38 Moyen-Orient 05 • Avril - Mai 2010
DOSSIER
ISRAËL PALESTINE Entretien...
Entretien...
©DR
Comment dénir ceux qu’on appelle en
Israël les « Arabes israéliens » ?
Les « Arabes israéliens » (1) sont les descendants de ceux qui
sont restés sur le territoire de ce qui est devenu Israël en 1948.
À ceux-là s’ajoutent quelques dizaines de milliers de person-
nes qui sont revenues dans le cadre d’accords signés avec la
France ou le Vatican, en particulier des chrétiens qui avaient
trouvé refuge au Liban. Spontanément, la grande majorité de la
population arabe en Israël se dénit elle-même plus volontiers
comme des Palestiniens, ou bien comme des Arabes en Israël.
Ils réfutent le terme d’« Arabe israélien », et se considèrent
comme des Palestiniens citoyens d’Israël. Ils refusent pour la
plupart le terme « israélien » (israeli en arabe), c’est-à-dire
l’idée qu’ils pourraient éprouver un sentiment d’appartenance
à Israël. Leur citoyenneté israélienne est par conséquent pu-
rement formelle. Elle nest pour eux qu’un statut juridique
nimpliquant aucun sentiment d’appartenance à un État qui est
l’État des Juifs. Aujourd’hui, leur nombre est estimé à 1,4 mil-
lion de personnes, soit 20 % de la population israélienne : 9 %
d’entre eux sont chrétiens, 9 % druzes (2), l’écrasante majorité
se composant de musulmans sunnites.
Comment s’intègrent-ils dans la société
israélienne, au niveau social, religieux,
juridique, économique et politique ?
Quelle est leur représentativité ?
Les Arabes en Israël vivent à la périphérie de la société isr-
lienne à tous les niveaux. Économiquement, ils font partie
des secteurs les plus pauvres. La moitié d’entre eux vivraient
d’ailleurs sous le seuil de pauvreté. Ils connaissent un taux de
chômage très élevé et un niveau d’éducation faible. Les diplô-
més d’université sont rares pour la simple raison qu’il nexiste
Chercheure à Sciences Po Paris-Centre d’Études et de recherches internationales (CERI)/CNRS, spécialiste du Moyen-Orient
Entretien
avec Laurence Louër
Les Arabes israéliens :
un enjeu pour Israël et
le futur État palestinien
Entretien...
Moyen-Orient 05 • Avril - Mai 2010 39
Entretien...
pas en Israël d’université en langue arabe. Par conséquent, ceux
qui souhaitent entreprendre des études supérieures doivent
fréquenter une université braïque. Or, même si les Arabes
d’Israël parlent tous hébreu, ce nest pas leur langue maternelle,
ce qui représente un sérieux handicap, en plus d’examens d’en-
trée assez diciles.
Sur le plan juridique, il faut préciser que l’État d’Israël dissocie la
citoyenneté de la nationalité. Les Israéliens sont les citoyens de
l’État d’Israël, mais trois nationalités (leomim) sont reconnues :
juive, arabe et druze. Cee diérenciation a des implications
très concrètes, puisque la loi du retour (aliyah), par exemple, qui
autorise tout Juif à venir s’installer en Israël et à devenir citoyen
israélien, ne sapplique qu’aux Juifs. Aussi, les Arabes qui ont fui
en 1948 ne peuvent-ils pas revenir aujourd’hui dans ce qui est
devenu Israël. Avec les Druzes, Israël a tissé ce qu’on appelle un
« pacte de sang », par lequel les Druzes ont accepté, en 1956,
le principe de conscription obligatoire pour tous les hommes.
