Morphologie lexicale

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Morphologie lexicale
Chapitre 1
La formation des mots en diachronie
Mots héréditaires et emprunts.
Mots construits.
La démotivation.
La morphologie lexicale a d’abord été diachronique (elle a cherché à expliquer d’abord la
forme des mots par leur origine et à les dater autant que possible). Les mots étaient classifiés
de ce point de vue selon
- l’étymologie (origine): Obs. Il y a des mots d’origine inconnue. Ex.: friser.
- la datation (la date de la première attestation observée).
Obs.: Dans le processus de formation des mots, ce qui est le plus important c’est la datation
relative des mots par rapport aux autres.
I. Mots héréditaires et les emprunts
Les mots héréditaires sont des héritages du latin, francique et gaulois.
Leur étymon est attesté ou reconstitué d’après des lois du changement phonétique étudiées par
la phonétique historique.
Emprunts:
à l’italien (ex. bravade)
au chinois (ex. kaolin)
à l’allemand (ex. képi)
à l’anglais (ex.: golf)
à l’arabe (ex. chiffre)
à l’esquimau (ex. kayak)
au grec ancien (ex.: chlore, euphorie)
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au latin (ex.: humus, fragile).
Les emprunts aux langues anciennes ont un statut particulier, dû à leur importance et au fait
que le latin est à la fois langue originelle et langue d’emprunt.
Les emprunts au latin et au grec sont appelés mots savants (formes savantes). Ils gardent la
forme de leur étymon latin.
Les héritages du latin sont appelés mots populaires (formes populaires). Ils se sont modifiés
selon les lois de l’évolution historique.
Les doublets étymologiques sont formés de deux mots, dont l’un est hérité et l’autre est emprunté.
Ex.:
frêle et fragile (< lat. fragilis, -e)
écouter et ausculter (< lat. auscultare)
naïf et natif (< lat. nativus)
nager et naviguer (< lat. navigare)
poison et potion (< lat. potio, -onis)
recouvrer et recupérer (< lat. recuperare)
En synchronie, les mots populaire et savant désignent respectivement un registre ( ≠ familier,
courant, soutenu) et l’appartenance à la terminologie scientifique et technique.
II. Mots construits
A. Composition et dérivation
La composition assemble deux (ou plusieurs) mots. Elle est:
- populaire (deux ou plusieurs mots français). Ex.: poisson-chat;
- savante: (deux éléments grecs ou latins qui dans la langue d’emprunt ont un sens plein).
Ex.: misogyne < miso- (< gr. misein «haïr») + -gyne (< gr. gunè «femme»).
carnivore (< caro, carnis «viande» + -vore (< lat. vorare «manger, dévorer»).
La dérivation produit un mot nouveau à partir d'un seul mot préexistant en le modifiant. La
modification peut affecter:
- la forme
- le sens
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- la classe syntaxique.
La dérivation propre ou typique est affixale (elle consiste en l’ajout des affixes (suffixes et
préfixes).
Les affixes sont des éléments non autonomes adjoints au mot primitif, dont la forme phonique
et / ou graphique peut être légèrement modifiée, et qui devient le radical:
mass(e) (N) + -if => massif (Adj.)
Les affixes peuvent avoir une forme populaire et une forme savante.
Ex.: -el et -al, -aison et -ation.
Les deux formes peuvent donner des doublets: originel et original, inclinaison et inclination.
Les dérivés savants sont formés d’un radical de forme savante et d’un affixe de forme savante ou populaire. Ex.: le radical du é-pil-er vient du latin pilus “poil” qui est l’étymon de
poil.
Les composés savants son formés de mots grecs ou latins.
Ex.: téléphone (télé «a distance» adv. grec + phônè «son, voix» nom grec);
analytique (analutikos gr., bas latin analyticus)
misanthrope (gr. mysanthrôpos)
pileux (lat. pilosus «poilu», fraternité (lat. fraternitas)
fratricide (latin fratricida).
Du point de vue diachronique, ce sont des emprunts, et non des mots construits en français.
Certains préfixes peuvent être:
- autonomes ou séparables (ils fonctionnent aussi comme prépositions ou adverbes, ce qui
rapproche la préfixation de la composition).
Ex.: sur + passer, mal + adroit.
- liés; ils ne sont pas autonomes, ce sont de purs affixes, ce qui range la préfixation dans la
dérivation, avec la suffixation).
Ex. dé-faire, in-apte.
Du point de vue étymologique, les préfixes liés sont pour la plupart issus de préfixes latins
détachables, qui fonctionnent aussi en latin comme prépositions ou adverbes.
