C’est ici que l’insertion par l’activité éco-
nomique vient surfer sur la montée de
l’activation des allocations sociales (les
P T P, l’article 60, l’Activa+, etc.), en par-
ticulier (en Belgique francophone)
les initiatives émanent des pouvoirs
locaux et là où elles adoptent une ap-
proche plus sociale.
Mais il ne s’agit surtout pas de dire que
l’activation dilue la dimension économi-
que dans un retour sur l’insertion sociale!
En fait cela peut aussi bien être l’inverse,
notamment quand l’insertion par l’éco-
nomique marie l’activation à un autre trait
marqué du paysage belge : l’initiative
des pouvoirs locaux. L’économie publi-
que, même au niveau des pouvoirs lo-
caux, cela reste de l’économie à part
contre
le chômage
5
DOSSIER
TRAVERSES 183 • octobre 2004
nouvelles voies de l’insertion par l’éco-
nomique. On peut penser aux diff é r e n -
t e s formes de collaboration entre l’inté-
rim et les acteurs associatifs de l’inser-
tion. L’insertion négociée, quant à elle,
a été rejointe par d’autres pratiques
comme le placement direct ou inversé
(accompagner l’employeur pour stabi-
liser un chômeur dans l’emploi).
Mais l’économie sociale n’a pas dit son
dernier mot. Pourquoi n’irait-elle pas plus
chercher des alliances avec les Fonds
sectoriels, particulièrement présents en
Belgique, et de plus en plus mobilisés
dans les politiques d’emploi?
Thomas Lemaigre
entière. Et l’insertion de tenter de pren-
dre la main sur l’organisation des «n o u -
veaux métiers urbains» ou dans des
dynamiques de développement local.
On défrichera encore
Cela dit, l’entreprise sociale, si elle a été
une approche pionnière avant d’être
consacrée par l’insertion par l’écono-
mique, a aujourd’hui atteint le stade de
la maturité : ses enjeux sont de forma-
liser ses
business models
propres, de
se réapproprier ses toutes nouvelles
législations, de professionnaliser ses
cadres, etc.
Et c’est sans doute ailleurs qu’il faut sur-
tout chercher ce qui s’invente comme
Elico, entreprise de rénovation durable et solidaire, est une
initiative plutôt originale dans le paysage des entrepreneurs
puisqu’elle se distingue du marché de la rénovation en bâti-
ments par l’usage de matériaux éthiques (propres et durables)
mais aussi par un fonctionnement qui répond aux critères de
l’économie sociale. Entreprise générale de construction créée
en 1989, Elico est une coopérative de rénovation urbaine ac-
tive quasi exclusivement à Bruxelles.
«N o u s ne faisons pas
d’insertion mais nous nous distinguons par le poids égal que
nous attribuons au sein de l’entreprise à l’économique, l’humain
et l’environnement,
explique Emmanuel Everarts de Velp, un
des deux administrateurs délégués d’Elico
. Nous n’avons pas
choisi le statut de coopérative par hasard, c’est un choix -
libéré en concordance avec les valeurs que nous voulons
mettre en avant : être une entreprise du bâtiment à échelle
humaine, alliant l’exigence d’un travail de q u a l i t é , le respect
de ses travailleurs et le sens des responsabilités au sein d’une
ville en chantier perpétuel, tant pour le patrimoine du bâti que
dans la création d’emplois utiles.»
Particularité de l’entreprise: ses 11 travailleurs proviennent d e
huit cultures difrentes : polonais, bulgare, marocain, russe, t u-
nisien, belge, zaïrois, etc. Pour qu’une telle diversité vive en-
semble, il faut un grand respect entre les personnes. Un respect
cu d’autant plus facilement que la direction bicéphale d’Elico
est elle aussi multiculturelle. L’entreprise est en effet d i r i g é e
par deux Belges, d’origine tunisienne et belge, de culture mu-
sulmane et chrétienne, de famille paysanne et aristocratique.
Pour Sadok Boudoukhane et Emmanuel Everarts de Ve l p ,
une telle diversité est une évidence mais aussi une vérit a b l e
richesse. Une diversité que l’on retrouve également parmi les
c o o p é r a t e u r s : un coopérateur d’origine juive polonaise, des
pensionnés, deux architectes, un ingénieur, un prof d’unif, la
Fondation pour les générations futures... mais aussi les ou-
vriers. Ceux-ci possèdent en effet des parts dans la coopérative
qui valent deux fois la valeur des parts d’un autre petit porteur,
ainsi les travailleurs gardent-ils la main sur leur entreprise.
Parmi les autres valeurs prônées par Elico, citons une atten-
tion particulière à la formation des travailleurs, à leur sécurité
et à leur santé, ce qui se traduit notamment par le choix de
matériaux non nuisibles aussi bien pour les clients que pour
les ouvriers. Une attention aussi à la participation des tra-
vailleurs : une fois par mois, ceux-ci se réunissent et discutent
de l’organisation de l’entreprise et de choses pratiques. C . M .
Elico scrl • rue Delaunoy, 141 • 1080 Bruxelles • tél. : 02/411 33 21
fax : 02/411 37 44 [email protected].
La «nouvelle économie sociale» par l’exemple
en TIC. Juste ce qu’il faut pour franchir
le seuil de l’embauche. Mais ces seuils,
les employeurs les mettent d’autant
plus haut que la compétition est dure
sur le marché de l’emploi. De nouveau,
les chômeurs les plus défavorisés res-
tent sur le carreau.
Les pionniers de l’insertion se mettent
alors à chercher des alternatives pour
que ces publics cessent de rester aux
marges de l’économie. On explore tou-
tes les directions. C’est là qu’on com-
mence à parler d’insertion par l’écono-
mique. En Belgique, on voit par exemple
apparaître ce que les évaluateurs de
l’Objectif 3 du FSE ont appelé l’inser-
tion négoce : une entreprise, un pres-
tataire de formations et souvent des
représentants des travailleurs sont mis
autour de la table par un «e n s e m b l i e r » ,
comme une mission régionale, qui les
amène à négocier un parcours de for-
mation pour des publics défavorisés, qui
les fasse boucher sur un petit nombre
d’emplois que l’employeur leur réserve.
