Decruppe, Rhéologie, Vol. 10, 1-12 (2006) 1
Rhéologie et biréfringence d’écoulement,
du macroscopique au microscopique.
J.P. Decruppe
Laboratoire de Physique des Milieux Denses, 1 Bd. D. F. Arago, IPEC CP87811, 57078 Metz Cedex3
Résumé : La biréfringence d’écoulement est une technique expérimentale qui peut être associée avec profit à l’étude du
comportement rhéologique de nombreux fluides complexes. Elle apparaît dans certains fluides mis en mouvement sous
l’action de contraintes ; le liquide devient alors équivalent à un cristal anisotrope. Les grandeurs optiques caractéristi-
ques d’un fluide biréfringent sont l’angle d’extinction et l’intensité de la biréfringence, dont on décrira une technique de
mesure originale qui fait appel à la diffusion Rayleigh. Les liens entre optique et rhéologie vont apparaître dans la rela-
tion de Lodge et dans la loi tensio-optique ; cette dernière, lorsqu’elle s’applique, permet d’atteindre certaines caracté-
ristiques microscopiques (anisotropie de polarisabilité, longueur de persistance) des particules en solutions. Enfin, quel-
ques exemples choisis dans les fluides micellaires illustreront ce travail et apporteront une confirmation de l’intérêt des
études optiques dans le domaine de la rhéo-physique des fluides complexes.
Mots-clé : Biréfringence d’écoulement, Rhéologie, Ecoulements hétérogènes, Rhéo-épaississement
1. Introduction
C’est vers la fin du XIXe siècle que fut découverte la
biréfringence induite par un champ hydrodynamique
dans les fluides. Si Mach [1] sera le premier à dé-
crire ses travaux dans une publication, c’est le nom
de Maxwell [2] qui restera attaché à la découverte du
phénomène physique dans l’écoulement du baume
du Canada. Quant à la rhéologie, c’est une science
un peu plus jeune puisque le mot "rhéologie" est né
au début du XXe siècle, sous la plume de E.C. Bing-
ham. Son émergence et son développement sont liés
à la synthèse des polymères mais, également, à
l’apparition des premiers appareils permettant d’en
étudier les propriétés : les rhéomètres. A l’heure
actuelle, l’apparition sur le marché de rhéomètres
associant des mesures optiques (diffusion de lu-
mière, dichroïsme, biréfringence) montre le regain
d’intérêt pour ces techniques expérimentales.
Rapidement après la découverte du phénomène
physique de biréfringence, se développèrent les
premières théories et apparut le concept
d’orientation des particules dans l’écoulement. Une
synthèse très complète de ces premières interpréta-
tions théoriques a été réalisée par Jerrard [3]. La
rhéologie est une branche de la physique qui étudie
l’écoulement des fluides complexes ; l’orientation
étant due à l’action du champ hydrodynamique, il est
donc tout naturel d’essayer de relier les propriétés
optiques et rhéologiques. Ce lien quantitatif sera
principalement établi dans la loi tensio-optique [4],
qui relie les contraintes à l’origine de l’écoulement à
l’anisotropie optique qui en résulte. Après une brève
description du phénomène physique et des grandeurs
caractéristiques que l’on mesure, on introduira les
relations qui lient rhéologie et optique en soulignant
leur intérêt. Il existe de nombreuses techniques de
mesure des grandeurs optiques induites sous cisail-
lement, on se contentera de décrire une méthode
originale faisant appel à la diffusion de Rayleigh. La
biréfringence d’écoulement a été étudiée dans une
large gamme de fluides, allant des liquides purs aux
polymères fondus, et les résultats expérimentaux
sont innombrables ; on donnera simplement quel-
ques exemples dans un domaine qui a retrouvé un
regain d’intérêt depuis quelques décennies, à savoir
le comportement rhéo-physique de solutions micel-
laires dans lesquelles on a pu observer, sous certai-
nes conditions, la transition de rhéo-épaississement
et l’émergence d’écoulements hétérogènes en bandes
de cisaillement, plus connus sous l’appellation de
"shear banding". Cette étude est loin d’être exhaus-
tive, elle a pour unique but de mettre en évidence la
complémentarité de deux techniques physiques trop
peu souvent utilisées conjointement.
2. L’effet Maxwell
L’effet Maxwell est une biréfringence accidentelle ;
c’est "la biréfringence induite par un écoulement
dans des liquides, solutions ou dispersions contenant
des molécules ou particules optiquement anisotro-
pes, anisométriques ou déformables et due à une
orientation non aléatoire de ces particules ou molé-
cules". Telle est la définition que chacun pourra lire
dans le Compendium of Chemical Terminology. La
plupart des molécules sont optiquement anisotropes
et leur polarisabilité varie avec la direction de pro-