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RESPONSABILITÉ DU FABRICANT D’APPAREILS MÉDICAUX AU CANADA: UN
JUGE DU QUÉBEC AUTORISE UN RECOURS COLLECTIF CONTRE ST. JUDE
MEDICAL POUR LE PRODUIT « SILZONE »
Le 3 septembre 2004, l’honorable juge Jean-Yves Lalonde de la Cour supérieure du Québec a
autorisé l’exercice d’un recours collectif contre St-Jude Medical Inc. et St. Jude Medical Canada
Inc. à la demande d’une porteuse d’une valve cardiaque recouverte de Silzone, madame France
Thibault.
Une valve cardiaque mécanique recouverte de « Silzone »
St. Jude Medical conçoit, fabrique, met en marche, distribue et vend des produits et des
équipements médicaux.
Le produit qui fait l’objet de la requête en autorisation d’exercer un recours collectif est une
valve cardiaque mécanique munie d’un anneau annuloplastique comportant une partie en tissu
enduite d’une substance à base d’argent connue et vendue sous le nom de « Silzone ». L’enduit
à base d’argent est ajouté à une valve mécanique préexistante et déjà éprouvée, l’objectif étant de
réduire le risque d’endocardite associé à ce type de valve en raison des propriétés
antibactériennes de l’argent.
Les études cliniques
C’est en janvier 1997 qu’on installe une première valve enduite de Silzone chez un patient.
St. Jude Medical Canada Inc. procède à une étude clinique la même année; celle-ci étant
favorable, elle demande à Santé Canada de délivrer un avis de conformité supplémentaire
l’autorisant à vendre des valves au Canada, ce qui est fait en juillet 1997.
En mars 1998, la Food and Drug Administration des États-Unis autorise également la
distribution et la vente des valves Silzone.
En même temps qu’elle met le nouveau produit sur le marché, St. Jude Medical parraine une
étude scientifique indépendante afin d’évaluer l’incidence de l’enduit sur le risque d’endocardite.
Cette étude est connue par l’acronyme AVERT pour « Artificial Valve Endocarditis Reduction
Trial ».
L’étude est toujours en cours mais, dès janvier 2000, le Data Safety Monitoring Board, un comité
effectuant la mise à jour des données et supervisant une base de données, rapporte qu’un nombre
significatif d’extractions est nécessaire chez les patients qui ont les valves Silzone par opposition
à ceux qui ont la valve originale en raison de fuites paravalvulaires.
Donc, le même mois, St. Jude Medical procède au rappel de toutes les valves en circulation et le
produit est retiré du marché.
-2Deux ans plus tard, en mars 2002, l’étude AVERT confirme une hausse statistiquement
significative des cas de fuites paravalvulaires chez les patients qui ont la valve Silzone par
rapport à ceux qui ont la valve originale.
La requête en autorisation d’exercer un recours collectif
Madame Thibault plaide que St-Jude Medical a conçu, fabriqué, mis en marché, distribué et
vendu les valves enduites de Silzone sans s’être assurée de leur innocuité et de leur efficacité.
Elle lui reproche également de ne pas avoir prévenu ou informé les autorités publiques, les
médecins et les consommateurs des risques associés à l’implantation des valves.
·
Les questions de faits et de droit « identiques », similaires ou connexes »
Il incombe à la requérante d’établir qu’il existe entre son recours et ceux des personnes qu’elle
veut représenter des questions de faits ou de droit identiques, similaires ou connexes (ou
« communes »).
St. Jude plaide qu’il n’existe pas de telles questions communes en l’espèce vu que chaque cas est
individuel, que pour chaque membre il faut examiner des facteurs qui lui sont particuliers,
l’historique médical, les habitudes alimentaires, s’il fume ou non, le protocole opératoire, etc.
Pour le tribunal, par contre, le fait que tous les membres soient porteurs de la valve Silzone est
un important dénominateur commun.
