DOSSIER DOSSIER Mobiliser l’économie contre le chômage L’insertion par l’économique, c’est u n e tendance, une approche, et non un secteur. L’intuition de base en est parfaitement simple : rendre aux chômeurs les plus défavorisés une place réelle dans l’économie. L e terme est apparu en France dans les années 90. Il vient du constat des limites des approches jusqu’alors dominantes en matière d’insertion professionnelle. Quelles lim ites ? Il y a d’abord le versant social de l’insertion, qui vise à pallier les faiblesses des publics fragilisés pour les repositionner sur le marché de l’emploi. On parle d’égalité des chances et de discrimination positive. Mais le marché de l’emploi conserve tous ses mécan i smes sélectifs : on aide la personne, « à structure économique inchangée ». Les résultats sont insuffisants comparés aux ressources mobilisées : même sout e n u s, ces chômeurs restent désavantagés une fois qu’ils sont mis en compétition avec les autres sur le marché de l’emploi. 4 L’approche de l’insertion opposée est économique : elle est portée par les entreprises et non par les professionnels du social. Elle part des postes vacants et cherche des ajustements fins: on développe des formations assez spécifiques par exemple en langues ou en TIC. Juste ce qu’il faut pour franchir le seuil de l’embauche. Mais ces seuils, les employeurs les mettent d’autant plus haut que la compétition est dure sur le marché de l’emploi. De nouveau, les chômeurs les plus défavorisés restent sur le carreau. Les pionniers de l’insertion se mettent alors à chercher des alternatives pour que ces publics cessent de rester aux marges de l’économie. On explore toutes les directions. C’est là qu’on commence à parler d’insertion par l’économique. En Belgique, on voit par exemple apparaître ce que les évaluateurs de l’Objectif 3 du FSE ont appelé l’insertion négociée : une entreprise, un prestataire de formations et souvent des représentants des travailleurs sont mis autour de la table par un «ensemblier », comme une mission régionale, qui les amène à négocier un parcours de formation pour des publics défavorisés, qui les fasse déboucher sur un petit nombre d’emplois que l’employeur leur réserve. L’insertion professionnelle se positionne comme une sorte de raccourci entre l’assurance-chômage et l’entreprise. L’entreprise sociale des années 90 L’économie sociale a sa place dans ce mouvement. Surtout avec la reconnaissance fédérale puis régionale des entreprises d’insertion. Au lieu de partir de l’activité économique existante, on tente de créer des activités commercialement viables. Soit en misant sur des secteurs intensifs en main-d’œuvre – typiquement le bâtiment et l’horeca –, mais il faut y concurrencer le travail au noir tout en répondant aux reproches de concurrence déloyale de représentants des PME... qui travaillent en partie avec le même public. Soit en misant sur des nouveaux secteurs comme l’économie des déchets et l’agriculture bio, ou encore sur des marchés de niche comme les plantes aquatiques ou les sculptures en polyester. C’est ce qu’on appelle (en Wallonie) l’économie sociale marchande, souvent en cheville avec le monde de l’insertion,... mais parfois pas. L’entreprise d’insertion (EI) s’est développée de deux manières dominantes. Pour faire court, on a d’une part les entreprises issues de la « nouvelle économie sociale», qui croisent les valeurs de la démocratie économique et de la coopérative avec les intuitions fondatrices de l’insertion par l’économique. On a affaire à une gestion participative volontariste et à des produits et services destinés aux entreprises (B2B) ou aux consommateurs de façon générale. Et de l’autre côté, on a les initiatives des pouvoirs locaux et des CPAS, qui visent une clientèle à profil social et sont gérées de façon plus traditionnelle. Nouvelles alliances Chemin faisant, on s’est aussi rendu compte que les approches se diversifiaient : et certains de revenir à une pratique plus sociale de l’insertion, en identifiant et en organisant des activités économiques adaptées aux publics les plus fragilisés, quitte à imaginer des circuits un peu en décalage avec le reste de l’économie et très intensivement subventionnés. Ou d’autres d’utiliser ces activités pour donner aux chômeurs défavorisés une expérience professionnelle supposée les repositionner sur le marché de l’emploi... On parle donc plus volontiers aujourd’hui d’économie sociale d’insertion (ESI) ou, comme dans les années 80, d’entreprise sociale. TRAVERSES 183 • octobre 2004 La «nouvelle économie sociale» par l’exemple Elico, entrepr ise de rénovation durable et solidaire, est une initiative plutôt originale dans le paysage des entrepreneurs puisqu’elle se distingue du marché de la rénovation en bâtiments par l’usage de matériaux éthiques (propres et durables) mais aussi par un fonctionnement qui répond aux critères de l’économie sociale. Entreprise générale de construction créée en 1989, Elico est une coopérative de rénovation urbaine active quasi exclusivement à Bruxelles. « Nous ne faisons pas d’insertion mais nous nous distinguons par le poids égal que nous attribuons au sein de l’entreprise à l’économique, l’humain et l’environnement, explique Emmanuel Everarts de Velp, un des deux administrateurs délégués d’Elico. Nous n’avons pas choisi le statut de coopérative par hasard, c’est un choix dé libéré en concordance avec les valeurs que nous voulons mettre en avant : être une entreprise du bâtiment à échelle humaine, alliant l’exigen ce d’un travail de qualité, le respect de ses travailleurs et le sens des responsabilités au sein d’une ville en chantier perpétuel, tant pour le patrimoine du bâti que dans la création d’emplois utiles. » Particularité de l’entreprise: ses 11 travailleurs proviennent de huit cultures différentes : polonais, bulgare, marocain, russe, tunisien, belge, zaïrois, etc. Pour qu’une telle diversité vive ensemble, il faut un grand respect entre les personnes. Un respect C’est ici que l’insertion par l’activité économique vient surfer sur la montée de l’activation des allocations sociales (les PTP, l’article 60, l’Activa+, etc.), en particulier (en Belgique francophone) là où les initiatives émanent des pouvoirs locaux et là où elles adoptent une approche plus sociale. Mais il ne s’agit surtout pas de dire que l’activation dilue la dimension économique dans un retour sur l’insertion sociale! En fait cela peut aussi bien être l’inverse, notamment quand l’insertion par l’économique marie l’activation à un autre trait marqué du paysage belge : l’initiative des pouvoirs locaux. L’économie publique, même au niveau des pouvoirs locaux, cela reste de l’économie à part TRAVERSES 183 • octobre 2004 vécu d’autant plus facilement que la direction bicéphale d’Elico est elle aussi multiculturelle. L’entreprise est en effet dirigée par deux Belges, d’origine tunisienne et belge, de culture musulmane et chrétienne, de famille paysanne et aristocratique. Pour Sadok Boudoukhane et Emmanuel Everarts de Velp, une telle diversité est une évidence mais aussi une véritable richesse. Une