L’insertion professionnelle se positionne
comme une sorte de raccourci entre
l’assurance-chômage et l’entreprise.
L’entreprise sociale
des années 90
L’économie sociale a sa place dans ce
mouvement. Surtout avec la reconnais-
sance dérale puis régionale des entre-
prises d’insertion. Au lieu de partir de
l’activité économique existante, on tente
de cer des activités commercialement
viables. Soit en misant sur des secteurs
intensifs en main-d’œuvre typique-
ment le bâtiment et l’horeca –, mais il
faut y concurrencer le travail au noir tout
en répondant aux reproches de concur-
rence déloyale de représentants des
PME... qui travaillent en partie avec le
même public. Soit en misant sur des
n o u veaux secteurs comme l’économie
des déchets et l’agriculture bio, ou en-
core sur des marcs de niche comme
les plantes aquatiques ou les sculptures
en polyester. C’est ce qu’on appelle (en
Wallonie) l’économie sociale marchande,
souvent en cheville avec le monde de
l’insertion,... mais parfois pas.
L’entreprise d’insertion (EI) s’est déve-
loppée de deux manres d o m i n a n t e s .
Pour faire court, on a d’une part les en-
treprises issues de la « nouvelle éco-
n o mie sociale», qui croisent les v a l e u r s
de la démocratie économique et de la
coopérative avec les intuitions f o n d a -
trices de l’insertion par l’économique.
On a affaire à une gestion participative
volontariste et à des produits et ser-
vices destinés aux entreprises (B2B) o u
aux consommateurs de façon géné-
r a l e . Et de l’autre côté, on a les initiati-
v e s des pouvoirs locaux et des CPAS,
qui visent une clientèle à profil social et
sont es de façon plus traditionnelle.
Nouvelles alliances
Chemin faisant, on s’est aussi rendu
compte que les approches se diversi-
fiaient : et certains de revenir à une pra-
tique plus sociale de l’insertion, en iden-
tifiant et en organisant des activités éco-
nomiques adaptées aux publics les plus
fragilisés, quitte à imaginer des circuits
un peu en décalage avec le reste de
l’économie et très intensivement sub-
ventionnés. Ou d’autres d’utiliser ces
activités pour donner aux chômeurs dé-
f a vorisés une expérience profession-
nelle supposée les repositionner sur le
marc de l’emploi... On parle donc plus
volontiers aujourd’hui d’économie so-
ciale d’insertion (ESI) ou, comme dans
les années 80, d’entreprise sociale.
4
DOSSIER
L’insertion par
l’économique, c’est u n e
tendance, une approche,
et non un secteur.
L’intuition de base en est
parfaitement simple : rendre
aux chômeurs les plus
défavorisés une place réelle
dans l’économie.
e terme est apparu en France
dans les années 90. Il vient du
constat des limites des appro-
ches jusqu’alors dominantes en matière
d’insertion professionnelle. Quelles
l i m ites ? Il y a d’abord le versant social
de l’insertion, qui vise à pallier les fai-
blesses des publics fragilisés pour les
repositionner sur le marché de l’emploi.
On parle d’égalité des chances et de
discrimination positive. Mais le marché
de l’emploi conserve tous ses ca-
n i smes sélectifs : on aide la personne,
«à structure économique inchangée» .
L e s résultats sont insuffisants compas
a u x ressources mobilisées : même sou-
t e n u s, ces chômeurs restent désavan-
tagés une fois qu’ils sont mis en com-
pétition avec les autres sur le marché
de l’emploi.
L’approche de l’insertion opposée est
économique : elle est portée par les
entreprises et non par les profession-
nels du social. Elle part des postes va-
cants et cherche des ajustements fins:
on développe des formations assez
spécifiques par exemple en langues ou
L
TRAVERSES 183 • octobre 2004
Mobiliser l’économie
o ff r e s d’emploi avait été effectué en
1999 déjà. Et il a été démontré que, à
compétences techniques égales, l’em-
ployeur engage ou maintient dans l’em-
ploi celui qui présente ces «plus so-
c i a u x ». D’une recherche-action com-
mune aux centres Brutec sur ce thème
est sorti cemment un cahier de 130 pa-
g e s
( 4 )
, sommant les acquis des six cen-
tres en ces matières. Les centres ISP
intéressés trouveront dans l’ouvrage
des réponses à leurs questions con-
cernant la manière de faire acquérir à
leur public ces compétences sociales
dorénavant si recherchées par tous...
Delphine Huybrecht
(FeBISP)
Brutec • rue de la Caserne, 86-88 • 1000 Bruxelles
02 505 11 64 • [email protected] • www.brutec.be
(1) Technologies de l’information et de la com-
munication.
(2) BRUTEC : Une nouvelle vision de l’e-écono-
mie des métiers intermédiaires en TIC - un défi
relevé depuis 1987, septembre 2004.
(3) Source : Observatoire bruxellois du marché
de l’emploi et des qualifications, Panorama de
l’industrie technologique à Bruxelles, déc. 2003.
(4) BRUTEC : Les compétences sociales dans les
formations en TIC des centres ISP de Brutec, 2004.
DOSSIER
TRAVERSES 183 • octobre 2004
la clé de l’insertion
F O R M ATIO NS EXISTA N T E S
Le CASI-UO/COFTe N propose actuellement quatre
formations (plus d’info sur http://www.coften.be) :
• Technicien de maintenance PC et réseaux LAN
(français-néerlandais);
• Technicien de maintenance PC, assistant-administra-
teur de réseaux LAN;
• Employé aide-comptable avec compétences en infor-
matique-bureautique;
• Assistant en secrétariat avec compétences en infor-
matique-bureautique-réseaux (locaux et Internet).
