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heurts jusqu’aux cadences nales. Le Larghetto 
suivant est un chant d’amour, comme le cone 
Chopin à son dèle ami Tytus Woyciechowski: 
«J’ai déjà trouvé mon idéal, que je sers dèlement 
depuis six mois – sans lui avouer mes sentiments. Il 
hante mes rêves et c’est son souvenir qui m’a inspiré 
l’Adagio [sic] de mon Concerto.» On y entend 
déjà toute la poésie des Nocturnes, que Chopin 
commencera d’écrire quelques années plus tard, 
et les contemporains du compositeur, tel Liszt, 
n’en ont pas méconnu l’originalité ni la beauté. 
Pour achever le Concerto, un Allegro vivace qui 
rappelle, dans sa verve, le très beau Rondo «à la 
mazur» composé dès 1826 : à la fois gracieux 
et très virtuose, avec cet inimitable parfum 
folklorique.
—
Angèle Leroy
Manuel de Falla 
Le Tricorne [El sombrero de tres picos], 
suite d’orchestre n°2
Composition: 1916-1917 (pantomime); 1918-1919 
(ballet); 1919-1921 (suites d’orchestre). Création: 
Londres, Alhambra Theatre, 22 juillet 1919, par les 
Ballets russes, sous la direction d’Ernest Ansermet, dans 
une chorégraphie de Léonide Massine et des décors et 
costumes de Pablo Picasso (ballet).
Illustrant la tendance de Falla à retravailler sa 
musique de théâtre en musique symphonique, Le 
Tricorne fut d’abord une pantomime pour petit 
orchestre sous le titre El corregidor y la molinera 
[Le Juge et la Meunière]. Se fondant sur une 
nouvelle de Pedro Antonio de Alarcón, histoire 
d’adultère évité qui avait également inspiré le 
Corregidor de Hugo Wolf à la toute n du e 
siècle, l’œuvre fut pensée comme L’Amour sorcier 
en collaboration avec Gregorio Martínez Sierra, 
gure clef de l’avant-garde théâtrale espagnole, 
et fut créée sous sa forme d’origine en avril 
1917. Le célèbre directeur des Ballets russes, 
Serge Diaghilev, qui désirait depuis quatre ans 
que Falla lui écrive un ballet, assista à l’une des 
représentations; face à son enthousiasme, Falla 
se laissa convaincre de réaménager la musique 
pour lui. Il en resserra la trame, éliminant les 
passages qui menaçaient l’unité musicale, et en 
élargit les dimensions instrumentales, adoptant 
un «grand orchestre clair, pimenté et pourtant 
lisse, brillant mais jamais creux» (Jean-Charles 
Hoelé) auquel il ne recourra plus à l’avenir. 
Picasso dessina les costumes et décors tandis 
que la chorégraphie revint à Léonide Massine, 
et la création de l’œuvre nouvelle, à Londres en 
1919, fut un triomphe. Par la suite, Falla tira 
deux suites de concert de chacun des actes du 
ballet, publiées à Londres en 1925.
Plus «classique» dans son style que les Nuits 
dans les jardins d’Espagne ou L’Amour sorcier, 
la musique du Tricorne n’en convoque pas 
moins le folklore espagnol et ses danses, qui 
constituèrent également pour Massine une 
source d’inspiration chorégraphique capitale. La 
«Danse des voisins» qui ouvre la seconde suite, 
évoquant la réunion festive des voisins au moulin 
le soir de la Saint-Jean, est ainsi une séguedille 
légère inspirée d’un chant de noces gitan, à 
laquelle la farruca âpre du meunier (ajoutée par 
Falla dans le ballet à la dernière minute pour 
des raisons chorégraphiques) apporte une suite 
amboyante. Accords furieux qui évoquent la 
guitare, mélodies torturées, rythmes répétitifs, 
tout cela concourt à dessiner un tableau 
amenco d’une rare puissance d’évocation. La 
jota suivante, considérablement développée par 
Falla entre les deux versions pantomime et ballet 
an d’apporter à l’œuvre un véritable nale, 
est un feu d’artice friand de changements de 
rythme, d’orchestration et d’atmosphère.
—
A. L.
Jota: danse ou chant populaire espagnol d’origine 
aragonaise, caractérisé par son rythme ternaire 
dans un tempo rapide, de caractère joyeux.
Farruca: danse flamenca virtuose, 
traditionnellement interprétée par un homme 
seul, sur un rythme binaire.
Séguedille: danse ou chant populaire d’origine 
andalouse.
Manuel de Falla 
El amor brujo
[L’Amour sorcier]
Composition: 1915 (gitanera); 1916 (version orches-
trale); 1915-1924 (ballet pour orchestre symphonique et 
mezzo-soprano). Création: Madrid, 28 mars 1916, sous la 
direction de Bartolomé Pérez Casa (version orchestrale); 
Paris, Trianon lyrique, 22 mai 1925, par Vicente Escudero 
et Antonia Merce y Luque, dite «La Argentina», sous la 
direction du compositeur.
En 1915, les critiques furent nombreuses lors 
de la création de L’Amour sorcier, «gitanerie» 
composée par Falla sous l’impulsion de Pastora 
Imperio, une fameuse ballerine de l’époque, qui 
voulait que le compositeur lui écrive «una canzion 
y una danza» [une chanson et une danse]. La 
rencontre de Falla avec la mère de la danseuse, 
la cantaora (chanteuse de amenco) Rosario la 
Mejorana, avait représenté pour lui une plongée 
dans l’univers sonore des Gitans dont chaque 
page de la nouvelle partition porte la trace.
À la suite de la première, Falla reprend le travail 
et transforme la partition en un ballet d’où 
disparaissent le mélodrame et une partie des 
airs chantés. Sous cette nouvelle forme, L’Amour 
sorcier accomplit la prophétie du chanteur Paco 
Meana : «Cette musique fera bientôt le tour du 
monde.» La nouvelle orchestration, renforcée 
notamment au niveau des vents, ajoute à 
l’ensemble un charme éblouissant. En parallèle, 
l’argument du ballet est revu par les Martínez 
Sierra. Il conte désormais l’histoire de Candelas, 
une très belle jeune femme régulièrement 
tourmentée par le spectre de son ancien amant, 
qui l’empêche de s’abandonner à l’amour de 
Carmelo. Mais grâce au stratagème du jeune 
homme, qui sait l’intérêt que portait le mort 
à la gent féminine en son entier et qui lui 
présente alors la belle Lucia an de détourner 
son attention, les deux amoureux nissent par 
pouvoir s’embrasser, rompant ainsi la malédiction. 
Interprétée à de nombreuses reprises au concert 
à partir de 1916, sans mezzo-soprano, l’œuvre 
n’est portée à la scène qu’en 1925.
Une œuvre vibrante, 
furieuse 
L’introduction, qui présente l’un des motifs 
fondamentaux, donne le ton de l’œuvre: vibrante, 
furieuse, elle évoque le polo, cette chanson si 
typique de l’Andalousie, souvent associée à la 
malédiction, qui achevait déjà les Sept Chansons 
populaires espagnoles peu auparavant. Commence 
alors une suite alerte de scènes et de chansons 
qui prennent place dans le lieu unique de 
l’action, cette sombre cave du Sacromonte, 
quartier grenadin. Candelas y chante la peur 
du spectre («Chanson du chagrin d’amour»), 
l’amour pareil au feu follet («Chanson du 
feu follet») ou la séduction («Danse du jeu 
d’amour»). En alternance, des pages purement 
symphoniques, telles les véhémentes «Danse 
de la terreur ou «Danse rituelle du feu» ou 
les enchanteresses «Romance du pêcheur» et 
«Pantomime», donnent l’occasion d’apprécier 
le sens de la couleur orchestrale et des timbres 
instrumentaux, la gestion du rythme parfois 
presque stravinskienne, l’utilisation variée 
du langage harmonique et le recours à de 
courts motifs typés, toutes caractéristiques qui 
contribuent à l’enchantement créé par cette 
partition.
—
A. L.