diversité que l’on retrouve également parmi les coopérateurs : un coopérateur d’origine juive polonaise, des pensionnés, deux architectes, un ingénieur, un prof d’unif, la Fondation pour les générations futures... mais aussi les ouvriers. Ceux-ci possèdent en effet des parts dans la coopérative qui valent deux fois la valeur des parts d’un autre petit porteur, ainsi les travailleurs gardent-ils la main sur leur entreprise. Parmi les autres valeurs prônées par Elico, citons une attention particulière à la formation des travailleurs, à leur sécurité et à leur santé, ce qui se traduit notamment par le choix de matériaux non nuisibles aussi bien pour les clients que pour les ouvriers. Une attention aussi à la participation des travailleurs : une fois par mois, ceux-ci se réunissent et discutent de l’organisation de l’entreprise et de choses pratiques. C.M. Elico scrl • rue Delaunoy, 141 • 1080 Bruxelles • tél. : 02/411 33 21 fax : 02/411 37 44 • [email protected]. entière. Et l’insertion de tenter de prendre la main sur l’organisation des «nouveaux métiers urbains » ou dans des dynamiques de développement local. On défrichera encore Cela dit, l’entreprise sociale, si elle a été une approche pionnière avant d’être consacrée par l’insertion par l’économique, a aujourd’hui atteint le stade de la maturité : ses enjeux sont de formaliser ses business models propres, de se réapproprier ses toutes nouvelles législations, de professionnaliser ses cadres, etc. Et c’est sans doute ailleurs qu’il faut surtout chercher ce qui s’invente comme nouvelles voies de l’insertion par l’économique. On peut penser aux différentes formes de collaboration entre l’intérim et les acteurs associatifs de l’insertion. L’insertion négociée, quant à elle, a été rejointe par d’autres pratiques comme le placement direct ou inversé (accompagner l’employeur pour stabiliser un chômeur dans l’emploi). Mais l’économie sociale n’a pas dit son dernier mot. Pourquoi n’irait-elle pas plus chercher des alliances avec les Fonds sectoriels, particulièrement présents en Belgique, et de plus en plus mobilisés dans les politiques d’emploi ? Thomas Lemaigre 5 DOSSIER DOSSIER Formations aux TIC , la clé de l’insertion Formations (1) « Sans ingénieurs et chefs d’entreprise dynamiques, l’économie dépérit. (...) Les centres de BRUTEC forment des collaborateurs compétents en bureautique, site Internet ou PC réseaux, réels partenaires d’un projet d’entreprise... »(2) S i l’économie dans son ensemble est en voie de « tertiarisation rapide », ce phénomène est encore accentué à Bruxelles où sont implantées un tiers des activités liées aux TIC du pays (3). C’est dire si les formations à ces métiers sont un enjeu important pour l’emploi des Bruxellois, particulièrement pour les demandeurs d’emploi peu qualifiés, qui constituent le gros des bénéficiaires des actions des organismes de l’insertion socioprofessionnelle. 6 Former à des métiers dits « de pointe » des personnes qui ont abandonné précocement le parcours scolaire « classique »? Le défi est-il possible à relever? Oui, et c’est là toute la valeur ajoutée d ’ u ne coordination telle que Brutec. Celle-ci propose, en effet, une démarche originale : repérer les nouveaux métiers qui, liés aux TIC, sont définis par leur forte composante technique et peuvent être assumés par des personnes qui n’ont pas le diplôme d’études secon- daires supérieures. En effet, les activités liées aux TIC sont en constante évolution. De nombreuses tâches liées à l’utilisation de l’informatique dans les entreprises ne requièrent pas nécessairement un diplôme élevé. Les travailleurs surdiplômés pour le travail exigé peuvent entraîner un surcoût inutile pour l’entreprise et voient souvent, après un certain temps, leur motivation baisser fortement. Liens avec les entreprises Appuyé en cela par la Région de Bruxelles-Capitale, partenaire de l’ORBEM, du VDAB et de Bruxelles-Formation, un des premiers rôles de Brutec consiste donc en une « veille technologique » : il s’agit de se concentrer sur une analyse permanente du développement de la technologie afin de dégager des tâches, des nouveaux métiers, qui peuvent être assumés sans difficulté par le public cible, constitué en majorité de demandeurs d’emploi bruxellois (hommes et femmes en proportions équilibrées), qui n’ont, pour 80 % d’entre eux, pas terminé leurs études secondaires supérieures. Ensuite, Brutec sert de plateforme entre ses membres dans le travail de recherche commun en vue de l’adaptation des formations, le partage de la réflexion pédagogique, l’évaluation collective des formations et le dégagement de propositions d’amélioration. Brutec se veut en outre être une interface de choix entre les centres qu’elle coordonne et les entreprises. Le credo de Brutec : une bonne synergie entre ces deux mondes permet d’assurer des formations toujours adaptées aux réalités du marché. Les formations dispensées dans les centres Brutec sont en e ffet remises à jour continuellement, pointues, axées sur la pratique (des PC « up-to-date » sont mis en suffisance à la disposition des stagiaires) et complétées par un stage en entreprise. Résultats probants Brutec a commencé son travail d’évaluation à partir de fin 1991. Depuis 1991, 2 700 personnes ont commencé une formation. Plus de 80% de ces personnes l’ont menée à bien et, en moyenne, tous profils confondus, 76% d’entre elles ont trouvé un emploi ou repris une formation (7%). Les formations en bureautique débouchent à 65 % sur un emploi dans une entreprise marchande, le nonmarchand et les administrations devenant employeurs pour les 35% restants. Pour les techniciens spécialisés en software (Internet et PAO), 75 % des employés le sont dans des entreprises marchandes et le reste se répartit à égalité dans le non-marchand et l’administration. Enfin, les formations de techniciens « PC réseaux » débouchent dans 80 % des cas à l’emploi dans les entreprises commerciales, les 20 % restants étant absorbés à nouveau par le nonmarchand et le secteur public. Compétences techniques et sociales Nous avons, dans la première partie de cet article, souligné le caractère avant tout technique des formations dispensées dans les centres Brutec. Mais Brutec s’est depuis longtemps rendu compte de l’importance accordée par les employeurs à ce que l’on appelle les « compétences sociales » (sens de la communication, assertivité, motivation, capacité de travailler en équipe, gestion du temps...). Un relevé systématique de celles-ci au travers des TRAVERSES 183 • octobre 2004 o ff r e s d’emploi avait été effectué en 1999 déjà. Et il a été démontré que, à compétences techniques égales, l’employeur engage ou maintient dans l’emploi celui qui présente ces « plus sociaux ». D’une recherche-action commune aux centres Brutec sur ce thème est sorti récemment un cahier de 130 pages (4), sommant les acquis des six centres en ces matières. Les centres ISP intéressés trouveront dans l’ouvrage des réponses à leurs questions concernant la manière de faire acquérir à leur public ces compétences sociales dorénavant si recherchées par