F I J propose actuellement les formations suivantes
(plus d’infos sur http://www.fij.be) :
• Préformation généraliste d’opérateur Internet
• Développeur Internet
• Assistant webmaster
• Technicien/support PC et réseaux
• Technicien en utilisation de l’informatique (helpdesk)
CF 2000 propose actuellement les formations sui-
vantes (plus d’infos sur http://www.CF2m.be)
• Bases informatiques
• Informatique de gestion
• Traitement de l’image numérique
• PAO (publication assistée par ordinateur)
• Web design et vidéo numérique
• Bases «Réseaux »
• Technicien PC réseaux
• Animateur multimédia
Le CEFA-UO propose les formations suivantes (plus
d’infos sur http://www.cefa-uo.be):
• Administrateur réseaux
• Bureautique en tourisme (1 mois de formation et 2 mois
de stage en Espagne)
• Bureautique et langues
• Bureautique PAO et réseau (Internet)
Interface 3 propose les formations suivantes pour les
femmes sans emploi (plus d’infos sur http://www.in-
t e r f a c e 3 . b e ) ; attention, seules deux d’entre elles
s ’ a d r e s sent spécifiquement à un public peu qualifié :
• Helpdesk informatique et
• Gestionnaire de sites web
Les autres formations s’adressent aux demandeuses
d’emploi de tous niveaux.
• Gestionnaire réseaux informatiques
(MCP Windows 2000)
• Module préparatoire au MCP (Microsoft Certified Pro-
fessional) «Administration et maintenance d’un envi-
ronnement Microsoft Windows Server 2003»
• Assistante administrative & comptable bilingue
• Assistante en e-commerce international
• Web application devineresse
• Assistante commerciale
• Webmaster technique
Intec Brussel propose les formations suivantes (en
néerlandais, plus d’infos sur www.intecbrussel.be) :
• Prise en main de l’ordinateur
• Mieux travailler avec un ordinateur
• Initiation à MS Office
• Technicien PC/Réseaux
• Technicien PC/Réseaux + cours de néerlandais
• Développeur de sites web
• Programmateur Windows
• Maintenance et helpdesk de réseaux Windows/Linux
7
daires surieures. En effet, les activités
liées aux TIC sont en constante évolu-
tion. De nombreuses tâches liées à l’uti-
lisation de l’informatique dans les entre-
prises ne requrent pas cessairement
un diplôme élevé. Les travailleurs sur-
diplômés pour le travail exigé peuvent
entraîner un surcoût inutile pour l’entre-
prise et voient souvent, aps un certain
temps, leur motivation baisser fortement.
Liens avec
les entreprises
Appuyé en cela par la gion de Bruxel-
les-Capitale, partenaire de l’ORBEM,
du VDAB et de Bruxelles-Formation, un
des premiers rôles de Brutec consiste
donc en une « veille technologique» : il
s’agit de se concentrer sur une analyse
permanente du développement de la
technologie afin de gager des tâches,
des nouveaux tiers, qui peuvent être
assus sans difficulpar le public
cible, constitué en majorité de deman-
deurs d’emploi bruxellois (hommes et
femmes en proportions équilibes), qui
n’ont, pour 80% d’entre eux, pas ter-
miné leurs études secondaires supé-
rieures. Ensuite, Brutec sert de plate-
forme entre ses membres dans le travail
de recherche commun en vue de l’adap-
tation des formations, le partage de la
réflexion pédagogique, l’évaluation col-
lective des formations et le dégagement
de propositions d’amélioration.
Brutec se veut en outre être une inter-
face de choix entre les centres qu’elle
coordonne et les entreprises. Le credo
de Brutec : une bonne synergie entre
ces deux mondes permet d’assurer des
formations toujours adaptées aux réa-
lités du marché. Les formations dispen-
sées dans les centres Brutec sont en
e ffet remises à jour continuellement,
pointues, axées sur la pratique (des PC
«up-to-date » sont mis en suffisance à
l a disposition des stagiaires) et com-
p l é t é e s par un stage en entreprise.
Résultats probants
Brutec a commencé son travail d’éva-
luation à partir de fin 1991. Depuis 1991,
2 700 personnes ont commencé une
formation. Plus de 80% de ces person-
nes l’ont menée à bien et, en moyenne,
tous profils confondus, 76% d’entre elles
ont trouvé un emploi ou repris une for-
mation (7%). Les formations en bureau-
tique débouchent à 65% sur un emploi
dans une entreprise marchande, le non-
marchand et les administrations deve-
nant employeurs pour les 35% restants.
Pour les techniciens spécialisés en soft-
ware (Internet et PAO), 75% des em-
ployés le sont dans des e n t r ep r i s e s
marchandes et le reste se partit à éga-
lité dans le non-marchand et l’adminis-
tration. Enfin, les formations de techni-
ciens «PC réseaux» débouchent dans
8 0 % des cas à l’emploi dans les entre-
prises commerciales, les 2 0 % restants
étant absorbés à nouveau par le non-
marchand et le secteur public.
Compétences
techniques et sociales
Nous avons, dans la première partie de
cet article, souligné le caractère avant
tout technique des formations dispen-
sées dans les centres Brutec. Mais
Brutec s’est depuis longtemps rendu
compte de l’importance accordée par
les employeurs à ce que l’on appelle
les « compétences sociales» (sens de
la communication, assertivité, motiva-
tion, capaci de travailler en équipe,
gestion du temps...). Un relevé systé-
matique de celles-ci au travers des
6
DOSSIER
«Sans ingénieurs et
chefs d’entreprise dyna-
miques, l’économie dépérit.
(...) Les centres de BRUTEC
forment des collaborateurs
compétents en bureautique,
site Internet ou PC réseaux,
réels partenaires d’un
projet d’entreprise...»
(2)
i l’économie dans son en-
semble est en voie de «t e r -
tiarisation rapide», ce phé-
nomène est encore accentué à Bruxel-
les où sont implantées un tiers des ac-
tivités liées aux TIC du pays
( 3 )
. C’est
dire si les formations à ces métiers sont
un enjeu important pour l’emploi des
Bruxellois, particulrement pour les
demandeurs d’emploi peu qualifiés, qui
constituent le gros des ficiaires
des actions des organismes de l’inser-
tion socioprofessionnelle.
