Psycho-Oncol. (2015) 9:267-275 DOI 10.1007/s11839-015-0541-3 ARTICLE ORIGINAL / ORIGINAL ARTICLE DOSSIER La psycho-oncologie depuis 20 ans, une discipline fidèle à ses promesses ? Psycho-Oncology since 20 Years: a Discipline Faithful to Itself? J.-L. Machavoine · P. Saltel Reçu le 21 mai 2015 ; accepté le 30 septembre 2015 © Lavoisier SAS 2015 Résumé Les états généraux des malades atteints de cancer, organisés en France par la Ligue nationale contre le cancer (LNCC) en 1998, 2000 et 2004, avec la forte revendication des patients à être écoutés, sont venus conforter la dimension spécifique du soin psychique en cancérologie et légitimer les efforts de la Société Française de Psycho-Oncologie à fonder une nouvelle identité pour les premiers psychologues et psychiatres engagés dans ce champ. Leur pratique professionnelle étant influencée par les rapides évolutions des techniques et des organisations de la cancérologie moderne, les psycho-oncologues doivent apporter des réponses aux attentes renouvelées des patients, des proches, mais aussi, de plus en plus, à celles des soignants et de nouveaux intervenants. Dans l’exercice psychothérapique, ils empruntent beaucoup de leurs outils au champ de la psychanalyse appliquée ; ainsi, ils en sont aussi des « expérimentateurs » audacieux, qui doivent alors souvent les partager, dans un contexte de pluridisciplinarité. Des concepts et des pratiques psychothérapiques issus d’autres domaines de la psychologie pourraient parfois être utiles à leur exercice et à la collaboration avec les autres acteurs de la cancérologie. cer, in 1998, 2000 and 2004; with the strong demand of being listened was renewed the specific dimension of the psychological care in oncology. The efforts of the French Psycho-Oncology Society were then recognized to find a new identity for the first psychologists and psychiatrists engaged in this field. With their professional practices being influenced by the new technologies and the organization of the modern oncology, psycho-oncologists owed answers to renewed expectations of patients close relations, and also, increasingly to caregivers and new jobs. In psychotherapy practice, they implemented many of their tools from applied psychoanalysis. They became audacious experimentalists who often had to share them in a psychology context of pluridisplinarity. Concepts and practices resulting from other clinical fields could sometimes be useful to their exercise, in collaboration with other actors in oncology. Mots clés Psycho-oncologue · Acteurs de la cancérologie · Collaboration · Psychothérapies · Évolution des pratiques et des concepts En France, jusqu’à la fin des années 1990, la présence des « psys » en cancérologie restait cantonnée à de grands centres, avec quelques psychiatres, des psychologues et/ou des psychanalystes dans les CLCC ou les services d’hématologie des hôpitaux parisiens et de quelques CHU de province ; leurs interventions se partageaient entre le suivi psychothérapique de patients, le soutien et la formation des équipes soignantes et quelques travaux de recherche. Beaucoup plus nombreux étaient les psychologues au sein des premières unités mobiles de soins palliatifs, dans les hôpitaux généraux et les cliniques. L’association psychologie et cancers, créée en 1975, à Marseille, sous l’impulsion de R. Fresco, organisait ses journées tous les deux ans, dans une grande ville française, voire en Suisse ou en Belgique, en s’appuyant sur l’intérêt de cancérologues directeurs de CLCC (X. Seraphino, P.F. Combes, Y. Carcassonne, C. Chardot, H. Pujol, F. Larra, B. Hoerni, etc.) et/ou de « psys » pionniers (E. Raimbault, N. Alby, A. Lehmann, B. Desclaux, P. Guex, Abstract The General States of Cancer patients were conducted in France by the National League against Can- J.-L. Machavoine (*) CLCC François-Baclesse, 3, avenue Général-Harris, BP 5026, F-14076 Caen cedex 05, France e-mail : [email protected] Centre hospitalier Jacques-Monod, rue Eugène-Garnier, F-61100 Flers, France P. Saltel (*) CLCC Léon-Bérard, 28, rue Laennec, F-69008 Lyon, France e-mail : [email protected] Keywords Psycho-oncologist · Professionals in oncology · Collaboration · Psychotherapies · Evolution of practices and concepts 268 D. Razavi…). Il s’agissait essentiellement de rencontres, d’échanges et de confrontations d’expériences, avec l’apport d’autres disciplines comme la sociologie ou l’anthropologie, voire des regards extérieurs comme ceux des journalistes ou d’associations de malades. En 1992, l’élection d’Y. Pelicier, psychiatre de renom en psychiatrie sociale et en psychiatrie de liaison, à la présidence de l’association, permettra d’affirmer l’identité « psy » et d’envisager une certaine autonomie vis-à-vis de la cancérologie officielle. Psycho-Oncol. (2015) 9:267-275 D’une revendication des patients à un recours pour les soignants ? L’accélération s’opérera à partir des états généraux des malades organisés par la Ligue nationale contre le cancer (LNCC), en 1998, puis en 2000. À l’instar de ce qui s’était déjà passé dans le champ du sida, ce coup de tonnerre contraindra le monde médical à rapidement reconsidérer l’accueil et l’accompagnement des malades à l’hôpital. L’impulsion du premier Plan cancer en 2003, avec la mise en place du dispositif d’annonce (mesure 40), d’abord à titre expérimental, puis rapidement généralisé, conduira au recrutement de nombreux psychologues dans les hôpitaux, pour assurer le « recours possible à un soutien psychologique ». Deux enquêtes nationales, réalisées auprès d’un public représentatif, tant de personnes concernées par la maladie que de professionnels, et financées par l’industrie pharmaceutique, vont réunir dans leurs