II) Déroulement
Or faire simultanément de l’Allemagne un Etat national et un Etat constitutionnel
représentait un objectif plus ambitieux que celui des révolutionnaires français en 1789. Car
ces derniers avaient affaire à un Etat national – même s’il n’était encore que « prémoderne »
– auquel ils voulaient donner des fondements nouveaux. Quiconque souhaitait l’unité et la
liberté pour les Allemands devait d’abord déterminer ce qui relevait de l’Allemagne. Le
premier Parlement librement élu, l’Assemblée nationale qui se tint dans la Paulskirche à
Francfort, considérait qu’un Etat national allemand devait englober la partie germanophone
de la monarchie des Habsbourg. Ce n’est qu’à partir de l’automne 1848 que la majorité des
députés admit qu’il n’était pas en leur pouvoir de faire éclater cet empire réunissant des
peuples divers. On ne pouvait imposer un Etat national regroupant la « grande Allemagne »
(et donc englobant l’Autriche), seul un Etat national constitué de la « petite Allemagne »,
sans l’Autriche, était possible – à savoir, dans l’état des choses, un empire dirigé par un
empereur héréditaire prussien.
Dans les États allemands, la vieille Confédération germanique et son organe suprême, la
Diète, instrument de la domination autrichienne, semblent disparaître sans coup férir.
Partout s'installent les « ministères de mars ». Dans certains États, la révolution consiste en
une simple passation des pouvoirs, en un remaniement ministériel opéré en douceur au
profit des dirigeants de l'opposition bourgeoise et modérée. C'est le cas de la Saxe, de la
Hesse, du Wurtemberg. Ailleurs, il faut forcer la décision, comme en Bavière, où le roi
Louis Ier abdique. L'aile marchante du parti révolutionnaire est assez composite. Artisans,
étudiants et petit-bourgeois des villes, groupées dans des associations démocratiques,
constituent le gros de la troupe. Les Turner, sociétés de gymnastique paramilitaires et
d'esprit pangermaniste, se chargent des opérations de rue et des assauts contre les palais et
les bâtiments administratifs.
À vrai dire, le déferlement des jacqueries, de ces soulèvements paysans contre les
redevances seigneuriales qui éclatent entre Main et Necker dès janvier 1848 a été pour
beaucoup dans la rapide capitulation des princes les plus intransigeants. Berlin, le dernier
bastion de l'absolutisme, cède après la sanglante insurrection du 18 mars. Frédéric-
Guillaume IV entérine le vote, par le Landtag prussien, des libertés fondamentales. Qui plus
est, le Landtag vote un projet d'Assemblée nationale élue au suffrage universel, consacrant
par là le triomphe apparent d'un mouvement national et unitaire, aux antipodes de la
politique traditionnelle d'intérêts dynastiques des Hohenzollern. Ce mouvement, héritier des
grandes batailles patriotiques de 1813 et de 1817, revigoré par la crise franco-allemande de
1840, avait pris naissance en Bade dès février 1848. À Mannheim d'abord, à Heidelberg
ensuite, des réunions enthousiastes de bourgeois libéraux et radicaux avaient débouché sur
un projet de réforme des institutions fédérales. Un Pré parlement (Vorparlament) est élu,
destiné à mettre sur pied une Chambre panallemande, à abroger le statut de la
Confédération et, par là, à rayer de l'histoire le particularisme germanique.
La révolution prit la double forme d'un mouvement national unitaire et d'une révolution
démocratique. L'appel national partit d'Heidelberg d'une cinquantaine de patriotes. La
convocation d'un Parlement constituant fut décidée, le gouvernement alors affolé laissa faire