme a pour cause unique des
gènes ? Pour tenter de répondre à cette question, la lecture du livreAutisme, le gène introuvable.
De la science au business (Seuil, 2012), du biologiste moléculaire et directeur de recherches
émérite au CNRS Bertrand Jordan, est instructive.
Il présente en effet plusieurs avantages. Tout d’abord, eu égard à la polémique contre la
psychanalyse, il n’est pas négligeable de pouvoir se référer à un biologiste, tel Bertrand Jordan,
qui rejette le recours à la psychanalyse dans la prise en charge des personnes autistes. Cela
permet d’éviter de le soupçonner de construire un discours sur le plan de la génétique qui ait
pour fin de soutenir les approches psychanalytiques.
Ensuite, Bertrand Jordan est au fait des recherches génétiques concernant l’autisme, à la fois sur
le plan scientifique mais également sur le plan de l’économie des biotechnologies, et plus
particulièrement de la médecine génomique, en tant que consultant dans le domaine. De plus, il
exerce un œil critique sur les recherches en cours, et sur les effets d’annonce de start-up
biotechnologiques à des fins de levées de fonds pour financer leurs travaux, avec l’objectif de
mettre sur le marché des tests génétiques pour l’autisme. Enfin, tout en s’adressant à un public
non averti, son livre permet d’analyser comment se construit un discours scientifique sur la
question de l’autisme.
La vérité scientifique : des faits indiscutables ou une construction par le discours ?
Ce dernier point est fondamental, car il s’agit de rappeler que la vérité scientifique est une
construction discursive, qui peut être analysée en tant que telle dans ses procédés rhétoriques et
argumentatifs. Ainsi, l’affirmation selon laquelle il est scientifiquement prouvé que l’autisme, c’est
génétique, procède d’une construction de vérité par le discours, et non, comme cela pourrait le
sembler vu l’usage quen font certains, d’une vérité indiscutable établie par des faits bruts.
Une vérité qui se prétend indiscutable n’est pas une vérité scientifique, mais religieuse, dans la
mesure l’une des caractéristiques de la vérité scientifique est précisément de pouvoir être
discutée, et discutée sur son mode de production à partir de critères de rationalité, tandis qu’une
vérité religieuse se prétend indiscutable parce qu’elle est supposée ne pas procéder d’une
production discursive comme construction de l’esprit humain, mais de la parole divine dans un
acte de révélation.
Dans son livre, Bertrand Jordan commence par dire que le syndrome autistique a été et est
encore la cible de dérives psychanalytiques, qui imputent l’autisme à l’environnement familial,
dans l’ignorance de la composante génétique de celui-ci. Dans son argumentation, l’ignorance de
cette composante est la raison qui permet de voir dans les approches d’inspiration
psychanalytique une dérive. Ce qui justifie d’invalider ces approches est donc l’établissement de
la dimension génétique de l’autisme. Or, le biologiste dit immédiatement que la recherche en la
matière est jusqu’alors « plus que décevante ».
Cela ne l’empêche pourtant pas d’affirmer la « forte influence génétique » dans l’autisme.
Comment peut-il tenir ce propos apparemment contradictoire ? A plusieurs reprises il affirme la
présence de cette composante génétique. L’argument sur lequel repose cette affirmation est
chaque fois le même : la concordance très élevée entre vrais jumeaux, comprise entre 60 et 90%
selon les études. Qu’est-ce à dire ?
Dans le glossaire de l’ouvrage, le biologiste précise que la concordance est la fréquence avec
laquelle une affection présente chez un enfant est retrouvée chez un apparenté. On comprend
alors que ce qui permet selon lui d’affirmer que l’autisme est génétique est le fait que l’on
retrouve chez les vrais jumeaux, qui, à quelques nuances près, on un patrimoine génétique
identique, cette même affection dans des proportions très élevées.
Ce n’est pas le cas pour les faux jumeaux, issus de deux œufs différents et non d’un seul et
même œuf qui s’est divisé. Chez eux, la concordance serait de 10 à 20%. C’est cet écart de
concordance entre vrais et faux jumeaux qui, pour Bertrand Jordan, permettrait d’accréditer la
thèse d’une composante génétique de l’autisme.
L’autisme génétique : une simple déduction ?