tous... Delphine Huybrecht Brutec • rue de la Caserne, 86-88 • 1000 Bruxelles 02 505 11 64 • [email protected] • www.brutec.be F O R M AT IO NS E X I STA N T E S Le CASI-UO/COFTeN propose actuellement quatre formations (plus d’info sur http://www.coften.be) : • Technicien de maintenance PC et réseaux LAN (français-néerlandais); • Technicien de maintenance PC, assistant-administrateur de réseaux LAN; • Employé aide-comptable avec compétences en informatique-bureautique; • Assistant en secrétariat avec compétences en informatique-bureautique-réseaux (locaux et Internet). FIJ propose actuellement les formations suivantes (plus d’infos sur http://www.fij.be) : • Préformation généraliste d’opérateur Internet • Développeur Internet • Assistant webmaster • Technicien/support PC et réseaux • Technicien en utilisation de l’informatique (helpdesk) CF 2000 propose actuellement les formations suivantes (plus d’infos sur http://www.CF2m.be) • Bases informatiques • Informatique de gestion • Traitement de l’image numérique • PAO (publication assistée par ordinateur) • Web design et vidéo numérique • Bases « Réseaux » • Technicien PC réseaux • Animateur multimédia Le CEFA-UO propose les formations suivantes (plus d’infos sur http://www.cefa-uo.be): • Administrateur réseaux TRAVERSES 183 • octobre 2004 (FeBISP) (1) Technologies de l’information et de la communication. (2) BRUTEC : Une nouvelle vision de l’e-économie des métiers intermédiaires en TIC - un défi relevé depuis 1987, septembre 2004. (3) Source : Observatoire bruxellois du marché de l’emploi et des qualifications, Panorama de l’industrie technologique à Bruxelles, déc. 2003. (4) BRUTEC : Les compétences sociales dans les formations en TIC des centres ISP de Brutec, 2004. • Bureautique en tourisme (1 mois de formation et 2 mois de stage en Espagne) • Bureautique et langues • Bureautique PAO et réseau (Internet) Interface 3 propose les formations suivantes pour les femmes sans emploi (plus d’infos sur http://www.interface3.be) ; attention, seules deux d’entre elles s’adressent spécifiquement à un public peu qualifié : • Helpdesk informatique et • Gestionnaire de sites web Les autres formations s’adressent aux demandeuses d’emploi de tous niveaux. • Gestionnaire réseaux informatiques (MCP Windows 2000) • Module préparatoire au MCP (Microsoft Certified Professional) « Administration et maintenance d’un environnement Microsoft Windows Server 2003 » • Assistante administrative & comptable bilingue • Assistante en e-commerce international • Web application devineresse • Assistante commerciale • Webmaster technique Intec Brussel propose les formations suivantes (en néerlandais, plus d’infos sur www.intecbrussel.be) : • Prise en main de l’ordinateur • Mieux travailler avec un ordinateur • Initiation à MS Office • Technicien PC/Réseaux • Technicien PC/Réseaux + cours de néerlandais • Développeur de sites web • Programmateur Windows • Maintenance et helpdesk de réseaux Windows/Linux 7 DOSSIER DOSSIER «Comme un poisson qui ne voit pas qu’il nage dans l’eau» L’égalité entre hommes et femmes dans la vie professionnelle est une priorité fédérale et européenne. Pourquoi est-elle si difficile à mettre en œuvre sur le lieu de travail ? L es organisations, les entreprises et les pouvoirs publics s’efforcent de promouvoir l’égalité entre hommes et femmes. Et pourtant, bien des problèmes subsistent, comme en témoignent les difficultés d’insertion des femmes peu qualifiées. D’après Flora, ce n’est pas une question de mauvaise volonté, mais le résultat d’une sorte de « cécité» face aux questions de genre. Pour Anne Snick, coordinatrice de Flora, et Gitte Beaupain, spécialiste et consultante en matière de genre, la préoccupation première consiste dès lors à faire tomber certaines œillères... 8 Traverses. L’insertion est-elle liée au genre? Anne Snick : Sans aucun doute. Le genre touche aux rôles que l’on assume dans la société. Aller travailler en est un, mais ce n’est pas le seul pour la plupart des gens. Si on veut que l’insertion réussisse, il est donc préférable d’envisager l’ensemble de ces différents rôles. On ne le fait pas encore, ou pas assez, parce que le cadre de réflexion éco- nomique reste cramponné au modèle hérité du XIXe siècle : l’homme va travailler pour rapporter le revenu du ménage et la femme reste à la maison. Tout le monde sait que ce modèle est dépassé depuis longtemps, mais il continue à imprégner notre façon de vivre et de travailler. Un exemple? Gitte Beaupain : Beaucoup d’entreprises ne tiennent pas compte de tout ce que leurs salariés doivent faire à côté du travail. Si, semaine après semaine, un homme preste des heures supplémentaires, il n’y a en général personne qui s’en inquiète dans l’entreprise. Mais si ce même homme demande à avoir un contrat à 4/5 temps pour pouvoir s’occuper de ses enfants le mercredi, il se heurte dans la plupart des cas à un mur d’incompréhension. Et plus il exerce une position élevée, plus c’est difficile. AS : Le cadre de réflexion classique réduit le salarié à quelqu’un qui doit faire un arbitrage entre deux éléments: le revenu et le temps de travail. Soit on travaille (et on gagne de l’argent), soit on a du temps (et on ne gagne rien). Ce modèle n’intègre pas le fait que les travailleurs puissent aussi être amenés à arbitrer entre d’autres éléments – ma famille, mon stress, ma santé –, ce qui explique pourquoi on s’intéresse si peu à ceux-ci. C’est sur ce point qu’une approche de genre est indispensable. Une approche qui va beaucoup plus loin que le simple fait « d’engager autant de femmes que d’hommes »... AS : La dimension de genre est si implicite qu’on passe souvent à côté d’elle. Notre projet de Jobcoaching fournit un accompagnement non seulement jusqu’à l’engagement, mais aussi sur le lieu de travail même parce que nous constatons que beaucoup de femmes peu qualifiées décrochent au cours des trois premiers mois. Non pas qu’elles ne puissent pas faire le boulot, mais parce qu’elles sont confrontées à des situations telles que « mon enfant est malade ce matin, que faire ? » L’employeur dit qu’il a donné une chance à cette femme, mais il ne voit pas qu’elle a trop de choses en tête pour pouvoir saisir cette opportunité. Si l’insertion est aveugle aux « autres » besoins de Genre et neutralité Le genre est un instrument d’analyse qui a été conçu pour observer de la manière la plus neutre possible : - les déséquilibres dans les rapports de force entre hommes et femmes et la façon dont ils sont renforcés ; - la façon dont l’image de l’homme et celle de la femme sont construites; - les possibilités que nous avons de parvenir à un meilleur équilibre entre hommes et femmes. Il s’agit donc de mettre en exergue les rôles que la société assigne aux hommes et aux femmes, en reconnaissant une même valeur aux uns et aux autres. Anne Snick souligne que l’objectif n’est pas de vouloir calquer le rôle de la femme sur celui de l’homme (ou vice versa): «Nous voulons que les qualités féminines et masculines soient autant valorisées. Ce sera tout bénéfice aussi bien pour les hommes que pour les