Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège
© Université de Liège - http://culture.ulg.ac.be/ - 17/04/2017
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dit pas assez à quel point les médias, soumis à la loi de l'audimat, c'est-à-dire à la loi du profit actionnarial,
sont aujourd'hui vecteurs d'obscurantisme.
4 Ceci dit indépendamment des tentatives de subversions internes au bloc de l'Est, en particulier la Révolution
hongroise de 1956. On lira les textes du groupe Socialisme ou barbarie et de l'Internationale situationniste ;
le § 4 du livre de G. Debord, Commentaires sur la société du spectacle (1988), résume bien l'enjeu.
5 J. Baudrillard, L'Illusion de la fin ou la grève des événements, Paris, Galilée, 1992 ; J. Derrida, Spectres de
Marx. L'État de la dette, le travail de deuil et la nouvelle Internationale, Paris, Galilée, 1993. Respectivement
abrégés IF et SM, toutes les références dans le corps de l'article renvoient à ces deux ouvrages.
3. La critique. Non loin de Baudrillard, on pourrait nommer exténuation de la modernité l'épuisement d'un
certain style du rapport de la pensée à son histoire, le style critique, style ou êthos de la pensée dont la
mise en lumière est traditionnellement associée au nom de Kant6. La critique désigne l'inquiétude quand
elle trouve à se loger au cœur de la pensée et de son travail, le soupçon que celle-ci apprend alors à
porter constamment sur elle-même, sur ses limites de droit et de fait, sur ses conditions de possibilité, en
particulier historiques, inquiétude ou soupçon quant à soi qui, en l'absence d'une norme transcendante
orientant de tout temps le travail de la pensée et la course de l'histoire, définit intégralement le champ de
l'expérience historique de la pensée. D'un point de vue pratique, une telle pensée critique est liée à une
promesse ou un espoir, celui d'une transformation politique de l'histoire dans le sens d'un surcroît de justice
et de liberté ; cette modification politique devient l'œuvre nécessaire des hommes qui ne subissent pas
l'histoire dont ils héritent, en tant qu'existences finies, sans en même temps découvrir progressivement la
possibilité de la constituer, collectivement, de façon autonome et finalisée.
Affaire de succession, d'héritage et de générations7 : la pensée critique de l'histoire est d'abord autocritique
en ce qu'il lui appartient de réfléchir pour les modifier ses propres limites, sa finitude, et d'abord l'héritage
historique qui est le sien, que chaque génération doit passer au crible relativement à la promesse finale
d'une émancipation dont le contenu - on va le voir - doit rester largement indéterminé, formel, sans fin(s).
Ceci posé, je prélève dans les deux ouvrages qui nous intéressent quelques passages allant exactement
dans ce sens ; manière de résumer d'un trait, par anticipation, l'essentiel des développements suivants.
4. Finitude et finalité (citations). Selon Baudrillard, le propre des pensées modernes ou critiques (Marx et
Nietzsche sont allégués) est qu'« elles assignent toutes au genre humain émancipé une finalité souveraine,
un au-delà qui n'est plus celui de la religion, mais un au-delà de l'humain dans l'humain, un dépassement
de sa propre condition, une transcendance venue de ses propres forces, une illusion peut-être, mais une
illusion supérieure » (IF, p. 135). Un tel dépassement suppose une conscience inquiète de la mortalité
et la certitude que celle-ci ne sera effacée ou relevée dans aucun monde, celui-ci ou un autre : on nie
l'état de choses en vertu de sa propre finitude, et en rapport avec l'idée de la création possible, ici-bas,
d'un tout autre monde (libre, juste, émancipé). Demeure seulement une « immortalité en temps différé »,
laquelle repose sur « une transcendance de la fin, un investissement intense des finalités de l'au-delà et une
opération symbolique de la mort » (IF, p. 130). La pensée critique est donc une pensée de la fin toujours-