254 les discours médiatiques africains en confrontation
I. Chachou
L’objectif de cette contribution est de décrire une forme de créativité ludique
et ironique chez les internautes algériens comme mode d’expression libre
dans l’appropriation des nouvelles technologies de la communication. Il
s’agit du détournement parodique1 de textes publicitaires et d’images à l’aide de
photoshop2. Si l’inventivité des jeunes Algériens dans la production de certaines
pratiques sociodiscursives a déjà retenu l’attention de chercheurs, le numérique
offre de nos jours de nouvelles perspectives d’études dans la saisie des modes
de production, de réception et de circulation de messages verbaux plurimodaux
d’ordre diaphasiques3. Cette créativité se manifeste par les procédés de la re/
siglaison et de la re/nomination, par les créations sloganoïdes et le défigement
des locutions4 propres au milieu des entreprises. Ce détournement concerne
les spots publicitaires des entreprises étatiques et les logos d’entreprises privées
dont le contenu est tourné en dérision à cause des dysfonctionnements de leurs
prestations de service qui ont pénalisé les citoyens durant l’été 2012, notamment
en matière d’électricité et de connexion. La subversion ironique qui vise à ruiner
l’autorité de l’annonceur officiel concerne trois entreprises. À cet effet, les jeunes
internautes ont rivalisé d’ardeur dans la manière de dénoncer les mauvaises
prestations de ces entreprises. Le détournement des publicités commerciales
s’est opéré selon deux procédés : la parodie et l’ironie. L’ironie est définie comme
« un acte d’énonciation » ( Charaudeau, 2006 : 20 ) qui vise à créer la connivence
avec l’interlocuteur et « un acte de discours qui s’inscrit dans une situation de
communication » ( idem : 21 ). L’auteur définit trois types de connivence qui varient
en fonction de l’acte d’énonciation et de la situation de communication, et qu’on
peut retrouver dans une même production. La première connivence, dite ludique,
consiste en « une fusion émotionnelle de l’auteur et du destinataire » ( idem : 36 ),
la seconde, critique, « propose au destinataire une dénonciation du faux-semblant
de vertu qui cache des valeurs négatives » ( ibid. ). Ces catégories se vérifient
surtout dans le sous-corpus de la campagne publicitaire « Mazel Waqfine ». La
troisième et dernière « est la connivence de dérision » qui suggère « l’insignifiance
de la cible » ( ibid. ) par sa disqualification.
Recueil et présentation du corpus
Notre corpus se compose de vingt images détournées à des fins de dérision.
Elles sont conçues par les internautes algériens et échangées sur Facebook. En
tant que membre de ce réseau, nous avons manifesté un intérêt particulier pour
1 Il consiste en une « transformation ludique, comique ou satirique d’un texte singulier » ( Sangsue,
1994 : 73 ).
2 Il s’agit d’un logiciel de retouche d’images.
3 « On parle de variation diaphasique lorsqu’on observe une différenciation des usages selon les
situations de discours ; ainsi la production langagière est-elle inuencée par le caractère plus ou
moins formel du contexte d’énonciation et se coule-t-elle en des registres ou des styles différents »
( Moreau, 1997 : 49 ).
4 Voir I. Chachou ( 2011 : 113-130 ).