conseils scientifiques des cancérologues, membres de la SFPO (D. Serin, J.M. Dilhuydy, J.Y. Genot) : l’étude EPAC (Ensemble Parlons Autrement du Cancer), en 2000 et l’étude PACTIS, en 2004. Elles apporteront des données très utiles, en particulier sur le plan de l’information aux patients et de la sémantique, confirmant que les attentes et revendications des patients étaient tout à fait légitimes, leur vécu quotidien des soins révélant une qualité bien insuffisante sur ce plan. Ainsi, il apparaissait que malgré le souci des oncologues à rassurer (prise en compte de la qualité de vie, notion de chronicité, etc.), les patients retenaient surtout les informations liées aux traitements et à l’évolution de la maladie. L’incompréhension demeurait, car le défaut de communication ne se situait pas tant au niveau de la terminologie utilisée que dans l’interprétation émotionnelle des termes employés, du fait de représentations associées ! De la même manière, le souhait de participer au processus de décision du projet thérapeutique comportait une certaine ambivalence ; les attentes étant surtout que l’oncologue s’implique aussi dans la relation, pour discuter les préférences des patients, mais qu’il continue à jouer son rôle d’expert à propos de la décision ellemême, ce que confirmeront des études plus récentes [4]. Les patients revendiquaient d’être mieux « écoutés » par les soignants et un accès plus facile aux psychologues. Actuellement, les enquêtes réalisées rapportent que seulement environ 15 % des patients bénéficieraient, d’un tel soutien spécialisé, pendant les périodes de traitements ou de surveillance [5]. Néanmoins, ces enquêtes réalisées dans les années 2000 auront permis la production de nombreux supports d’information, à l’intention de tous [6]. Ceux-ci ont largement influencé les opinions et les pratiques, en particulier des « outils » de formation à la communication à destination des soignants (communication skills trainings [CSTs]), sur l’annonce, la gestion du stress, la fin de vie, etc.). Les CSTs ont beaucoup contribué à la sensibilisation de tous les intervenants en cancérologie, même s’il s’agirait maintenant de les repenser, pour dépasser le niveau technique des « habiletés » de communication et mieux aborder la complexité des situations, dans ses ressorts contextuels et intrapsychiques [7] ! Parallèlement, la Ligue contre le cancer, sous l’impulsion de son président, H. Pujol, par ailleurs ancien président de la FNLCC et de l’association Psychologie et Cancers, financera de nombreux postes, à titre de starter, dans les lieux de soins ou au sein de ses comités départementaux. Les soignants, attentifs à établir une relation personnalisée, s’engagent souvent, du fait des prises en charge de plus en plus longues, dans un accompagnement qui les amène à partager émotionnellement la succession des phases d’espoir et de déception, avec des risques d’identifications, de Pendant ce temps, une nouvelle discipline naissait aux États-Unis, autour de J.C. Holland et de l’équipe du SloanKettering Memorial Hospital de New York : la psychooncologie. L’IPOS (International Psycho-Oncology Society), créée en 1984, tiendra son premier congrès international en 1991, en France, à Beaune, autour de R. Zittoun, mais sans la participation officielle de l’association Psychologie et Cancers. Le Handbook of Psycho-Oncology, sous la direction de J.C. Holland et G.H. Rowland paraîtra l’année suivante en 1992, avant d’être revu, dans une édition augmentée, en 1998 [1]. Dès 1994, l’association Psychologie et Cancers se trouvera amenée à adopter une nouvelle dénomination : Société française de psycho-oncologie–APC ; terminologie se soumettant à l’américain, par pragmatisme et volonté d’une reconnaissance internationale. En 1995, la rédaction du SOR Psycho-Oncologie (Standards, Options Recommandations pour une bonne pratique en psycho-oncologie), à l’initiative de T. Philipp et la FNCLCC, amorcera le mouvement de reconnaissance et de légitimité du côté du médicoscientifique [2]. Déjà en 1992, l’Encyclopédie médicochirurgicale avait accueilli un premier article référencé [3] ; suivra la mise en place de plusieurs DU de Psycho-oncologie (Marseille, Paris-VI, Lille, Reims, Colmar) à côté d’une timide intégration de ces aspects psychologiques et sociaux au sein de la formation des médecins spécialistes en oncologie (DESC). Psycho-Oncol. (2015) 9:267-275 traumatismes et de deuils multiples [8] ; ou bien encore, du côté des médecins, au risque de subir un stress lié aux effets toxiques des thérapeutiques, aux risques d’erreurs ou bien encore au moment difficile de la décision d’arrêt des traitements. Les acteurs de la cancérologie clinique s’exposent alors à des risques d’épuisement, parfois insidieux, d’autant que les contraintes de leur métier ne leur permettent pas, le plus souvent, d’être disponibles comme ils le souhaiteraient, avec de possibles désillusions, voire des sentiments de culpabilité [9]. L’expérience de la plupart d’entre nous révèle combien, de plus en plus, les diverses catégories de soignants (médecins, infirmières, manipulateurs en radiothérapie, etc.) sollicitent les psycho-oncologues présents à leurs côtés dans les équipes. S’il arrive que ce soit encore dans un contexte informel que s’opèrent des « signalements » et que se formulent des demandes à rencontrer un patient ou famille, c’est désormais le plus souvent dans un cadre formalisé (RCP soins de support, secrétariat d’unité de psycho-oncologie) que s’organise, en urgence ou non, l’intervention des psychooncologues. Le dernier congrès de la SFPO, au Mans, en décembre 2014, a pu souligner la diversité des modes d’intervention des psys, parfois originaux, pour aider les soignants et prendre compte leurs difficultés, voire leur souffrance psychique [10,11]. On rappellera que ces dispositifs groupaux, inspirés de Balint, existaient depuis longtemps en cancérologie [12,13], bien avant que ces questions ne se trouvent envisagées par les institutions et les différents partenaires, en termes de prévention des risques psychosociaux [14] et de démarche participative [15]. Une psycho-oncologie « embarquée » : évolutions et « révolutions » des soins et des techniques en cancérologie ! La cancérologie française a vécu, depuis le début des années 2000, au rythme des plans cancers successifs qui, chacun, ont émis diverses recommandations concernant la psycho-oncologie. Le premier, en 2003, par la mesure 40, avait instauré le « dispositif d’annonce », dans lequel il était recommandé une investigation assez systématique de l’état psychologique du malade avec, quand cela semblait nécessaire, une orientation vers un psycho-oncologue. La généralisation du DA fut assez rapide grâce à la mobilisation d’une grande majorité des équipes de cancérologie et, aussi, avec le soutien de la LNCC, au niveau du financement et du comité de suivi. Les données comparées de l’enquête DRESS « deux ans après », publiée en 2004, et l’enquête VICAN2, en 2014, semblent néanmoins indiquer que beaucoup resterait à faire, puisque alors que 34 % des patients seulement avaient bénéficié d’un tel dispositif dans les premières années et 62 % en 2014, les jugements subjectifs de ceux-ci sur les 269 conditions de l’annonce restaient presque identiques ! (19 % versus 18 % jugent l’annonce trop brutale !) [16]. La mesure 42 de ce même plan confortait la place de la psycho-oncologie, en recommandant de faciliter l’accès à des consultations psycho-oncologiques de soutien, par le recrutement de psychologues dans les établissements spécialisés (150 postes étaient prévus) et par un financement possible de trois à cinq consultations auprès de professionnels libéraux, formés à la psycho-oncologie… Il reste cependant que l’articulation entre les psycho-oncologues et les acteurs du « dispositif d’annonce » demeure souvent assez aléatoire, tant elle exige une logistique et des moyens assez lourds. Les nombreux résultats d’études réalisées dans des contextes très divers semblent indiquer une moyenne assez stable dans le temps, de 12 à 15 % de patients contactant un psy selon cette procédure [17]. Dans l’étude DRESS « deux ans après » : 11 % l’ont fait, 18 % l’auraient souhaité et deux ans après, seulement 5,6 % étaient suivis et 9,3 % l’auraient souhaité. Une telle orientation au moment de l’annonce se révèle légitime, puisque selon l’étude VICAN2, ce sont les personnes ayant rencontré un psy à cette étape qui, deux ans après, ont les scores de qualité de vie « mentale » les plus favorables (OR : 1,57), et que dans l’étude DRESS, les hommes ayant bénéficié d’une telle consultation rapportent un renforcement positif de leur vie de couple (OR : 1,8). Ainsi, les psycho-oncologues collaborent de plus en plus avec ces métiers qui assurent ces missions nouvellement créées : infirmières d’annonce, infirmières coordinatrices des parcours de soins (Plan cancer no 2, mesure 18) ou bien encore accompagnateurs de santé dans les ERI. On pourrait aussi citer les attachés de recherche clinique, qui au vu du nombre de patients inclus dans des essais thérapeutiques, deviennent souvent des interlocuteurs privilégiés. Dans ces rencontres souvent assez longues où sont évalués les différents aspects de la qualité de vie, la sévérité des toxicités dues aux nouvelles molécules, mais où les ARC se trouvent confrontés aux inquiétudes et aux questions existentielles, liées à l’inclusion dans les protocoles et à l’attente des résultats. Mais, la charge mentale qu’ils sont amenés à supporter, sans véritable cadre protecteur (au téléphone, dans un couloir ou dans un espace de rencontre ouvert à tous les vents), les expose à des difficultés sur le plan émotionnel ou relationnel, qui nous impose, à nous, supposés spécialistes, de reprendre cela avec eux, en les écoutant et en transmettant une part de notre savoir-faire. En effet, dans une organisation où le Parcours personnalisé de soins (PPS) est devenu une référence, voire un idéal, la multiplicité des acteurs fait aussi des patients ou de leurs proches, des partenaires « responsabilisés », messagers de diverses péripéties, et notre propre action ne peut alors que se développer à plusieurs, en équipe et/ou en réseau [18]. Même les entretiens « psy » sont des colloques de moins en moins singuliers, car ils tendent à concerner plus de monde que les seules personnes en 270 présence ! Grâce à cette redistribution des diverses missions, les psycho-oncologues auraient pu, ainsi, mieux délimiter leur rôle et d’une certaine manière se recentrer sur leur cœur de métier, le soin psychique [19]. Les soins se déroulent aujourd’hui de plus en plus dans un cadre ambulatoire, les séjours à l’hôpital sont brefs, mais cependant beaucoup de ces traitements ainsi administrés restent très éprouvants ; une thérapie orale n’est pas moins toxique, une chirurgie sans hospitalisation la nuit n’en est pas sans risque émotionnel ! La durée des traitements tendant à devenir de plus en plus longue, les conditions d’un « soutien psychologique » sont bien plus délicates à organiser qu’au sein du cadre de l’hospitalisation complète, où les psycho-oncologues avaient su, progressivement, trouver là leur place ! Les enjeux du remboursement des frais de transport pour des consultations non médicales et répétées en sont un exemple. Les préconisations du dernier Plan cancer, le no 3, n’hésitent pas à annoncer des objectifs pourtant encore plus ambitieux. S’appuyant sur le constat que deux ans après le diagnostic, 56 % des femmes atteintes d’un cancer du sein ont une qualité de vie dégradée (38 % dans le cas d’un cancer digestif, 72 % dans celui du poumon cf. VICAN2, 2014), le nouveau Plan fixe, avec objectif à cinq ans, de réduire de 10 % ces chiffres. Cela conforterait une évolution favorable déjà relevée pour les mesures de la qualité de vie « mentale », entre 2000 et 2010, qui témoignait probablement d’une efficacité de toutes les préconisations antérieures. Les actions 7.3, 7.4 et 7.5 s’attachent à définir des objectifs de coordination entre les domaines intra- et extrahospitalier, tout au long du parcours de soins et confient aux ARS, l’autorité pour mobiliser tous les acteurs. La dimension psycho-oncologique est intégrée à l’organisation globale des soins de support, mais elle garde sa spécificité, puisque dans la mesure 7.7, par exemple, concernant la situation des enfants malades, la question financière de l’accès aux psychologues libéraux, pour eux-mêmes ou pour leurs familles, est évoquée. Cela rappellera aux plus anciens d’entre nous, les timides expériences conduites dans le cadre du Plan cancer no 1 qui avaient permis que dans quelques régions (Provence-Alpes-Côte d’Azur, Rhône-Alpes) un tel financement soit possible en instaurant un « forfait » de remboursement, de quatre ou cinq consultations. Certaines expériences ont survécu, comme dans le département de l’Ain, où un financement conjoint ARS/mutuelle MSA le permet encore, avec le soutien du Comité départemental de la Ligue contre le cancer, mais aussi grâce à la mobilisation d’un groupe de psychologues installés dans cette région et à l’implication de plusieurs cancérologues des hôpitaux de proximité, bon exemple d’empowerment local. Le « compte rendu » d’activité indique pour l’année 2014 que, dans cette région rurale, le nombre de consultants continue d’augmenter depuis 2005. Un tiers des consultants sont des hommes, 50 % sont des proches, souvent des enfants (17 % de consul- Psycho-Oncol. (2015) 9:267-275 tants mineurs) ! Le nombre moyen des consultations est 3,05 par personne et elles ont lieu surtout dans la période de six mois à deux ans, après le diagnostic. Le protocole prévoit un remboursement systématique des quatre premiers entretiens ; ensuite, si la situation paraît le justifier, le psychologue peut argumenter une demande de prolongation de quelques séances auprès du Comité départemental de la Ligue. L’enquête sur l’organisation de la prise en charge psychologique au sein des établissements de santé autorisés en cancérologie et des réseaux, conduite par la SFPO en 2012 [20], s’intéresse aux soins psychiques des patients suivis en ambulatoire, en oncologie ou en soins palliatifs. On observe que certains réseaux ont recruté des psychologues salariés (c’est aussi le cas de services HAD) et/ou ont « contractualisé » avec des libéraux ; ce, pour la moitié environ des réseaux ayant répondu à l’enquête et, dans ce cas, ils peuvent avoir plus de dix correspondants réguliers. Les responsables de l’enquête soulignent que peu de réunions ou de formations sont organisées pour ces professionnels. Au-delà des évolutions réglementaires, celles des modalités thérapeutiques ont influencé nos pratiques et parmi les exemples récents, nous évoquerons seulement l’apparition des thérapies ciblées et le retour de l’immunothérapie, qui nous permettent de revisiter le thème récurrent d’une « psychogenèse » des cancers ! Si soigner le cancer par la psychothérapie est un espoir à propos duquel la plupart des professionnels affichent aujourd’hui beaucoup de réserves, considérant ce paradigme comme la « maladie infantile » de notre métier, cela n’était pas le cas pour la majorité d’entre nous il n’y a encore pas si longtemps ! Souvenonsnous des espoirs suscités par les études concluant à une survie augmentée chez des patients ayant participé à des groupes de parole. Les nombreux articles publiés restaient contradictoires et d’ailleurs, il ne passait guère de mois sans qu’un « miracle » ou quelques coïncidences, corrélations obscures, relancent ce débat passionné. Dans une telle affaire, personne ne pourra jamais avoir le « dernier mot » et nous resterons, peu ou prou, contaminés… Aujourd’hui, la question du déterminisme des cancers est celle des relations « hôte–tumeur », qui deviennent essentielles dans la nouvelle manière de traiter le cancer ! Renforcer l’hôte (« les défenses ») était l’argument de beaucoup et faisait le succès de la méthode Simonton et de la « visualisation positive », il est désormais l’objectif de plusieurs programmes de soins de support, dont l’efficacité est reconnue : activité physique, alimentation, immunité, etc. qui deviendraient des composantes importantes du traitement ! Cependant, chaque tumeur demeure aussi difficile à « catégoriser » que chaque individu, et la prise en compte de la multiplicité des mutations génétiques successives ne permet plus de comparer l’évolution de la maladie, selon tel ou tel style de personnalité, de coping ou du nombre d’« événements de vie »… Ce serait la fin des standards, des grandes cohortes et Psycho-Oncol. (2015) 9:267-275 paradoxalement à la pointe de la technique, le retour de l’individu. La question si habituelle « Pourquoi moi ? » ne peut se discuter seulement au moyen des statistiques et du seul hasard, la réponse est, comme le révèle la biologie moléculaire : « parce que c’est vous ! … » [21]. Ainsi, à l’occasion du choix de la thérapie ciblée, le patient ne doit pas tant donner un « consentement éclairé » qu’accepter une « sélection » au moyen de « tests » biologiques qui fera son « éligibilité », ou non, à telle ou telle molécule si efficace, nouvelle figure du destin ! « … des outils qu’elle aura dû emprunter mais aussi accepter de partager… ! » Le contexte d’un développement rapide de la cancérologie et les exigences d’une meilleure qualité des soins conduisent à recourir aux méthodologies utilisées plus habituellement en santé publique, comme les notions de qualité de vie, de satisfaction, ainsi qu’à des démarches d’évaluation des pratiques, selon le modèle de la médecine « fondée sur les faits ». Des « outils » de reconnaissance précoce des difficultés psychologiques ont été proposés, mais ils suscitent beaucoup d’interrogations tant de la part des soignants en oncologie que des professionnels psys, quels que soient les pays. Il est cependant évident pour tous, que la « capacité » du patient dans ces circonstances à prendre seul la mesure de ses difficultés est tout aussi aléatoire que celle de « trouver » une personne-ressource. Dans une étude auprès de 380 personnes atteintes de cancer, I. Merckaert rapporte que seulement 26 % des femmes et 11 % des hommes sont demandeurs d’une aide psychologique et qu’en outre, ce ne sont pas les personnes dont les scores de désarroi aux outils de screening sont particulièrement inquiétants : 31 % de femmes et 51 % des hommes demandeurs n’avaient pas d’anxiété ou de dépression perçue [22]. Pour les femmes, ce serait plus souvent des questions concernant leur identité et leur vie sexuelle qui motiveraient leurs demandes ; pour les hommes, des inquiétudes à propos des répercussions sur leur travail. Les auteurs font l’hypothèse que les patients les plus en souffrance resteraient pessimistes à l’égard de l’efficacité d’une aide pour des symptômes que par ailleurs ils considèrent comme légitimes, dans leur situation [20]. Deux modalités en psycho-oncologie seraient donc possibles : un « dépistage systématisé » par des outils d’autoévaluation (autoquestionnaires ou une échelle visuelle analogique) remis à des patients, qui sont encouragés à les utiliser à certaines étapes des soins ; ou bien, mais l’investissement est alors conséquent, une « rencontre » systématiquement proposée avec un psycho-oncologue. L’autoévaluation de difficultés psychologiques (ex. : distress, le sixième signe vital) est recommandée par beaucoup de sociétés savantes, par exemple la SFPO, à propos de la 271 situation de fin des traitements [23]. Dans ce type de procédure, l’ensemble des soignants est concerné, car les réponses à apporter relèvent de plusieurs métiers du soin et de compétences en fonction du contexte (rôle propre des infirmiers, des manipulateurs en radiothérapie, soignants formés à la relaxation ou à l’hypnose, etc.). On peut aussi se référer au document de l’Association canadienne d’oncologie psychosociale (CAPO), qui propose une « hiérarchisation » des situations avec, à chaque niveau, les métiers et compétences concernés. L’intervention de « spécialistes » référents (dans cette organisation, les psychologues ou psychiatres) ne serait judicieuse que pour environ 15 % des patients [24]. Ces outils de dépistage (auto- ou hétéroquestionnaires permettant de quantifier la subjectivité perçue) peuvent donc être utilisés par des soignants, dont ils vont étayer certaines des consultations spécifiques dans la trajectoire du malade. Parmi plusieurs expériences françaises, rapportées dans la littérature, on pourrait citer celles de l’Institut Curie, à Paris, et celle de l’Institut Bergonié, à Bordeaux [25,26]. Les auteurs s’accordent à valoriser la dimension « institutionnelle » de telles démarches ; la reconnaissance du désarroi, de l’angoisse, éventuellement de la dépression s’inscrivant dans une relation soignante au sein de laquelle « l’outil » sert de trame à un entretien, légitime le monde d’investigation et le choix des thèmes, mais ne constitue pas un carcan. La transmission d’un compte rendu à d’autres membres de l’équipe en serait ainsi facilitée, car il tempérerait le risque assez habituel que la subjectivité du professionnel qui a mené l’entretien puisse devenir au sein de l’équipe soignante le motif principal de la discussion, plutôt que la situation du patient ! Restera à organiser le relais éventuel vers les psycho-oncologues, qui dans l’expérience de l’Institut Curie, conduite auprès de patients encore aux étapes diagnostiques ou initiales du traitement, concernerait près de 20 % des patients. À l’inverse, une démarche de prise de contact à l’initiative du psycho-oncologue est donc bien différente et répondrait à d’autres exigences, comme le discutent Ogez et d’autres collègues belges ! Le risque d’inscrire la rencontre dans un « protocole » ou celui de dramatiser, a priori, la confrontation avec la maladie peuvent induire des résistances ou, même de la dénégation et du refus, en réaction à cette « intrusion » perçue ; cependant, il peut être essentiel de préserver ainsi, de manière presque paradoxale, une dimension d’indépendance à l’égard à la fois des équipes de soins et de l’entourage qui sont, bien souvent, les instigateurs d’un « examen » avec le psycho-oncologue, dont on sait combien il est délicat ensuite de s’émanciper. De telles prises de contact qui sont assez fréquentes en France, par exemple dans les services de type « hôpital de jour », sont accueillies favorablement par des patients, qui voient ainsi légitimer leurs efforts à « faire face » ! Les éléments mobilisés peuvent alors conforter, notamment, la dimension d’un « soi social » et l’importance de savoir multiplier les « soutiens » [27]. 