Ainsi, dé-, avec cette valeur négative, vient de la préposition latine de signifiant
l’éloignement, la séparation;
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é- (é-branch(e)-er) vient de ex, e;
anti- est une forme de la préposition ante
pré- vient de la préposition prae.
B. Dérivation propre, impropre, régressive.
La dérivation propre est suffixale.
La préfixation est considérée comme une forme de composition.
La dérivation suffixale typique modifie la classe syntaxique. Certains suffixes ne font que
modifier la classe (Adj. lourd > N. lourdeur), d’autres ajoutent un élément de sens nouveau
(V. laver > N. lavoir: l’idée de lieu est ajoutée au sens du verbe); d’autres ajoutent seulement
un élément de sens, sans modifier la catégorie (V. taper > V. tapoter, qui est diminutif).
La dérivation impropre est non affixale. Elle modifie la classe syntaxique sans changement
de forme. Donc, le changement de classe se fait sans changement de forme.
Ex.:
personne n. f. (< lat. persona) et personne pron. nég.
sauf adj. (< lat. salvus «intact, en bon état») et sauf prép.
mauve «nom d’une fleur» (< lat. malva) et mauve adj.
La dérivation régressive se fait par la suppression d’un suffixe.
Ex.:
somnoler est dérivé à partir de somnolence (< lat. somnolentia) et somnolent (< lat. somnolentus).
agresser est dérivé de agression (< lat. adgressio) et agresseur (< lat. adgressor).
embrancher est postérieur à embranchement dérivé de branche.
Observation
La notion de dérivation régressive se fait par la suppression d’une terminaison, quelle qu’elle
soit (on assimile suffixe et désinence).
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Ex.:
médecin < médecine (< lat. médicina)
l’adj. violet < violette, nom de fleur
Les dérivés de verbe à nom ou à adjectif sans affixe sont considérés comme dérivations régressives (K. Nyrop, M. Grevisse) ou impropres (A. Darmesteter).
Les noms déverbaux (ou postverbaux) sont dérivés à partir d’un verbe sans affixe.
Ex.:
nage < nager (< lat. navigare)
gare < garer.
C. Dérivation parasynthétique (parasynthèse)
Les dérivés parasynthétiques sont formés par l’union simultanée du préfixe et du suffixe au
radical.
Ex.:
câble > encablure
rat > dératiser.
Le caractère simultané des deux affixations est marqué par l’absence du préfixé ou du suffixé
correspondant (*encâble, *encabler, *cablure).
Pour A. Darmesteter, la parasynthèse est donc un mélange de composition (préfixation) et
dérivation (suffixation).
Dans cette catégorie entrent:
- les verbes construits avec un préfixe à partir d’un nom ou d’un adjectif: laid > enlaidir,
large > élargir, lourd > alourdir, terre > enterrer;
- les adjectifs préfixés en in- et suffixés en -ble (-able, -ible) quand ils ont été formés «immédiatement» (c.-à-d. sans la médiation du préfixé correspondant) sur un verbe: résister > irrésistible (*résistible); se disperser (de) > indispersable (*dispersable);
Bien souvent, le non préfixé correspondant n’est pas utilisé ou très rarement: battre > imbattable (? battable), détruire > indestructible (? destructible), user > inusable (? usable). De
plus, s’il est attesté, il n’est pas antérieur, ce qui interdit de passer par lui du point de vue diachronique).
A. Darmesteter parle de «faux parasynthétiques» (De la création actuelle de mots nouveaux
dans la langue française, première partie, 3e section, Chapitre X):
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Les dérivés avec le préf. in- et le suff. -able sont formés immédiatement à partir des verbes, sans passer par
l’adjectif. Ex.: user > inusable, surmonter > insurmontable. Ce sont des parasynthétiques d’idée, régis par une
loi intellectuelle, par rapport aux autres dérivés parasynthétiques de langage, qui sont régis par des lois
philologiques. Pourquoi? Parce que dans le cas des faux parasynthétiques, l’affirmation d’une impossibilité est
toujours plus catégorique que l’affirmation d’une possibilité. Ainsi, pour dire qu’un feu peut s’éteindre, il n’est
pas nécessaire de recourir à une forme spéciale (extinguible). Mais, si l’on veut dire que le feu ne peut s’éteindre
on préfère à une périphrase qui éteint et affaiblit l’idée, une expression synthétique qui la condense et lui donne
une forme absolue: (inextinguible).