Grâce à cela, ils ont obtenu en 1961 la création de la nationalité
druze qui les sépare ociellement des Arabes. Cee politique
de l’État israélien de diviser les Arabes en fonction de leur ap-
partenance religieuse a plusieurs conséquences : d’abord, les
Druzes sont perçus comme loyaux vis-à-vis de l’État hébreu, ce
qui nest pas le cas des autres Arabes. Ensuite, ils ont un secteur
d’éducation distinct de celui en langue arabe (3) et disposent
d’une section au ministère des Aaires religieuses, séparée des
sections musulmane et chrétienne. D’une manière générale, les
villages druzes sont bien mieux dotés en infrastructures que les
villages arabes. Enn, le comportement politique des Druzes
est très diérent de celui des autres Arabes, puisqu’ils votent en
grande majorité pour les partis du consensus sioniste, cest-à-
dire pour les grands partis de gouvernement (cf. encadré p. 40).
Très longtemps, ils ont voté pour les travaillistes, mais ils orent
aujourd’hui aussi leurs voix au Likoud et à Kadima.
Qu’en est-il de la représentativité des
Arabes israéliens ?
Jusqu’au milieu des années 1980, lécrasante majorité des Ara-
bes votaient pour le Parti travailliste, parti vainqueur de toutes
les élections israéliennes jusquen 1977. Ensuite, malgré l’alter-
nance avec le Likoud, les travaillistes ont continué à absorber la
majorité du vote arabe. Les deux autres partis très inuents dans
la population arabe étaient le Mapam (4) et le Parti national re-
ligieux. Le Mapam mobilisait les Arabes autour d’un discours de
classe, égalitariste, qui invitait à ignorer les appartenances eth-
niques pour se mobiliser sur l’appartenance socio-économique.
Campagneélectoraleen2006danslavillearabed’Ummel-Fahm,danslenord-estd’Israël.
©AFPPhoto/SamuelAranda
40 Moyen-Orient 05 • Avril - Mai 2010
Les Arabes israéliens : un enjeu pour Isrl et le futur État palestinien
D O S S I E R
En revanche, le vote arabe pour le Parti national
religieux peut apparaître plus étonnant, puisque
ce parti fut le fer de lance de la colonisation des
Territoires occupés à partir de 1967. En fait, ce
vote répondait à une logique clientéliste. Le
Parti national religieux, parti pilier de la coali-
tion gouvernementale, détenait des portefeuilles
ministériels protables aux intérêts des Arabes :
l’Intérieur, l’Éducation et les Aaires religieuses.
Le ministère de l’Intérieur décide en eet pres-
que à discrétion de l’allocation des budgets pour
les municipalités, et avoir de bonnes connexions
au sein de ce ministère était donc important pour
les municipalités arabes. De la même façon, avoir
des contacts au sein du ministère de l’Éducation
intéressait les Arabes, car la majorité des diplômés
arabes sont recrutés dans le secteur déducation en
langue arabe. La même logique clientéliste s’ap-
plique au ministère des Aaires religieuses, qui
nance la construction de mosquées en Israël et
paie le salaire de certains imams.
À partir du milieu des années 1980, les choses
changent radicalement, puisque les Arabes com-
mencent à voter pour des partis nationalistes
palestiniens, c’est-à-dire des partis qui rejeent
l’identité d’« Arabes israéliens » et revendiquent
l’appartenance à la nation palestinienne et le sta-
tut de minorité nationale palestinienne en Israël.
Jusqu’à cee date, il nexistait qu’un parti protes-
tataire parmi la population arabe, le Parti commu-
niste israélien. Il nétait pas formellement arabe,
la direction étant juive, mais la base militante et
les électeurs dans leur écrasante majorité étaient
arabes. En tant que parti antisioniste, il rencontrait
peu de succès parmi la population juive et, pla-
fonnant à moins de 30 % des voix, il ne faisait pas
concurrence aux partis du consensus sioniste dans
la population arabe. Au milieu des années 1980,
émergent, à côté du parti communiste, de nou-
veaux partis qui font une large place à l’identité
palestinienne en se réappropriant le discours na-
tionaliste de l’OLP. Toutefois, ils soulignent qu’ils
ne souhaitent pas l’anéantissement d’Israël, mais
l’égalité totale entre Juifs et Arabes en Israël, d’une
part, et létablissement d’un État palestinien dans
les frontières de 1967, d’autre part. Aux dernières
élections de 2009, 82 % des Arabes en Israël ont
voté pour ces partis que l’ont peut qualier de na-
tionalistes palestiniens, dans lesquels on compte
le parti communiste ; aux élections précédentes
de 2003 et 2006, ils étaient 75 %. Ces chires tra-
duisent une tendance lourde, révélant un vote de
contestation de la population arabe d’Israël.
