Dépistage du strabisme - chu

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Journal de pédiatrie et de puériculture (2013) 26, 79—82
Disponible en ligne sur
www.sciencedirect.com
ARTICLE ORIGINAL
Dépistage du strabisme
Screening of strabismus
A. Sauer ∗, C. Speeg-Schatz
Service d’ophtalmologie, nouvel hôpital civil, hôpitaux universitaires de Strasbourg, BP 426,
67091 Strasbourg, France
Reçu le 24 septembre 2012 ; accepté le 27 décembre 2012
MOTS CLÉS
Strabisme ;
Ésotropie ;
Éxotropie ;
Nystagmus ;
Amblyopie ;
Cataracte ;
Rétinoblastome
KEYWORDS
Strabismus;
Esotropia;
Exotropia;
Nystagmus;
Amblyopia;
Cataract;
Retinoblastoma
Résumé Le strabisme est un défaut de parallélisme des axes visuels. Sa prise en charge
médicale est une urgence fonctionnelle face au risque d’apparition d’une amblyopie. De plus,
tout strabisme doit faire rechercher une pathologie organique sous-jacente. Quelques éléments
d’interrogatoire et de l’examen clinique du patient permettent de séparer les enfants nécessitant une prise en charge urgente de ceux dont le pronostic visuel n’est pas menacé. Le rôle du
pédiatre est ainsi majeur dans le dépistage du strabisme puis l’orientation du patient vers un
ophtalmologiste.
© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Summary Strabismus is a defect of parallelism of the visual axes. His medical care is a functional emergency facing the risk of developing amblyopia. In addition, any strabismus should be
investigated underlying an organic pathology. Some elements of questioning and physical examination of the patient allow to separate children requiring urgent management from those whose
visual prognosis is not threatened. The pediatrician’s role is thus important in the detection of
strabismus and referring the patient to an ophthalmologist.
© 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Introduction
Le strabisme est un défaut de parallélisme des axes visuels. C’est un syndrome neurosensoriel complexe impliquant une composante motrice et une composante sensorielle. La
composante motrice implique une position anormale de l’œil dévié par rapport à l’œil
∗
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (A. Sauer).
0987-7983/$ — see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
http://dx.doi.org/10.1016/j.jpp.2012.12.005
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dominant (ou directeur ou fixateur) appelée déviation
strabique. La composante sensorielle est relative à une altération de la vision binoculaire. Puisque les axes visuels ne
sont plus alignés, le strabisme permanent devrait entraîner une diplopie (perception double d’une image unique).
Cependant, chez l’enfant, des phénomènes de compensation se mettent rapidement en place correspondant à
la neutralisation : l’image fournie par l’un des deux yeux
est supprimée afin d’éviter la diplopie. L’enfant étant en
pleine période de développement visuel, la conséquence est
double. Dans un premier temps, la vision binoculaire participant au sens du relief n’est pas acquise par le cerveau ;
cette perte est définitive si le strabisme débute dans les
premiers mois de vie. Dans un second temps, l’œil dominé
va diminuer son acuité visuelle : c’est l’amblyopie (baisse
d’acuité visuelle non améliorable supérieure à 2 déviations
standard) [1,2].
La France compte environ un million d’amblyopes
et 1 500 000 strabiques. Le strabisme et l’amblyopie
s’installent dans l’enfance. Ainsi, dans la population des
enfants de zéro à cinq ans (quatre millions en France),
150 000 amblyopes ou strabiques et 70 000 enfants avec des
lésions oculaires organiques (cataractes, glaucomes, dystrophies rétiniennes. . .) dont 4000 en cécité légale sont
recensés [3]. La plupart des strabismes et des amblyopies
sont accessibles à un traitement. De nombreuses études ont
ainsi montré l’intérêt du dépistage précoce et de la prise
en charge urgente du strabisme au cours du développement
visuel de l’enfant. En effet, tout retard de prise en charge
entraînera une amblyopie d’autant plus difficile à rééduquer. À l’inverse, un traitement précoce conduira à 95 % de
succès. Ainsi, une prise en charge avant l’âge de deux ans
sera couronnée de succès dans plus de 90 % des cas, alors
que les espoirs de récupération d’une amblyopie sont nuls
après huit ans [4]. De plus, le strabisme impose un bilan ophtalmologique complet afin de ne pas méconnaître une lésion
organique évolutive [1].
Dépistage du strabisme par le pédiatre
Tout d’abord, il convient de se rappeler qu’un strabisme
n’est jamais normal et que tout enfant présentant un strabisme doit être vu rapidement par un ophtalmologiste. Cette
assertion peut être nuancée chez le bébé de moins de
trois mois chez qui une déviation intermittente en convergence peut être tolérée. Dans tous les autres cas, un bilan
ophtalmologique s’impose afin de dépister une pathologie
organique et/ou une amblyopie [1—3]. Avant le bilan spécialisé, le pédiatre pourra évaluer le degré d’urgence de
la consultation par quelques éléments d’interrogatoire et
d’examen clinique.
A. Sauer, C. Speeg-Schatz
risque d’amblyopie est majeur lorsque l’œil dévié est toujours le même. De même, le caractère intermittent ou
permanent du strabisme devra être précisé afin d’évaluer la
présence d’une potentielle vision binoculaire (pas de vision
binoculaire en cas de strabisme permanent).
Le sens de déviation pourra aisément être déterminer par
le pédiatre. Les strabismes convergents (ou ésotropies) sont
parfois diagnostiqués par erreur devant un épicanthus (très
fréquent chez le petit enfant) ou une déviation uniquement
présente en vision de près (syncinésie accommodationconvergence normale en vision de près).
En cas d’épicanthus, l’impression de
strabisme apparaît surtout quand l’enfant
regarde sur le côté et que l’œil glisse sous le
rebord de la base du nez. Un strabisme peut
évidemment être associé à un épicanthus. Ainsi
en cas de doute, le recours à l’ophtalmologiste
peut s’avérer utile.
À l’inverse, aucun doute n’est permis en cas de déviation divergente (exotropie), vers le haut (hypertropie) ou
vers le bas (hypotropie) rapportée par les parents et un bilan
s’impose dans tous ces cas. De plus, un strabisme divergent
précoce impose un examen neuroradiologique devant la
forte association à des anomalies cérébrales [5].
Enfin, la présence d’un nystagmus ou celle
d’une position vicieuse de la tête (torticolis),
évocatrice d’une paralysie oculomotrice, doivent
faire pratiquer un examen ophtalmologique.
Observation
Au terme de cet interrogatoire, le pédiatre pourra réaliser quelques tests lui permettant d’éliminer une pathologie
urgente. À l’aide d’une simple lampe de poche, le pédiatre
devra rechercher une leucocorie (reflet blanc de la pupille)
afin d’éliminer notamment un rétinoblastome ou une cataracte. Devant une leucocorie, une prise en charge urgente
est nécessaire ; le rétinoblastome peut engager le pronostic
vital, la cataracte comme le rétinoblastome menacent rapidement le développement visuel de l’enfant. L’étude des
reflets (ou test de Brückner) permet aussi de mieux visualiser la déviation oculaire. Enfin, il conviendra de rechercher
un nystagmus qui impose un examen neuro-ophtalmologique
urgent [6].
Interrogatoire
Examen ophtalmologique réalisé par le
pédiatre
L’interrogatoire des parents et l’observation de l’enfant
jouent un rôle majeur dans la prise en charge. La date
d’apparition du strabisme est ainsi primordiale. Plus son
apparition est précoce, moins l’apparition d’une vision binoculaire est probable (jamais de vision binoculaire lorsque
le strabisme s’est installé avant neuf mois). Il conviendra
ensuite de préciser quel œil dévie le plus souvent car le
Deux tests sont réalisables par le pédiatre et apportent des
éléments contributifs sur la présence d’une pathologie ophtalmologique : la mesure de l’acuité visuelle et le test de
Lang. La mesure de l’acuité visuelle, réalisable sans trop
de matériel en cabinet de pédiatrie, permet de dépister
une amblyopie. Elle est difficile chez l’enfant préverbal
et se résume à une évaluation comportementale avec la
Dépistage du strabisme
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Dépistage du strabisme par
l’ophtalmologiste
Figure 1.
Test de Lang.
recherche d’une poursuite-fixation, de sourires-réponses,
d’une défense à l’occlusion, d’un développement harmonieux de la marche et du jeu. . . À l’âge verbal, l’acuité
visuelle sera évaluée en monoculaire de loin et de près avec
une échelle adaptée à l’âge. Plus que le score brut, le dépistage se concentrera sur une différence entre les deux yeux.
Toute différence d’acuité visuelle supérieure ou égale à
2/10e devra faire consulter rapidement un ophtalmologiste.
La réalisation d’un test de Lang (Fig. 1) donne une évaluation de la vision binoculaire.
Ce test peut donner des résultats intéressants
dès l’âge de 12 mois. Le Lang est dit positif si
l’enfant nomme les trois éléments vus. Par
extension, chez l’enfant préverbal, il est
indicatif de la présence d’une vision binoculaire
lorsque chaque image est touchée ou fixée
alternativement.
Il est sans intérêt face à un strabisme manifeste car toujours perturbé. Le Lang peut être remplacé par le test des
crayons lui aussi très facile à réaliser et qui donne une petite
approche de la vision binoculaire du patient. Le patient
ayant un crayon dans chaque main doit les superposer l’un
sur l’autre en monoculaire (en fermant un œil) puis en binoculaire. Le patient normal aura beaucoup plus de facilité
à réaliser ce test en binoculaire, à l’inverse d’un patient
présentant une vision binoculaire altérée. En cas de perturbation au test de Lang ou à celui des crayons, un recours à
l’ophtalmologiste sera nécessaire.
Comme affirmé précédemment, tout enfant avec un strabisme devra être vu par un ophtalmologiste, la mesure de
l’acuité visuelle et le test de Lang sont ainsi peu utiles chez
ces enfants. À l’inverse, en l’absence de signes fonctionnels
chez un enfant présentant une acuité visuelle monoculaire
à 10/10e avec un test de Lang normal, il n’y pas d’indication
immédiate à un examen ophtalmologique [1—3].
