Communication avec les familles en réanimation

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COMMUNICATION AVEC LES FAMILLES
EN RÉANIMATION CHIRURGICALE
A. Wernet, P. Albaladejo
Département d’Anesthésie-Réanimation, CH Beaujon, 110 boulevard du Général Leclerc,
92110 Clichy Cedex.
INTRODUCTION
La nécessité d’informer le patient ne se discute pas. D’une attitude paternaliste
commune aux pays de tradition latine (confiance aveugle à un médecin tout-puissant) la
société française évolue vers une attitude plus critique, les patients réclamant une information sur leur état de santé et la nature des soins qui leur sont proposés. A l’extrême,
tout résultat non conforme à ce qui a été annoncé est vécu comme une faute, dont le
coupable désigné est le médecin et/ou la structure de soins du patient.
En réanimation, l’information du patient est souvent impossible. C’est donc avec les
proches que l’équipe soignante doit communiquer. Or, une étude récente a montré que
la communication n’était pas satisfaisante pour plus de la moitié (54 %) des familles en
réanimation [1]. Le but de cet exposé est de montrer les difficultés liées à la communication
en réanimation et de proposer des solutions pour améliorer la satisfaction des familles.
1. LA COMMUNICATION
1.1. DÉFINITION
Communiquer est le fait d’établir une relation avec autrui. L’information que l’on
donne à un patient ou sa famille ne peut pas être définie sans tenir compte des réactions des
différents intervenants. Parler d’information au patient ne peut se résumer à une définition
du contenu de l’information. Il faut donc, non pas promouvoir l’information en tant que
telle, mais l’inscrire comme un élément fondamental de la relation patient-médecin.
1.2. CE QUE RESSENTENT LES INTERVENANTS
L’hospitalisation d’un patient en réanimation constitue souvent pour les membres de
sa famille un contexte de stress aigu. Il a d’ailleurs été montré que plus des deux tiers
des proches de patients hospitalisés en réanimation présentent des symptômes d’anxiété
ou de dépression [2]. Face à une nouvelle jugée désagréable des mécanismes de défense
entrent en jeu, et permettent de ne pas entendre cette nouvelle à sa «juste valeur». On
assiste ainsi dans ce contexte de haut niveau d’anxiété, à une dégradation des capacités
de compréhension de l’information.
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2. LES ACTEURS
Une des particularités de la relation établie entre le patient et le soignant est la multitude des intervenants. La relation à établir n’est pas singulière. Le patient, ses proches,
sa famille, l’ensemble de l’équipe soignante, les différents médecins ont une place, des
exigences, des points de vue particuliers.
2.1. LE PATIENT EST IL COMPÉTENT ?
La compétence est habituellement définie par la capacité à exprimer ses choix, à
comprendre l’information, à apprécier la situation et ses conséquences, à manipuler
l’information de manière rationnelle [3]. Il faut distinguer la compétence de l’incapacité
juridique qui concerne les majeurs protégés ou les mineurs qui ont un représentant légal
désigné.
2.2. LE RÉFÉRENT
Il n’existe pas de définition réglementaire des proches, mais on considère généralement que ce sont : les enfants légitimes, naturels ou adoptifs, les parents, époux ou
concubins, les personnes ayant conclu un pacte civil de solidarité, enfin ceux qui partagent
l’intimité du malade. La connaissance des liens familiaux ou personnels permet en règle
de préciser leur réalité et les éventuels problèmes relationnels au sein de l’entourage.
Lorsque ceci n’est pas possible, il semble logique de privilégier les liens de parenté au
premier degré.
La notion de «consentement éclairé à la notion de représentant» a été testée par une
enquête conduite en 1997 dans le service de réanimation médicale de l’hôpital Henri
Mondor à Créteil. Cette enquête montre que sur 105 patients compétents, 76,2 % ont
désignés un «représentant». Dans 35 % des cas, il y avait discordance entre représentant
désigné et personne à prévenir.
