Anxiété et dépression, chez le diabétique
I INTRODUCTION:
Comme toutes les maladies chro-
niques, le diabète a autant de réper-
cussions, sur le plan psychologique,
que somatique. Il constitue une condi-
tion de stress, qui suscite des réactions
émotionnelles; de même qu’un travail
d’acceptation et d’adaptation psycho-
logique.
La moitié de nos patients diabétiques
sont anxieux et le 1/3 est déprimé. Se-
lon de nombreuses études épidémio-
logiques, ces troubles s’associent, de
manière non fortuite et se compliquent
mutuellement.
Selon une méta-analyse, réalisée par
David M Clarke et al en 2009 [7], la pré-
valence de l’anxiété, au cours du dia-
bète, dépasse les 14% [5. 6].
Quant à la présence de dépression, elle
varie de 8 à 52%, selon les études [4].
Elle est particulièrement plus élevée,
chez les diabétiques de sexe féminin et
les personnes socio-économiquement
défavorisées [1].
De ce fait, plusieurs études, à travers
le monde, se sont intéressées, ces der-
nières années, à la définition de ces
troubles et à l’intérêt de leur prise en
charge parallèle, pour améliorer la qua-
lité de vie et le pronostic de ces patients
diabétiques.
Les états anxio-dépressifs sont, globa-
lement, sous-diagnostiqués en méde-
cine générale (jusqu’à 50%); en particu-
lier, quand la symptomatologie d’appel
est somatique.
Lenquête, réalisée par Eaton et al, a dé-
montré que les patients, ayant présenté
une dépression, avaient deux fois plus
de risque de développer un diabète
non insulino-dépendant, que le reste de
la population (après contrôle de l’en-
semble des autres facteurs de risque).
II NOTIONS PRELIMINAIRES:
II.1. Définition:
L’anxiété, ou l’angoisse, est un aect
pénible, caractérisé par un sentiment de
peur, anticipant un événement mena-
çant.
«L’angoisse est définie par l’ensemble
des troubles physiques (tremblements,
bouées de chaleurs palpitations, étouf-
fement, vertige,..), qui concourent à
donner, à l’anxieux, l’impression qu’il est
serré dans un étau, étranglé, tordu, aux
portes de la mort» (Henri Ey).
La dépression est caractérisée par une
symptomatologie manifeste, remarqua-
blement en rupture avec l’état antérieur
du sujet, avec un début plus progressif,
en quelque semaines, ou mois. Elle a un
caractère syndromique, intéressant les
domaines aectifs (tristesse), cognitifs
(idéation, dépressifs et de mort), com-
portementaux et somatiques.
les professeurs S. Sehim et Kh. Aiouez *Par
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II.2. Lien dépression-diabète
Le stress, lié à la maladie et ainsi, l’an-
xiété et/ou la dépression qu’il engendre,
s’accompagne d’importantes modifi-
cations physiologiques, susceptibles
d’accroître la vulnérabilité des patients
au diabète de type 2 et à ses compli-
cations.
Pour expliquer cela, plusieurs hypo-
thèses étiopathogéniques ont été évo-
quées [7]:
Facteurs comportementaux
La dépression est associée à une acti-
vité physique réduite; ce qui majore le
risque d’obésité et par conséquent, celui
de diabète de type 2;
La dépression est associée à une mau-
vaise prise en charge du diabète, par
le patient lui-même (traitement per os,
mesures diététiques, activité physique,
surveillance glycémique);
Les modifications émotionnelles, liées
au diabète, peuvent favoriser l’installa-
tion d’une dépression.
Facteurs biologiques:
La modification de l’axe hypothalamo-
hypophysaire, en réponse au stress,
entraîne l’augmentation des hormones
hyperglycémiantes, suite à la libération
des hormones de la contre-régulation
catécholamines, glucocorticoïdes, hor-
mone de croissance et glucagon, qui
s’opposent à l’action de l’insuline et des
facteurs insuline-likes.
Les études retrouvent une altération des
mécanismes de transport du glucose,
comparativement aux patients non
déprimés. Les patients, sourant de dé-
pression, présentent une diminution de
la consommation du glucose au niveau
du cortex préfrontal latéral gauche, par
diminution de l’activité de transporteurs
[8; 9].
Une altération de l’immunité, par une
activation de certains marqueurs de
l’inflammation, tels que l’IL-1; IL-6; TNF-
alpha [10; 11].
Problèmes pratiques de la comorbidi-
tédiabète – dépression / anxiété.