Il faut noter ici que l’affirmation de cette composante génétique de l’autisme ne repose pas sur la
mise à jour de variantes génétiques observées chez les jumeaux étudiés, mais qu’elle résulte
d’une déduction que l’on peut formaliser de la manière suivante : les vrais jumeaux ont un
patrimoine génétique quasi-identique, à quelques variantes près ; or, lorsque l’un des vrais
jumeaux est autiste, l’autre l’est aussi dans 6 à 9 cas sur 10 selon les études ; dans le cas de
faux jumeaux, qui n’ont pas de patrimoine génétique quasi-identique, si l’un des deux est autiste,
l’autre l’est dans 1 à deux cas sur 10 ; donc il y a une composante génétique de l’autisme.
A y regarder de près, on remarquera que pour passer des prémisses du raisonnement à sa
conclusion, il faut supposer une autre prémisse, qui est implicite : une concordance élevée entre
deux vrais jumeaux est cessairement due aux gènes, parce que plus le patrimoine génétique
est identique, plus la concordance est élevée.
Or, c’est précisément dans cette prémisse sous-entendue, sans laquelle on ne peut aboutir à la
conclusion, que réside la fragilidu raisonnement. Non pas que celui-ci soit nécessairement
faux. Mais il s’agit d’une hypothèse, pas d’un constat prouvé. On peut en effet renvoyer à
Bertrand Jordan l’argument qu’il oppose lui-même au fait que, si un enfant est affecté, la
probabilité pour que l’un de ses frères ou sœurs le soit est 10 fois plus élevée que dans
l’ensemble de la population (10% au lieu de 1%).
Il dit en effet que cela ne prouve pas que l’affection est génétiquement héréditaire, mais que
cette plus forte probabilité pourrait être le fruit d’un environnement familial délétère commun. Le
fait que la concordance entre vrais jumeaux serait très élevée en regard de ce qu’elle serait entre
faux jumeaux pourrait également être une conséquence de l’environnement familial, dans la
mesure les parents peuvent être enclins à construire une relation spécifique avec de vrais
jumeaux du fait qu’il s’agit de vrais jumeaux, par exemple dans une forme d’indifférenciation,
qu’ils ne construiront pas avec de faux jumeaux ces derniers pouvant de plus être de sexe
différent.
Des affirmations fragiles
L’affirmation de la composante génétique de l’autisme, qui en serait la cause, repose donc sur
des bases fragiles. L’argument de la concordance chez les vrais jumeaux est en effet le seul qui
est avancé, à plusieurs reprises dans l’ouvrage, en faveur de cette composante. Mais il y a plus :
l’auteur cite dans la bibliographie de son livre des études publiées en 2010 et 2011 qui remettent
en cause l’écart de concordance entre vrais et faux jumeaux, et qui développent l’hypothèse d’un
rôle de l’environnement fœtal ou d’autres facteurs environnementaux, partagés ou non par les
jumeaux.
Plus, ces études affirment que l’influence des facteurs génétiques dans l’autisme a été jusqu’ici
surévaluée dans les études précédentes. Plus précisément, l’étude publiée en 2011
dans Archives of General Psychiatry explique cette surestimation ainsi : « Du fait que soit
rapportée uneritabilité [génétique] élevée dans l’autisme, un axe majeur de la recherche
concernant l’autisme a été d’en trouver les causes génétiques sous-jacentes, avec moins
d’importance accordée aux potentiels facteurs déclenchant ou causes environnementaux ».
Parmi ces éléments environnementaux, les auteurs citent, en renvoyant à d’autres études, l’âge
des parents, un poids de naissance bas, les naissances multiples, et les infections maternelles
durant la grossesse.
L’étude n’évoque pas des facteurs de risque psychologiques, qui n’ont pas été recherchés. Mais
rien ne permet de les exclure, dans la mesure les facteurs environnementaux peuvent eux-
mêmes résulter ou être en interaction avec des états de stress, d’angoisse, de conflits
psychiques, etc., qui ont des traductions physiologiques.
Le sens des mots
Un autre point intéressant dans la construction du discours de vérité scientifique opérée par
Bertrand Jordan, concerne le vocabulaire utilisé pour qualifier le type de rapport entre l’autisme et
les composantes génétiques (associées à des troubles neurologiques). L’idée générale est que
ce rapport est de causalité, l’auteur affirmant une étiologie. Pourtant, les mots auxquels il a
recours réfèrent à d’autres types de rapport, qui n’impliquent pas d’eux-mêmes des liens de
cause à effet.
