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Molécules et agrégats
distance internucléaire est assurée
par le principe qui suit. L’absorption
d’un photon ne change ni la position
des atomes ni leur énergie cinétique.
L’absorption n’a lieu que lorsque la
différence d’énergie entre les
courbes de potentiel de l’état initial
(A) et de l’état final (B) est égale à
l’énergie du photon : c’est une
condition de résonance.
en l’ionisant avec un photon à
266 nm (flèche en tiret, figure 1).
Cela indique que le processus d’io-
nisation se produit bien pour une
distance internucléaire fixée. Dans
ce cas, nous détectons deux ions par
spectrométrie de masse à temps de
vol : NaI+et Na+issu de la dissocia-
tion de NaI+. Le maximum de signal
d’ion est observé après 0,6 ps. Le
paquet d’onde initialement localisé à
très courte distance (2,7 Å) évolue
jusqu’à 12 Å, puis fait demi-tour et,
avec la longueur d’onde de pompe
utilisée (310 nm), la période de
vibration est de 1,2 ps ; le maximum
de signal correspond donc à une
demi-période ; il est obtenu lorsque
la distance internucléaire est voisine
de 12 Å, au point de rebroussement
externe (figure 1 à droite).
Ce résultat s’explique en utilisant
des arguments de mécanique clas-
sique et des considérations sur la
nature de l’état électronique Adans
lequel évolue le paquet : à courte
distance, cet état est essentiellement
un état neutre Na – I (les deux
atomes sont dans leur état fonda-
mental) alors qu’à grande distance,
la nature de l’état est de type ionique
Na+– I–. Lors de l’ionisation à courte
distance, c’est un électron du sodium
qui est éjecté (l’énergie du photon
sonde ne permet pas d’ioniser
l’atome d’iode) alors qu’à grande
distance, c’est l’électron de l’anion
I–qui part (l’énergie du photon
sonde est suffisante pour arracher
l’électron de l’anion). Or, la section
efficace d’ionisation de l’anion I–est
200 fois plus grande que celle de
l’atome de sodium : on ionise le
paquet d’onde essentiellement lors-
qu’il est localisé sur la courbe de
potentiel à caractère ionique, soit
aux grandes distances internu-
cléaires. Une fois l’électron arraché
à I–, on obtient soit l’ion NaI+stable,
soit son produit de dissociation Na+.
Nous avions pensé « à tort » que
si l’on devait observer l’ion NaI+,on
devait le détecter en opposition de
phase (donc à courte distance) par
rapport à l’ion Na+issu de la disso-
ciation de NaI+. En effet, NaI+est
très stable à courte distance internu-
cléaire (0,5 eV), son énergie de liai-
son diminue lorsque la distance aug-
mente. Au voisinage du point de
rebroussement externe, soit à 12 Å,
l’ion NaI+n’est quasiment pas lié :
son énergie de liaison est alors de
0,003 eV. De plus, l’excès d’énergie
(énergie du photon moins l’énergie
nécessaire pour arracher l’électron)
apporté par les photons est de 0,3 eV,
donc très grand devant l’énergie de
liaison de NaI+à 12 Å. Et c’est pour-
tant à 12 Å qu’est observé l’ion
NaI+! Pourquoi ?
Comme l’électron est 2 000 fois
plus léger que le proton (et 200 000
fois plus que l’atome d’iode), son
éjection lors de l’ionisation ne
change quasiment pas l’énergie ciné-
tique des atomes (l’énergie commu-
niquée à I par l’électron éjecté de I–
est de l’ordre de 10–6 eV). Au point
2 4 6 8 10 12 14 16 18 20
-3
-2
-1
0
1
2
3
4
5
6
7
e
-
e
-
266 nm
Point de croisement
C
B
A
X
395 nm
310 nm
Na
+
+ I
-
Na(3s)+I
Na(4p)+I
Na(3p)+I
Na
+
+I
Énergie / eV
R(Na-I) / Angström
Figure 1 - Courbes de potentiel de la molécule
de NaI obtenues par des calculs de chimie quan-
tique. Le paquet d’onde formé par excitation de
NaI (flèche 310 nm) oscille dans l’état A issu
d’un croisement des courbes Na – – I et
Na+––I
–. A chaque passage au point de croi-
sement, une petite partie du paquet d’onde
s’échappe, menant à la formation de deux
atomes séparés Na et I. Le mouvement du
paquet d’onde est sondé par ionisation à un
photon (flèche en tirets 266 nm) ou par ionisa-
tion à deux photons par l’intermédiaire de l’état
C (flèches 395 nm). Après absorption du, ou
des, photon(s), un électron est émis.
L’ionisation à un photon a lieu autour du point
de rebroussement à 12 Å (voir texte).
Dans le cas de l’ionisation à deux photons, la
transition de A vers C n’a lieu que lorsque le
paquet d’onde est à 10 Å.
Dans notre cas, le photon sonde
ionise la molécule en portant directe-
ment le système dans un double
continuum d’ionisation et de disso-
ciation. Si l’on obtient facilement
des conditions de résonance entre
deux états neutres, cela paraît moins
évident lors de l’ionisation dans un
continuum de dissociation.
L’expérience qui est représentée
sur la figure 2 montre bien que l’on
observe la vibration de la molécule
-1 0 1 2 3
0
2
4Na+
Signal d’ion Na (V)
∆t (ps)
0.2
0.4
0.6
Signal d’ion NaI (V)
NaI
+
Figure 2 - Observation des oscillations du
paquet d’onde par ionisation à un photon de la
molécule NaI. En abscisse : retard en pico-
secondes entre l’impulsion pompe (310 nm) et
l’impulsion sonde (266 nm). En ordonnée :
signal d’ion. En bas, Na+, en haut, NaI+. Les
deux échelles sont dans la même unité et reflè-
tent l’abondance relative des deux ions. La
faible atténuation des oscillations successives
est due à la fuite du paquet d’onde au point de
croisement entre l’état fondamental ionique et
l’état excité covalent. Lorsque les impulsions
laser arrivent en même temps (t=0), l’ioni-
sation de (NaI)2formé en très faible quantité
lors de la vaporisation du sel NaI, donne un
signal à la masse de l’ion NaI+.