ration et recyclage de déchets, etc.).
Toutefois, en Région flamande, les en-
treprises d’insertion agréées («I n v o e g -
bedrijven») actives dans la récupéra-
tion de déchets peuvent être également
agréées en tant que centres de recy-
clage («K r i n g l o o p c e n t r a »). Leur double
production à caractère collectif est alors
reconnue : l’insertion d’un public fragi-
lisé et la protection de l’environnement.
Une autre tension semble apparaître
entre une conception « u n i d i m e n s i o n-
n e l l e » et une conception «m u l t i d i m e n -
s i o n n e l l e » de l’insertion. Avec leur ins-
titutionnalisation, les ESI se voient as-
signer par les pouvoirs publics un ob-
jectif d’insertion professionnelle et leur
performance est souvent évaluée par
rapport à l’insertion sur le marché du
travail. Or, beaucoup d’initiatives pour-
suivent un double objectif d’insertion
professionnelle et sociale. Leur action
se veut multidimensionnelle, ayant des
effets sur les différentes sphères de la
vie sociale des participants, au-delà de
la seule réinsertion professionnelle. Une
évaluation à l’aune du seul taux de ré-
insertion des participants peut avoir un
impact sur la sélection du public béné-
ficiaire des ESI, incitant à des pratiques
d’écrémage des participants.
Ressources
Au niveau des ressources, les ESI ar-
ticulent souvent différents types de res-
sources. Par la vente de biens et ser-
vices, elles obtiennent des ressources
marchandes. Par les subsides, octroyés
notamment par reconnaissance de la
production de bénéfices à la collecti-
vité, elles obtiennent des ressources
non marchandes. Par les dons et le
bénévolat pour certaines, mais aussi la
participation à des partenariats, des ré-
seaux, etc., elles obtiennent des res-
sources réciprocitaires. Or l’institution-
nalisation des ESI les force souvent à
s’inscrire soit dans l’économie sociale
dite «marchande», soit dans l’écono-
mie sociale dite «non marchande », le
critère distinctif étant l’importance des
recettes marchandes dans le finance-
ment de l’entreprise. En Région wal-
lonne par exemple, les EFT sont consi-
dérées comme des organisations non
marchandes prestant des services de
formation et doivent limiter la part de
ressources marchandes dans leur fi-
nancement, afin de ne pas confondre
formation et production. Le risque est
alors qu’à terme elles ne puissent plus
poursuivre leur mission de formation
par le biais d’une réelle activité pro-
ductive. Les EI agréées sont, quant à
elles, inscrites dans l’économie sociale
«m a r c h a n d e ». Dès lors, elles accèdent
à divers marchés et les financements
publics ne se justifient que pendant une
période initiale ou en fonction de l’em-
bauche de nouveaux travailleurs défa-
vorisés, la vocation de ces entreprises
étant d’opérer sur des marchés clas-
siques et d’y trouver l’essentiel des
r e ssources qui leur sont nécessaires.
Face à cette politique de subvention
dégressive, on retrouve à nouveau un
risque d’écrémage des participants,
soit à l’entrée soit à l’issue des quatre
ans de subventions.
Ainsi, le type d’articulation entre les res-
sources marchandes et non marchan-
d e s par les ESI n’est pas sans consé-
quences sur leur objectif d’insertion et
sur leur public cible. Une politique de
subsidiation à long terme est plus adé-
quate à la poursuite d’un objectif multi -
dimensionnel d’insertion sociale et pro-
fessionnelle, alors que des subsides à
court terme incitent les ESI à concen-
trer leurs efforts sur des travailleurs plus
proches d’une insertion professionnelle
stricto sensu.
Andreia Lemaître,
chercheuse au CERISIS
(1) Entreprises sociales d’insertion.
d’insertion et politiques publiques
13
DOSSIER
TRAVERSES 183 • octobre 2004
L’entreprise sociale
Elle rassemble les organisations d’économie sociale qui ont une dimen-
sion clairement marchande et une dimension d’intérêt général, c’est-à-
dire un objectif explicite de bénéfice à la collectivité. Une part impor-
tante de ces entreprises est active dans l’insertion par le travail. Un
des objectifs de ces entreprises sociales d’insertion par le travail (ESI)
est alors l’insertion, par le biais d’une activité productive, de personnes
fragilisées sur le marché du travail.
Il y a une grande diversité parmi les ESI. Outre les «Entreprises de tra-
vail adapté » (ETA), on pensera en Région wallonne, au niveau des s t a -
tuts légaux, aux « E n t rep rises de formation par le travail » (EFT) et aux
«E n t r eprises d’insertion» (EI). D’autres initiatives, ASBL pour la plupart,
sont aussi actives dans l’insertion par le travail de personnes défavori-
sées, bien qu’elles n’aient pas cherché à obtenir l’un de ces agréments.
génération d’ESI s’est alors dévelop-
pée, s’ouvrant à la concertation avec
les pouvoirs publics, qui décidèrent de
les reconnaître et de leur fournir un
cadre légal.