Ainsi parle-t-il d’« influence génétique », de « corrélation » à des anomalies organiques au niveau
cérébral, d’« association » entre certains allèles (versions d’un gène) et des troubles autistiques.
Autant de termes qui ne signifient pas « cause ». Il évoque une fois un « fondement
neurologique », qui pourrait être pris au sens de « cause », mais pour parler plus loin, à ce sujet,
de « corrélation », ce qui vient atténuer le propos.
Autrement dit, ce que l’on peut vraiment affirmer est qu’il y a sans doute une composante
génétique et neurologique dans l’autisme, mais sans pouvoir établir à ce jour que cette
composante est la cause de l’autisme. Le biologiste évoque même l’hypothèse que les anomalies
cérébrales pourraient être des conséquences et non des causes… Autrement dit, sur ce dernier
point, ce que l’on observe en imagerie cérébrale pourrait très bien ne pas être la cause des
troubles autistiques, mais leur traduction ou manifestation cérébrale.
Bertrand Jordan peut d’ailleurs d’autant moins affirmer de façon certaine que l’autisme est cau
par des facteurs génétiques qu’il passe une bonne partie de son livre à montrer que : nombre
d’études génétiques réalisées n’étaient pas rigoureuses, certaines étant même frauduleuses ; les
versions de gènes identifiées dans les études varient d’une étude à l’autre, et les associations
(qui ne sont pas des rapports de causalité) avec l’autisme sont « statistiquement peu solides » ;
la recherche des bases génétiques de l’autisme connaît « un certain piétinement », et la seule
chose que l’on sait est qu’il n’existe pas un gène de l’autisme, ce qui complique les recherches.
La piste la moins décourageante en faveur d’une étiologie génétique de l’autisme se situe
finalement du côté de la variabili du nombre de copies d’un gène (CNV pourcopy number
variation) d’un individu à un autre, dont l’on retrouve des formes avec une certaine fréquence
chez les personnes autistes. Mais encore Bertrand Jordan tempère considérablement les
choses, en rappelant qu’aucune de ces variations ne peut aujourd’hui être considérée comme
caractéristique de l’autisme.
Les gènes, cause unique de l’autisme ? Pas sûr
Au cours de la lecture de ce livre synthétique sur les recherches portant sur ce que le biologiste
appelle la « composante génétique » de l’autisme, naît une question qui persiste une fois que l’on
a atteint la dernière page : comment peut-on affirmer comme une vérité scientifique prouvée que
les gènes sont la cause, et la cause unique, de l’autisme ? Que des parents d’enfants autistes qui
voient là un moyen de se dédouaner d’une possible responsabilité, après certains discours
psychanalytiques culpabilisants ou considérés comme tels, prétendent que l’étiologie tique
est indiscutable peut se comprendre.
De même lorsquil s’agit de laboratoires privés dont les fins sont commerciales, et qui ont pour
objectif de vendre un test génétique de dépistage de l’autisme. Mais un biologiste qui fournit tous
les arguments scientifiques nécessaires pour montrer non seulement que rien nest établi, mais
qu’il est même très délicat de pouvoir établir quelque chose en la matière ? C’est là une énigme.
Précisons d’ailleurs que Bertrand Jordan n’exclut pas que d’autres facteurs, non génétiques,
puissent être impliqués additionnellement à la composante génétique. Ainsi évoque-t-il à
plusieurs reprises l’environnement et l’histoire personnelle, du fait notamment que dans les cas
de vrais jumeaux, si l’un est autiste, l’autre ne l’est pas à tous les coups. Mais dès lors, sa
persistance à affirmer une étiologie génétique de l’autisme et son rejet (jamais argumenté) des
approches psychanalytiques sont d’autant moins compréhensibles.
L’autisme : une définition floue
Pour finir, il convient de souligner un point crucial dans les recherches concernant l’autisme : il
faut préalablement avoir identifié clairement les cas d’autisme. En effet, mener des recherches
génétiques en rapport avec l’autisme nécessite d’étudier le patrimoine génétique de personnes
autistes. Or, Bertrand Jordan insiste sur ce point : la définition de l’autisme n’est pas claire, et
moins elle est claire, plus elle s’étend à de multiples cas, très différents les uns des autres.
Ainsi a-t-on pu noter une forte augmentation du nombre d’enfants autistes depuis les années
1990… parce qu’on en a une définition plus large ! Du concept d’autisme infantile proposé dans
les années 1940 par le pédopsychiatre Leo Kanner, on est passé à celui de troubles du spectre
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