Au terme des examens de dépistage réalisés par le pédiatre,
l’ophtalmologiste devra prendre en charge tous les enfants
avec un strabisme, ainsi que ceux présentant une leucocorie, une anomalie de l’acuité visuelle ou de la vision
binoculaire. Idéalement, tout enfant devrait consulter un
ophtalmologiste une fois entre un et deux ans et une fois
avant l’entrée en cours préparatoire. En effet, les éléments de dépistage détaillés précédemment auront permis
de détecter bon nombre de patients avec une pathologie évidente, mais négligeront les très nombreux enfants
avec une amétropie (myopie, hypermétropie ou astigmatisme) dont les signes fonctionnels sont discrets voire
absents. Or les amétropies sont des causes fréquentes
d’amblyopie, dont la prise en charge est une urgence
fonctionnelle. Ces amétropies sont difficiles à mettre
en évidence sans un examen ophtalmologique spécialisé
[3].
Recherche d’une pathologie organique
Devant tout strabisme, un examen ophtalmologique complet
sera réalisé. Il comprend un examen minutieux à
l’ophtalmoscope ou la lampe à fente des paupières, de la
cornée (kératite), de la chambre antérieure (uvéite) et du
cristallin (cataracte). L’examen sera complété par un fond
d’œil afin de vérifier l’intégrité du vitré, de la rétine et
du nerf optique. Le fond d’œil nécessitant une mydriase
pharmacologique perturbant la mesure de l’acuité visuelle
et l’analyse de la déviation oculaire sera réalisé en fin de
consultation [1].
Dépistage d’une amblyopie
Comme évoqué précédemment, la recherche d’une amblyopie est fondamentale devant tout strabisme et a fortiori
devant toute pathologie oculaire chez l’enfant. L’amblyopie
est recherchée par la mesure de l’acuité visuelle sans, mais
surtout avec correction optique. Les moyens de mesure
de l’acuité visuelle chez l’enfant verbal ne posent pas de
problèmes et ont été détaillés précédemment. Le bébévision (technique du regard préférentiel ou Teller) permet
d’approcher l’acuité visuelle d’un enfant dès quatre à six
mois.
Cet examen quantitatif est intéressant dans
le suivi des patients amblyopes mais inutile
comme élément de dépistage, car il nécessite
une attention soutenue et est très chronophage.
De plus, le bébé-vision ne doit pas être utilisé en
dépistage car il présente de nombreux
faux-positifs et faux-négatifs [7].
La recherche d’une amblyopie reposera ainsi sur la
mesure de la réfraction objective sous-cycloplégique, qui
constitue aussi l’élément de base du dépistage d’une amétropie [1,3].
82
Tableau 1
A. Sauer, C. Speeg-Schatz
Les différents cycloplégiques disponibles.
Cycloplégique
®
Cyclopentolate (Skiacol )
Atropine
0,3 % avant 3 ans
0,5 % entre 3 et 5 ans
1 % après 5 ans
Schéma thérapeutique
Contre-indications
T0, T5 min et T10 min
Mesure entre T45 et T60
Enfant < 1 an ?
Mélanoderme ?
Matin et soir à débuter entre 3 et
6 jours avant examen
Pathologies cardiaques
Intolérance connue
Dépistage des amétropies
Les capacités d’accommodation étant très importantes chez
le petit enfant, une mesure correcte de la réfraction (puissance nécessaire à une vision de loin sans correction)
nécessite une paralysie de l’accommodation ou cycloplégie.
La cycloplégie peut être obtenue soit par l’instillation de
cyclopentolate, soit par l’instillation d’atropine [8]. Tous les
cycloplégiques entraînent une mydriase et permettent ainsi
la réalisation d’un fond d’œil (Tableau 1).
La mesure de la réfraction sous-cycloplégique va rechercher des amétropies dont l’évolution est corrélée à un fort
risque d’amblyopie ou de strabisme, comme une hypermétropie supérieure à 3,5 dioptries, un astigmatisme supérieur
à 1,5 dioptries ou une anisométropie (différence de réfraction entre les deux yeux supérieure à 1 dioptrie) et permet,
chez l’enfant verbal, de mesurer l’acuité visuelle avec correction. Le port d’une correction optique sera indiquée en
cas d’amétropie à risque d’amblyopie et bien sûr en cas
d’amblyopie avérée ou de strabisme. Le port de la correction optique constitue ainsi le premier élément de la prise
en charge du strabisme et de l’amblyopie [9,10]. La rééducation (occlusion de l’œil dominant par patch collé sur la
peau associé au port de la correction optique) s’imposera
en cas d’amblyopie.
Conclusion
La prise en charge médicale du strabisme est une urgence
fonctionnelle face au risque d’apparition d’une amblyopie. De plus, tout strabisme doit faire rechercher une
pathologie organique sous-jacente. Tout enfant présentant un strabisme doit ainsi être vu rapidement par un
ophtalmologiste.
Déclaration d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en
relation avec cet article.
Références
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