Former à des métiers dits «de pointe»
des personnes qui ont abandon pré-
cocement le parcours scolaire « c l a s -
s i q u e »? Le défi est-il possible à rele-
v e r ? Oui, et c’est toute la valeur ajou-
t é e d ’ u ne coordination telle que Brutec.
Celle-ci propose, en effet, une marche
originale : repérer les nouveaux tiers
qui, liés aux TIC, sont définis par leur
forte composante technique et peuvent
être assumés par des personnes qui
n’ont pas le diplôme d’études secon-
S
TRAVERSES 183 • octobre 2004
Formations
Formations aux
TIC
(1)
,
cette femme, elle est vouée à l’échec.
L a q u e s tion n’est donc pas d’être pour
ou contre les femmes. Les modèles et
les structures de l’insertion reposent
sur des schémas qui ne sont plus d’ac-
tualité dans cette société, tout simple-
ment parce que les rôles des hommes
et des femmes ont changé. Il suffit de
penser au nombre croissant de familles
monoparentales.
Sans doute, mais comment traduire
tout cela sur le lieu de travail ?
GB :
Il y a les choses qui sont visibles
en surface: est-ce que j’engage une
femme ou pas ? Et si elle tombe en-
ceinte ? Pourquoi faire des réunions en
début de soirée, n’est-ce pas possible
à un autre moment ? En travaillant sur
ces aspects-là, on met au jour le modèle
de réflexion sous-jacent, ce qui permet
de faire un pas de plus que simplement
apporter des solutions spécifiques à
des problèmes spécifiques.
AS :
Une entreprise peut chercher à
repérer les pierres d’achoppement qui
se posent à un niveau plus général et
examiner les possibilis pour mieux
c o ncilier le travail et la vie familiale. Si
on ne change rien à la structure organi-
sationnelle, il faut sans cesse recher-
9
TRAVERSES 183 • octobre 2004
c h e r de nouvelles solutions. C’est pour
cela que, dans notre sysme de job-
coaching, nous faisons de l’employeur
un véritable partenaire du processus.
Si quelqu’un ne sait pas ce qu’il est pos-
sible de faire lorsque son enfant tombe
malade, soit le coach essaie de résou-
dre chaque problème tout seul, soit il e n
fait part à l’employeur et il envisage le
problème avec lui: pourquoi cette per-
sonne ne parvient-elle pas à s’en sortir?
Les entreprises sont-elles ouvertes à
ce genre d’examen de conscience?
G B :
Ces dix dernières années, des tas
de beaux principes relatifs à la diversité
nous sont venus des États-Unis. A l o r s ,
bon nombre d’entreprises se sont dit:
nous nous préoccupons déjà de diver-
sité, il suffira d’y intégrer en plus la di-
mension hommes-femmes. Il s’agissait
souvent de solutions à court terme, par
exemple sur la manière de communi-
q u e r, les formations interculturelles, com-
ment «mieux connaître l’autre»,... Mais
on a moins travaillé sur les structures, car
cela demande du temps et cela oblige à
se mettre à nu ce qui n’est pas facile.
A S :
Les entreprises ont du mal à pren-
dre conscience de leur céci en matière
de genre parce que toute la pensée
économique baigne dans certaines con-
ceptions. C’est comme un poisson qui
ne voit pas qu’il nage dans l’eau. Quand
on a toujours entendu dire qu’il en allait
ainsi, on ne peut pas imaginer autre
chose. On assimile la question du genre
à un problème de femmes et on vous
r é p o n d : «Ici, nous n’avons pas de p r o -
blèmes avec les femmes.» Le modèle
économique classique place les pro-
blèmes au niveau des travailleurs indi-
viduels: ils sont dépressifs, ils ont des
problèmes de santé, ils ne sont pas mo-
tivés... On ne se demande pas comment
il se fait que les Belges sont les plus
gros consommateurs de médicaments
ou les premiers à prendre leur retraite.
N’est-ce pas aussi à la conjonc-
ture économique ?
GB :
Certainement. Quand les choses
vont bien, les entreprises sont prêtes à
faire de l’introspection et à remettre en
cause plusieurs de leurs «c e r t i t u d e s » .
Elles se montrent alors ouvertes à l’en-
treprenariat durable et éthique. Ce ne
sont pas des bourreaux, mais des gens
qui examinent les choses avec beau-
coup de bonne volonté. Mais dès que
le malaise économique s’installe, cha-
cun doit se battre pour survivre.
AS :
Cela signifie aussi que beaucoup
d’entreprises consirent la question
du genre comme un produit de luxe.
Dans une opération de consultance,
c’est souvent un petit «p l u s » qui arrive
en fin de parcours alors que cela devrait
être le point de départ. Lhomme et la
femme ont chacun un rôle à jouer dans
la vie. Il est grand temps que les modè-
les économiques en tiennent compte,
de manière que les personnes des
deux sexes puissent exercer pleine-
m e n t leur fonction.
Frederika Hostens
voit pas qu’il nage dans leau»
Flora, qu’est-ce que c’est que ça?
Flora est un réseau re g roupant des associations bruxelloises, wallonnes
et flamandes qui s’engagent pour favoriser l’insertion socioprofession-
nelle de femmes peu qualifiées. Outre les activités ordinaires (forum
biannuel, site internet, magazine trimestriel,...), Flora met aussi sur pied
des projets pilotes afin d’apporter une réponse à des problèmes ou à
des besoins spécifiques que rencontrent les membres du réseau sur le
terrain. En matière de genre, trois projets retiennent l’attention: Gender
Consulting, Gender Training et Jobcoaching.
Info : Flora asbl • rue du Progrès 323 • 1030 Bruxelles • tél.: 02/204 06 40 • fax : 02/204 06 49
[email protected] • www.florainfo.be.
Bureau en Wallonie : Flora asbl • rue Bovy 7 • 4000 Liège • tél./fax: 04/253 24 15.
