Quelles questions pose l`autisme, et comment y répondre ?

Chapitre1
Quellesquestionspose
l’autisme,etcomment
yrépondre?
Franck RAMUS
DEPUIS
lespremièresdescriptionsdelautisme(Asperger,1944 ;
Kanner,1943 ;Ssucharewa,1926),celui-cine cessedenous
fascineretdenousinterroger.
Quest-ce quelautisme?
Quelles sont lescausesdelautisme?
Commentaiderau mieuxlespersonnesautistes?
Aucoursde ces septdernièresdécennies,denombreusesréponsesà
cesquestionsontétéproposées.Lobjectifde ce livre estdenfaireun
bilanéclairé etàjour.Leproposde cette courteintroduction,lui,sesitue
enamont : Commentrépondreàcesquestions?
On nepeuteneffetque constaterquelesréponsesquiontété apportées
auldu temps sontcontradictoires.
À
lapremièrequestion,certains
répondentparlamaladietellequelle estdéniedanslesclassications
internationales,alorsquedautresrécusentvigoureusementcettenotion
pourpréférercellededifférence defonctionnementou encore cellede
handicap.Ladeuxièmequestion adonnélieuàunemultitudederéponses,
1.QUELLESQUESTIONSPOSELAUTISME,ETCOMMENTYRÉPONDRE?
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allantdelafroideurémotionnelledelamère à desmutationsgénétiques,
en passantparlerôledesvaccinsetdesinfectionsbactériennes.Enn,la
troisièmequestion a elle aussisuscitédenombreusesréponses,allantde
lisolementeninstitution psychiatrique à lintégration enmilieuscolaire
ordinaire,en passantparlepacking et lapataugeoire.Ilestévidentque
toutescesréponsesnepeuventêtresimultanémentcorrectespourles
mêmesindividus.
Ilestdoncnécessairedelesévaluerméthodiquementetsystématique-
ment,an dedéterminerlesquelles sont lesbonnes.
Laseuledémarche connuepourun telobjectifest ladémarchescienti-
que.Celle-ciconsiste à considérerchaqueréponseproposée commeune
hypothèse,à enexpliciterlesprédictionsentermesdefaitsobservables,
àlestesterparlobservation etparlexpérimentation etàsubordonner
lavalidation deshypothèsesàladéquation desfaitsobservésavec les
prédictions.
À
terme,lesrésultatsobtenusdoiventpouvoirêtrevériés
etreproduitspardemultipleschercheursindépendantslesunsdesautres,
an datteindreun consensusinternational.Cettedémarchegénéralepeut
etdoit sappliquerausujetdelautisme,commepourlensembledela
psychologie etdelapsychiatrie etpourtouslesautresdomainesdela
connaissance.Celivre est loccasion de constaterquellesyapplique
déjà avec succès.
QUEST-CEQUELAUTISME?
Ladémarchescientiqueneporte aucun jugementdevaleur,elle
décrit lapopulation humainesousun anglestrictementstatistique.On
peutdécrirele comportement(ycompris social)desêtreshumains,ses
tendancesgénéralesetsesvariationsausein delapopulation.On dénit
ainsiunenorme,quiaun senspurementstatistique:être« normal»,
«typique»,cestêtreprochedelamoyennedelapopulation ;être
«atypique»,cestenêtre éloigné.Commele chapitre2ledécrit plus
en détail,lespersonnesautistes sedistinguentparlefait quelles sont
éloignéesdelanormedanstroisdomaines: lesinteractions sociales,
la communication et leursintérêtsetactivitéspréférés.Cesdifférences
entraînentdesdifcultésdadaptation àlaviefamiliale etensociété et
des souffrancesàlafoischez cespersonnesetchez leurentourage.Cest
la conjonction delécartàlanorme etdesdifcultésinduitesquidénit la
notion detroubleou demaladie.Ilest importantde comprendreque ces
motsnontaucune connotation négative,etquilsnereètentrien dautre
quun critèrestatistique et la constatation dedifcultéschez lindividu
Dunod – Toutereproduction non autorisée estun délit.
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QUEST-CEQUELAUTISME?
ou dans sarelation àson environnement.Parailleursilsnimpliquent
strictementrienconcernant lameilleuremanièredaiderlespersonnes
autistes,quiestunequestion différente.