Le juge Lalonde souligne que même si les questions individuelles comportent des difficultés en
faits et en droit dépassant en complexité celles soulevées par les questions communes, cela ne
signifie pas pour autant que l’on ne devrait pas autoriser le recours.
Ce qui compte, écrit-il, c’est l’existence de questions communes dont la réponse est une étape
essentielle à toute indemnisation individuelle. Ces questions n’ont pas à être prédominantes mais
elles doivent néanmoins permettre de faire avancer le débat.
Les questions individuelles seront donc reportées au stade de l’exécution du jugement final, une
fois que les questions communes sont décidées.
·
Les faits allégués justifient-ils les conclusions recherchées ?
La requérante a-t-elle établi une apparence sérieuse de droit?
La requérante allègue que St. Jude Medical a conçu, fabriqué, mis en marché, distribué et vendu
les valves sans s’être assurée de leur innocuité.
Elle reproche aussi au fabricant de ne pas avoir adéquatement informé les médecins et les
consommateurs des risques associés à l’implantation de la valve.
Le tribunal estime que la question est sérieuse et mérite d’être examinée. Le tribunal note que le
recours du porteur, acheteur-utilisateur, peut être dirigé directement contre le fabricant, aussi
responsable de la garantie du vendeur.
-3En discutant de l’arrêt Hollis c. Dow Corning Corporation, [1995] 4 R.C.S. 634 et de la théorie
de l’intervention de l’intermédiaire compétent, le tribunal souligne qu’il se doit d’appliquer une
norme stricte en ce qui concerne l’obligation de mise en garde du fabricant contre les effets
secondaires dangereux. Il incombe au fabricant de faire la preuve que les chirurgiens ont reçu
une information concernant les risques généraux et particulièrement lors de l’utilisation normale
du produit.
·
La composition du groupe rend-elle difficile ou peu pratique l’application
des articles 59 ou 67 du Code de procédure civile?
Ce troisième critère invite le tribunal à vérifier si le requérant aurait dû demander aux membres
ou groupes de lui donner une procuration, un mandat écrit l’autorisant à agir en son nom (art. 59)
ou à procéder par réunion d’actions (art. 67), sans être contraint à faire des démarches trop
considérables.
En l’espèce, le tribunal tient compte qu’il y aurait approximativement 570 membres dans le
groupe, répartis sur l’ensemble du territoire du Québec.
Le tribunal tient également compte du fait que le nombre exact et l’identification des personnes à
qui l’on a implanté les valves Silzone est un renseignement confidentiel, en la possession de la
compagnie et auquel la requérante n’a pas accès.
Le tribunal conclut que la troisième condition est remplie.
·
La requérante est-elle en mesure de représenter adéquatement les membres
du groupe?
La compagnie prétend que la requérante ne peut pas représenter adéquatement les membres du
groupe et que sa réclamation personnelle est vouée à l’échec.
Le cas de la requérante est particulier parce que, étant inopérable en raison des nombreuses
opérations qu’elle a subies, elle continue de porter la valve Silzone.
Vu son histoire médicale lourde, il est certain qu’elle aura de la difficulté à prouver ses
dommages et le lien de causalité avec la faute, en supposant qu’il y en ait une, de St. Jude. Cela
dit, le tribunal rappelle qu’un représentant n’a pas à être idéal et qu’il suffit qu’il soit adéquat.
·
La reformulation des questions communes
Ce jugement du juge Lalonde est particulièrement intéressant parce que le tribunal se donne la
peine d’examiner la formulation des questions qu’il faut résoudre collectivement. Voici
comment la requérante proposait que ces questions soient rédigées : (par. 83)
-4« [83] Les questions proposées par la requête en autorisation du recours collectif sont
les suivantes :
a) Les intimées ont commis une faute en concevant, fabriquant,
mettant en marché, publicisant, distribuant et vendant des valves
cardiaques recouvertes de Silzone sans s’être assurées de leur
innocuité et efficacité, compte tenu qu’elles étaient destinées à être
implantées dans les humains;
b) Les intimées ont commis une faute par leur défaut de prévenir
et d’informer adéquatement les autorités publiques, les
professionnels de la santé, les médecins et les consommateurs des
risques associés à l’implantation de valves cardiaques recouvertes
de Silzone;
c) L’implantation de valves cardiaques recouvertes de Silzone
chez les membres du groupe a causé des dommages à leur santé
physique et mentale ou a contribué directement à ces tels
dommages;
d) La responsabilité conjointe et solidaire des intimées pour les
dommage subis par les membres du groupe en relation avec
l’implantation de valve cardiaque recouverte de Silzone. »
Comme le souligne le juge Lalonde, ces questions n’en sont pas véritablement : les sujets
abordés sont trop larges, traitent de la valve cardiaque alors que le véritable enjeu est l’ajout de
l’enduit recouvert de Silzone.
Le juge Lalonde tient compte du jugement rendu par le juge Cullity de la Cour supérieure de
l’Ontario1, le 16 septembre 2003, et s’en inspire pour réécrire les questions de la façon suivante :
(par. 86)
1
« 86.1
La présence du Silzone sur l’anneau annuloplastique de la valve cardiaque, telle
que conçue, fabriquée, mise en marché, publicisée, vendue et retirée du marché
par St. Jude Medical, augmente-t-elle chez les membres du groupe le risque de
complications nécessaires dont, sans limitation, celles de fuites paravalvulaires,
thrombose valvulaire, d’endocardite, de thromboembolie ou d’hémorragie
causant la mort ou toute autre conséquence non mortelle?
86.2
Compte tenu que la valve cardiaque Silzone est destinée à être implantée dans le
corps humain, St. Jude Medical a-t-elle envers les membres du groupe des
obligations de sécurité, d’innocuité, d’efficacité et d’aptitude du produit à sa
destination?
86.3
St. Jude Medical a-t-elle fait défaut à ses obligations et est-elle responsable des
conséquences de son défaut envers les membres du groupe?
86.4
St. Jude Medical connaissait-elle ou devait-elle connaître les risques associés à
l’implantation des valves cardiaques Silzone dans le corps humain?
Andersen c. St. Jude Medical Inc. (2003) 67 Ontario Reports (3d) 136 (Ontario Superior Court of Justice).
-586.5
Si oui, St. Jude Medical a-t-elle manqué à son obligation de mise en garde et à
son devoir continu de renseigner les autorités publiques, les professionnels de la
santé (intermédiaires compétents) et les porteurs de la valve cardiaque Silzone?
86.6
Le cas échéant, St. Jude Medical est-elle responsable des dommages résultant de
l’absence de mise en garde et d’information à l’endroit des membres du groupe?
86.7
L’implantation de valves cardiaques Silzone chez les membres du groupe a-telle causé ou contribué aux dommages à leur santé physique et mentale?
86.8
Quelle est la nature des dommages que les membres du groupe peuvent réclamer
de St. Jude Medical?
86.9
St. Jude Medical Inc. et St. Jude Medical Canada Inc. peuvent-elles faire l’objet
d’une condamnation solidaire? »
Ainsi réécrites, les questions permettent de mieux saisir ce qui est la dénominateur commun dans
ce litige.
Les parties poursuivies dans un recours collectif concentrent souvent toute leur énergie à faire
rejeter la demande d’autorisation, sans se soucier de la formulation des questions communes.
Ceci est une erreur car très souvent les avocats des requérants travaillent rapidement pour
signifier une requête en autorisation et rédigeant à la hâte les questions communes, ratissent
large. Les questions étant trop générales, il y a un risque que le procès ne dégénère en
commission royale d’enquête.
Il est donc sage d’avoir un plan et de jeter un regard critique sur les questions proposées par la
requérante.
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