Une étude multicentrique en réanimation, met en évidence que l’information sur
le diagnostic et le pronostic est peu donnée au patient lui-même mais plus volontiers
donnée aux proches. Les réanimateurs prennent le plus souvent l’initiative d’informer
les proches, alors qu’ils attendent une demande du patient pour les informer. En cela, les
réanimateurs sont en accord avec le code de déontologie : «le médecin ne peut intervenir
sans que les proches aient été prévenus et informés». La limitation de l’information au
patient se partage entre les formes du principes d’autonomie (volonté du patient) et de
bienfaisance (faire le bien). L’article 35 du code de déontologie stipule que : «le médecin
doit à la personne qu’il examine, soigne ou conseille, une information loyale..(principe
d’autonomie)… Toutefois, dans l’intérêt du malade et pour des raisons légitimes que le
patient apprécie en conscience, un malade peut être tenu dans l’ignorance d’un diagnostic
ou d’un pronostic grave…(principe de bienfaisance)». Malgré l’apparente abondance
de l’information donnée aux familles, il apparaît que la compréhension de cette information est parfois limitée. L’étude d’Azoulay et al met en évidence qu’une partie des
familles de patients avaient une compréhension imparfaite du diagnostic, du pronostic
ou du traitement mis en œuvre. Plusieurs facteurs semblent associés à la difficulté de
compréhension : l’âge, la langue, la nature de la maladie, le niveau socio-économique,
le degré de parenté avec le proche, le pronostic de la maladie, le temps passé avec la
famille lors du premier entretien. L’équipe médicale était capable de détecter ces familles.
La capacité des proches à comprendre une situation critique dépend des mécanismes de
défense qu’ils sont capables de développer. Ainsi, le besoin d’espoir peut aboutir à une
focalisation sur l’information positive. D’autres moyens de défense peuvent s’exprimer
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sous la forme d’un éloignement du patient, la religion, la nécessité d’un soutien extérieur,
l’hostilité ou la colère. Ces mécanismes psychologiques ou émotionnels d’adaptation au
stress peuvent être présents à certains moments et pas à d’autres et entraver les capacités
de compréhension de situations critiques. Ainsi, dans une enquête réalisée en Suisse chez
des proches de patients décédés en réanimation, l’un des principaux motifs d’insatisfaction
était la communication avec l’équipe médicale.
2.3. LES SOIGNANTS
2.3.1. LES MÉDECINS RÉFÉRENTS
2.3.1.1. Le réanimateur
Le réanimateur «senior» est le médecin responsable du patient tant sur le plan clinique
que sur le plan médico-légal. C’est le médecin le plus proche du patient au moment où il
est en réanimation, celui qui l’examine, fait ses prescriptions, prend des décisions d’actes
diagnostiques et thérapeutiques, réalise des gestes techniques, organise les transports (au
scanner, au bloc opératoire...), et donne des informations à la famille de façon quotidienne.
Son investissement tant sur les plans physique, intellectuel qu’affectif est grand, jugé
même parfois excessif (par lui-même, par son entourage professionnel et/ou privé).
Dans les centres hospitalo-universitaires, la présence d’interne modifie ce rôle, le
senior, tout en restant très proche du patient, confiant à l’interne qu’il forme la charge
clinique, et intervenant soit dans le cadre de l’enseignement à l’interne, soit lorsque la
situation du patient requiert une compétence particulière liée à ses connaissances et à
son expérience de senior. La répartition des tâches senior/interne varie d’ailleurs énormément selon le service.
2.3.1.2. Les chirurgiens
En réanimation chirurgicale, le patient rencontre généralement au moins une fois
un chirurgien.
Parfois c’est une intervention chirurgicale qui, de façon prévisible ou totalement
imprévisible, conduit le patient en réanimation. Le chirurgien est un interlocuteur privilégié du patient, choisi par celui-ci, qui rencontre généralement facilement la famille.