Danscette approche,ladénition et lescritèresdiagnostiquesde
lautismesontfournispardeux classicationsinternationales: laClassi-
cation internationaledesmaladies(CIM-10)produiteparlOrganisation
mondialedelasanté,et leManueldiagnostic etstatistique(DSM-V),
produit parlAssociation américainedepsychiatrie.Cesclassications
ontdesvertusetdeslimitesquisontbienidentiées,lessentielestde
lesconnaître etdelesutiliseràbon escient(Ramus,2013a;VanRillaer,
2013).
Un problèmebienconnu est linévitable continuumentrenormalité et
pathologie.Bienévidemment,lécartàlanormepeutêtreplusou moins
grand,et ladénition dela catégorie autismenécessitelapplication dun
seuil statistique(parexempledeux écarts-types souslamoyenne),qui
ainévitablementunepartdarbitraire.Lafrontière entrelautisme et la
simplepersonnalité atypique estoue,commelest lafrontière entre
labonnesanté et lamaladie,etcommelesont lesfrontièresdetoutes
lescatégoriesdiagnostiques(Ramus,2013a).Leou descatégoriesà
leursfrontièresneremetnéanmoinspasencauselaréalitédu problème
quellesdélimitent.Parailleurs,lanotion dehandicap nestpasune
alternativepossible à celledetrouble.Eneffet,lasimpledénition du
mothandicap(tellequelle estdonnée danslaloide2005 parexemple)
présupposelexistence dune«altération defonction »,cest-à-diredun
trouble(Ramus,2012a).
Unedernièredifculté à leverpourdénirlautisme estceluide
son hétérogénéité.Lebutdescatégoriesdiagnostiquesestderegrouper
ensemblelespersonnesquiontdesproblèmes similaires,parce quelles
peuventavoirdesbesoins similairesetbénécierdaides similaires.
La création descatégorieset ladénition deleurslimites sontdonc
aussidesdémarches scientiques,fondées surlobservation et lexpéri-
mentation.Cesontprécisément lesrecherches scientiquesmenées sur
lautisme aucoursdesdernièresdécenniesquisuggèrentquau-delà
delhétérogénéitéquisaute aux yeux,il yadenombreux points
communsàdemultiplesniveaux (génétique,rébral,cognitif) entre
lesindividusquiappartiennentau « spectredelautisme»,qui justient
ladoption de cette catégorie élargie,notammentdansla5
e
édition du
DSM(dit «DSM-5 »,ForgeotdArc,2013).Cest lagrandevertu de ces
classicationsinternationalesquedêtrepériodiquementremisesàplat,
confrontéesaux donnéesépidémiologiquesetcliniques,an demieux
colleràlétatactueldesconnaissances.
1.QUELLESQUESTIONSPOSELAUTISME,ETCOMMENTYRÉPONDRE?
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QUELLES SONTLESCAUSESDELAUTISME?
Cettequestion estbienévidemment lapanagedelarecherchescien-
tique,àlafoisfondamentale etclinique.Cetterecherchese conduit
enformulantdeshypothèses surdescausesetsurleurenchaînement,
etentestantceshypothèsesrigoureusementenrecueillantdesdonnées
parlobservation et lexpérimentation.Lesvingtdernièresannéesont
vu une explosion desrecherches surlautisme,quiontconduit àune
compréhension deplusen plusne,quoiquencoreincomplète,deses
causes.Latroisièmepartiede ce livrefait lasynthèsedesprincipaux
résultats.
Ilestàsoulignerquelesrecherches scientiques surlautismenont
aucun préjugé etnelaissentaucunehypothèsede côté.Elles sont
conduitesen parallèle à touslesniveaux dedescription pertinents
(génétique,rébral,cognitif,phénoménologique,ainsiquedanslenvi-
ronnementdelapersonne),chaqueniveau dedescription étant important
etnexcluantpaslesautres,lenjeu véritable étantsurtoutderelier
lescausesdécritesaux différentsniveaux.Toutesleshypothèses sont
lesbienvenues,àlacondition minimaledêtreformuléesdemanière
sufsammentprécisepourfairedesprédictionsclaireset testables.