DOSSIER
n o m i que reste cramponné au modèle
hérité du XIX
e
siècle : l’homme va tra-
v a i l l e r pour rapporter le revenu du mé-
nage et la femme reste à la maison.
Tout le monde sait que ce modèle est
dépassé depuis longtemps, mais il con-
tinue à imprégner notre façon de vivre
et de travailler.
Un exemple?
Gitte Beaupain
:Beaucoup d’entrepri-
ses ne tiennent pas compte de tout ce
que leurs salariés doivent faire à côté
du travail. Si, semaine après semaine,
un homme preste des heures supplé-
mentaires, il n’y a en général personne
qui s’en inquiète dans l’entreprise. Mais
si ce même homme demande à avoir
un contrat à 4/5 temps pour pouvoir s’oc-
cuper de ses enfants le mercredi, il se
heurte dans la plupart des cas à un mur
d’incompréhension. Et plus il exerce
u n e position élevée, plus c’est difficile.
AS :
Le cadre de réflexion classique
duit le salarié à quelqu’un qui doit
faire un arbitrage entre deux éléments:
le revenu et le temps de travail. Soit on
travaille (et on gagne de l’argent), soit
on a du temps (et on ne gagne rien).
Ce modèle n’intègre pas le fait que les
travailleurs puissent aussi être amenés
à arbitrer entre d’autres éléments ma
famille, mon stress, ma santé –, ce qui
explique pourquoi on s’intéresse si peu
à ceux-ci. C’est sur ce point qu’une ap-
proche de genre est indispensable.
Une approche qui va beaucoup plus
loin que le simple fait «d’engager au-
t a n t de femmes que d’hommes »...
AS :
La dimension de genre est si im-
plicite qu’on passe souvent à d’elle.
Notre projet de Jobcoaching fournit un
accompagnement non seulement jus-
qu’à l’engagement, mais aussi sur le
l i e u de travail même parce que nous
constatons que beaucoup de femmes
peu qualifiées décrochent au cours des
trois premiers mois. Non pas qu’elles
n e puissent pas faire le boulot, mais
parce qu’elles sont confrontées à des
situations telles que « mon enfant est
malade ce matin, que faire ? » L’ e m -
ployeur dit qu’il a donné une chance à
cette femme, mais il ne voit pas qu’elle
a trop de choses en tête pour pouvoir
saisir cette opportunité. Si l’insertion
est aveugle aux «a u t r e s » besoins de
8
DOSSIER
L’égalité entre hommes
et femmes dans la vie
professionnelle est
une priorité fédérale
et européenne. Pourquoi
est-elle si difficile à mettre en
œuvre sur le lieu de travail?
TRAVERSES 183 • octobre 2004
es organisations, les entre-
prises et les pouvoirs publics
s ’ e f forcent de promouvoir l’éga-
lité entre hommes et femmes. Et pour-
tant, bien des problèmes subsistent,
comme en témoignent les diff i c u l t é s
d’insertion des femmes peu qualifiées.
D’après Flora, ce n’est pas une question
de mauvaise volonté, mais le résultat
d’une sorte de «c é c i t é » face aux ques-
tions de genre. Pour Anne Snick, coor-
dinatrice de Flora, et Gitte Beaupain,
spécialiste et consultante en matre
de genre, la préoccupation première
consiste s lors à faire tomber cer-
taines œillères...
Tr a v e r s e s .
Linsertion est-elle liée
au genre?
Anne Snick :
Sans aucun doute. Le
genre touche aux les que l’on assume
dans la société. Aller travailler en est
un, mais ce n’est pas le seul pour la plu-
part des gens. Si on veut que l’insertion
r é u s sisse, il est donc préférable d’envi-
sager l’ensemble de ces différents rôles.
On ne le fait pas encore, ou pas assez,
parce que le cadre de réflexion éco-
L
Genre et neutralité
Le genre est un instrument d’analyse qui a été conçu pour observer de
la manière la plus neutre possible :
- les déséquilibres dans les rapports de force entre hommes et femmes
et la façon dont ils sont renforcés ;
- la façon dont l’image de l’homme et celle de la femme sont construites;
- les possibilités que nous avons de parvenir à un meilleur équilibre
entre hommes et femmes.
Il s’agit donc de mettre en exergue les rôles que la société assigne aux
hommes et aux femmes, en reconnaissant une même valeur aux uns et
aux autres. Anne Snick souligne que l’objectif n’est pas de vouloir calquer
le rôle de la femme sur celui de l’homme (ou vice versa):
«Nous voulons
que les qualités féminines et masculines soient autant valorisées. Ce sera
tout bénéfice aussi bien pour les hommes que pour les femmes.»
«Comme
«Comme un
poisson
qui ne
et la formation est lane. En moyenne,
une formation est organisée chaque an-
née. Cours de secourisme, formation à
l’école du feu et bien d’autres compé -
tences leur sont octroyés. Un entretien
est ensuite alisé et la personne entame
son activité chez nous sous un contrat à
durée indéterminée. Il s’agit donc d’em-
plois durables créés par la réinsertion
et la formation.»
Mais cette réinsertion
n’est pas toujours une évidence pour
ces anciens demandeurs d’emploi gé-
néralement très précarisés et peu qua-
lifs. Elle est semée dembûches et pour
soutenir ces personnes fragilisées, Retri-
val met à la disposition des travailleurs
une accompagnatrice sociale.
«Elle est
présente en cas de besoin,
e x p l i q u e - t - i l .
Souvent, les problèmes familiaux, finan-
ciers, sociaux prennent le dessus sur les
tâches à accomplir. Et à ce moment, il
faut intervenir.»
Enfin, les problèmes
d’assuétudes font également partie des
défis à soulever.
«Drogue, alcoolisme,
délinquance. Il ne faut pas se voiler la
face. Quand les problèmes sont trop
profonds, la société d’économie sociale
ne peut y venir à bout toute seule. »
D’autres services sociaux doivent venir
alors en soutien et intervenir.