Aujourd’hui, trois grandes listes recueillent
leurs voix : la Liste arabe unie pour le renou-
veau (Raam-Taal en breu), qui est une coalition
Les partis politiques israéliens
Le Parlement israélien, ou Knesset, compte 120 députés, élus à la
proportionnelle intégrale, même si la loi électorale de 1992, entrée
en vigueur en 1996, a institué le vote direct pour le Premier minis-
tre. Le vote arabe se concentre à 40 % sur les partis du consensus
sioniste et à 60 % sur les partis judéo-arabes (Hadash) et les listes
« ethniques » arabes. La Knesset issue des élections de 2009 compte
107 députés juifs, 9 arabes et 4 druzes (dont 3 élus sur des listes du
consensus sioniste Likoud, Kadima et Israel Beytenou).
Partis du consensus sioniste (de droite)
Likoud
Né en 1974 de la fusion entre le mouvement de
droiteHerout,lePartilibéraletd’autresformations
decentredroit,leLikoud(acronymede«Blocnatio-
naldeslibertés»)estaujourd’huileprincipalreprésentantdeladroite
israélienne,partisandel’économiedemarchéetdéfenseurdumaintien
deJérusalem«indivisible»etdesprincipauxcentresjuifsdeCisjor-
daniesoussouverainetéisraélienne.Majoritairepourlapremièrefois
àlaKnesseten1977(gouvernementMenahemBegin(1977-1983)),
ilformesousladirectiondeBenyaminNetanyahoudepuislesélec-
tionsdu24février2009unecoalitionavecIsraelBeytenou,Habayit
Hayehoudi, Shas,Yahdout Hatorah et le Parti travailliste. Un Druze
israélien,AyoubKara,faitpartiedes27députésduLikoud.
Israel Beytenou
Lepartinationalisterussophone«Israël,notremai-
son»,crééen1999parAvigdorLieberman,aob-
tenu15siègesauxélectionsde2009,cequienfaitlatroisièmeforce
politiquedupaysetapermisàsonfondateurd’occuperlepostede
ministredesAffairesétrangères.Endépitdesesdiatribesantiarabes,le
particompteunDruzeisraélien,HamadAmar,parmisesdéputés.
Shas
Acronyme des « Gardiens séfarades de laTorah », il fut
fondéen 1984 par des Séfaradesultraorthodoxes.Ils re-
vendiquentuneréparationpourlesdiscriminationssubies
parlesSéfaradesenIsraëletprônentleretouràl’âged’or
dujudaïsme.11membresduShassiègentaujourd’huiau
Parlementisraélien,contre4lorsdeleurpremièreparticipationélec-
toraleen1984.
Ichud Leumi
Fondéen1999,ceparti(littéralement«Unionnatio-
nale » en hébreu) formait jusqu’en 2003 un groupe
parlementaire avec Israel Beytenou. Il s’en sépare
en2006etcompteaujourd’hui4députés.
Yahdout Hatorah
Legroupeparlementaire«JudaïsmeuniédelaTorah»,quicompte
5membres,réunitdeuxpartisultraorthodoxesashkénazes:Agoudat
Yisrael(«Rassemblementd’Israël»)etDeguelHatorah(«Drapeaude
laTorah»)quidéfendentlecaractèrereligieuxdel’Étatets’engagent
pour l’obtention d’aides gouvernementales à la communauté ultra-
orthodoxe.
Habayit Hayehoudi (Mafdal)
C’estsouscenouveaunomques’estprésentéaux
dernières élections législatives le Mafdal, le Parti
national religieux. De tendance sioniste, le parti,
adeptedu«GrandIsraël»,s’estopposéauxaccordsd’Osloetsou-
tientlacolonisationdesTerritoiresoccupés.Ilcompte actuellement
3députés.