L’intervention chirurgicale a été décidée avec le patient, après évaluation d’un rapport
bénéfice/risque, et la prise en charge à distance de la pathologie «basale» du patient
continue à être assurée par ce chirurgien.
Lorsque le chirurgien est impliqué comme prestataire de service (intervention chirurgicale chez un polytraumatisé, «accepté» et pris en charge par les réanimateurs, ou
chez un patient présentant au cours de l’hospitalisation une complication nécessitant un
geste chirurgical), l’investissement du chirurgien est souvent moindre et le contact avec
les familles souvent absent.
2.3.1.3. Le médecin traitant
Lorsqu’il existe, le médecin traitant est d’une aide précieuse. Il a déjà acquis la confiance de la famille grâce à un passé commun. Il connaît la famille dans une intimité que
jamais les médecins hospitaliers ne devineront. Il est ainsi capable d’expliquer avec des
mots justes, appropriés et au bon moment la situation clinique d’un proche hospitalisé
en réanimation. Il est capable de valider l’attitude des médecins réanimateurs, permettant de maintenir une confiance entre la famille et les réanimateurs. La famille ressent
plus de liberté à poser des questions, demander de répéter des explications ou poser des
questions cruciales (risque de décès, de séquelles, utilité ou futilité des soins...). Il est
ainsi capable de prévenir un conflit, mais aussi de le dépister, et de le résoudre en jouant
un rôle d’interprète.
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2.3.1.4. Le chef de service
Le chef de service, notamment dans les centres hospitalo-universitaires, où son activité clinique est limitée, n’intervient que dans des situations très graves : conflit entre la
famille et le personnel médical et / ou paramédical, pronostic très sombre. Il représente
une autorité et une compétence reconnues de facto, liée à la fonction (et au titre lorsqu’il
s’agit d’un universitaire).
2.3.2. LES INTERNES
Les internes sont des «praticiens en formation». Leur charge clinique auprès du patient
est maximale. Dans le cadre de leur formation, il est indispensable qu’ils aient des entretiens avec les familles, afin d’expérimenter les problèmes inhérents à la communication
avec les familles, d’apprendre à informer et à recueillir des informations.
De façon étonnante a priori, si l’on considère que les internes sont «en formation»,
une étude récente a montré que les internes sont aussi performants que les seniors pour
donner des informations à la famille sur le diagnostic, le pronostic, les traitements, que
ces familles sont également satisfaites sur l’information et sur les soins et ne présentent
pas plus de symptômes d’anxiété et de dépression lorsque les nouvelles sont données
exclusivement par un interne que par un senior. En revanche, les familles informées par
un junior regrettent ne pas avoir assez de temps lors de l’entretien et ont plus souvent
recours à leur médecin traitant [4]. Dans une autre étude réalisée par la même équipe,
le fait que l’information soit donnée par un interne est même un facteur indépendant de
satisfaction des familles [5].
2.3.3. LES INFIRMIERS ET LES AIDES-SOIGNANTS
Les infirmiers et les aides-soignants répondent au téléphone, accompagnent les
familles dans la chambre du patient. Les informations échangées entre les médecins et les
familles ne se superposent pas à celles échangées entre infirmiers et/ou aides-soignants
et familles. Les entretiens avec ces derniers sont aussi importants et informatifs pour la
famille : il est important de savoir si le patient a de la fièvre en ce moment, s’il a mal,
s’il a mangé, combien il a d’oxygène ; ces informations sont délivrées au mieux par ceux
qui sont au plus proche du patient et permettent à la famille de vivre «en direct» ou en
symbiose avec le patient.
La satisfaction des familles quant aux informations données par les infirmières est
identique à celles données par les médecins, indiquant que les infirmières sont parfaitement aptes à rendre compte de l’état d’un patient, et que les informations données sont
tout aussi importantes que les informations «médicales» pour la famille [6].
Ce sont d’ailleurs les infirmiers qui, les premiers, se sont intéressés aux besoins des
familles en réanimation [7] et ont évalué des techniques d’amélioration de la communication avec les familles [8-10].
