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« Il n’y a pas de meilleur livre pour le médecin que le malade » (Giorgio Baglivi,
1668-1707, professeur de Chirurgie et d’Anatomie, Collège de la Sapienne, Rome,
pionnier de la Médecine clinique)
Le Syndrome d’Ehlers-Danlos, de l’errance au diagnostic. Eloge de
la clinique.
Claude Hamonet*, Jean Mohler*, Irini Giannopulu*, Gilles Mazaltarine**
*Service de Médecine Physique et de Réadaptation (Docteur Jean-Yves Maigne)
Hôtel-Dieu de Paris, 1 place du Parvis Notre-Dame, 75181 Paris cedex 04)
**Service de Médecine Physique et de Réadaptation, CHU Henri Mondor-Albert
Chenevier, 51 avenue du Maréchal de Lattre de Tassigny, 94010 Créteil cedex.
Travail soutenu par la Fondation de France
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L’Histoire du Syndrome d’Ehlers-Danlos est singulière car elle démontre comment il
est encore possible aujourd’hui de négliger un cadre clinique pourtant bien réel et
assez facile à identifier. Elle nous apprend qu’il est possible d’échafauder des
diagnostics inappropriés mais mis « à la mode » par les médias médicaux et autres.
On y découvre, à l’ère des nanotechnologies que le préjugé est toujours plus fort que
le raisonnement médical. Et, enfin, force est de constater combien peu de cas est
fait, aujourd’hui, des données de la clinique et combien, le médecin (et le patient)
s’appuie, pour son diagnostic, dans une application viante de l’EBM sur la seule
preuve biologique. Ceci pose évidement un problème, lorsqu’il n’y en a pas, ce qui
est le cas dans le syndrome dont il est question ici.
De tout cela, il découle pour le patient qu’il n’est pas cru par son médecin, surtout s’il
n’arrive pas à le guérir ou s’il l’aggrave par un traitement non adéquat, ce qui est
souvent le cas ici. Il est alors très vite catalogué parmi les patients « psy », c’est dire
les souffrances endurées par ces patients dont l’errance médicale s’apparente
davantage à un calvaire qu’à une quête de la thérapie et de la guérison.
Reconstitution historique
L’histoire commence la 15 décembre 1900 (et non pas en 1899, comme cela
est souvent écrit) par une communication (en fait une « présentation de malade »
d’Edvard Ehlers à la Société danoise de dermatologie. Le texte a été initialement
publié en allemand. Nous l’avons retrouvé avec l’aide de la BIUM (Université Paris
Descartes) et fait traduire. Il contient déjà une partie des éléments caractéristiques
du syndrome au-delà des signes cutanés et articulaires qui seuls semblent avoir
persistés dans la mémoire collective des médecins.
C’est le cas du Syndrome hémorragique qui est mentionné dans le titre, mais aussi,
des troubles proprioceptifs, des luxations et subluxations, des sueurs, des sensations
de froid des extrémités. Le caractère génétique est suggéré par l’évocation d’un père
avec des articulations douloureuses pour lesquelles, le diagnostic de goutte avait été
posé.
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SOCIETE DANOISE DE DERMATOLOGIE 15 Décembre 1900.
Cutis Laxa, tendance aux hémorragies cutanées, laxité de plusieurs
articulations. (Case for Diagnosis).
Le patient que je vais vous présenter, m’a été adressé par le Dr Kjoer. Ni lui ni moi
n’avons la moindre idée de ce qui ne va pas chez lui. Je n’ai jamais eu de difficulté à
reconnaître devant des confrères, ou des patients, que je ne savais pas que penser
d’un cas donné, et je suis toujours surpris de voir l’insistance de certains confrères à
coller une étiquette sur chaque état pathologique. S’efforcer de classer, de créer des
rubriques, de définir les maladies sur la base de leur étiologie est bien plus important
que de vouloir mettre une étiquette sur des maladies rares, voire même sur des cas
n’ayant fait, jusqualors, l’objet d’aucune observation.
Pour ce qui est du cas présenté, je m’étonne que le patient n’ait pas consulté jusqu’à
maintenant un dermatologue, pour tenter de découvrir en quoi consistait son
problème. Selon moi, le processus morbide est entré à présent dans une phase de
guérison spontanée, après avoir dû, toutefois combattre des lésions sévères, et il
n’est d’ailleurs pas impossible qu’on eût pu poser un diagnostic, à une période
antérieure.
Nos confrères de Bornholm, qui se sont occupés, jusqu’à présent, de ce patient, l’ont
rassuré en lui certifiant que « cela disparaîtrait avec le temps », mais ils n’ont pas
jugé nécessaire de consulter d’autres confrères à son sujet.
Le patient est un jeune étudiant en droit de 21 ans. Son père est toujours en vie et en
bonne santé, malgré de fortes crises de goutte. Sa mère souffre depuis vingt ans
d’un ulcus cruris. Ses trois sœurs et ses trois frères sont vivants et en bonne santé.
On ne note aucune prédisposition à l’hémophilie. Dans l’anamnèse on na découvert
aucune maladie infectieuse chronique et, notamment, pas de syphilis.
Au cours de son développement, le patient a toujours été relativement fragile, il a
notamment commencé à marcher très tard. On pensait qu’il souffrait de rachitisme.