«Nos clients exigent de la qualité. To u t
comme une entreprise capitaliste clas -
sique, il faut donc pouvoir assurer un
service sans faille. Mais ce n’est pas
toujours facile à atteindre.»
L’absen-
isme est le problème le plus current.
«C’est une réalité. Lorsque les soucis
sont trop nombreux, il est difficile de f a i r e
face à des responsabilités profession -
nelles, notamment pour des chômeurs
de longue durée qui doivent réassimiler
certains réflexes, comme celui tout sim-
plement de se lever le matin pour arriver
à l’heure.»
L’accompagnement est donc
ici primordial. Souvent, l’analphabétisme
vient s’ajouter à tous ces problèmes
d’ordre privé.
«Il faut alors leur apprendre
à lire, à écrire et quelquefois aussi à
parler le français. Ce sont des chômeurs
de plus de 40 ans qui ne sont plus r e -
crus dans des entreprises de la filière
classique. Notre but est de réinsérer.
Nous ne donnons donc pas la prior i t é
aux compétences, lors du recrutement,
mais à la motivation du travailleur.»
Quelques fois, pourtant, malgré l’accom-
pagnement social et le caractère humain
de l’entreprise, le travailleur n’arrive pas
à s’intégrer.
«Il est alors réorienté vers
une formation de réinsertion théorique
qui est dispensée par Archipel, par exem-
ple. Le suivi y est très poussé. On lui
a p prend à se présenter lors d’un entre -
tien, rédiger un CV.»
Il s’agit donc d’un
retour en arrière indispensable pour cer-
tains afin de mieux rebondir.
«Ce pu -
b l i c , généralement très fragilisé sociale -
ment, a parfois besoin de plus de temps.
Il s’are que, dans certains cas, la
formation de six mois ne soit pas suf -
f i sante. Cela peut paraître beaucoup,
mais pour des personnes qui ont perdu
tout repère, c’est souvent trop peu.»
Le but ultime de Retrival est pourtant de
parvenir à réintroduire tous ces travail-
leurs sur le marché du travail.
«Les en -
treprises comme Retrival ne devraient
être qu’un tremplin vers un job meilleur.
Mais là encore nous sommes confron -
tés à d’autres difficultés.»
Le manque
de confiance en soi est souvent encore
bien trop présent chez ces travailleurs.
«L’esprit protecteur et sécurisant qui
gne dans les sociés d’économie
sociale ne leur donne pas vraiment en -
vie de nous quitter.»
Peur du regard des autres, de se trom-
p e r, de ne pas être à la hauteur, peur du
licenciement sec, le chemin de la inser-
tion est bien long.
«Lorsqu’un travailleur
sort de Retrival pour rejoindre une autre
entreprise, nous estimons que notre mis-
sion est pleinement ussie. Mais ce
n’est encore que trop rarement le cas.»
Retrival possède toutefois encore de
la marge pour accueillir de nouveaux
travailleurs. Les perspectives d’avenir
s o n t prometteuses. Retrival continuera
donc à mener sa mission de réinser-
tion et de création d’emplois.
Marie Isabelle Gomez
11
DOSSIER
TRAVERSES 183 • octobre 2004
et
réinsertion
Retrival en bref
C o o r données Retrival rue de l’Usine, 1 • 6010 Couillet • 071/63 10 10
info@retrival.be • www.retrival.be
Nomination Société coopérative à finalité sociale
Lieu et date de naissance Marchienne, 1997
Fondateur Cockerill-Sambre-Arcelor
Fonction Retrival apporte une aide dans la gestion quotidienne de
l ’ e n v i ron nement de l’entreprise. Active dans la rénova-
tion d’espaces industriels, la gestion globale des déchets,
l’embellissement et la reverdurisation de sites
Objectif Amélioration de l’environnement industriel et formation, et
insertion de personnel peu qualifdans le monde du travail
Nombre d’emplois 30 personnes
alors souhaité créer une entreprise ci-
toyenne.
« Les anciens patrons Jean
Gandois et Philippe Delaunois avaient
une réelle préoccupation sociale. Ils se
sont impliqués dans la reconversion so-
ciale des travailleurs en créant des pro-
jets qui puissent soutenir l’emploi dans
les deux bassins industriels, c’est-à-dire
Charleroi et Liège,
commente T h i b a u t
J a cquet, administrateur délégué de Re-
t r i v a l .
Pour Charleroi, ils désiraient un
projet industriel autonome au niveau de
la rentabilité. Voilà comment est e
l’idée de créer des activités visant la
gestion des déchets. Cockerill ne pos -
sédait aucune structure compétente en
la matière, ni pour assainir ses sites.»
Assainir et gérer
les déchets
Gérer les déchets industriels et assainir
les sites furent les deux activités de dé-
part de Retrival. Sept personnes étaient
alors engagées. Aujourd’hui, Retrival
trie et collecte les déchets des entre-
prises pour les transmettre dans des
unités de recyclage agréées : papiers,
cartons, plastiques, bois et tout autre
encombrant. Sa seconde activité, la ré-
novation d’espaces industriels, qui per-
met aux entreprises de se moderniser.
«Depuis l’étude des travaux à réaliser
jusqu’à la conception d’un plan de dé -
molition et à la réalisation des travaux,
tout est pris en charge par Retrival.»
Le troisme volet qui viendra compter
ce panel verra le jour en 2000. Il s’agit
de l’entretien, l’embellissement ou la re-
verduration des espaces verts des en-
treprises.
«Il existe une elle demande
dans tous ces domaines, essentielle -
ment au niveau des entreprises»
, con-
tinue Thibaut Jacquet. L’un des chantiers
les plus importants qui occupent quatre
travailleurs pour une durée de deux ans
est celui obtenu dans le cadre de l’as-
sainissement par la Spaque (Société
publique d’aide à la qualité de l’envi-
ronnement) des dépôts de pneus illé-
gaux. Une opération d’envergure qui a
lieu pour l’instant sur toute la Wa l l o n i e .