femmes.» TRAVERSES 183 • octobre 2004 Flora, qu’est-ce que c’est que ça? Flora est un réseau regroupant des associations bruxelloises, wallonnes et flamandes qui s’engagent pour favoriser l’insertion socioprofessionnelle de femmes peu qualifiées. Outre les activités ordinaires (forum biannuel, site internet, magazine trimestriel,...), Flora met aussi sur pied des projets pilotes afin d’apporter une réponse à des problèmes ou à des besoins spécifiques que rencontrent les membres du réseau sur le terrain. En matière de genre, trois projets retiennent l’attention: Gender Consulting, Gender Training et Jobcoaching. Info : Flora asbl • rue du Progrès 323 • 1030 Bruxelles • tél.: 02/204 06 40 • fax : 02/204 06 49 [email protected] • www.florainfo.be. Bureau en Wallonie : Flora asbl • rue Bovy 7 • 4000 Liège • tél./fax: 04/253 24 15. cette femme, elle est vouée à l’échec. La question n’est donc pas d’être pour ou contre les femmes. Les modèles et les structures de l’insertion reposent sur des schémas qui ne sont plus d’actualité dans cette société, tout simplement parce que les rôles des hommes et des femmes ont changé. Il suffit de penser au nombre croissant de familles monoparentales. Sans doute, mais comment traduire tout cela sur le lieu de travail ? GB : Il y a les choses qui sont visibles en surface : est-ce que j’engage une femme ou pas ? Et si elle tombe enceinte ? Pourquoi faire des réunions en début de soirée, n’est-ce pas possible à un autre moment ? En travaillant sur ces aspects-là, on met au jour le modèle de réflexion sous-jacent, ce qui permet de faire un pas de plus que simplement apporter des solutions spécifiques à des problèmes spécifiques. AS : Une entreprise peut chercher à repérer les pierres d’achoppement qui se posent à un niveau plus général et examiner les possibilités pour mieux c o ncilier le travail et la vie familiale. Si on ne change rien à la structure organisationnelle, il faut sans cesse recherTRAVERSES 183 • octobre 2004 cher de nouvelles solutions. C’est pour cela que, dans notre système de jobcoaching, nous faisons de l’employeur un véritable partenaire du processus. Si quelqu’un ne sait pas ce qu’il est possible de faire lorsque son enfant tombe malade, soit le coach essaie de résoudre chaque problème tout seul, soit il en fait part à l’employeur et il envisage le problème avec lui: pourquoi cette personne ne parvient-elle pas à s’en sortir? Les entreprises sont-elles ouvertes à ce genre d’examen de conscience? GB : Ces dix dernières années, des tas de beaux principes relatifs à la diversité nous sont venus des États-Unis. Alors, bon nombre d’entreprises se sont dit : nous nous préoccupons déjà de diversité, il suffira d’y intégrer en plus la dimension hommes-femmes. Il s’agissait souvent de solutions à court terme, par exemple sur la manière de communiquer, les formations interculturelles, comment « mieux connaître l’autre»,... Mais on a moins travaillé sur les structures, car cela demande du temps et cela oblige à se mettre à nu – ce qui n’est pas facile. AS : Les entreprises ont du mal à prendre conscience de leur cécité en matière de genre parce que toute la pensée économique baigne dans certaines conceptions. C’est comme un poisson qui ne voit pas qu’il nage dans l’eau. Quand on a toujours entendu dire qu’il en allait ainsi, on ne peut pas imaginer autre chose. On assimile la question du genre à un problème de femmes et on vous répond : « Ici, nous n’avons pas de problèmes avec les femmes. » Le modèle économique classique place les problèmes au niveau des travailleurs individuels : ils sont dépressifs, ils ont des problèmes de santé, ils ne sont pas motivés... On ne se demande pas comment il se fait que les Belges sont les plus gros consommateurs de médicaments ou les premiers à prendre leur retraite. N’est-ce pas dû aussi à la conjoncture économique ? GB : Certainement. Quand les choses vont bien, les entreprises sont prêtes à faire de l’introspection et à remettre en cause plusieurs de leurs « certitudes ». Elles se montrent alors ouvertes à l’entreprenariat durable et éthique. Ce ne sont pas des bourreaux, mais des gens qui examinent les choses avec beaucoup de bonne volonté. Mais dès que le malaise économique s’installe, chacun doit se battre pour survivre. AS : Cela signifie aussi que beaucoup d’entreprises considèrent la question du genre comme un produit de luxe. Dans une opération de consultance, c’est souvent un petit «plus» qui arrive en fin de parcours alors que cela devrait être le point de départ. L’homme et la femme ont chacun un rôle à jouer dans la vie. Il est grand temps que les modèles économiques en tiennent compte, de manière que les personnes des deux sexes puissent exercer pleinement leur fonction. Frederika Hostens 9 DOSSIER DOSSIER Environnement industriel et réinsertion Petit voyage au cœur d’un fabuleux défi qu’est celui de la réinsertion professionnelle et sociale au travers d’activités environnementales. R etrival est installée à Marchienne, au cœur du bassin industriel de Charleroi. Elle fait partie du réseau pluraliste Ressources qui fédère l’ensemble des acteurs d’économie sociale qui recyclent, trient et revendent des produits en fin de vie. Cette société coopérative à finalité sociale a réussi à créer 30 emplois en cinq ans. Son but : insérer les demandeurs d’emploi les moins qualifiés. Un idéal difficile à atteindre pleinement mais qui, grâce au volontarisme d ’ h o mmes et de femmes, devient peu à peu une réalité. À Charleroi, c’est à travers des activités liées à l’amélioration de l’environnement que Retrival a réussi à remettre sur les rails une trentaine d’hommes qui avaient perdu tout espoir de retrouver un véritable contrat à durée indéterminée. 10 L’histoire de Retrival est fortement liée au déclin de la sidérurgie en Wallonie. Cette société d’économie sociale est née en 1997 de la volonté de la direction de Cockerill-Sambre. Le groupe Arcelor, signataire en 1995 du Manifeste européen contre l’exclusion sociale, avait alors souhaité créer une entreprise citoyenne. « Les anciens patrons Jean Gandois et Philippe Delaunois avaient une réelle préoccupation sociale. Ils se sont impliqués dans la reconversion sociale des travailleurs en créant des projets qui puissent soutenir l’emploi dans les deux bassins industriels, c’est-à-dire Charleroi et Liège, commente Thibaut J a cquet, administrateur délégué de Retrival. Pour Charleroi, ils désiraient un projet industriel autonome au niveau de la rentabilité. Voilà comment est née l’idée de créer des activités visant la gestion des déchets. Cockerill ne pos sédait aucune structure compétente en la matière, ni pour assainir ses sites.» Assainir et gérer les déchets Gérer les déchets industriels et assainir les sites furent les deux activités de départ de Retrival. Sept personnes étaient alors engagées. Aujourd’hui, Retrival trie et collecte les déchets des entreprises pour les transmettre dans des unités de recyclage agréées : papiers, cartons, plastiques, bois et tout autre encombrant. Sa seconde activité, la rénovation d’espaces industriels, qui