272 Toujours dans ce contexte d’une augmentation des besoins du fait d’un nombre de plus en plus important de malades traités et d’une espérance de vie accrue pour certaines localisations, les techniques de groupe étaient apparues comme particulièrement adaptées au soin psychique en cancérologie ; ainsi, en France, un intérêt et une demande, autour des des groupes de malades, s’étaient manifestés à partir de la fin des années 90. Ce dispositif expérimenté une dizaine d’années plus tôt aux États-Unis s’était trouvé porté par les résultats spectaculaires des travaux de Spiegel et al. et ceux de Fawzy et al., qui témoignaient d’une augmentation de l’espérance de vie chez des patients, atteints de cancer du sein ou de mélanome, ayant bénéficié d’une approche groupale, existentielle ou cognitive [28,29]. Alors que des réplications s’organisaient dans le monde entier pour confirmer ces espoirs, certains d’entre nous, en France, dans les CLCC, s’engageront aussi dans cette direction. Même si la publication d’études ultérieures conduiront à une remise en cause des résultats de Spiegel et al. et à une pondération vers des objectifs de qualité de vie et de réduction du stress émotionnel, un certain engouement sur le territoire amènera la LNCC, à mettre en place des groupes de parole de patients et de proches ; après de vifs débats sur la question profane et la place des anciens malades, l’animation sera finalement et majoritairement confiée à des psychologues [30,31]. Confronté à l’ambivalence de la demande, l’essor du début des années 2000 évoluera vers un reflux une dizaine d’années plus tard ; le dispositif groupal ne s’imposant pas comme un standard et se trouvant plutôt à considérer comme une expérience possible, en fonction d’un contexte et de circonstances, principalement liés à l’offre, voire à la demande des « psys » eux-mêmes ! Plus récemment, on pourrait citer cette expérience d’un hôpital de proximité du Sud de la France où un groupe de parole avait été proposé à des patients ambulatoires. Si une personne sur deux dans cette cohorte de 64 patients rencontrés à l’hôpital de jour était informée de l’existence du groupe, leurs idées a priori sur ce sujet étaient très partagées : seuls sept avaient déjà participé, et les autres rapportaient autant d’opinions favorables que de facteurs de méfiance (effet négatif sur le moral, l’anxiété et même évolution défavorable possible sur la maladie…) ; huit sur dix n’exprimaient pas d’attente ou de besoin pour cette modalité de soutien. Cependant, les femmes les plus jeunes et ayant un cancer du sein se montraient plus favorables [32]. L’efficacité des diverses techniques de psychothérapique a été évaluée et des méta-analyses publiées. On peut noter qu’au fil des années les résultats, quelles que soient les techniques (individuelles et groupales), sont devenus un peu plus modestes, du fait probablement de protocoles plus rigoureux [33]. Ils resteraient néanmoins positifs tant sur l’anxiété que sur la dépression et même plus nettement sur le désarroi émotionnel (distress). La spécificité de la situa- Psycho-Oncol. (2015) 9:267-275 tion des personnes confrontées au cancer nécessite souvent des aménagements du « cadre » et du mode d’intervention du psychothérapeute. Les motifs de demande de soutien peuvent être très divers, comme le soulignent Krenz et des collègues de Lausanne [34]. Ils analysent le contenu des notes de trois psychothérapeutes, d’orientation psychodynamique, ayant reçu 135 patients avec un diagnostic de cancer récent et traités en ambulatoire. Les notes et les commentaires des psychothérapeutes répertorient un premier groupe de six thèmes qui concerne surtout les réactions habituelles à la confrontation avec la maladie (anxiété, découragement, difficultés à trouver de l’aide, conseils en matière de psychotropes, etc.), alors qu’un deuxième groupe réunirait des questionnements plus introspectifs, tels que l’acceptation de ses limites, l’inscription de la maladie dans son histoire ou bien les efforts pour changer et développer de nouvelles capacités, etc. À l’évaluation des changements obtenus, c’est l’effet favorable sur les scores de l’alexithymie qui serait le plus sensible, alors que pour les autres dimensions il n’y aurait pas de différence significative. Cependant, il faudrait probablement tenir compte des interactions avec les médicaments psychotropes, très souvent consommés par les patients. Enfin, on pourrait observer une meilleure capacité acquise à se plaindre (paradoxe !) pouvant affecter l’autoévaluation à l’échelle de l’inventaire de psychopathologie (SCL90-R) ! Avec une méthodologie différente et pour une situation de maladie très évoluée, des auteurs français [35] ont conduit un travail tout aussi délicat, pour rendre compte d’une psychothérapie psychodynamique, au rythme d’une séance hebdomadaire pendant environ un an (NB : on sait que ce modèle reste la référence théorique de la grande majorité des praticiens de la psycho-oncologie en France, 73 % de leur activité selon l’enquête SFPO-2012). Des échelles d’évaluation sont utilisées par des « cotateurs » à partir de l’enregistrement sonore de quelques entretiens réalisés à quatre étapes de la thérapie (échelles de santé maladie, de fonctionnement psychodynamique, de configuration psychothérapique). Ils mettent en évidence que malgré la dégradation de l’état somatique, on observerait une amélioration de l’état psychologique ; le patient pouvant prendre de la distance à l’égard d’une réalité quasi écrasante pour retrouver une capacité de penser, et même de rêverie, lui permettant de s’émanciper de la culpabilité et d’une certaine colère envahissante. Il pourrait alors retrouver de meilleures relations avec ses proches et exprimer un attachement auparavant mis à mal par divers conflits… La « technique » du psychothérapeute ainsi