
Les musulmans déclarés en France
Cahier du CEVOPOF n° 39 4
L’appartenance religieuse en France à la fin du XXe siècle8
1978 1988 1995 1997
catholiques 81,9 81,9 74,7 72,9
protestants 2,2 1,9 2,3 2,2
juifs 0,4 0,4 0,6
musulmans 0,6 0,8 0,7
autre religion 1,5 2,0 1,2 0,9
sans religion 13,7 12,9 19,2 22,2
sans réponse 0,8 0,4 1,3 0,6
total 100 100 100 100
Enquêtes CEVIPOF8
Comment expliquer cette discordance entre ces données d’enquêtes et les
chiffres, même imprécis, dont on dispose sur les musulmans de France ? Dans le cas que nous venons
d’évoquer, une première explication tient au fait que les enquêtes du CEVIPOF ne prennent en compte
que les inscrits sur les listes électorales. Appliqué à un corps électoral de quelque 40 millions de
personnes, le taux obtenu renvoie à environ 300 000 personnes. Certes, une part notable de la
population musulmane de France est de nationalité étrangère, ce qui lui interdit de figurer sur ces listes
dans l’état actuel de notre droit électoral. Si on estime à un sur deux la proportion de musulmans de
nationalité étrangère résidant en France comme nous y conduit l’évaluation de Bruno Étienne9, il faut
alors doubler la population obtenue ; même en ajoutant une proportion de mineurs plus élevée que dans
le reste de la population, on voit qu’on reste bien loin des évaluations usuelles de plusieurs millions de
musulmans.
Au-delà de la nationalité étrangère, il faut donc mobiliser d’autres explications. On
peut en particulier formuler l’hypothèse d’une sous-inscription des musulmans français sur les listes
électorales, un peu sur le modèle de l’abstentionnisme élevé que prêtait Alain Lancelot aux protestants il
y a trente-cinq ans10 : leur religion minoritaire les éloignerait de l’intégration sociale dont le vote est un
symptôme et un attribut.
Mais force est de constater que ces deux explications ne suffisent pas à rendre
compte de la très forte sous-représentation des musulmans dans les sondages en France. Ainsi, les
enquêtes réalisées par l’Observatoire interrégional du politique ont pendant longtemps abouti à la même
sous-estimation flagrante11. Or, ces enquêtes s’intéressent à l’ensemble de la population et non aux seuls
inscrits sur les listes électorales.
8. avec le CIDSP et le CRAPS en 1997.
9. qui, se fondant sur les travaux de l’Observatoire du religieux d’Aix-en-Provence, chiffre dans une fourchette de 1,8 à 2 millions le nombre de citoyens français musulmans ;
Bruno Étienne, article « Musulmans », dans Pascal Perrineau et Dominique Reynié dir., Dictionnaire du vote, Paris, PUF, 2001, p. 678 ; voir aussi pour un ordre de grandeur
analogue : Alain Boyer, op. cit., p. 20.
10. Alain Lancelot, L'Abstentionnisme électoral en France, Paris, Armand Colin, 1968, p. 212-213. Pour une discussion de cette analyse, voir : Claude Dargent, “ L'appartenance
et la pratique religieuses comme indicateurs socio-politiques : l'exemple des protestants français ”, dans Elisabeth Dupoirier, Jean-Luc Parodi dir., Les Indicateurs socio-
politiques, Paris, l'Harmattan, 1997, p. 225 ; Claude Dargent, Les protestants français : marginaux ou précurseurs ?, Payot, à paraître, 2003.
11. Mieux : les musulmans semblent moins nombreux encore selon cette source qu’au vu de la précédente – en tout cas jusqu’en 1995. Probablement faut-il voir là les effets du
détail des niveaux de pratique catholique dans la question posée par l’OIP qui permet aussi d’évaluer le nombre de musulmans – à la différence des enquêtes du Cevipof, qui
posent deux questions successives. Cela aboutit à privilégier l’affiliation au catholicisme. En principe, cette façon de faire ne devrait rien changer au résultat ; mais les études
menées ont depuis longtemps établi que ce genre de disproportion modifie les données agrégées ainsi recueillies : en réaffirmant en quelque sorte dans le libellé même de la