permet aux entreprises de se moderniser. « Depuis l’étude des travaux à réaliser jusqu’à la conception d’un plan de dé molition et à la réalisation des travaux, tout est pris en charge par Retrival. » Le troisième volet qui viendra compléter ce panel verra le jour en 2000. Il s’agit de l’entretien, l’embellissement ou la reverduration des espaces verts des entreprises. «Il existe une réelle demande dans tous ces domaines, essentielle ment au niveau des entreprises », continue Thibaut Jacquet. L’un des chantiers les plus importants qui occupent quatre travailleurs pour une durée de deux ans est celui obtenu dans le cadre de l’assainissement par la Spaque (Société publique d’aide à la qualité de l’environnement) des dépôts de pneus illégaux. Une opération d’envergure qui a lieu pour l’instant sur toute la Wallonie. Encore plus d’emplois Les ambitions de Retrival ne s’arrêtent pas là. Bien que l’accroissement de personnel soit exceptionnel, la société veut se développer sur d’autres secteurs. Depuis 2002, un service de collecte de déchets électroménagers est ouvert. «Dans ce cadre, nous travaillons avec Recupel, un centre de collecte et de recyclage agréé. Nous récupérons des déchets électroniques en collecte ou chez les détaillants. » Actuellement, une seule personne est employée pour ce secteur, mais les perspectives permettent de penser que trois ou quatre personnes formeront bientôt ce service. Par ailleurs, des contrats sont en passe d’être signés avec deux importantes entreprises de la région. « Et notre collaboration avec l’ICDI et la Ville de Charleroi dans le tri des déchets pourrait également s’étof fer et engendrer de nouveaux emplois. » Retrival est donc loin d’avoir atteint la saturation. Bien des extensions sont encore possibles. « D’ailleurs, nous re crutons en moyenne une fois par an depuis notre création, note l’administrateur délégué. Et cela va continuer. » Le plus gros souci : l’absentéisme Chez Retrival, l’embauche est précédée de six mois de formation, gérés par la MIREC et le Forem. « Lorsque nous nécessitons de nouvelles recrues, nous nous adressons à ces deux organismes, TRAVERSES 183 • octobre 2004 et la formation est lancée. En moyenne, une formation est organisée chaque année. Cours de secourisme, formation à l’école du feu et bien d’autres compé tences leur sont octroyés. Un entretien est ensuite réalisé et la personne entame son activité chez nous sous un contrat à durée indéterminée. Il s’agit donc d’emplois durables créés par la réinsertion et la formation. » Mais cette réinsertion n’est pas toujours une évidence pour ces anciens demandeurs d’emploi généralement très précarisés et peu qualifiés. Elle est semée d’embûches et pour soutenir ces personnes fragilisées, Retrival met à la disposition des travailleurs une accompagnatrice sociale. «Elle est présente en cas de besoin, explique-t-il. Souvent, les problèmes familiaux, financiers, sociaux prennent le dessus sur les tâches à accomplir. Et à ce moment, il faut intervenir. » Enfin, les problèmes d’assuétudes font également partie des défis à soulever. « Drogue, alcoolisme, délinquance. Il ne faut pas se voiler la face. Quand les problèmes sont trop profonds, la société d’économie sociale ne peut y venir à bout toute seule. » D’autres services sociaux doivent venir alors en soutien et intervenir. « Nos clients exigent de la qualité. Tout comme une entreprise capitaliste clas sique, il faut donc pouvoir assurer un service sans faille. Mais ce n’est pas toujours facile à atteindre. » L’absentéisme est le problème le plus récurrent. « C’est une réalité. Lorsque les soucis sont trop nombreux, il est difficile de faire face à des responsabilités profession nelles, notamment pour des chômeurs de longue durée qui doivent réassimiler certains réflexes, comme celui tout simplement de se lever le matin pour arriver à l’heure.» L’accompagnement est donc ici primordial. Souvent, l’analphabétisme vient s’ajouter à tous ces problèmes d’ordre privé. «Il faut alors leur apprendre à lire, à écrire et quelquefois aussi à parler le français. Ce sont des chômeurs de plus de 40 ans qui ne sont plus re crutés dans des entreprises de la filière classique. Notre but est de réinsérer. Nous ne donnons donc pas la priorité aux compétences, lors du recrutement, mais à la motivation du travailleur.» Quelques fois, pourtant, malgré l’accompagnement social et le caractère humain de l’entreprise, le travailleur n’arrive pas à s’intégrer. « Il est alors réorienté vers Retrival en bref Coordonnées Retrival • rue de l’Usine, 1 • 6010 Couillet • 071/63 10 10 [email protected] • www.retrival.be Nomination Société coopérative à finalité sociale Lieu et date de naissance Marchienne, 1997 Fondateur Cockerill-Sambre-Arcelor Fonction Retrival apporte une aide dans la gestion quotidienne de l ’ e n v i ronnement de l’entreprise. Active dans la rénovation d’espaces industriels, la gestion globale des déchets, l’embellissement et la reverdurisation de sites Objectif Amélioration de l’environnement industriel et formation, et insertion de personnel peu qualifié dans le monde du travail Nombre d’emplois 30 personnes TRAVERSES 183 • octobre 2004 une formation de réinsertion théorique qui est dispensée par Archipel, par exemple. Le suivi y est très poussé. On lui apprend à se présenter lors d’un entre tien, rédiger un CV. » Il s’agit donc d’un retour en arrière indispensable pour certains afin de mieux rebondir. « Ce pu blic, généralement très fragilisé sociale ment, a parfois besoin de plus de temps. Il s’avère que, dans certains cas, la formation de six mois ne soit pas suf fisante. Cela peut paraître beaucoup, mais pour des personnes qui ont perdu tout repère, c’est souvent trop peu.» Le but ultime de Retrival est pourtant de parvenir à réintroduire tous ces travailleurs sur le marché du travail. « Les en treprises comme Retrival ne devraient être qu’un tremplin vers un job meilleur. Mais là encore nous sommes confron tés à d’autres difficultés. » Le manque de confiance en soi est souvent encore bien trop présent chez ces travailleurs. « L’esprit protecteur et sécurisant qui règne dans les sociétés d’économie sociale ne leur donne pas vraiment en vie de nous quitter. » Peur du regard des autres, de se tromper, de ne pas être à la hauteur, peur du licenciement sec, le chemin de la réinsertion est bien long. «Lorsqu’un travailleur sort de Retrival pour rejoindre une autre entreprise, nous estimons que notre mission est pleinement réussie. Mais ce n’est encore que trop rarement le cas.» Retrival possède toutefois encore de la marge pour accueillir de nouveaux travailleurs. Les perspectives d’avenir sont prometteuses. Retrival continuera donc à mener sa mission de réinsertion et de création d’emplois. Marie Isabelle Gomez 11 DOSSIER DOSSIER Entreprises sociales d’insertion et politiques publiques génération d’ESI s’est alors développée, s’ouvrant à la concertation avec les pouvoirs publics, qui décidèrent de les reconnaître et de leur fournir un cadre légal. Les ESI (1) par le travail sont nées pour la plupart dans le champ du travail social. Beaucoup s’inscrivent aujourd’hui dans des cadres légaux spécifiques à l’insertion, liés aux politiques actives d’emploi, qui ont connu un essor considérable depuis les années 80 lorsque l’État s’assigna une fonction d’insertion. E 12 n Belgique, les entreprises sociales d’insertion par le travail (ESI) furent impulsées par des acteurs de la société civile dans les années 1970 et 1980, dans un contexte de croissance du chômage et de l’exclusion sociale. Ces initiatives, visant l’insertion de personnes précarisées, furent développées en marge des politiques publiques traditionnelles, qui ne fournissaient pas une réponse jugée adéquate à ces problèmes. Elles ont donc eu tendance à émerger dans une perspective de contestation et d ’ a u t onomie par rapport aux pouvoirs publics, à pointer les limites des politiques publiques face aux personnes exclues du marché du travail. Elles ont ainsi contribué au renouvellement des politiques sociales de lutte contre la pauvreté et l’exclusion. Une seconde Avancée des instruments de mise en œuvre des politiques actives d’emploi. Par exemple, dans certains cas, elles furent reconnues au sein des dispositifs formant le « parcours d’insertion». On peut dès lors faire l’hypothèse que ces ESI sont nées dans le champ du travail social et sont aujourd’hui plus liées aux politiques d’emploi. Cette reconnaissance légale est à placer dans un contexte d’évolution des politiques publiques. De fait, face à la montée du chômage et à la dégradation des finances publiques, les pouvoirs publics ont mis sur pied dans les années 1980 une série de politiques actives visant l’intégration des chômeurs sur le marché du travail. Le développement de la formation professionnelle, de programmes de résorption du chômage et d’aides à l’embauche, particulièrement pour les groupes jugés « à risque », constituèrent les piliers des politiques actives dans les années 90. Depuis la fin des années 1990, le concept d’ « État social actif » est au cœur de la philosophie des politiques actives. Dans cette perspective, l’État est censé développer des mesures pour inciter les personnes à s’intégrer dans la vie active et plus particulièrement sur le marché du travail. Les allocataires sociaux, quant à eux, ont le devoir de saisir les opportunités qui leur sont présentées. Dans ce cadre, les politiques actives occupent une place centrale, notamment ciblées sur les personnes bénéficiaires d’allocations sociales, via la reconversion de ces moyens en aides à l’emploi. Reconnaissance légale Dans ce contexte, les ESI se sont inscrites dans un processus d’institutionnalisation. Elles furent reconnues légalement et inscrites dans l’action publique. Dans le cadre de l’État social actif, ces ESI représentent souvent un En effet, les cadres légaux tendent à ne reconnaître que l’objectif d’insertion des ESI, alors que certaines poursuivent aussi un objectif de bénéfice à la collectivité à travers leur activité de production (services sociaux, récupé- Cependant, certaines ESI ont choisi de ne pas entrer dans cette voie d’institutionnalisation, de ne pas adopter un des cadres légaux spécifiques à l’insertion (ce qui n’empêche pas qu’elles puissent bénéficier de certaines ressources provenant des politiques actives d’emploi). Ce sont principalement des ASBL, qui utilisent les programmes de résorption du chômage pour poursuivre leurs objectifs. Ces mouvements d’institutionnalisation ont permis aux ESI d’être reconnues par les autorités publiques et de bénéficier ainsi d’une plus grande visibilité, d’une reconnaissance légale et, par leur inscription dans les politiques actives d’emploi, d’un accès plus stable aux ressources publiques nécessaires à la poursuite de leurs objectifs. En même temps, la mise en place d’une telle régulation comprend un risque de cadrage qui limite les possibilités d’autonomie et d’innovation de ces ESI. Elle a des impacts sur les objectifs et les ressources de ces entreprises. TRAVERSES 183 • octobre 2004 ration et recyclage de déchets, etc.). Toutefois, en Région flamande, les entreprises d’insertion agréées («Invoegbedrijven ») actives dans la récupération de déchets peuvent être également agréées en tant que centres de recyclage («Kringloopcentra»). Leur double production à caractère collectif est alors reconnue : l’insertion d’un public fragilisé et la protection de l’environnement. Une autre tension semble apparaître entre une conception « unidimensionnelle » et une conception « multidimensionnelle » de l’insertion. Avec leur institutionnalisation, les ESI se voient assigner par les pouvoirs publics un objectif d’insertion professionnelle et leur performance est souvent évaluée par rapport à l’insertion sur le marché du travail. Or, beaucoup d’initiatives poursuivent un double objectif d’insertion professionnelle et sociale. Leur action se veut multidimensionnelle, ayant des effets sur les différentes sphères de la vie sociale des participants, au-delà de la seule réinsertion professionnelle. Une évaluation à l’aune du seul taux de ré- insertion des participants peut avoir un impact sur la sélection du public bénéficiaire des ESI, incitant à des pratiques d’écrémage des participants. Ressources Au niveau des ressources, les ESI articulent souvent différents types de ressources. Par la vente de biens et services, elles obtiennent des ressources marchandes. Par les subsides, octroyés notamment par reconnaissance de la production de bénéfices à la collectivité, elles obtiennent des ressources non marchandes. Par les dons et le bénévolat pour certaines, mais aussi la participation à des partenariats, des réseaux, etc., elles obtiennent des ressources réciprocitaires. Or l’institutionnalisation des ESI les force souvent à s’inscrire soit dans l’économie sociale dite « marchande », soit dans l’économie sociale dite « non marchande », le critère distinctif étant l’importance des recettes marchandes dans le financement de l’entreprise. En Région wallonne par exemple, les EFT sont consi- L’entreprise sociale Elle rassemble les organisations d’économie sociale qui ont une dimension clairement marchande et une dimension d’intérêt général, c’est-àdire un objectif explicite de bénéfice à la collectivité. Une part importante de ces entreprises est active dans l’insertion par le travail. Un des objectifs de ces entreprises sociales d’insertion par le travail (ESI) est alors l’insertion, par le biais d’une activité productive, de personnes fragilisées sur le marché du travail. Il y a une grande diversité parmi les ESI. Outre les «Entreprises de travail adapté » (ETA), on pensera en Région wallonne, au niveau des statuts légaux, aux « E n t reprises de formation par le travail » (EFT) et aux « Entreprises d’insertion» (EI). D’autres initiatives, ASBL pour la plupart, sont aussi actives dans l’insertion par le travail de personnes défavorisées, bien qu’elles n’aient pas cherché à obtenir l’un de ces agréments. TRAVERSES 183 • octobre 2004 dérées comme des organisations non marchandes prestant des services de formation et doivent limiter la part