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Les informations disponibles sont en définitive peu opérationnelles
pour comprendre ces prises en charge complexes et leurs déterminants, et
ce d’autant plus que les médecins généralistes les effectuent dans un
contexte «ouvert» qui présente les caractéristiques suivantes : le méde-
cin généraliste n’intervient pas seul, il doit ajuster les traitements qu’il
prescrit avec ceux d’autres prescripteurs hospitaliers et/ou spécialités de
ville; il doit, au cours d’une même consultation, négocier avec le patient
le fait de continuer à prendre ses traitements chroniques et, souvent, trai-
ter des problèmes aigus intercurrents (parfois médico-sociaux); il est éga-
lement confronté aux difficultés de faire adopter une approche
hygiéno-diététique et comportementale des facteurs de risques, en parti-
culier cardiovasculaires (éducation thérapeutique et approche centrée sur
le patient); il peut certes de plus en plus s’appuyer sur des recommanda-
tions de bonne pratique, mais celles-ci sont encore principalement cen-
trées sur une approche mono-problématique, même si une évolution
s’amorce avec la prise en compte de populations plus spécifiques de la
médecine de premier recours; il est confronté à une innovation médica-
menteuse rapide et à une pression de l’industrie pharmaceutique qui peu-
vent remettre en cause des schémas thérapeutiques éprouvés avec des
molécules plus anciennes (Bras et al., 2007); enfin, les outils informati-
sés d’aide à la prescription (quand ils sont utilisés) mettent à la disposition
des médecins des informations certes utiles, mais qui ne donnent pas de
règles de décision dans nombre de cas complexes. Du côté de la demande,
les rapports entre patients et médecins, comme leur rôle dans le système
de soins, connaissent des transformations importantes. Ces patients, plus
critiques, disposent de meilleures connaissances et souvent de plus d’in-
formations. Ils sont en capacité de mieux formuler leurs attentes vis-à-vis
du système de santé et des professionnels, aidés en cela par le développe-
ment de l’expertise associative (CISS, 2011; Lascoumes, 2002). La loi de
2002 permet aux patients et à leur entourage d’intervenir dans la décision
médicosociale, notamment lors du maintien au domicile et de la fin de vie
(3). Par ailleurs, le rôle de la famille, en partie discrédité du fait de l’ins-
titutionnalisation de la médecine scientifique (Orfali, 2002), est appelé à
reprendre sa place avec les soins à domicile dans le cadre d’une réaffir-
mation des soins primaires et d’une rationalisation des soins hospitaliers.
La majorité des travaux en sciences sociales portant sur la médecine géné-
rale s’attachent essentiellement à étudier les modes de pratique et d’orga-
nisation des médecins généralistes (Bloy, 2010; Bungener, 2002). Nous
proposons d’explorer ici la complexité de l’objet «polypathologie chro-
nique» qui constitue de plus en plus la matière sur laquelle travaillent
(3) Loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie.