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I. Différence et répétition. L’ontologie deleuzienne, une ontologie du sens et de
l’incarnation
A. Ontologie du sens
Une ontologie du sens
Deleuze ne manque pas de saluer un effort nouveau chez Hegel, à travers le compte-
rendu d’une lecture qu’en donne Hyppolite
. Si ontologie il demeure, ce ne peut être qu’une
ontologie du sens et non de l’essence. « Le retour éternel spéculatif n’inclut pas une histoire
monotone qui se répéterait, mais une perspective de sens, de téléologie, immanente à l’extase
du devenir. »
Perspective de sens ouverte par une dynamique d’existence, et non plus
déploiement d’une essence, si l’on parle encore d’ontologie ce sera à condition de ne plus
faire de l’essence fixe et immuable l’objet donné à la réflexion d’un sujet. Il y a une ouverture
dynamique, un devenir, dans lequel il y aura production de sens : le sens est une perspective
ouverte dans un devenir et non pas un donné à saisir dans l’Être. L’homme naitra à la nature
pour Hegel, mais cette nature n’avait pas en soi de sens : « « Le désert, disait Balzac, c’est
Dieu sans l’homme » ; ainsi la pure nature pour Hegel, quand elle est encore en soi, et n’a pas
trouvé dans l’homme ce qui est capable de lui conférer un sens. »
. Bref, le sens est à
produire. Dès lors, comme produit il sera exigé de penser ses conditions de production.
L’anthropologie semble être convoquée ici. En effet, à suivre Hyppolite, ne devons-nous pas
dire que c’est l’homme qui confère un sens à la nature ? On se gardera de rendre souverain le
« conférer ». D’une part, l’homme ne trouvera plus le sens tout fait, donné, rapporté à un
fondement essentiel, pas plus qu’il ne le donnera selon des caprices psychologiques ; d’autre
part, et en vertu de ce premier aspect, l’anthropologie devra être mise en mouvement, étudiée
comme un moment dans un développement. L’homme confère certes un sens à la nature,
mais l’homme et la nature ne se trouvent pas l’un en face de l’autre. Nulle part ne trouve-t-on
donnés un sujet face à son objet, pris dans une relation réflexive dans laquelle le sujet
Pour tout ce chapitre, d’une grande sécheresse, le lecteur pourra s’aider de l’annexe 1 qui en reprend la
structure essentielle.
À vrai dire cet effort n’est que relativement nouveau : Deleuze en voit des balbutiements chez Platon et Kant
(et il est certain que Spinoza pousse cet effort très loin, plus loin même que Hegel). Hyppolite, Logique et
existence, Paris, PUF, 1953. Et compte-rendu de Deleuze : Deleuze, « Jean Hyppolite, Logique et existence »
(1954), dans L’île déserte (Textes et Entretiens 1953 – 1974), Paris, Les Éditions de Minuit, 2002, p. 18 - 23.
(Cité ID).
Hyppolite, « Note sur la préface de la “Phénoménologie de l’esprit” et le thème : l’absolu est sujet » (1967),
dans Hyppolite, Figures de la pensée philosophique, Tome 1, Paris, PUF, 1971, p. 334. (Cité Figures 1).
Hyppolite, « Situation de l’homme dans la phénoménologie hégélienne » (1947), dans Figures 1, p. 107.