III. La démotivation.
Beaucoup de mots ont subi pendant leur évolution des changements sémantiques et référentiels. On ne peut plus les interpréter en analysant leur structure interne. Ils sont, donc, démotivés.
La motivation s’oppose à l’arbitrarité.
Le signe linguistique est arbitraire c’est-à-dire qu’entre le signifiant et le signifié, la relation
est arbitraire ou immotivée. F. de Saussure introduit la notion d’arbitraire relatif ou
motivation relative. Selon son cours de linguistique générale (deuxième partie, chapitre 6,
180-182), il faut distinguer dans chaque langue ce qui est radicalement arbitraire, c.-à-d.
immotivé, de ce qui est relativement arbitraire.
Ex.
vingt est immotivé, mais dix-neuf ne l’est pas au même degré, parce qu’il évoque les termes
dont il se compose (pris séparément, dix et neuf sont immotivés)
poirier est relativement immotivé, parce qu’il rappelle ne nom simple poire et que, le suffixe
-ier fait panser à cerisier, pommier, etc. Frêne et chêne sont, par contre, immotivés.
berger est immotivé vs. vacher relativement motivé
geôle vs. cachot
hache vs. couperet
concierge vs. portier
jadis vs. autrefois
souvent vs. fréquemment
aveugle vs. boiteux
sourd vs. bossu
second vs. deuxième
fr. métier vs. all. Handwerk.
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Ex. de démotivations:
- les chenets (dans la cheminée) “chacun des supports de métal que l’on place dans le foyer
d’une cheminée afin de maintenir les bûches au dessus de l’âtre pour en faciliter la combustion” (TLFi). Ils s’appelaient ainsi parce qu’ils étaient souvent ornés de têtes de chiens.
- barricade < barriquer “fermer un passage avec des barriques” < barrique “gros tonneau de
capacité variant selon les régions (entre 136 et 400 litres) qui sert à expédier les vins, les
huiles, les eaux-de-vie et des marchandises solides (morue, etc.); p. ext. en métrol., contenu
d'une barrique, mesure de ce contenu”.
- déboire “Impression pénible laissée par un événement malheureux ou décevant.” (TLFi) <
dé- + boire. Le mot a eu d’abord le sens “arrière-goût d’une boisson”, sens qui aujourd’hui est
vieux.
- plafond < plat + fond.
- embonpoint (en + bon + point).
- débonnaire “Qui se caractérise par une grande bonté, une tendance à se montrer favorable et
secourable à autrui. (Quasi-)synon. bienveillant, bon, généreux; (quasi-)anton. cruel, méchant.” (TLFi) (de bonne aire “de bonne souche, noble”). Début XIIIe s. masc. « origine,
souche » (Perceval, éd. Potvin, 13813, ibid. : ne set encore noiant Ne dont il est ne de quel
ere Qui fu son pere ne sa mere)» (TLFi).
La démotivation comporte des degrés.
Ainsi, on oublie que fourchette < fourche (+-ette), déjeuner a eu au début le sens de “ne plus
jeûner, rompre le jeune” (< bas lat. disjunare “rompre le jeûne”), commode (le nom de
meuble) devrait être mis en relation avec commode (Adj). Toutefois, on peut se rappeler facilement la relation entre le mot dérivé et le primitif.
Il ya des cas aussi lorsqu’on peut rattacher un mot à un autre à cause d’une ressemblance formelle accidentelle, sans qu’ils soient en relation historique. On trouve ainsi une motivation
qui n’est pas vraie. On parle ainsi de remotivation (fausse motivation ou étymologie populaire).
Ex.
(1) verbiage ne doit pas être rattaché au nom verbe (emprunt au lat. verbum), mais au verbe
du moyen français verbier “gazouiller”, d’origine germanique.
(2) échec et échouer ont des origines différentes.
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(3) éloge et louer ont des origines différentes.
(4) Le syntagme jours ouvrables ne fait pas allusion aux jours où les magasins et les
entreprises peuvent être ouverts, mais ce sont des jours où l’on peut ouvrer ou œuvrer, c’est-àdire travailler. La réinterprétation de ouvrable sur ouvrir est favorisée par le fait que les
adjectifs en -able aujourd’hui sont majoritairement dérivés de verbe transitif, avec un sens
passif. Ainsi on dit aussi jours ouvrés.
Ces fausses motivations montrent l’indépendance de la synchronie et de la diachronie: elles
sont fausses du point de vue de l’histoire, mais vraies du point de vue du fonctionnement actuel de la langue (quand elles sont consacrées par l’usage) puisque c’est ainsi que le mot est
interprété.
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