restituée dans les enregistrements reste « prudente », peu interprétative, consistant à encourager l’expression des émotions, des sentiments et des souvenirs. Les auteurs de l’article soulignent, à juste titre, l’intérêt de telles procédures dans une perspective de formation à la spécificité de notre travail. Rappelons à ce propos que dans Psycho-Oncol. (2015) 9:267-275 la notion de « liaison », qui caractérise notre action au quotidien dans les services hospitaliers, il y a cet aspect de formation, qui plus est, assurément réciproque ; ce, à travers des échanges de concepts, d’outils et de méthodes, tant avec nos collègues des autres domaines des soins de support, qu’avec ceux exerçant les autres métiers de la cancérologie. On remarquera que ces derniers ne peuvent faire autrement que de nous en emprunter, tant le quotidien des soins en cancérologie concerne toujours, la globalité de l’expérience vécue par le patient et les proches. L’aide psychologique n’est heureusement pas l’apanage exclusif des psychooncologues d’autant qu’ils ne sont pas toujours là ! Cela ne va donc pas sans « confusion des langues » et les termes d’anxiété, de déni, de traumatisme, de deuil, etc. qui sont devenus coutumiers dans les salles de soins, peuvent recouvrir des définitions incertaines… Nous discuterons uniquement la situation de « dépression »… terme qui lui appartient à tous, puisqu’il doit son « succès » dans les années 1960 à l’efficacité prêtée aux médicaments dits « antidépresseurs ». L’enquête VICAN2 indique que parmi des patients qui n’avaient pas ce médicament antidépresseur avant le diagnostic, 3,5 % l’utilisent dans les trois premiers mois et 9,2 % à un an. Si on inclut dans le nombre d’utilisateurs les patients déjà traités au moment du diagnostic, ce serait 17,8 % d’entre eux qui auraient cette prescription à un an ; pourcentage restant à peu près stable ensuite. Les prescripteurs d’antidépresseurs sont le plus souvent, les médecins généralistes et les cancérologues. L’appréciation de la sévérité et de l’évolutivité des symptômes dépressifs est toujours délicate en cancérologie, et des « idées suicidaires » sont parfois exprimées auprès des soignants ; ainsi que des demandes de fin de vie anticipée, qui inquiètent légitimement les soignants. Les psycho-oncologues se sont donc efforcés de réaliser des recommandations pour les aider (recommandations AFSOS–SFPO). Ces « recos » soulignent combien la coordination par l’oncologue est essentielle [36]. Ce cadre d’un collaborative care, terme anglo-saxon devenu le label de ce modèle d’organisation dans le contexte d’une dépression associée à une maladie somatique, est une condition pour que la meilleure décision soit prise. Il repose sur une aide au diagnostic pour le médecin ou l’infirmière (sensibilisation et « outils simples » d’évaluation des symptômes), comprenant une dimension de « décision partagée » avec le patient, pour une prescription d’antidépresseurs, qui suscite toujours beaucoup d’ambivalence (« Un médicament de plus ! » ; « Je dois m’en sortir tout seul ! » ; « Je vais devenir dépendant ! ») et qui, dans ce contexte, constitue une option efficace, mais rarement une urgence ou la seule aide à envisager. Le suivi régulier de l’adhésion au traitement et de l’état du patient pourrait être assuré par un soignant de proximité ; le psychiatre accompagnant l’ensemble des étapes de cette prise en charge, à la fois par des contacts avec le groupe de soignant, pour répondre à diverses demandes et aussi 273 assurer la mise en place du suivi psychologique, la prescription médicamenteuse ne constituant donc qu’un élément du traitement ! [37]. Une légitimité confortée mais une « identité » qui restera plurielle… La psycho-oncologie est désormais une pratique assez bien définie et chacun en accepte le principe d’intégration dans une équipe de soins pluridisciplinaire, avec le souci de se donner les moyens d’une collaboration au quotidien. Cela passe par un partage d’informations utiles sur l’état psychologique des patients, tout en préservant la confidentialité des entretiens et par des efforts pour aider les soignants à une meilleure compréhension des attitudes, des attentes d’un patient ainsi que par une implication dans certaines circonstances institutionnelles complexes (conflits, malentendus, décisions difficiles, etc.). Cependant, la diversité des statuts et des « fonctionnements », comme le démontre l’enquête de la SFPO auprès des professionnels, n’en fait pas pour autant une identité professionnelle bien circonscrite, d’autant qu’elle doit réunir des spécialistes de diverses « obédiences ». Elle reste, pour certains, suspecte de confusion et de collusion avec le modèle médical ; pour d’autres, au contraire, du parti pris d’être « ailleurs ». De tels a priori donnent à la représentation sociale de notre métier une ambiguïté pouvant nuire à des recrutements, d’autant qu’ils peuvent se faire en concurrence avec les nouveaux acteurs des médecines non conventionnelles… Certes, la psycho-oncologie est surtout un champ « d’application » de concepts, de principes initialement élaborés, à partir de contextes bien différents, issus de la psychopathologie (dépression, traumatisme, etc.) ou en référence à des grands courants « psychothérapiques ». Cependant, la psycho-oncologie, dans son essence singulière, ne devrait-elle mettre à l’épreuve certaines théories et méthodes, pour promouvoir des pratiques et des savoirs ? En cancérologie l’individualisation d’une menace vitale si insistante, l’hypertechnicité du contexte de soins, les contradictions d’une autonomie revendiquée mais pas toujours assumée, la confrontation avec de nombreuses informations aussi disponibles