3. QUELLE INFORMATION ?
3.1. CELLE QUE DOIT DONNER LE DOCTEUR
3.1.1. INFORMATION
Le recueil du consentement au soin du patient en réanimation est rarement réalisable.
A l’extrême, on recueille parfois auprès de la famille le consentement supposé du patient
(décision de limitation ou d’arrêt des soins, autorisation de prélever des organes chez
le patient en état de mort cérébrale). Comme le rappelle le Comité Consultatif National
d’Éthique (CCNE), «les proches ne sont pas des représentants légaux. Ils ne peuvent pas
consentir aux soins à la place du malade. Le code de déontologie demande seulement
qu’ils soient «prévenus et informés». Il ne dit pas qu’ils doivent être «consultés». C’est
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donc l’équipe médicale qui prend les décisions pour le patient, tant que celui-ci n’a pas
retrouvé ses capacités mentales» [11].
3.1.2. COUR DE CASSATION 25/02/97
L’arrêt de la Cour de Cassation du 25 février 1997 impose à tout médecin d’être en
mesure de prouver que le patient a reçu toute l’information préalable avant un acte diagnostique ou thérapeutique proposé. Cette information doit comporter 3 parties :
1- Décrire le protocole de l’acte en expliquant son utilité voire sa nécessité.
2- Enumérer les risques de l’acte, surtout les plus graves même s’ils sont rares.
3- Signaler les risques encourus en cas d’abstention.
3.1.3. L’OPINION DES SOCIÉTÉS SAVANTES
La SRLF et la SFAR ont élaboré des réflexions relatives à l’information en réanimation ; celles-ci, bien que récentes, ne traitent que très succinctement du risque en
réanimation : d’après la SRLF, «l’information globale doit préciser que la fragilité des
patients de réanimation les expose particulièrement aux affections iatrogènes et aux infections nosocomiales, et que de nombreux actes techniques pratiqués en réanimation de
façon non exceptionnelle sont potentiellement agressifs.» [3]. La SFAR recommande tout
d’abord d’informer sur l’incertitude même quant au risque : «Il est légitime de fournir aux
proches des nouvelles si le patient ne s’y oppose pas. Mais il est particulièrement difficile
de fournir des informations sur ce qui est imprévisible. Souvent, lors de l’admission en
réanimation, la pathologie dont le patient est atteint n’est pas connue en totalité et l’établissement d’un pronostic est incertain. Le patient et ses proches doivent être prévenus de
cette difficulté et informés de la possibilité de développements ultérieurs. L’information
initiale est capitale pour le climat de confiance de la relation ultérieure» [12].
3.2. CE QUE VEUT SAVOIR LA FAMILLE
L’étude de Molter sur les besoins des familles en réanimation a mis en évidence les
informations essentielles à communiquer avec la famille : sentir qu’il y a de l’espoir,
savoir que le patient reçoit ce qu’il y a de meilleur pour lui (soins, docteur, hôpital), être
prévenue si... (aggravation, décès, décision de passage au bloc opératoire...) ; ce ne sont
donc pas des informations médicales, scientifiques mais des informations de bon sens,
d’humanité, cependant souvent oubliées par les médecins [7].
Dans une étude récente la satisfaction des familles était reliée à sept facteurs : l’un relié
à la famille, la descendance française (ce facteur reflétant probablement le problème de
la barrière linguistique en présence d’une famille dont la langue maternelle est différente
de la langue maternelle du médecin) et six facteurs reliés aux soignants : l’absence de
sensation de contradiction entre les soignants, l’information donnée par un interne, le ratio
patients/infirmière < 3, la connaissance du rôle de chaque soignant, l’aide du médecin
traitant, un temps suffisant d’entretien entre médecin et famille [5].