de ressources marchandes dans leur financement, afin de ne pas confondre formation et production. Le risque est alors qu’à terme elles ne puissent plus poursuivre leur mission de formation par le biais d’une réelle activité productive. Les EI agréées sont, quant à elles, inscrites dans l’économie sociale «marchande». Dès lors, elles accèdent à divers marchés et les financements publics ne se justifient que pendant une période initiale ou en fonction de l’embauche de nouveaux travailleurs défavorisés, la vocation de ces entreprises étant d’opérer sur des marchés classiques et d’y trouver l’essentiel des r e ssources qui leur sont nécessaires. Face à cette politique de subvention dégressive, on retrouve à nouveau un risque d’écrémage des participants, soit à l’entrée soit à l’issue des quatre ans de subventions. Ainsi, le type d’articulation entre les ressources marchandes et non marchandes par les ESI n’est pas sans conséquences sur leur objectif d’insertion et sur leur public cible. Une politique de subsidiation à long terme est plus adéquate à la poursuite d’un objectif multi dimensionnel d’insertion sociale et professionnelle, alors que des subsides à court terme incitent les ESI à concentrer leurs efforts sur des travailleurs plus proches d’une insertion professionnelle stricto sensu. Andreia Lemaître, chercheuse au CERISIS (1) Entreprises sociales d’insertion. 13 DOSSIER DOSSIER Pouvoirs publics et insertion Le monde de l’insertion socioprofessionnelle n’a cessé d’évoluer ces dernières années. Dans cette problématique, les pouvoirs publics ont toujours tenu un rôle essentiel. Analyser leur profonde mutation dans l’approche de l’insertion est instructive et essentielle. L a MIREC me paraît const ituer un excellent mirador pour observer l’évolution du monde de l’insertion et, en parallèle, l’attitude qu’adoptent les pouvoirs publics concernant cette problématique. En effet, dans son conseil d’administration, cohabitent des représentants d’organismes tels que le comité subrégional de l’emploi et de la formation (CSEF), les représentants patronaux et syndicaux, mais aussi la Fédération wallonne des CPAS, la Ville et le CPAS de Charleroi, le FOREM et l’AWIPH. Une intense activité d’animation territoriale l’amène à tisser des réseaux avec des acteurs locaux, institutionnels ou socioéconomiques. 14 Approche originale De toute évidence, le FOREM appréhende sa mission d’une manière tout à fait nouvelle et originale, suite à l’évaluation menée par l’Observatoire wallon de l’emploi en ce qui concerne la mise en place du Parcours d’insertion. Pour mieux comprendre le positionnement du service public de l’emploi, nous devons nous référer à la mutation profonde que celui-ci subit. Pour le commun des mortels, le FOREM était, d’une part, le FOREM Formation et, d’autre part, le FOREM Emploi. Par le passé les partenariats avec le FOREM étaient surtout le fait du FOREM Formation. Quelle association d’insertion n’a pas entendu parler de la convention article 6 grâce à laquelle ses stagiaires avaient un statut et recevaient 1Ä de l’heure ? Ce conventionnement était traditionnellement le fait d’une relation de sous-traitance, qui d o nnait au FOREM Formation une apparence de supériorité sur les acteurs associatifs du monde de l’insertion. Dans ce contexte, l’activité des Centres d’orientation et d’initiation socioprofessionnelle (COISP) était directement concurrencée par les maisons de l’emploi, les OISP, les EFT, les régies de quartier, etc. Quant au FOREM Emploi, outre les services de placement, il mettait en œuvre différents outils de recherche d’emploi. À ce propos, Basilio Napoli, directeur général du FOREM Conseil, me disait récemment combien il était convaincu de la justesse de la stratégie : « Plutôt que d’agir en direct sur 20.000 chô meurs par an, nous posant en concur rents de la plupart des acteurs de la formation et de l’insertion, nous sou haitons désormais avoir un impact sur de plus grands nombres en permettant aux opérateurs d’intervenir et de jouer pleinement leur rôle .» FOREM Conseil : nouvelle mission Comme nous le voyons, le FOREM Conseil, dans un souci d’universalité et de neutralité du service public, tente désormais d’être surtout au-dessus de la mêlée et d’éviter de concurrencer les acteurs de l’insertion socioprofessionnelle et de l’insertion par l’économique. Il abandonne les clubs de recherche active d’emploi (CRAE) et autres outils apparentés pour nouer de vrais partenariats avec les organismes existants, que ce soit en matière de recherche d’emploi, de formation, voire même de bilans spécialisés. Il peut enfin jouer le rôle de pilote du nouveau Dispositif intégré d’insertion, légitimé tant par les interlocuteurs sociaux que par les différentes catégories d’opérateurs en quête de cohérence et de stabilité. Désormais, ce sera au FOREM Conseil de garantir la construction de filières entre opérateurs de terrain permettant aux bénéficiaires de cheminer vers la qualification ou vers l’accès à l’emploi. L’accord intervenu entre l’Interfédération OISP-EFT et le FOREM Formation, sous les auspices du FOREM Conseil, illustre la première hypothèse. Les contacts entre certaines OISP, EFT et régies de quartier avec la MIREC et d’autres missions régionales pour l’emploi préfigurent sans doute des filières formal isées facilitant l’accès à l’emploi. Le récent appel à projets aux opérateurs, visant à disposer d’un large panel d’actions à proposer aux personnes sans emploi de moins de 30 ans dans le cadre du plan d’accompag n ement des chômeurs, illustre bien cette nouvelle stratégie. Dans cette fonction tout à fait nouvelle de régulateur et de facilitateur, les carTRAVERSES 183 • octobre 2004 refours emploi formation apparaissent comme investis d’un rôle fondamental en matière d’information ainsi que d ’ o r i e ntation. Pour la plupart des opérateurs d’insertion, le FOREM Conseil devient donc un pourvoyeur pour le recrutement des publics; en même temps, il permet de donner un statut légal aux bénéficiaires pendant les phases conduisant à l’insertion. De même, en intervenant parfois en matière de financement, il rend possible la réalisation de certaines actions d’insertion. Tant dans les carrefours emploi formation que dans les maisons de l’emploi bâties en collaboration avec certaines communes, le FOREM compte sur le partenariat avec les opérateurs d’insertion pour pouvoir aider efficacement toutes les personnes qui ne sont pas en mesure de cheminer en self-service vers la qualification ou vers l’emploi. Trop d’autarcie ? Sur le plan local, un nombre important de CPAS a mis en œuvre des services d’insertion pour les bénéficiaires du revenu d’intégration sociale (RIS). Trop souvent cette démarche est conçue en autarcie mais on observe quand même de nombreuses collaborations qui vont de l’envoi de personnes en formation j u squ’à la mise à disposition d’articles 60 ou l’octroi d’avantages et d’articles 61 de la loi organique des CPAS. Dans certaines villes, comme à Charleroi, une réelle habitude de coopération est établie entre le CPAS local et certaines OISP-EFT