Bienentendu,lesrésultatsobtenusparlarecherchesontvalablesen
moyenne,pourdesgroupesdepatientscomparésàdesgroupestémoins.
Celanempêchepas,si lesdonnéesou leshypothèseslesuggèrent,dexa-
minerlhétérogénéitédesgroupes,didentieretdetesterlexistence de
sous-groupesrelevantde causesdifférentes.Larecherchescientique
nimpliquepasquelindividualitéde chaquepatientsoit ignorée.Chaque
patientaun ensemblede caractéristiquesuniques,quisontessentielles
àprendre encompte enclinique.Néanmoinsil estcrucialdacquérir
desconnaissancesquisoientdansune certainemesuregénéralisablesà
dautrespatients.
COMMENTAIDERAUMIEUXLESPERSONNESAUTISTES?
Contrairementàune croyance encorelargementrépandue enFrance,
il sagit là égalementdunequestion toutàfait scientique.On ne
peutplus,auXXI
e
siècle,se contenterdesafrmationsde cliniciens
concernant leseffetspositifsdeleurstraitements,parce quils« voient
bien que ça marche».Onsait depuislongtempsquelescliniciens se
leurrentsouvent lorsquil sagit dedéterminerleffetdeleursactions
surlétatdeleurspatients,commelillustrele caslèbredelasaignée,
Dunod – Toutereproduction non autorisée estun délit.
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QUEST-CEQUELAUTISME?
pratiquequiperduradeux mille ansmalgréson effetnéfastesurlasanté
despatients(Singh etErnst,2011).Cest la compréhension deslimites
delamédecineintuitivequiconduisit progressivementàlélaboration
delamédecinefondée surdespreuves,quiestmaintenantdevenuele
standardinternationaldanstouteslesdisciplinesmédicales,ycomprisla
psychiatrie.
Defait,lesméthodesdelamédecinefondée surdespreuves sap-
pliquentexactementdelamêmemanière en psychiatriequailleurs.
Ilsagit,pourévaluerlefcacitédun traitement,dévaluerlétatdes
patientsavant traitement,aprèstraitement,etde comparerlévolution
deleurétatentregroupesdepatients subissantdifférentstypesde
traitements(Ramus,2012b).Cecisupposedepouvoirmesurerlétat
psychologiquedespatientsdemanièreobjective etable,ce quiestpar-
faitementpossible etce pourquoidesméthodesexistent(Ramus,2013b).
Cette approche a dailleursdéjà étéutilisée dansdenombreux pays
an dévaluerlefcacitérespectivededifférentstypesdetraitements
psychothérapeutiques(Expertise collectivedel’Inserm,2004,2002),y
comprislesdifférentstypesdinterventionsproposéespourlautisme.
Ilest importantdesoulignerquesi lesprincipesénonsci-dessus se
désignentsouslenomdemédecinefondée surdespreuves,il nesensuit
pasquelestraitementsconcernés sontnécessairementdenaturemédicale,
pharmacologiqueou psychothérapeutique.Lesméthodesdévaluation
sont indépendantesdelanaturedesinterventionsetsappliquent tout
aussibienàdesinterventionsdenature éducative,quiontdefait montré
une efcacitéintéressantepourlautisme.Cenestquenmars2012,à
lapublication dunerecommandation debonnepratiquedelaHaute
AutoritédeSanté(2012),que cestravaux,jusque-làlargement ignorés
enFrance,ontétémassivementdiffusésauprèsdesprofessionnelsetdu
public.La cinquièmepartiede ce livreleurestconsacrée.
Encoreunefois,detelsrésultatsnepeuventprétendre êtrevalables
pourtouslesindividus,mais seulementenmoyennesurlespopula-
tionstestées.Untraitementàlefcacitédémontrée enmoyennenest
pasnécessairementbénéque à touslespatientset,enloccurrence,
lesrésultatsmontrentquelesmeilleuresinterventionsindiquéespour
lautismeneréussissentvéritablementquà environ lamoitiédespatients.
Mieux comprendrelautremoitiédespatients,lanature et lescausesde
leurstroubles,et imaginerce quelon pourrait leurapporter resteun
déconsidérablequinepourra êtrerelevéqueparplusderecherches
scientiquesdequalité.
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