3.3. CE QUE CROIT LE SOIGNANT
En réanimation, il a été montré que les réelles attentes des familles ne correspondent
pas à ce qu’imaginent médecins et infirmières [13, 14]. Finalement l’information dans sa
globalité n’est pas satisfaisante pour une famille sur cinq ; il ressort que pour 25 % des
familles, l’information était particulièrement cachée lorsqu’il s’agissait des complications
survenues durant le séjour (infections nosocomiales et autres pathologies iatrogènes) et
aux décisions chirurgicales (possibilité de réanimation post-opératoire prolongée, interventions engageant le pronostic vital, décisions de réinterventions). En interrogeant plus
précisément les familles sur l’information sur le risque de complications et de séquelles
après réanimation, dans respectivement 52 % et 34 % des cas l’information n’est pas
suffisamment explicite [6].
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3.4. CE QUE COMPREND LA FAMILLE
Enfin, l’information donnée n’est pas forcément l’information réellement reçue ;
Mirr a montré que les proches des patients hospitalisés en réanimation sont capables
de répéter une information donnée par une infirmière ou un médecin, mais lorsque ces
proches sont interrogés sur la signification de cette information, il apparaît clairement
qu’ils n’ont pas compris le contenu de cette information [15]. Outre l’anxiété et le stress
des proches limitant les possibilités d’écoute, d’intégration et de mémorisation d’une
information, le langage utilisé par les médecins est «difficilement compréhensible» ou
«incompréhensible» pour 19,8 % des familles [6].
4. COMMENT COMMUNIQUER ?
4.1. EMPATHIE
L’entretien se déroulera d’autant mieux que le patient est abordé dans de bonnes
conditions psychologiques (confort, calme, attention particulière..). Cet entretien n’est
pas une conversation, une discussion, un interrogatoire, un discours du médecin ou une
confession et le médecin devra conserver une juste distance affective vis-à-vis de la
personne, celle-ci sentant qu’on comprend ses problèmes, sans pour autant qu’il y ait
identification complète. Cette distance adéquate est la capacité d’empathie, juste milieu
entre les élans de sympathie et l’indifférence objective.
Depuis les travaux de Balint sur les relations médecin/patient [16], plusieurs études
ont montré que le comportement empathique des médecins pouvait être amélioré. L’étude
de Suchman et al décrit un modèle de comportement empathique à partir d’une série de
consultation enregistrée. Il constate que les patients verbalisent rarement leur détresse
émotionnelle, mais en revanche expriment des indices reflétant cette détresse (opportunité
empathique potentielle) [17].
4.2. «ESPÉRER LE MEILLEUR, SE PRÉPARER AU PIRE»
Il n’existe pas de méthode exclusive pour communiquer avec la famille d’un patient
de réanimation. Le message véhiculé par le médecin laisse volontiers une part minime
à l’espoir d’une issue favorable comme pour s’assurer que la gravité est bien comprise.
«Espérer le meilleur en se préparant au pire» permet au médecin de proposer un éventail
d’issues et d’options thérapeutiques [18].
4.3. LE TEMPS
L’adaptation au stress demande du temps. Ainsi, Selye a décrit l’ensemble des
réactions physiologiques au stress sous le terme de «syndrome général d’adaptation».
Ce dernier se déroule selon l’auteur en trois temps avec une phase d’alarme, une phase
d’adaptation ou de résistance et enfin une phase d’épuisement lorsque les défenses de
l’organisme sont submergées.
L’information à la famille demande du temps : c’est une des demandes constantes
dans les différentes études qui se sont intéressées aux besoins des familles en réanimation. La communication ne peut se faire dans l’urgence. Le silence, la pause fait aussi
partie de la communication.
La satisfaction des familles vis-à-vis de l’information est de moins en moins bonne au
fur et à mesure que le séjour en réanimation se prolonge [6]. Alors que le patient arrive
avec un diagnostic et un pronostic lié à ce diagnostic, se surajoutent des complications
«de réanimation» incompréhensibles pour la famille : incompréhensibles car imprévues, et donc apparaissant sans rapport avec l’affection causale et incompréhensibles
car inconnues, le langage médical étant un jargon très obscur pour les familles ; ainsi
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ces complications peuvent diminuer la confiance instaurée entre la famille et l’équipe
médicale et rendre la communication hasardeuse ou conflictuelle.