Au-delà de la diculté diagnostique, un
autre danger est celui de la banalisation
des symptômes: «C’est normal d’être
triste, avec une telle maladie». Cette
banalisation est dangereuse, pour plu-
sieurs raisons [2]:
croire qu’il est normal d’être triste, au
cours d’une maladie somatique, c’est
prendre le risque de laisser cette tris-
tesse et/ou anxiété évoluer vers une
authentique dépression endogène, qui
augmentera le risque suicidaire, dans un
premier temps et aggravera le pronostic
de l’ensemble des troubles;
Le désarroi, provoqué par des avis mé-
dicaux successifs contradictoires;
L’incertitude, après des examens com-
plémentaires, dont le résultat, qualifié
de négatif, suggère que l’origine du
trouble reste mystérieuse;
La croyance que la persistance des
symptômes témoigne d’un processus
évolutif, susceptible d’aggravation;
L’incompréhension que peut engen-
drer un abandon dans la prise en charge,
inévitable pour le thérapeute, si le pa-
tient exige un traitement curatif radical;
Les arrières pensées, les interpréta-
tions, souvent erronées, doivent être
exprimées, clarifiées; car, elles ali-
mentent l’angoisse. L’analyse claire de
la situation aidera le patient à adopter
un comportement plus adapté, vis-à-vis
de sa maladie.
De ce fait, l’évaluation psychologique
constitue une étape, essentielle, dans
toute prise en charge de maladie chro-
nique, quelle que soit son origine. Sans
oublier que certains éléments peuvent
contribuer à une accentuation des
troubles; voire, à leur chronicisation [3; 4].
Conséquences pronostiques de la dé-
pression / anxiéte, sur le diabète
En pratique clinique, le diagnostic de
dépression reste relativement dicile,
en présence d’aections chroniques
associées.
Le praticien dispose d’un outil fiable,
pour poser le diagnostic avec + ou –
d’exactitude. Il s’agit de l’échelle HAD
(Hospital Anxiety Depression), conçu
pour évaluer l’anxiété et la dépression,
chez les patients porteurs de pathologie
somatique.
Critères d’épisode dépressif caractérisé (daprès le DSM5)
Parmi les neuf symptômes suivants, au moins cinq doivent exister depuis deux
semaines et l’un des deux premiers doit, obligatoirement, être présent:
1. Le patient se plaint d’humeur dépressive continuelle.
2. Le patient dit qu’il n’a plus d’intérêt, ou de plaisir, pour aucune activité.
3. Le patient présente un trouble de lappétit (Ø ou Ö) net et continuel, ou
un changement de poids (en plus, ou en moins) de 5 % au moins, durant le
dernier mois.
4. Le patient se plaint de troubles du sommeil (insomnie, ou hypersomnie).
5. Le patient présente une agitation, ou un ralentissement psychomoteur net et
objectif.
6. Le patient se plaint de fatigue.
7. Le patient se sent coupable, de manière inappropriée, ou excessive.
8. Le patient a des dicultés de concentration.
9. Le patient a des “ idées noires ”. Il pense à la mort, au suicide.
Les symptômes présents nuisent à son fonctionnement social.
Les symptômes ne s’expliquent pas par un événement récent (un deuil, par
exemple).
Dépression / Anxiété
* Obésité
* Diabète T2
Augmentation de la
prise alimentaire et de
la sédentarité
Diabète
Ses complications
et ses traitements
Comorbidités
Peut contribuer
Diabète - Dépression / Anxiété: Relation bi-directionnelle
Conséquences:
* Mauvaise hygiène de vie
* Non adhésion au traitement
* Faible contrôle glycémique
- Durées de soins hospitaliers
- Consultations et coût des
soins
* Apparition précoce de com-
plications cardio-vasculaires
* Modificationde l'axe hypotala-
mo-hypophysaire (stress)
* Altération de l'immunité
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N°53 - Juillet 2016
III CONCLUSION
La dépression et l’anxiété sont des
conditions fréquentes, chez les sujets
diabétiques et leurs eets pronostiques
sont majeurs. Ces liens nécessitent,
d’abord, la recherche des symptômes
anxio-dépressifs et ensuite, une inter-
vention psychologique; voire, un traite-
ment chimiothérapique.
En eet, la place du psychiatre est appe-
lé à devenir de plus en plus importante.
Cependant, sa légitimité n’a de sens que
dans une étroite collaboration avec les
diabétologues; mais, aussi, les généra-
listes, les familles et les infirmiers
* Pr S. Sehim (1), Pr Kh. Aiouez (2),
(1) EHS Drid Hocine, Kouba - Alger,
(2) CHU Bab El Oued - Alger.
Bibliographie
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propos d’une étude prospective concernant 41 patient
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patients with depression. Am J Psychiatry 2001; 158:
1252-1257
Une étude apporte un nouvel éclairage génétique, sur la dépression
Une vaste étude confirme l'in-
fluence des gènes, sur le risque
de dépression, chez les personnes
d'origine européenne; un pas,
pour mieux comprendre la composante
biologique de cette maladie et aider au
développement de nouveaux traitements.