A l’âge de deux ans, la jeune fille qui s’occupait de lui l’a laissé tomber et la chute a
causé une bosse très importante qui ne s’est résorbée que difficilement.
Plus tard, le patient a été importuné, jusqu’à sa 8
ème
année, par des matomes qui
survenaient lors de traumatismes très minimes et ne se résorbaient que
difficilement, laissant des zones cutanées résiduelles décolorées, sur toutes les
saillies osseuses et particulièrement aux coudes, aux genoux et aux articulations.
Aux alentours de sa huitième année, le patient sest particulièrement développé, il a
acquis de la puissance musculaire, ses membres se sont renforcés, il allait mieux et
était en mesure de se protéger d’éventuels traumatismes. On constate, toutefois,
chez lui, aujourd’hui encore, l’existence d’une prédisposition excessive à la
formation d’hématomes qui sont au premier plan du tableau clinique, ainsi que des
lésions résiduelles par hématomes, décolorées sur toutes les saillies osseuses sous-
cutanées exposées à des contusions. Autre symptôme majeur, la peau blafarde
étirée et plissée. Une peau qui rappelle celle des patients souffrant de myxœdème
et qui évoque la pelure d’une pomme cuite. Elle est froide au toucher; à aucun
endroit, la couleur fraîche du sang n’affleure et, à l’endroit du tissu conjonctif sous-
cutané, insensible il est possible de la plisser jusqu’à ce qu’il reste suffisamment de
peau au niveau des doigts et des jointures, pour que les doigts par exemple, gagnent
une demie longueur supplémentaire. Les mains sont relâchées et maigres, avec
atrophie des éminences thénar et hypothénar ainsi que des muscles interosseux.
Les doigts sont le siège de subluxations externes presque à angle droit. Le patient
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souffre souvent de luxations spontanées du genou qu’il doit corriger en marchant.
Pas de formations de griffes ni de raideurs des membres. Au niveau des hématomes
résiduels, une peau de couleur brune recouvre les jointures. Aucune anomalie n’a
été constatée au niveau de la sensibilité mise à part une sensation permanente de
froid cutané, aux extrémités. On ne retrouve aucun autre signe de myxœdème, et
l’intelligence est normale, la parole est libre, le langage fluide, les mouvements
sont aussi énergiques que le permet l’habitus du patient dont on ne peut pas dire
qu’il soit d’une constitution robuste. Aucune modification n’est retrouvée au niveau de
la glande thyroïde.
Le visage a la même couleur blafarde que le reste de la peau qui, en dépit de
modifications cicatricielles caractéristiques des couches superficielles, reste
mobile au niveau des couches profondes. Les sourcils sont minces, la croissance
des cheveux est correcte. Les yeux sont en bon état. On observe sur les bras une
kératose pilaire caractéristique. La sudation est augmentée ce qui est en faveur d’un
myxœdème. La marche est quelque peu ataxique, hésitante. On retrouve des
réflexes rotuliens vifs. Outre les nombreux hématomes à tous les endroits du corps
exposés aux traumatismes, on remarque dans la région de l’omoplate de petits
nodules xanthomateux. Au niveau des coudes, on note, outre de nombreux
hématomes résiduels, une importante quantité de petits nodules groupés en
anneaux, et qui font aussitôt évoquer la syphilis. Mais il n’y a aucun autre signe en
faveur en faveur de cette affection.
Texte original de la communication d’Edvard Ehlers à la société danoise de
dermatologie, le 15 décembre 1900.
La thèse D’Achille Miget (AIHP 1928)
C’est une thèse clinique remarquable à propos d’un nouveau cas qu’il
apparente à ceux d’Ehlers et de Danlos. Elle pose la question de l’identité clinique
réelle du syndrome, en considérant qu’il s’agit d’une maladie plus étendue qu’une
simple affection dermatologique : « Bien qu’elle s’apparente à nombre d’affections
dermatologiques aux confins de la cutis laxa, ou de la cutis hyperelastica, de la
dermatolysis d’Alibert, de la chalodermie de Von Ketly, cette dystrophie n’est pas une
affection purement cutanée. »
La dénomination du Syndrome par son rattachement à Ehlers et à Danlos date de
cette époque et, ce n’est que plus tard, en 1936, Qu’un Britannique, Frederich
Parkes-Weber, dans un article paru dans le Journal Anglais de Dermatologie,
confirmera la confirmera en proposant que l’affection, dont il rapportait un nouveau
cas, soit dénommée : « Syndrome dEhlers-Danlos ».
L’ennui est que tous ces auteurs, dermatologues, ont décrit essentiellement les
signes cutanés en insistant sur « l’elastica » qui a frappé les esprits des médecins
qui font encore de l’étirement cutané excessif, un signe cessaire au diagnostic.
Ceci aboutit à des éliminations abusives préjudiciables pour les patients alors que ce
signe peut être discret ou absent sans, pour autant éliminer le diagnostic. Quant à
l’hypermobilité, elle est, le plus souvent, regardée comme une curiosité que comme
un signe. Ceci confère à ce syndrome une fausse réputation de bénignité alors que
bon nombre des personnes qui en sont atteintes sont des personnes vivant des
situations vères de handicap. Au fil des années, les dermatologues se sont
désintéressés du syndrome qui est tombé dans l’oubli. C’est au développement de la
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