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La démesure (l’hubris) des banquiers, se nourrissant de l’excès de leurs libertés7, trompés par
leurs propres discours, en s’y installant, les confortant et les amplifiant, explique en partie le
phénomène. Elle a accru l’impact de facteurs plus techniques8. Mais il y a autre chose. Tous
les acteurs, quels qu'ils soient, se sont enfouis la tête dans le sable face à l’exubérance de la
financiarisation car elle leur convenait. En oubliant les risques sous-jacents, l’abondance de
crédit a financé la prodigalité clinquante de la course à la consommation. celle-ci, jointe à la
perspective de gains fabuleux, à l'exaltation de l'hédonisme couplée à un individualisme dont
l’égoïsme n’est pas absent, ont constitué autant de tentations auxquelles il était facile de
succomber. Elles s’inscrivent d’ailleurs dans la logique du système.
La réalité est que nous vivons dans une économie capitaliste qui se cache derrière les termes
commodes et aseptisés d’« économie de marché », nom donné à la théorie économique
dominante, d'inspiration néo-classique ou néo-libérale, dont l’usage s’est imposé avec la
révolution néo-libérale. Voici ce qu'en disait J.K. Galbraith9: « De toute évidence, le
capitalisme, ça ne marchait pas. Sous ce nom là, il [le système économique] était
inacceptable. On se mit donc ardemment en quête d’une dénomination plus douce. […] C’est
ainsi qu’est apparue, dans la langue un peu savante, la formule ‘’économie de marché’’. Elle
n’avait aucun passif historique, et d’ailleurs pas d’histoire du tout. Il eût été difficile, en
fait, de trouver un nom plus vide de sens, et ce fut l’une des raisons de ce choix. » Nous
verrons plus loin l’importance que revêt l’utilisation de ce terme.
Très schématiquement, cette théorie enseigne que les agents10, parfaitement rationnels et
disposant d'une information parfaite, guidés par la « main invisible » du marché (elle réalise
l'équilibre entre l'offre et la demande), en cherchant à satisfaire leurs besoins personnels, les
font converger automatiquement vers la satisfaction de l'intérêt commun, traduit dans
l'utilisation optimale des ressources disponibles. Nombre d'économistes en font l’égale d’une
religion révélée11, d’autres, par exemple J.K. Galbraith, J.E. Stiglitz, P. Krugman..., trouvent
cependant peu pertinente cette vision mécaniste de l’économie et la questionnent à juste
titre.
Il faut néanmoins reconnaître que, poussé au départ par la recherche de l’intérêt et du profit
ainsi que par les possibilités offertes par la révolution industrielle, le capitalisme s’est montré
efficient pour offrir des biens et services à un coût raisonnable et répondre ainsi à une foule
de besoins. Ce faisant, il a inscrit la relation entre l’offre et la demande sur une spirale
croissante dans laquelle progrès, prospérité et croissance se sont progressivement
interpénétrés en se confondant12. Elle est d’autant plus forte que la technologie et le
processus d’innovation – la destruction créatrice – poussent à augmenter l’offre pour toujours
plus de demande.
Soulignons également que le rôle des banquiers est capital dans ce processus. Ils en sont les
serviteurs honorés et efficients car, par leur travail d’intermédiation, ils l’alimentent en lui
fournissant les moyens financiers nécessaires.
Le maelström d'information dans lequel nous baignons nous pousse d'ailleurs sans relâche dans
la dynamique de cette spirale de croissance.
Le volume de la production d'information est effarant. Les chercheurs de l'université de
Californie à Berkeley estiment que chaque année, 800 mégabytes d'information (tous supports
confondus) sont produits dans le monde par habitant de la planète. Cela fait pratiquement 4,8
exabytes d'information par an, l'équivalent de quelques 480.000 bibliothèques du Congrès des
États-Unis13-14. Un nombre limité de très grosses entreprises se partagent le gâteau. AOL, Time
7 Dans tous les domaines : rémunérations, formation de « monstres financiers » regroupant des activités
dissemblables, exigences de taux rentabilité irréalistes vis-à-vis de leurs clients, vision à court terme,
obstination à échapper aux règles et contrôles, …
8 Voir note 4 ci dessus.
9 « Les mensonges de l'économie », J.K. Galbraith, Essai, Grasset, 2004.
10 Personnes physiques, morales et associations de fait.
11 J.E. Stiglitz parle à ce propos du « fanatisme du marché ».
12 Voir « Prosperity without growth », Tim Jackson, Earthscan, London, 2009.
13 Un mégabyte = un million de bytes (106), un gigabyte = un milliard de bytes (109), un terabyte = mille
milliards de bytes (1012), un exabyte = un milliard de milliards de bytes (1018). Un byte = un caractère. La
bibliothèque du Congrès représente 19 millions de livres et 56 millions de manuscrits, soit 10 terabytes
d'information.
14 In « World drowning in ocean of data » BBC News, October 31st 2003.