Compte-rendu de M. Billard EPP 2006.

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DISPOSITIFS GROUPAUX ET LEUR ARTICULATION
DANS LE CHAMP DU SOIN PSYCHIQUE
Morgane Billard
Promotion 2006
Clinique psychiatrique d'Orgemont (95) Groupe Clinéa
Témoigner de mon intérêt pour les prises en charge groupales dans le champ du soin psychique à travers mon
expérience de jeune clinicienne et rendre compte d’un processus de formation et d’élaboration d’une pratique en
lien avec le travail pluridisciplinaire, telle est mon intention pour ce travail d’écriture.
Rencontre avec des dispositifs groupaux dans des milieux de soins
Au cours de ma formation initiale, dans le cadre de mes stages de professionnalisation, j’ai découvert différents
types de groupe dans le champ du soin psychique. Notamment, au sein d’un hôpital de jour accueillant des
patients majoritairement psychotiques ou limites, j’ai été marquée dans ma place de stagiaire psychologue par la
dimension groupale et l’importance de ce qui pouvait être déposé par les patients. En effet, les groupes
thérapeutiques, par leurs fonctions identificatoires, de contenance et de transitionnalité sont des espaces de
travail psychique particulièrement adaptés à ce type de patient. La confrontation à l'intersubjectivité est
médiatisée, étayée par le dispositif thérapeutique, tel qu'il a été pensé par le thérapeute. Les processus primaires
plus archaïques peuvent trouver plusieurs lieux d'expression au sein du groupe.
Cet intérêt pour le groupe ne m'a plus quitté et naturellement, j'ai eu le souhait de développer ce type de prise en
charge dans ma pratique. J’ai donc engagé depuis un peu plus de 2 ans une formation psychanalytique
groupale. Depuis 3 ans maintenant, je travaille au sein d'une Clinique psychiatrique et d'un hôpital de jour.
Dès la création et l'ouverture de ces deux structures, respectivement en 2004 et 2006, les prises en charge
groupales ont eu une place importante et se sont développées institutionnellement. Les membres de l'équipe
pluridisciplinaire amenés à conduire des groupes à la Clinique et/ou à l’HDJ sont les suivants : une artthérapeute, une danse-thérapeute, une psychomotricienne, une infirmière sophrologue-relaxologue, des
infirmiers, une ergothérapeute, une diététicienne et des psychologues. Une grande diversité de groupes aux
objectifs différents cohabite au sein de notre institution. Il y a notamment des groupes à médiations
thérapeutiques : corporelle (le groupe mouvement-thérapie, le groupe théâtre, le groupe corps et sons), plastique
(l’art-thérapie, le groupe peinture selon la méthode d’Arno Stern), écriture, photo (Groupe Sensimage©) et vidéo.
D’autres dispositifs groupaux existent : un groupe de parole destiné aux patients alcoolodépendants co-animé
par un infirmier et une collègue psychologue, un groupe psychoéducatif ayant pour objectif de renforcer
l’autonomie du sujet, un groupe relaxation, un groupe diététique, de l’ergothérapie, de la gym douce et un groupe
marche. Enfin, il y a aussi ce que nous pourrions appeler les ateliers de lien social : l’atelier journal, les sorties
découvertes ou culturelles et l’atelier mémoire. Les groupes ont lieu dans l'une ou l'autre des structures ou dans
les deux. Néanmoins, l’hôpital de jour et la Clinique sont deux structures, bien que côte à côte, tout à fait
distinctes l’une de l’autre. Le cadre institutionnel est une donnée très importante à prendre en compte dans la
création d’un dispositif de groupe. Selon que l’on travaille dans un service de moyen séjour, dans un centre de
consultation type CMP ou au sein d'un hôpital de jour, les dispositifs groupaux ne peuvent pas être identiques. Le
dispositif est en rapport étroit et en interrelation constante avec le cadre institutionnel au sein duquel il se met en
place et évolue.
Tentative de définition
Concernant justement cette notion de dispositif, il me semble important de préciser ce que l'on entend par là.
Jean-Claude Rouchy en donne la définition suivante: « De façon opératoire, un dispositif est constitué des
éléments qui délimitent le rapport au temps et à l’espace : objet du travail de groupe, nombre de séances, rythme
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Dispositifs groupaux…
des séances, règles énoncées, lieux de réunion, modalités de paiement et de prise en charge éventuelle, cadre
institutionnel dans lequel est mis en place le dispositif. » (Rouchy, 2006). Les choix réalisés par le thérapeute
dans la constitution de son groupe (avec ou sans médiation, quel type de médiation, destin des productions,
groupe fermé, ouvert, semi-ouvert, groupe de patients homogènes ou hétérogènes, entretiens préliminaires ou
pas, règle de discrétion, etc...) vont dépendre des objectifs thérapeutiques recherchés et de la spécificité du
cadre institutionnel. Ainsi chacun des groupes à la Clinique et à l'hôpital de jour a son importance et sa place.
D'autre part, précisons qu'il y a de soi dans le dispositif, tel qu’il a été pensé et créé. Des éléments contretransférentiels anticipés (J.C. Rouchy) sont à l'œuvre dès les premiers temps de l'élaboration du dispositif
groupal. De surcroît, dans le cadre de l'utilisation de médiateur, il existe des éléments contre-transférentiels par
rapport à l'objet médiateur lui-même qu'il est utile de travailler pour ne pas faire porter au patient des histoires qui
nous appartiendraient.