4.4. LA COHÉRENCE
De même que l’information varie dans le temps, la façon de la donner varie avec
l’interlocuteur et même varie pour un même interlocuteur ; les différents soignants ne
délivrent pas la même information, le chirurgien a une place à part, intervenant ponctuellement ; chacun parle avec ses propres mots, sa chaleur, son charisme, son sourire,
mais aussi son histoire personnelle, son humeur du moment, sa fatigue, l’état du patient
et des autres patients. Cette disparité est mal vécue par la famille, une même information
donnée par deux personnes différentes pouvant être comprise et retenue différemment.
Ceci justifie la nécessité de désigner un médecin référent (dont le nom est noté sur le livret
d’accueil) qui donnera une information personnalisée et évitera donc les informations
contradictoires. Rencontrer les familles avec une infirmière permet d’apparaître cohérent,
synergique avec l’ensemble de l’équipe soignante.
4.5. LE DÉCOR
Une revue récente a colligé les principales recommandations retrouvées dans les
différentes études réalisées pour la plupart en oncologie, pédiatrie mais aussi en réanimation, notamment lors de l’annonce de mauvaises nouvelles.
Il doit s’agir d’un face à face, proche de la personne, sans barrière physique (bureau),
«les yeux dans les yeux», dans une pièce calme, privée et confortable, le temps passé
doit être suffisant sans interruption. Après avoir demandé ce que le patient et les proches savent déjà, l’annonce doit commencer par un message d’avertissement du type :
«J’ai de mauvaises nouvelles à vous annoncer». Les messages d’espoir s’ils existent
doivent être exprimés. Il faut reconnaître explicitement les réactions émotionnelles du
patient et de la famille (empathie) et les laisser s’exprimer. Il faut demander de poser
des questions, résumer la situation, s’assurer que la personne a compris l’annonce. Les
messages doivent être délivrés avec «chaleur, respect, compréhension et empathie», dans
un langage compréhensible dénué de terme technique, sans euphémisme au rythme de
la personne informée.
Ces recommandations, pour paraître simplistes, permettent néanmoins de donner un
cadre technique à ces annonces et réduire l’appréhension du médecin. Plusieurs auteurs
mettent l’accent sur la nécessité d’organiser un réseau autour du patient et de la famille
en désignant une infirmière ou un personnel paramédical ayant des liens privilégiés avec
ceux ci. Cette personne pourrait être un intermédiaire entre le patient, la famille et le
médecin, lui aussi désigné. L’ensemble de ces recommandations rejoint les préoccupations des équipes de prélèvement d’organes sur le recueil de consentement. En effet, dans
une étude sur le recueil de consentement aux prélèvements d’organe, les trois facteurs
associés à un consentement était : la présence d’un coordinateur lors de l’annonce faite
par un médecin, l’endroit où la discussion a eu lieu (isolé ou non), le découplage entre
l’annonce de la mort encéphalique et le recueil du consentement (la famille a compris le
concept de mort encéphalique avant qu’un recueil de consentement ne soit demandé).
CONCLUSION
La communication aux familles en réanimation est rendue difficile par la complexité
de la/des pathologies du patient, de l’état d’anxiété et de dépression des proches altérant
la compréhension et la mémorisation, la multiplicité des intervenants. Il apparaît indispensable qu’un référent représentant la famille, qu’un référent médecin et infirmiers
soient désignés.
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Les informations essentielles relèvent du bon sens : assurer à la famille que le patient est bien pris en charge, qu’il y a de l’espoir, que la famille sera prévenue en cas de
complication grave afin que les proches soient dans une disposition d’esprit permettant
d’«espérer le meilleur» tout en se «préparant au pire». Les conditions d’entretien (calme,
confort, relation d’humanité) sont primordiales pour informer correctement et obtenir la
confiance de la famille.
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