Le pluralisme : obstacle ou moyen de l`éducation en

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Le pluralisme : obstacle ou moyen de l’éducation en contexte scolaire ? Vincent LORIUS
Doctorant, Institut Supérieur des Pratiques d’Education et de Formation
Université Lyon 2
I.
Résumé de l’intervention L’argumentaire de présentation du colloque précise que le pluralisme libéral se caractérise par
le fait qu’il intègre au socle du libéralisme politique les exigences du pluralisme des valeurs.
Ce dernier est fréquemment présenté comme un obstacle au processus d’éducation, lequel ne
pourrait être fondé que sur un corpus bien défini de valeurs partagées. Je me propose
d’examiner la réalité de cette proposition qui rendrait a priori l’éducation impossible dans une
société pluraliste.
Les organisateurs du colloque posent la question de savoir si les champs d’application retenus
permettent de révéler les atouts de la position libérale-pluraliste ou, au contraire, ses faiblesses
ou limites pratiques. A la lumière des premiers résultats d’une recherche en cours concernant
l’éducation scolaire, je répondrai plutôt en faveur de la première hypothèse : les éducateurs
scolaires semblent aidés par un recours à des repères moraux pluriels, significatifs de la
reprise de théories morales existantes et dont certaines renvoient à des conceptions de la vie
morale traditionnellement posées comme a priori étrangères à toute possibilité d’éducation
scolaire. Je pense en particulier à des positionnements s’appuyant d’abord sur un principe de
non nuisance et donc relatifs à une conception minimale de l’éthique professionnelle.
Mon propos comportera trois temps. D’abord, je tenterai d’établir que l’éducation n’a pas
d’objectif. L’acceptation de cette proposition me parait en effet décisive pour pouvoir
illustrer, et ce sera le second temps, comment se manifestent, pour les éducateurs en contexte
scolaire, les différentes conceptions du pluralisme. Reprenant la typologie retenue dans la
présentation du colloque je poserai que :
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Sur un plan factuel les éducateurs se réfèrent effectivement à des repères moraux
pluriels
Sur un plan épistémologique, on constate que cette pluralité des repères moraux ne
permet pas de mener à bien des processus simples de délibération pour savoir ce qu’il
convient de faire dans certaines situations. La conflictualité et l’incommensurabilité
des valeurs ou principes en jeu engendrent au contraire des processus de pensée plus
complexes comme des démarches d’imagination morale et que nous considèrerons
comme relevant d’un courage professionnel.
Sur un plan normatif enfin, on en déduira que la supériorité du pluralisme dans le
domaine éducatif est liée à celle du jugement sur la délibération.
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On verra alors que non seulement il n’y a pas a priori d’incompatibilité entre l’éducation
scolaire et une conception du pluralisme telle que définie pour ce colloque, mais que, au
contraire, des points d’appui pratiques peuvent y être trouvés.
La recherche dont il sera question repose sur une idée de départ et une méthodologie.
L’idée de départ est la suivante : Le courage est défini historiquement comme la volonté
d’affronter une difficulté qui apparaît comme, au moins momentanément dépassant les
capacités communes. C’est bien de cela dont font preuve les professionnels de l’éducation
face à la nécessité de combiner entrée dans le monde des plus jeunes et possibilité de le
régénérer. Il s’agit de comprendre certains ressorts qu’ils mobilisent dans ce que l’on peut
considérer être le courage d’éduquer.
Concernant la Méthodologie : ma recherche repose sur une conception de la vie morale
acceptant des conceptions multiples du bien, conceptions dont on peut avoir un aperçu au
travers des grandes théories morales. Parmi celles-ci, je postule qu’il est utile de repérer celles
qui relèvent d’une conception minimale de la morale et dont le fondement est un principe de
non nuisance. Au plan conceptuel, il s’agit de repérer les liens entre ces théories et l’acte
éducatif. Au plan empirique, il s’agit d’écouter des professionnels de l’éducation pour savoir
comment ils s’y réfèrent.
Cette recherche repose sur une conception de l’éducation scolaire considérée comme fondée
sur une morale institutionnelle fondée sur la fiction d’un monde juste. C’est cette fiction qui
autorise le consensus relatif autour des notions de mérite, d’égalité des chances, c’est-à-dire
d’une corrélation entre le travail et les gratifications scolaires. Ce statut fictionnel de la morale
institutionnelle, ce que F Dubet appelle une « fiction nécessaire » (DUBET, 2008 ), fait que,
face aux réalités, les professionnels de l’éducation sont tenus de mettre en jeu une morale
personnelle qui peut être en décalage sensible avec les injonctions réglementaires.
Je détaillerai trois séries de résultats :
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les actes considérés comme courageux par les acteurs sont fondés sur une diversité de
repères moraux.
les comportements courageux sont parfois référés à des conceptions morales
minimalistes habituellement considérées comme incompatible avec l’éducation.
Il existe une concomitance de la référence au courage et de manifestations
d’imagination morale.
Nous en déduirons que le courage d’éduquer consiste à se saisir de situations limites ou
exemplaires comme modalité de combinaison, dans un même temps, des repères moraux en
cours dans le monde et d’une nécessaire reconstruction, remobilisation, de ceux-ci. Il est alors
possible de proposer, pour l’éducation scolaire, l’hypothèse de la possibilité d’une
transmission non pas des valeurs en cours, mais de nouveaux agencements de celle-ci.
Le courage professionnel des éducateurs est donc une aptitude à recourir successivement ou
simultanément à plusieurs types de repères moraux pour appréhender les situations concrètes.
Ce courage professionnel est à la fois un « ressaisissement » au sens d’une remise à plat de
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son système de valeur face à des situations qu’ils considèrent comme « limites » du point de
vue éthique, et une capacité à prendre de la distance par rapport à la morale institutionnelle
matérialisée par le cadre réglementaire ou les points de vue dominants dans la communauté
éducative. Le processus qui permet cette prise de distance relève d’une supériorité accordé au
jugement sur la délibération.
Au final, je proposerai qu’il existe pour les éducateurs une nécessité d’intégrer dans leur
pratique le pluralisme des valeurs, pour prendre appui sur les repères moraux en cours et les
associer de façon originale et introduire ainsi les élèves dans le monde qui vient.
Remarques : l’échange qui suivra se déroulera en français Bibliographie ARENDT, H. (1991). La crise de l'éducation : extrait de la crise de la culture. Paris: Folio.
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