Avancée
Cette reconnaissance légale est à pla-
cer dans un contexte d’évolution des
politiques publiques. De fait, face à la
montée du chômage et à la dégradation
des finances publiques, les pouvoirs
publics ont mis sur pied dans les an-
nées 1980 une série de politiques ac-
tives visant l’intégration des chômeurs
sur le marché du travail. Le développe-
ment de la formation professionnelle,
de programmes de résorption du chô-
mage et d’aides à l’embauche, parti-
culièrement pour les groupes jugés «à
r i s q u e », constituèrent les piliers des
politiques actives dans les années 90.
Depuis la fin des années 1990, le con-
cept d’ « État social actif » est au cœur
de la philosophie des politiques actives.
Dans cette perspective, l’État est censé
développer des mesures pour inciter
les personnes à s’intégrer dans la vie
active et plus particulièrement sur le
marché du travail. Les allocataires so-
ciaux, quant à eux, ont le devoir de sai-
sir les opportunités qui leur sont présen-
tées. Dans ce cadre, les politiques ac-
tives occupent une place centrale, no-
tamment ciblées sur les personnes b é -
néficiaires d’allocations sociales, via la
reconversion de ces moyens en aides
à l’emploi.
Dans ce contexte, les ESI se sont ins-
crites dans un processus d’institution-
nalisation. Elles furent reconnues lé-
g a lement et inscrites dans l’action pu-
blique. Dans le cadre de l’État social
actif, ces ESI représentent souvent un
des instruments de mise en œuvre des
politiques actives d’emploi. Par exem-
ple, dans certains cas, elles furent re-
connues au sein des dispositifs formant
le «parcours d’insertion». On peut dès
lors faire l’hypothèse que ces ESI sont
nées dans le champ du travail social et
sont aujourd’hui plus liées aux politi-
ques d’emploi.
Cependant, certaines ESI ont choisi de
ne pas entrer dans cette voie d’institu-
tionnalisation, de ne pas adopter un
des cadres légaux spécifiques à l’in-
sertion (ce qui n’empêche pas qu’elles
puissent bénéficier de certaines res-
sources provenant des politiques ac-
tives d’emploi). Ce sont principalement
des ASBL, qui utilisent les programmes
de résorption du chômage pour pour-
suivre leurs objectifs.
Reconnaissance légale
Ces mouvements d’institutionnalisation
ont permis aux ESI d’être reconnues
par les autorités publiques et de béné-
ficier ainsi d’une plus grande visibilité,
d’une reconnaissance légale et, par
leur inscription dans les politiques ac-
tives d’emploi, d’un accès plus stable
aux ressources publiques nécessaires
à la poursuite de leurs objectifs. En
même temps, la mise en place d’une
telle régulation comprend un risque de
cadrage qui limite les possibilités d’au-
tonomie et d’innovation de ces ESI. Elle
a des impacts sur les objectifs et les
ressources de ces entreprises.
En effet, les cadres légaux tendent à
ne reconnaître que l’objectif d’insertion
des ESI, alors que certaines poursui-
vent aussi un objectif de bénéfice à la
collectivité à travers leur activité de
production (services sociaux, récupé-
Entreprises
sociales
12
DOSSIER
Les ESI
(1)
par le travail
sont nées pour la plupart
dans le champ du travail
social. Beaucoup s’inscrivent
aujourd’hui dans des cadres
légaux spécifiques à
l’insertion, liés aux politiques
actives d’emploi, qui ont
connu un essor considérable
depuis les années 80
lorsque l’État s’assigna
une fonction d’insertion.
n Belgique, les entreprises
sociales d’insertion par le
travail (ESI) furent impul-
sées par des acteurs de la société civile
dans les années 1970 et 1980, dans un
contexte de croissance du chômage et
de l’exclusion sociale. Ces initiatives,
visant l’insertion de personnes préca-
risées, furent développées en marge
des politiques publiques traditionnelles,
qui ne fournissaient pas une réponse
jugée adéquate à ces problèmes. Elles
ont donc eu tendance à émerger dans
une perspective de contestation et
d ’ a u t onomie par rapport aux pouvoirs
publics, à pointer les limites des poli-
tiques publiques face aux personnes
exclues du marché du travail. Elles ont
ainsi contribué au renouvellement des
politiques sociales de lutte contre la
pauvreté et l’exclusion. Une seconde
E
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