Moyen-Orient 05 • Avril - Mai 2010 41
Entretien
avec Laurence Louër...
de mouvements socialement conservateurs
notamment le Parti démocratique arabe (PDA) –,
le Mouvement islamiste (d’obédience Frères mu-
sulmans) et le Mouvement arabe pour le change-
ment dirigé par Ahmed Tibi, un ancien conseiller
de Yasser Arafat. Viennent ensuite l’Assemblée
démocratique nationale (Balad), fondée en 1996,
parti d’Azmi Bichara, et toujours les communis-
tes regroupés dans le Front démocratique pour la
paix et l’égalité (Hadash). Ce parti na aujourd’hui
presque plus d’adhérents juifs, si bien que pour la
première fois de son histoire, aucune personnalité
juive na été élue aux élections de 2006, ce qui a
provoqué un scandale à l’intérieur du parti (5).
Dans les années 1990, la « palestinisation » du
vote arabe a transformé les équilibres politiques
israéliens et également l’échiquier politique is-
raélien, dans la mesure ces nouveaux partis
nationalistes arabes deviennent des forces d’ap-
point du Parti travailliste. Certes, aucune alliance
ni aucun accord électoral nont jamais été maté-
rialisés entre eux mais, de facto, le Parti travailliste
ne pouvait espérer l’emporter face au Likoud sans
leur appui. D’ailleurs, le gouvernement d’Itzhak
Rabin (travailliste) a pu ratier les accords d’Oslo
seulement parce que les députés des partis arabes
l’ont soutenu, après que le parti Shas, membre de
la coalition travailliste, eut décidé de la quier
en 1992 pour s’opposer à ces accords. Cee dé-
pendance du Parti travailliste vis-à-vis de partis
nationalistes arabes a évivement critiquée en
Israël, en premier lieu par le Likoud, arguant que
le Parti travailliste nayant pas de majorité juive, il
ne pouvait légitimement gouverner Israël. Cee
situation a duré entre 1985 et 1999, cest-à-dire
jusqu’à l’élection d’Ehud Barak, la seconde Intifada
ayant totalement bouleversé le paysage politique
israélien avec l’eondrement du Parti travailliste,
l’omnipotence du Likoud et l’émergence du parti
Kadima. Les partis arabes sont redevenus des for-
ces politiques marginales en Israël.
Quels sont les liens des Arabes
d’Israël avec les Palestiniens de
Cisjordanie et Gaza ? Ont-ils des
rapports avec les organisations
politiques palestiniennes ?
Il existe d’abord des liens familiaux entre les
Palestiniens d’Israël et ceux de Cisjordanie et
Gaza. En 1948, ce sont des familles entières qui
ont été séparées, des villages coupés en deux par
la ligne d’armistice, en particulier dans la zone
située en Israël et appelée le « Petit triangle »,
Centre
Kadima
LepartiKadima(«enavant»),néd’unescissiondu
Likoud,aétécrééen2005parArielSharon.Depuis
son hémorragie cérébrale en 2006, Kadima a été
successivementconduitparEhudOlmert,puisTzipi
Livni, qui a disputé le poste de Premier ministre aux élections de
février2009àB.Netanyahou.Avec28députés–dontunDruze–,
Kadimaestlepartileplusreprésentéàla18eKnesset.
Partis de gauche
Parti travailliste (Avoda)
LePartitravaillisteétaitjusqu’auxannées1990le
grandblocisraéliendecentregauche.Issudel’unionen1968entrele
Mapaï,partihistoriquefondéen1930parBenGourionetGoldaMeïr,
etlescourantsAhdutHa’avodaetRa,ilchoisituneapprocheprag-
matiquevis-à-visdesPalestiniensetunepolitiqueéconomiquedelibre
marchémodéré.13députésd’Avodasiègentdansl’actuelleKnesset.