Réalisée par des chercheurs américains,
cette nouvelle étude, publiée dans la revue
spécialisée Nature Genetics, a identifié 17
variations génétiques, potentiellement à
risque, réparties dans quinze régions du
génome. Elle décrit "les premières asso-
ciations génétiques, significatives, avec le
risque de trouble dépressif majeur (TDM),
chez les individus d'origine européenne",
souligne la revue. Cette vaste étude, dite
"pangénomique", englobe plus de 121.000
personnes, qui ont déclaré avoir été dia-
gnostiquées comme atteintes de dépres-
sion, ou être traitées pour la maladie. Sont,
aussi, incluses 338.000 personnes se dé-
clarant sans antécédents de dépression.
"L'identification des gènes qui influent
sur le risque, pour une maladie, est une
première étape vers la compréhension de
la biologie de la maladie elle-même", ex-
plique Roy Perlis, du Massachusetts Gene-
ral Hospital (Etats-Unis), coauteur de ce
travail. "Nous espérons que la découverte
de ces gènes va nous orienter vers de nou-
velles stratégies de traitement", ajoute ce
spécialiste, également professeur agrégé
de psychiatrie, à la Harvard Medical School.
Une étude récente avait identifié deux
variations génétiques (ou mutations) pou-
vant contribuer au risque de développer
cette maladie, chez les femmes chinoises;
mais, elles sont extrêmement rares, dans
d'autres populations. Cette analyse a, no-
tamment, identifié des gènes du système
nerveux et des gènes impliqués dans le
développement du cerveau, ainsi qu'un
gène préalablement associé à l'épilepsie et
la déficience intellectuelle
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Fixation du praticien, sur les plaintes somatiques
Problèmes Conséquences
Les symptômes dépressifs et diabétiques se
superposent, ou les symptômes dépressifs
miment les symptômes diabétiques
Le patient et le médecin ne sont pas au courant
de l’existence d’une dépression et attribuent les
modifications symptomatiques à l’aggravation
du diabète
La dépression est associée à l’apparition, ou
la majoration, de symptômes diabétiques
Le patient peut ne pas se sentir soutenu par
le médecin, quand les troubles physiques, ou
la biologie, ne correspondent pas à la plainte
subjective
Symptômes aectifs placés au second plan et banalisation des symptômes dépressifs, explicables par
la maladie physique.
La dépression est associée à des dicultés
de prise en charge du diabète et de la
compliance
Le patient peut se sentir résigné dans ses
capacités de changement, par exemple: «je sais
ce que je suis sensé faire et ne pas faire; mais je
persiste à faire les choses de travers et j’ignore
pourquoi».
Le médecin peut se sentir découragé, vis-à-vis
des capacités de changement de son patient,
concernant ses soins
Les sujets dépressifs sont plus enclins à gérer
leurs émotions, en prenant des toxiques, ou
en mangeant
Le médecin, n’ayant pas fait le diagnostic des
symptômes dépressifs sous-jacents, risque de
porter un jugement, en raison de la stigmatisation
associée à ces comportements
La dépression, ou anxiété, peut diminuer la
confiance, ou la satisfaction, envers les soins
La dépression est, communément, associée
à des changements, dans l’accès aux soins et
au suivi
Le patient peut être réticent à prendre, ou à se
rendre à ses rendez-vous, à collaborer avec les
soignants
La dépression / anxiété peuvent être
associées à un mauvais contrôle glycémique,
indépendamment des comportements
Cela peut conduire à du désespoir, de la
culpabilité, ou un sens de perte de contrôle
de la maladie et peut réduire la motivation du
patient, pour s’engager dans des démarches
thérapeutiques ultérieures.
Le médecin, n’étant pas au courant, peut faire
porter, au patient, la responsabilité d’une
situation, dont il n’a pas le contrôle.
La dépression, ou l’anxiété, est, souvent,
associée à des dicultés d’organisation
Ce qui est, habituellement, facilement compris
doit être écrit, répété et vérifié, quand un patient
est déprimé, ou anxieux
La dépression est associée à une vision
pessimiste du futur
Le médecin doit aider le patient déprimé dans
des actions faisables, avec des résultats à
court terme (par ex: réduction des symptômes
physiques)
Réticence du praticien à rechercher le trouble
mental
Par crainte de perdre de temps, ou crainte
défensive d’être débordé par la détresse
émotionnelle du patient.
Réticence du praticien à l’utilisation de
traitements antidépresseurs
Crainte des eets secondaires et des interactions
médicamenteuses
La dépression est associée à de l’anxiété,
dans la plupart des temps.
Le médecin doit prendre en compte lexistence
de l’anxiété, qui majore le sentiment d’incertitude
et d’échec.
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