Selon le dispositif mis en place, l'objet du travail de groupe ne sera pas le même. L'indication de tel ou tel groupe
sera discutée en fonction de la pathologie du patient, de la qualité de son fonctionnement psychique, et de là où
il en est dans son processus de soin. Certains groupes, notamment à médiation, s’inscrivent dans une
« indispensable légèreté du lien » (Jeammet, 1992) (Cohou, 2006) nécessaire aux patients pour lesquels la
relation duelle et la confrontation à l'intersubjectivité sont trop anxiogènes. Le groupe à médiation permet
d'enclencher une dynamique de symbolisation, sans que le rapport au thérapeute ne soit vécu comme trop
dangereux. L'objet média permet au patient de ""jouer et mettre en forme" ce qui ne peut pas l'être dans la
relation au clinicien" (Roussillon, 2010).
En hôpital de jour : « L’efficacité thérapeutique de tels dispositifs dans un tel espace dépend beaucoup de la
capacité de l‘équipe à travailler dans la cohérence » (Cohou, 2006). Le travail en équipe est effectivement un
enjeu primordial pour la cohérence des soins, comme nous allons l'aborder maintenant.
Cohérence du travail d'équipe et diversité des groupes thérapeutiques
Face à l’essor actuel des groupes de toutes sortes, le risque est de « faire » du groupe, sans penser sa pratique.
Dominique Cohou (2006) parle très justement dans son article de « groupite institutionnelle », « invasion
inflammatoire de l’espace institutionnel par des groupes sans liens entre eux ». Les groupes sont alors
juxtaposés les uns aux autres sans cohérence, sans possibilité de liaison. La diversité des dispositifs groupaux
peut être une véritable richesse pour une structure de soin, à condition qu’un travail d’articulation et de liaison
entre les différents espaces groupaux soient engagé.
Comment se construit la cohérence ?
• Par l'élaboration d'un projet pluridisciplinaire
En effet, au moment de la création de la structure de soin dans laquelle je travaille, l'équipe en place
(psychiatres, cadres de santé, psychologues, psychomotricienne, danse-thérapeute, infirmiers, aides-soignants)
a travaillé ensemble à la constitution du projet d’établissement et du cadre des soins. Une partie de l'équipe était
au travail avant même l'ouverture de la Clinique. Il y a eu donc tout "un temps sans patient", où le travail en
équipe pluridisciplinaire s’est initié et où les groupes avaient déjà leur place. Ce temps premier fut sans doute un
élément fondateur du travail en équipe. Par la suite, l’équipe paramédicale s’est enrichie, ce qui a permis de
développer de nouveaux dispositifs groupaux.
• Dans des espaces de réflexion spécifiques
D'autre part, plusieurs espaces de travail institutionnels existent et sont les lieux privilégiés pour mettre au travail
cette articulation entre les différentes prises en charge : la réunion des activités thérapeutiques (mensuelle) et les
temps de synthèse clinique (une hebdomadaire par psychiatre).
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Dispositifs groupaux…
• Grâce à la stabilité professionnelle des encadrants
La stabilité des membres constitutifs de cette équipe est un autre facteur essentiel pour la dynamique de travail
en équipe. Pendant une assez longue période, les membres de l'équipe paramédicale et les psychologues ont
formé une entité stable (comparativement aux équipes infirmières, par exemple, où le manque et les
mouvements de personnel sont un véritable problème touchant beaucoup d'établissements). Le travail d'équipe
est en effet une construction, qui nécessite du temps. Et tout mouvement d'un membre de l'équipe est un
bouleversement, qui peut déstabiliser profondément l'équilibre fragile de ce type de travail.
• Et à la formation continue des psychologues qui s'y impliquent
La pratique des groupes nécessite de s'inscrire dans un processus de formation. Il s'agit à la fois d'acquérir des
connaissances théoriques et techniques, afin de pouvoir petit à petit entrevoir et définir la dynamique des
processus en jeu dans les dispositifs groupaux créés, mais pas seulement. Le processus de formation implique
aussi un travail personnel. Une formation de type psychothérapie psychanalytique groupale, plus spécifiquement,
permet de travailler à la création et à la conduite d'un travail analytique de groupe, où l'objet du travail devient
l'analyse des processus groupaux (à différencier d'un travail individuel en groupe).
Pour finir…
L’essor ces dernières années des prises en charge groupales devrait se poursuivre encore davantage avec la
tarification à l’acte (ou T2A). La logique de moyens cède la place à une logique de résultats avec une facturation
des actes de soin. Dans cette perspective, les prises en charges groupales peuvent apparaître des plus
intéressantes sur le plan économique, une séance de groupe permettant de coter huit actes (correspondant au
nombre de patients ayant pu bénéficier de ce groupe), là où comparativement une séance individuelle ne serait
cotée qu'une seule fois. Les groupes thérapeutiques ont donc potentiellement un bel avenir devant eux,
renforçant la large place faite aux psychologues dans les institutions. Encore ne faut-il pas, comme nous l'avons
abordé précédemment, "faire" du groupe pour faire du groupe...
Dans ce contexte, le psychologue clinicien a peut-être un rôle important à jouer grâce à la spécificité de sa
position institutionnelle et sociale, lui permettant un « dire critique » (Le Maléfan, 2004) constructif.
BIBLIOGRAPHIE
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