Meretz
Cette coalition de gauche laïque et sioniste, formée
en1992etdirigéedepuis2008parHaïmOron,sou-
tientunaccorddepaixentreIsraéliensetPalestiniens
fondé sur la solution à deux États. Engagé en faveur
del’égalitéentretouslescitoyensisraéliens,sonpro-
grammemetenavantlajusticesocialeetuneligneenvironnementa-
liste.Ilnedisposeplusquede3siègesauParlementcontre5lorsde
laprécédentelégislature.
Partis non sionistes
Hadash
IssudelaNouvellelistecommuniste(Rakah)–premier«partiethni-
que»arabeisraélien–,Hadash(«nouveau»enhébreu,acronymede
«Mouvementdémocratiquepourla paixetl’égalité»)
sedénitcommepartijudéo-arabe.Ilpréconiseleretrait
israélien desTerritoires occupés depuis 1967, l’établis-
sementd’unÉtatpalestinienàcôtédel’Étatisraélienet
l’égalitéentrecitoyensjuifsetarabesd’Israël.Auxlégis-
lativesde2009,Hadashestpasséde3à4siègesàlaKnesset(dontun
Juif).SonleaderactuelestMohammedBarakeh.
Raam-Taal
LeprincipalpartiarabereprésentéàlaKnessetréunitlaListe
arabeunie(Ra’am)etleMouvementarabepourlechange-
ment(Ta’al).Sesobjectifspolitiquessontl’attributiondustatut
deminoriténationaleauxArabesisraéliens,lacréationd’un
ÉtatpalestinienindépendantavecJérusalemcommecapitale
etlareconnaissancedudroitauretourpourlesréfugiéspalestiniens.
Parmises4membresélusauParlement,gurentAhmedTibi,fondateur
duTa’al,etIbrahimSarsur,modéréissuduMouvementislamique.
Balad
Acronymehébreude « Rassemblementdémocratique
national»,Balad(«pays»enarabe)aétécrééen1996
parl’ArabeisraélienAzmiBichara.Ilrevendiquelare-
connaissancedesArabesisraéliensentantqueminorité,leurgarantis-
santlapleineautonomiedansdessecteurstelsquel’éducationetla
culturequiconduiraitdefaitàlatransformationdel’ÉtatjuifenÉtat
binational«detouscescitoyens»,toutenprônantlacréationd’un
Étatpalestinienàcôtéd’Israël.Baladoccupeaujourd’hui3siègesàla
Knesset(dontunDruze).
Chiara Peenella
Sources : http://www.knesset.gov.il/faction/eng/FactionMain_eng.asp ; Laurence Louër, LesCitoyensarabesd’Israël,
Balland, Paris, 2003 ; Jean-Marie Allafort, «Proldeladix-huitièmeKnesset:moinsdereligieuxetplusdefemmes»,
19février2009,http://www.un-echo-israel.net/Prol-de-la-18eme-Knesset-moins
42 Moyen-Orient 05 • Avril - Mai 2010
Les Arabes israéliens : un enjeu pour Isrl et le futur État palestinien
D O S S I E R
eu une expérience assez mitigée de leur séjour, surtout après le
déclenchement de la première Intifada en 1987, car ils étaient
systématiquement soupçonnés d’être des espions israéliens. Il
faut savoir que les Israéliens, pour inltrer les mouvements de
résistance palestiniens dans les Territoires, ont bien souvent
utilisé la population arabe d’Israël, en particulier les Druzes.