qu’hétérogènes, participeraient à l’évidence de cette nouvelle époque décrite comme « postmoderne », au sens de Lyotard [38] et pourraient susciter des évolutions dans nos modes de compréhension. Toute proportion gardée, rappelons-nous que c’est la confrontation à la réalité de la guerre et à la mort qui avait conduit la psychanalyse à des changements décisifs sur le plan conceptuel : la guerre de 1914–1918 conduisit Freud au « tournant » de 1920 (pulsion de mort) ; la guerre de 1939–1945, surtout pour les auteurs anglais, amenant une autre conception de l’intersubjectivité et aux recherches sur les « petits groupes » (Bion), ainsi qu’à une nouvelle définition de « l’objet » 274 (Winnicott). Nous-mêmes ne devrions-nous pas essayer de dépasser des concepts issus d’autres contextes et parfois mal adaptés à nos pratiques ? Ainsi, dans ce contexte d’interactions avec de multiples acteurs, les références un peu systématiques au « Transfert » avec un grand T se révèlent, désormais, souvent inopérantes. Et par ailleurs, la notion d’empathie dont l’école psychodynamique a longtemps hésité à discuter les enjeux pour en rester à la seule analyse des processus d’identification ou d’imitation représente dans ce contexte des soins en cancérologie un concept sans doute pertinent, tant la discontinuité des rencontres successives et brèves sera propice à développer plutôt des phénomènes d’intuition où se mêlent étroitement affects et représentations, de part et d’autre. Cette notion d’empathie, à laquelle Freud fait lui-même allusion dans un article célèbre, « Le trait d’esprit et ses rapports avec l’Inconscient » [39], prend en compte l’importance des interactions entre les divers « acteurs » en ayant recours à la posture des corps et à l’imitation ! Le rire en serait la récompense ! Que la violence, la vulnérabilité puissent ainsi se métamorphoser par la magie d’un « bon mot » et conduire à cette jubilation si particulière, manifestation d’un « plaisir de soi », nous fait souvent dire et entendre : « Ah, je revis ! ». Pour autant, à côté de l’empathie, le concept d’identification projective gardera toute sa pertinence pour expliciter ces situations, où les a priori et les représentations du médecin, ou du soignant, peuvent conduire à la négation de la parole et/ou du désir du malade. Un numéro récent de la Revue française de psychanalyse en prenant pour thème « Consolation ? » pourrait conforter ce constat, car ses rédacteurs soulignent, quitte à briser quelques tabous, l’importance pour la psychanalyse de ne pas sembler rester « hors sol » [40]. La succession des articles fait apparaître les hésitations, les critiques d’auteurs soucieux du risque d’enlever à la pratique psychanalytique un certain « tranchant », mais qui admettent que la « consolation » puisse, dans certaines situations de grande détresse, être une condition du « soin psychique », tant elle est la bonne manière de « ne pas faire taire », selon l’expression de P.-C. Racamier. Hochmann [40] la définit comme l’alliance de l’empathie et de la narrativité. Elle n’obérerait pas nécessairement l’expression de l’hostilité, de la révolte, de la conflictualité psychique, ni de la propre ambivalence et de l’effroi vécu par le thérapeute devant certains récits. Roussillon dans un ouvrage consacré aux situations extrêmes [41] rappelle certaines spécificités des soins psychiques, dans ces contextes peu ou prou traumatiques : « C’est le corps par des attitudes et des postures qui prévaut : ici les sujets montrent tout autant qu’ils disent ! L’indicible, l’inexprimable se feraient plus « ressentir » que recueillir par la plainte… Ce serait d’un partage « par l’acte » que s’établirait une communication, où les messages s’éprouvent plus qu’ils ne s’entendent. Parfois un « apprivoisement » est nécessaire, parler serait trop douloureux, se souvenir insupportable, Psycho-Oncol. (2015) 9:267-275 « penser » catastrophique… Et attendre « la demande » deviendrait alors de la non-assistance à personne en danger ! » [41]. Roussillon recommande à ses collègues psychanalystes alors du « sur mesure », de « se déplacer », pour rejoindre la personne dans la « niche » où elle a trouvé refuge… Les soignants en cancérologie pourraient se sentir légitimés par ces considérations, car ils y sont souvent « exposés », et cette dimension éminemment corporelle de l’empathie les concerne ; en effet, pour eux la « bonne distance », le tact, serait de se « laisser toucher » ! Pour les psycho-oncologues présents au sein des équipes hospitalières et eux aussi en première ligne, ce texte répond à leurs propres questions, en particulier la référence à D.W. Winnicott et au concept de « besoins du Moi » [42]. Et puisque selon Heidegger, « tout commence avec l’avenir » (Séminaires de Zurich, destinés aux médecins), on pourrait donc se dire que certaines évolutions actuelles des modèles théoriques, utilisés en psychologie et même par la psychanalyse, nous fourniront sans doute de quoi lester notre « centre de gravité », réputé oscillant, pour une meilleure compréhension et articulation, entre tous les différents acteurs de la cancérologie : rendez-vous dans 20 ans ! Liens d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de lines d’intérêts. Références 1. Holland JC, Rowland JH (1989) Handbook of psycho-oncology. Oxford University Press, Oxford 2. Saltel P, de Raucourt D, Derzelle M, et al (1995) Standards, options et recommandations pour la pratique en psychooncologie. FNLCC. Bull Cancer 82:6493–7 3. Saltel P, Terra JL, Fresco R (1992) Troubles psychiques en cancérologie. Encyclopédie médicochirurgicale psychiatrie. Elsevier, Paris 4. 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