Encore plus d’emplois
Les ambitions de Retrival ne s’arrêtent
pas . Bien que l’accroissement de per-
sonnel soit exceptionnel, la société veut
se développer sur d’autres secteurs. De-
puis 2002, un service de collecte de -
chets électroménagers est ouvert.
«D a n s
ce cadre, nous travaillons avec Recupel,
un centre de collecte et de recyclage
agréé. Nous récupérons des déchets
électroniques en collecte ou chez les
d é t a i l l a n t s . »
Actuellement, une seule
personne est employée pour ce secteur,
mais les perspectives permettent de pen-
ser que trois ou quatre personnes for-
meront bientôt ce service. Par ailleurs,
des contrats sont en passe d’être sigs
avec deux importantes entreprises de
la région.
«Et notre collaboration avec
l’ICDI et la Ville de Charleroi dans le tri
des déchets pourrait également s’étof -
fer et engendrer de nouveaux emplois.»
Retrival est donc loin d’avoir atteint la
saturation. Bien des extensions sont
encore possibles.
«D’ailleurs, nous re -
crutons en moyenne une fois par an
depuis notre cation,
note l’administra-
teur délégué.
Et cela va continuer.»
Le plus gros souci:
l’absentéisme
Chez Retrival, l’embauche est précédée
de six mois de formation, gérés par la
MIREC et le Forem.
«Lorsque nous -
cessitons de nouvelles recrues, nous
nous adressons à ces deux organismes,
Environnement industriel
10
DOSSIER
Petit voyage au cœur
d’un fabuleux défi qu’est
celui de la réinsertion
professionnelle et sociale
au travers d’activités
environnementales.
etrival est installée à
Marchienne, au cœur
du bassin industriel de
C h a r l e r o i . Elle fait partie du réseau plu-
raliste Ressources qui fédère l’ensemble
des acteurs d’économie sociale qui re-
cyclent, trient et revendent des produits
en fin de vie. Cette société coopérative à
finalité sociale a réussi à créer 30 em-
plois en cinq ans. Son but : insérer les
demandeurs d’emploi les moins quali-
fiés. Un idéal difficile à atteindre pleine-
ment mais qui, grâce au volontarisme
d ’ h o mmes et de femmes, devient peu
à peu une réalité. À Charleroi, c’est à
travers des activités liées à l’améliora-
tion de l’environnement que Retrival a
réussi à remettre sur les rails une tren-
taine d’hommes qui avaient perdu tout
e s p o i r de retrouver un ritable contrat
à durée indéterminée.
L’histoire de Retrival est fortement liée
au déclin de la sidérurgie en Wallonie.
Cette sociéd’économie sociale est
e en 1997 de la volon de la direction
de Cockerill-Sambre. Le groupe A r c e l o r,
signataire en 1995 du Manifeste euro-
péen contre l’exclusion sociale, avait
R
TRAVERSES 183 • octobre 2004
ration et recyclage de chets, etc.).
Toutefois, en Région flamande, les en-
treprises d’insertion agréées I n v o e g -
bedrijven») actives dans la récupéra-
tion de déchets peuvent être également
agréées en tant que centres de recy-
clage K r i n g l o o p c e n t r a »). Leur double
production à caractère collectif est alors
reconnue : l’insertion d’un public fragi-
lisé et la protection de l’environnement.
Une autre tension semble apparaître
entre une conception « u n i d i m e n s i o n-
n e l l e » et une conception «m u l t i d i m e n -
s i o n n e l l e » de l’insertion. Avec leur ins-
titutionnalisation, les ESI se voient as-
signer par les pouvoirs publics un ob-
jectif d’insertion professionnelle et leur
performance est souvent évaluée par
rapport à l’insertion sur le marché du
travail. Or, beaucoup d’initiatives pour-
suivent un double objectif d’insertion
professionnelle et sociale. Leur action
se veut multidimensionnelle, ayant des
effets sur les différentes sphères de la
vie sociale des participants, au-delà de
la seule insertion professionnelle. Une
évaluation à l’aune du seul taux de ré-
insertion des participants peut avoir un
impact sur la sélection du public béné-
ficiaire des ESI, incitant à des pratiques
d’écrémage des participants.
Ressources
Au niveau des ressources, les ESI ar-
ticulent souvent différents types de res-
sources. Par la vente de biens et ser-
vices, elles obtiennent des ressources
marchandes. Par les subsides, octros
notamment par reconnaissance de la
production de bénéfices à la collecti-
vité, elles obtiennent des ressources
non marchandes. Par les dons et le
bénévolat pour certaines, mais aussi la
participation à des partenariats, des ré-
seaux, etc., elles obtiennent des res-
sources réciprocitaires. Or l’institution-
nalisation des ESI les force souvent à
s’inscrire soit dans l’économie sociale
dite «marchande», soit dans l’écono-
mie sociale dite «non marchande », le
critère distinctif étant l’importance des
recettes marchandes dans le finance-
ment de l’entreprise. En gion wal-
lonne par exemple, les EFT sont consi-
dérées comme des organisations non
marchandes prestant des services de
formation et doivent limiter la part de
ressources marchandes dans leur fi-
nancement, afin de ne pas confondre
formation et production. Le risque est
alors qu’à terme elles ne puissent plus
poursuivre leur mission de formation
par le biais d’une réelle activité pro-
ductive. Les EI agréées sont, quant à
elles, inscrites dans l’économie sociale
«m a r c h a n d e ». Dès lors, elles accèdent
à divers marchés et les financements
publics ne se justifient que pendant une
période initiale ou en fonction de l’em-
bauche de nouveaux travailleurs défa-
vorisés, la vocation de ces entreprises
étant d’opérer sur des marchés clas-
siques et d’y trouver l’essentiel des
r e ssources qui leur sont nécessaires.
Face à cette politique de subvention
dégressive, on retrouve à nouveau un
risque d’écmage des participants,
soit à l’entrée soit à l’issue des quatre
ans de subventions.