Aussi, dans les Territoires, les Arabes d’Israël sont-ils souvent
suspectés d’être des agents de l’ennemi, car ils seraient judaïsés,
c’est-à-dire qu’ils se seraient acculturés au contact de la culture
israélienne et auraient oublié leurs racines. Dans l’autre sens,
l’Autorité palestinienne était souvent appelée, dans les an-
nées 1990, non pas Sulta falestinya Autorité palestinienne »
en arabe), mais Salata falestinya (la « salade palestinienne »)
par les Arabes d’Israël, pour souligner à quel point elle était cor-
rompue et inecace, et à quel point ils étaient diérents, eux,
Palestiniens d’Israël avec leurs propres organisations politiques
et leurs projets. Leur volonté de maintenir politiquement leur
autonomie et leur identité propre se traduit dans lobjectif de
leur projet politique, qui nest ni d’annihiler Israël, ni de devenir
des citoyens palestiniens lorsqu’un État palestinien sera créé,
mais de rester des citoyens israéliens, qui plus est égaux en droits
avec les Juifs. Ce projet fait aujourd’hui l’objet d’un consensus
parmi les Arabes d’Israël, à savoir qu’ils devraient être reconnus
majoritairement peuplée d’Arabes (cf. Re-
pères p. 18-19). Après la guerre des
Six Jours en 1967, Israël occupant
la Cisjordanie, la Ligne verte a été
rouverte, ce qui a favorisé la reprise
des contacts entre ces familles pa-
lestiniennes et ces villages divisés
par la ligne d’armistice de 1948. Les
contacts se sont donc maintenus au l
des années, y compris avec des membres
de la famille vivant dans les camps de réfugiés
en Syrie, au Liban et surtout en Jordanie, car depuis les
accords d’Oslo, il est très facile de voyager dans ce pays.
Il existe également d’intenses relations économiques, bien que
le déclenchement de la seconde Intifada en 2000 ait changé
la donne et rigidifié la frontière. Les Israéliens préfèrent
aujourd’hui faire appel à des travailleurs asiatiques plutôt qu’à
une main-d’œuvre palestinienne. Or, pendant très longtemps,
les ouvriers palestiniens des Territoires occupés venaient cher-
cher du travail en Israël, y compris dans les zones arabes d’Israël.
De leur côté, les Palestiniens d’Israël vont faire leurs courses
sur les marchés de Cisjordanie, et les commerçants s’approvi-
sionnent en produits manufacturés ou frais dans les Territoi-
res palestiniens parce que c’est moins cher. Des taxis collectifs
se rendent quotidiennement dans les Territoires palestiniens
depuis Israël. Des ux constants existent donc entre les zones
arabes d’Israël et la Cisjordanie.
De plus, au cours des années 1970 et 1980, une génération en-
tière de jeunes hommes est allée suivre des études islamiques
dans les Territoires, à Hébron, Jérusalem ou Qalqiliah, car de
telles formations étaient inexistantes en Israël. Parmi ces per-
sonnes, certaines ont ensuite joué des rôles politiques de pre-
mier plan, comme cheikh Abdallah Nimr Darwish, le fondateur
du Mouvement islamique en Israël, ou Raed Salah, qui a fait
scission de ce premier mouvement pour créer une seconde
branche plus radicale en 1996.
En ce qui concerne les liens avec des organisations politiques
palestiniennes, ils existent et ne sont pas secrets. Lorsque vous
pénétrez dans la maison d’un leader politique arabe en Israël,
vous trouvez souvent des photos le montrant serrant la main
d’Arafat ou posant à côté de cheikh Ahmed Yassine, le leader
des Frères musulmans éliminé par les Israéliens. La légitimité de
ces leaders arabes en Israël passe en eet par la démonstration
de liens d’amitié avec ceux qu’ils appellent « leurs frères » de
l’autre côté de la Ligne verte. Mais au-delà de ces postures, il
nexiste pas, selon moi, de liens organisationnels entre le Hamas
et le Mouvement islamique en Israël. Des membres du Mou-
vement islamique, en particulier la branche radicale fondée par
Raed Salah, ont été soupçonnés à plusieurs reprises d’entretenir
des liens ou de nancer le Hamas par le biais d’associations
caritatives, sans que jamais des liens organisationnels aient pu
être mis en évidence (6).
La situation est par conséquent assez complexe. Il y a des -
clarations de solidarité des deux côtés de la Ligne verte, mais
un soupçon réciproque demeure. Par exemple, certains jeunes
partis se former en sciences religieuses dans les Territoires ont
Même si la
situation des Arabes
d’Israël correspond a
priori à celle d’une minorité
nationale indigène, lÉtat
hébreu a refusé une telle
reconnaissance.
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