ou encore entre le CPAS l ocal et les entreprises d’insertion ainsi qu’entre le CPAS et la MIREC. Dans ce contexte, le récent arrêté royal du ministre Christian Dupont prévoit une intervention financière du CPAS TRAVERSES 183 • octobre 2004 pour le service public de l’emploi ou un partenaire agréé (dont la MIREC, par exemple) avec qui est signée, au profit d’un bénéficiaire, une convention prévoyant un plan d’accompagnement individualisé, avec des modules de 50 ou 100 heures, qui fait appel aux méthodologies de la recherche active d’emploi et du jobcoaching. Ces collaborations vont jusqu’à un partage d’informations entre les équipes de prospection dans les entreprises. Initiatives communales d’insertion Dans le chapitre des villes et communes, il existe également de nombreuses initiatives développées en matière d’insertion. C’est notamment le cas dans le cadre de la Politique des Grandes Villes à Charleroi Porte Ouest, à Liège et ailleurs. C’est aussi le cas à Sambreville dans le cadre du projet européen URBAN. Une illustration de ces initiatives a été le partenariat bâti avec certaines ALE pour créer des coopératives qui deviennent des entreprises d’insertion agréées utilisant les titresservices. Dans la communauté de communes de Charleroi-Val de Sambre-Sud-Hainaut, c’est notamment le cas à Charleroi, où il y a un échevinat de l’emploi et de l’économie sociale fort dynamique, et à Chapelle-lez-Herlaimont, où il y a une longue habitude de travail intégré en matière d’insertion. Mais le rôle de facilitateur se manifeste également par de multiples petites actions. Ainsi l’échevinat du logement de la Ville de Charleroi confie souvent des marchés de nettoyage d’immeubles, de lavage des vitres, à des orga- nismes ou à des entreprises d’économie sociale comme le Germoir ou R-NET. Quant à l’AWIPH, elle est aussi très active au niveau des partenariats avec les différents opérateurs, à partir de sa présence au carrefour emploi formation, chez qui elle fait la promotion des mesures d’intégration. En même temps, l’AWIPH lance aussi des appels à projets, par exemple sur le jobcoaching, permettant le financement de certaines actions d’insertion. Antonio DEL VALLE LOPEZ Directeur de la MIREC 15 DOSSIER Equal Coach Interim D epuis 2002, le secteur de l’Insertion socio-professionnelle (ISP) et le secteur de l’intérim se sont associés pour favoriser la mise à l’emploi de personnes en ins e rtion, généralement peu scolarisées et peu qualifiées. Dans le cadre d’une expérience pilote Equal, quatre fédérations ISP, l’ACFI (1), les AID, l’ALEAP et le CAIPS, ont impliqué 12 centres de formation (EFT, AFT, et OISP) actifs dans différents secteurs professionnels : bureautique, informatique, Horeca, bâtiment, électricité, menuiserie... Du côté intérim, Federgon, la fédération des partenaires de l’emploi, a impliqué dans l’action une série d’agences d’intérim sensibilisée aux problématiques des publics peu qualifiés. L’objectif du partenariat est d’augmenter les possibilités d’emploi des personnes qui sortent de formation. Le travail intérimaire est une voie à explorer et peut être un tremplin vers un emploi durable et de qualité. « L’intérim est un moyen d’accès direct à l’emploi, il convient bien aux personnes qui ne veu lent pas traîner et mettre rapidement en pratique ce qu’ils ont acquis en for mation. Mais c’est un travail exigeant, l’intérimaire doit être disponible, mobile et flexible. Cela ne convient donc pas à tous les anciens stagiaires, ceux qui participent le font de manière volon taire et en connaissance de cause... », explique l’agent d’insertion d’un centre de formation participant au projet. 16 Le partenariat a commencé par créer un climat de confiance entre les diff érents acteurs en travaillant les images et représentations négatives d’un c ô t é comme de l’autre. Ensuite, les centres de formation et les agences d’intérim ont développé, au niveau local, des pratiques collaboratives : séances d’inf o rmation pour les stagiaires, visites des centres par les consultants, organisation de rencontres entre stagiaires et consultants, envoi d’offres de mission dans les centres, présentation des exstagiaires aux agences, feed-back des agences vers les centres, stages formatifs effectués dans des agences... et finalement mises à l’emploi en intérim d’anciens stagiaires. En septembre 2004, après 22 mois d’action, 156 personnes ont été s’inscrire en agences, 79 personnes ont fonctionné en intérim. Trente-trois personn es travaillent actuellement en intérim, 46 personnes ont décroché un contrat CDI ou CDD. De plus, 27 stagiaires se sont inscrits récemment et attendent que les agences d’intérim leur proposent des missions. Ce projet a permis de mettre en lumière certaines inadéquations entre le niveau de compétence des stagiaires en fin de formation et le niveau d’exigence des entreprises. Par exemple, les connaissances en néerlandais des stagiaires sortants de formation en bureautique étaient insuffisantes. Les partenaires ont fait appel au Forem Formation afin de dispenser une formation complémentaire et ciblée sur l’apprentissage du néerlandais pour employé polyvalent et employé d’accueil. Huit stagiaires ont pris part à ce module, la plupart sont à l’emploi actuellement. Dans le secteur du bâtiment, le travail intérimaire exige l’obtention d’un brevet de sécurité (VCA), une vingtaine de stagiaires ont participé à une préformation en sécurité organisée par leur centre. Ils iront en- suite suivre deux jours de formation au Forem et passer leur examen. À travers ce projet, les centres ISP ont constaté l’importance de consacrer une partie de leurs moyens au suivi et à l’accompagnement des ex-stagiaires. Faire le suivi consiste essentiellement à savoir ce que le stagiaire devient, où il travaille, quel poste il occupe, etc. L’accompagnement doit être, quant à lui, individualisé et doit être réalisé à la demande de l’ancien stagiaire par son a g e nt d’insertion. Il peut consister à remotiver la personne entre deux missions, à rechercher une formation complémentaire, à élargir le champ de sa recherche d’emploi ou à tout autre action qui serait nécessaire dans son parcours vers un emploi de qualité. En s’appuyant sur ces constats et sur les outils « emploi » conçus, tels que le « CV-Qualité » et le « Passeport Intérim» (2), les partenaires lancent un nouveau projet en 2005. Baptisé « Trempl’ intérim », il aura comme objectifs principaux l’accompagnement des stagiaires/candidats intérimaires et la mise en place de passerelles de formation. Nathalie Heusquin Coordinatrice du projet [email protected] (1) ACFI : Action coordonnée de formation et d’insertion, département de la FIAS 02/640 44 07 • www.acfi.be. (2) Les outils «CV-Qualité » et « PasseportIntérim » ont été développés pour faciliter le passage à l’emploi des personnes peu qualifiées. Ils ont été réalisés, dans le cadre d’un partenariat transnational, en collaboration avec des organismes de formation et des agences d’intérim françaises. Ils sont disponibles auprès des partenaires ISP du projet. TRAVERSES 183 • octobre 2004