Ainsi, le type d’articulation entre les res-
sources marchandes et non marchan-
d e s par les ESI n’est pas sans consé-
quences sur leur objectif d’insertion et
sur leur public cible. Une politique de
subsidiation à long terme est plus adé-
quate à la poursuite d’un objectif multi -
dimensionnel d’insertion sociale et pro-
fessionnelle, alors que des subsides à
court terme incitent les ESI à concen-
trer leurs efforts sur des travailleurs plus
proches d’une insertion professionnelle
stricto sensu.
Andreia Lemaître,
chercheuse au CERISIS
(1) Entreprises sociales d’insertion.
dinsertion et politiques publiques
13
DOSSIER
TRAVERSES 183 • octobre 2004
L’entreprise sociale
Elle rassemble les organisations d’économie sociale qui ont une dimen-
sion clairement marchande et une dimension d’intérêt général, c’est-à-
dire un objectif explicite de bénéfice à la collectivité. Une part impor-
tante de ces entreprises est active dans l’insertion par le travail. Un
des objectifs de ces entreprises sociales d’insertion par le travail (ESI)
est alors l’insertion, par le biais d’une activité productive, de personnes
fragilisées sur le marché du travail.
Il y a une grande diversité parmi les ESI. Outre les «Entreprises de tra-
vail adapté » (ETA), on pensera en Région wallonne, au niveau des s t a -
tuts légaux, aux « E n t rep rises de formation par le travail » (EFT) et aux
«E n t r eprises d’insertion» (EI). D’autres initiatives, ASBL pour la plupart,
sont aussi actives dans l’insertion par le travail de personnes défavori-
sées, bien qu’elles n’aient pas cherché à obtenir l’un de ces agments.
génération d’ESI s’est alors dévelop-
pée, s’ouvrant à la concertation avec
les pouvoirs publics, qui décidèrent de
les reconnaître et de leur fournir un
cadre légal.
Avancée
Cette reconnaissance légale est à pla-
cer dans un contexte d’évolution des
politiques publiques. De fait, face à la
montée du chômage et à la dégradation
des finances publiques, les pouvoirs
publics ont mis sur pied dans les an-
nées 1980 une série de politiques ac-
tives visant l’intégration des chômeurs
sur le marché du travail. Le développe-
ment de la formation professionnelle,
de programmes de résorption du chô-
mage et d’aides à l’embauche, parti-
culièrement pour les groupes jugés «à
r i s q u e », constituèrent les piliers des
politiques actives dans les années 90.
Depuis la fin des années 1990, le con-
cept d’ « État social actif » est au cœur
de la philosophie des politiques actives.
Dans cette perspective, l’État est censé
développer des mesures pour inciter
les personnes à s’intégrer dans la vie
active et plus particulièrement sur le
marché du travail. Les allocataires so-
ciaux, quant à eux, ont le devoir de sai-
sir les opportunités qui leur sont présen-
tées. Dans ce cadre, les politiques ac-
tives occupent une place centrale, no-
tamment ciblées sur les personnes b é -
néficiaires d’allocations sociales, via la
reconversion de ces moyens en aides
à l’emploi.
Dans ce contexte, les ESI se sont ins-
crites dans un processus d’institution-
nalisation. Elles furent reconnues lé-
g a lement et inscrites dans l’action pu-
blique. Dans le cadre de l’État social
actif, ces ESI représentent souvent un
des instruments de mise en œuvre des
politiques actives d’emploi. Par exem-
ple, dans certains cas, elles furent re-
connues au sein des dispositifs formant
le «parcours d’insertion». On peut dès
lors faire l’hypothèse que ces ESI sont
nées dans le champ du travail social et
sont aujourd’hui plus liées aux politi-
ques d’emploi.
Cependant, certaines ESI ont choisi de
ne pas entrer dans cette voie d’institu-
tionnalisation, de ne pas adopter un
des cadres légaux spécifiques à l’in-
sertion (ce qui n’empêche pas qu’elles
puissent bénéficier de certaines res-
sources provenant des politiques ac-
tives d’emploi). Ce sont principalement
des ASBL, qui utilisent les programmes
de résorption du chômage pour pour-
suivre leurs objectifs.
Reconnaissance gale
Ces mouvements d’institutionnalisation
ont permis aux ESI d’être reconnues
par les autorités publiques et de béné-
ficier ainsi d’une plus grande visibilité,
d’une reconnaissance légale et, par
leur inscription dans les politiques ac-
tives d’emploi, d’un accès plus stable
aux ressources publiques nécessaires
à la poursuite de leurs objectifs. En
même temps, la mise en place d’une
telle régulation comprend un risque de
cadrage qui limite les possibilités d’au-
tonomie et d’innovation de ces ESI. Elle
a des impacts sur les objectifs et les
ressources de ces entreprises.
En effet, les cadres légaux tendent à
ne reconnaître que l’objectif d’insertion
des ESI, alors que certaines poursui-
vent aussi un objectif de bénéfice à la
collectivi à travers leur activité de
production (services sociaux, récupé-
Entreprises
sociales
12
DOSSIER
Les ESI
(1)
par le travail
sont nées pour la plupart
dans le champ du travail
social. Beaucoup s’inscrivent
aujourd’hui dans des cadres
légaux spécifiques à
l’insertion, liés aux politiques
actives d’emploi, qui ont
connu un essor considérable
depuis les années 80
lorsque l’État s’assigna
une fonction d’insertion.
n Belgique, les entreprises
sociales d’insertion par le
travail (ESI) furent impul-
es par des acteurs de la sociécivile
dans les années 1970 et 1980, dans un
contexte de croissance du chômage et
de l’exclusion sociale. Ces initiatives,
visant l’insertion de personnes préca-
risées, furent développées en marge
des politiques publiques traditionnelles,
qui ne fournissaient pas une réponse
jugée adéquate à ces problèmes. Elles
ont donc eu tendance à émerger dans
une perspective de contestation et
d ’ a u t onomie par rapport aux pouvoirs
publics, à pointer les limites des poli-
tiques publiques face aux personnes
exclues du marché du travail. Elles ont
ainsi contribué au renouvellement des
politiques sociales de lutte contre la
pauvreté et l’exclusion. Une seconde
E
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