dépend de la volonté de chacun d’y parvenir, les pesanteurs socia-
les sont plus déterminantes que les projets individuels. Il a été
remarqué qu’aucun observateur n’avait prévu une telle explosion
de violence, comme si son caractère imprévisible lui permettait de
sortir du champ d’une explication sociale. Certes, personne ne
pouvait prévoir, à part peut-être les astrologues, que les banlieues
françaises allaient s’enflammer en novembre 2005, mais pour
autant une analyse conséquente des conditions de vie, du vécu de
relégation, permettait de prédire qu’il y avait là un concentré d’in-
justices et de difficultés qui, un jour ou l’autre, aboutirait à un
mouvement éruptif. Lors des affrontements de l’automne dernier,
beaucoup de commentateurs ont insisté sur le fait que les jeunes
en colère faisaient brûler leur propre école, leur supermarché et
les voitures de leurs voisins. Il leur aurait été bien sûr plus péril-
leux d’enflammer les « quartiers chics » (pour des raisons éviden-
tes de distance, de connaissance du terrain), mais il faut aussi
considérer qu’en choisissant de mettre le feu à leur quartier, c’est
le symbole de leur propre relégation qu’ils voulaient voir disparaî-
tre. Au-delà de la volonté de détruire, l’histoire démontre qu’in-
cendier son propre territoire traduit souvent un lien d’apparte-
nance fort avec son lieu de vie que l’on refuse de laisser à
l’«ennemi»… ainsi les Moscovites face aux armées de
l’Empereur ! Le feu représente aussi la force et l’énergie, il est l’af-
firmation de l’existence et du pouvoir de ceux qui l’utilisent. A tra-
vers cette révolte, le message transmis par les jeunes est leur
volonté de vivre comme les autres : toute forme de ghettoïsation
(qu’elle repose sur un fondement social, religieux, ethnique)
amène un jour l’insurrection et la violence. Cela dit, non pas pour
excuser la violence, encore moins la justifier, mais seulement pour
en comprendre le fondement.
Il n’y a donc de réponse à cette réalité subversive que dans
la mixité sociale et territoriale. Encore faut-il s’entendre sur ce qui
I. Le sol : être né quelque part
Le sol est à la fois support d’identité et marque de recon-
naissance : être né quelque part est la première condition pour
exister. Cette primauté du lieu de naissance, sur tous les autres
constituants identitaires, est consacrée depuis la Révolution qui a
instauré le « droit du sol » comme élément déterminant de la
nationalité. En reconnaissant ce droit, la République reconnaît en
même temps les devoirs qu’elle a vis-à-vis de tous ceux qui habi-
tent sur son territoire et qui en contre partie, doivent respecter les
règles de vie en collectivité.
1. Tout commence par le logement
Le logement, au tout début de la vie, est l’espace d’ap-
prentissage de la relation avec les parents, les frères et sœurs, le
voisinage, l’environnement social ; l’école n’intervient que dans un
deuxième temps. Plus tard, chacun saura que son adresse l’iden-
tifie aux yeux des autres autant que son nom ou son métier ; il y
a des siècles, le patronyme qualifiait le lieu de vie et on en trouve,
encore aujourd’hui, la trace lorsque certains jeunes se désignent
à travers leur département de naissance, qu’ils transforment alors
en une sorte d’étendard provocateur : les 9.3 par exemple.
Moins l’individu se sent reconnu dans l’ordre social et
public, plus il aura besoin de se sentir appartenir à son sol, à son
quartier ; les phénomènes de clans et de bandes sont d’autant
plus exacerbés que les jeunes se sentent relégués, stigmatisés. Si
on ne mesure pas la force identitaire et la fonction symbolique du
lieu de vie, on ne comprend rien aux violences urbaines, et pas
seulement celles qui ont embrasé la France à l’automne 2005.
Celles-ci, ont rendu visibles des inégalités sociales intolé-rables.
Certes on peut vivre bien dans un quartier difficile mais il reste
plus incertain d’y construire un avenir parce que, même si cela
8• LES NOTES DE LA FONDATION JEAN-JAURES SOCIALISTES, ALLONS VOIR SI LA GAUCHE… • 9